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Titre : Nouvelles lettres inédites / C. Cavour ; recueillies et publiées avec notes historiques par Amédée Bert
Auteur : Cavour, Camillo Benso (1810-1861 ; comte de). Auteur du texte
Éditeur : (Turin)
Date d'édition : 1889
Contributeur : Bert, Amédée (1833-1916). Éditeur scientifique
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30209352z
Type : monographie imprimée
Langue : français
Langue : Français
Format : 1 vol. (X-573 p.) ; in-8
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Description : Contient une table des matières
Description : Avec mode texte
Droits : Consultable en ligne
Droits : Public domain
Identifiant : ark:/12148/bpt6k65401923
Source : Académie du Faucigny, 2013-153332
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 02/09/2013
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C. CAVOUR
NOUVELLES LETTRES INÉDITES
RECUEILLIES ET PUBLIÉES AVEC NOTES HISTORIQUES
PAR
-' AMÉDÉE BERT
1889
L. ROUX ET C. - ÉDITEURS Rome-TURIN-Naples.
PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE
(1099)
PRÉFACE
Je dois à l'affection de mon excellente et regrettée amie, Madame Augusta Granet, veuve d'Emile de la Rue, morte à Gênes le 19 juillet 1887, la possession des lettres du comte de Cavour, contenues dans ce volume (1).
Ces lettres ont toutes été écrites de la main même de l'illustre homme d'État dont les talents, l'énergique persévérance et le patriotisme concoururent, pour une si large part, à l'affranchissement et à la constitution définitive de l'Italie moderne.
Émile de la Rue, auquel elles sont adressées, était banquier à Gênes et y occupait, dans la finance et dans la société, une haute position (2).
(1) Dans une note testamentaire en date du 4 septembre 1878, Madame De la Rüe m'écrivait: « Quant aux lettres du comte de Ca« vour, que je vous ai confiées, je vous autorise à en faire l'usage « que vous jugerez bon, dans cinq ans, à partir de ce jour, m'en u remettant à votre délicatesse pour ne pas abuser des choses intimes « qu'elles peuvent contenir
(2) Émile de la Riie mourut de la petite vérole, le 19 septembre 1870, à Vérone, en revenant d'un voyage qu'il avait fait à Venise.
L'importante maison qu'il y dirigea jusqu'à sa mort, avait été fondée en 1758, par son grand-père, André de la Rue, de Genève. Originaire de Lésâmes, en Flandre, la famille De la Rue s'était réfugiée à Genève vers la fin du xvie siècle, pour cause de religion, et elle tenait dans cette ville, un rang des plus honorables, puisque le noble et spectable Gédéon de la Rüe (père d'André de la Rue) était membre du Conseil des Deux cents, Auditeur de la sommaire justice, Juge des Terres de St-Victor, et son épouse, Marie Mestrezat, appartenait à une famille qui fournit à la République plusieurs théologiens et magistrats célèbres.
André de la Rue eut deux fils, Antoine et Jean, qui succédèrent à leur père dans la direction de sa Banque, sous la raison sociale de « De la Rüe frères » et qui la cédèrent ensuite à leurs fils, Emile, Hyppolite et David Julien de la Rue. Ceux-ci demeurèrent associés jusqu'au moment où Hyppolite, ayant acquis une terre en Piémont, se consacra entièrement à son exploitation, et où, David s'étant retiré à Genève, en 1850, Émile de. la Rüe resta seul à la tête de la Maison, qui prit alors le nom de « De la Rüe et Compe ».
Les rapports de la famille de Cavour avec la famille De la Rue, dataient de fort loin. La marquise de Cavour (mère du comte Camille), et sa sœur, la duchesse de Clermont Tonnerre, toutes deux filles du comte de Sellon, étaient nées à Genève, où elles avaient beaucoup connu la famille De la Rüe, et elles continuèrent à avoir avec elle des rapports fréquents après leur établissement à Turin, où elles s'étaient fixées depuis leur mariage. Le marquis Michel de Cavour confia souvent des capitaux à la Maison De la Rüe, dont la haute réputation de probité et d'honorabilité était proverbiale, et il la chargea parfois, de ventes ou d'achats de céréales, pour son propre compte.
Ses deux fils, Gustave et Camille, furent ainsi amenés à connaître les jeunes De la Rüe, surtout Camille que ses fonctions de page appelèrent souvent à Gênes, où il fréquenta la famille De la Rue, dont l'hospitalité était aussi
aussi proverbiale que la probité. C'est alors que commença sa liaison avec Émile de la Rüe, qui était à peu près de son âge et avec lequel il avait beaucoup d'idées et de goûts communs (1).
Lorsque le comte Camille de Cavour vint ensuite en garnison à Gênes, en qualité d'officier du génie (1830 et 1831), il y fut un habitué des salons de Mesdames de la Rüe, chez lesquelles il était reçu comme un enfant de la maison, et sa liaison avec David, mais surtout avec Émile de la Rue, y prit un caractère plus intime encore, comme le prouvent les lettres contenues dans ce volume (2).
L'amitié qui unissait le grand politique au banquier de Gênes, la confiance qu'il avait en lui, et la haute estime dans laquelle il tenait son bon sens et son jugement, ressortent, en effet, à chaque page dans cette longue correspondance, qui, commencée en 1836, ne prit fin que le 28 mai 1861, c'est à dire dix jours avant la mort de l'illustre ministre.
« Je vous attends avec la plus grande impatience, « je dirais même avec la plus vive anxiété, si je ne « comptais pas autant sur votre amitié, votre intelligence « et votre sagacité en affaires », écrivait le comte Cavour à Emile de la Rüe, en avril 1848 (lettre CXL). « Il faut, « mon cher, qu'en cessant d'être mon correspondant d'af« faires, vous continuiez à être mon confident. Je ne con-
(1) Je dois ces détails à l'obligeance de Mr H. V. Aubert de la Rüe, petit-fils de Mr Hyppolite et petit neveu de Mr Émile de la Rüe.
(2) Madame la marquise Josephine Alfieri de Cavour, qui m'a aussi accordé, de la manière la plus gracieuse, l'autorisation de publier les lettres contenues dans ce volume, a bien voulu me confier celles des lettres d'Émile de la Rüe qui avaient été conservées par le comte de Cavour et me permettre de consulter la correspondance de celui-ci avec sa famille, ainsi que le Diario, ou journal intime, dans lequel il consignait, presque chaque jour, ses pensées et ses principales actions. — C'est dans ce Diario et dans ces lettres, que j'ai puisé les informations citées ci-dessus.
« nais personne à Gènes, et, quand même je connaîtrais « toute la ville, je n'aurais en personne autant de con« fiance qu'en vous », lui dit-il, le 13 octobre 1850, peu après sa première entrée au Ministère (lettre CCCXIII).
« J'aurais désiré vous parler confidentiellement; j'avais « des choses à vous dire que je ne saurais écrire », lui mande-t-il, peu de jours avant de partir pour le célèbre colloque de Plombières, qui était alors encore, un secret sauf pour La Marmora (1). (9 juin 1858, lettre CCCCXLVIII).
Et je pourrais multiplier les citations prouvant que cette confiance amicale ne se démentit jamais un instant, pendant les 25 années que dura cette correspondance.
Le comte de Cavour consultait Emile de la Rue, dès qu'il était embarrassé sur quelque question de finance, de législation commerciale, ou même de politique; il lui demandait son avis sur une foule de choses et il le priait souvent de venir à Turin, pour pouvoir plus librement et confidentiellement causer avec lui. C'est par lui qu'il commença à traiter en 1851, le grand emprunt Anglo-Sarde (Hambro); c'est lui qu'il envoya en Angleterre, eu activer la solution, de même qu'il l'envoya à Paris et à Chambéry, en 1855, pour combiner le tracé et traiter la fusion des chemins de fer de la Savoie, avec la Compagnie Bartholony. Entre ces deux hommes, en un mot, il régna une amitié que la mort seule a pu briser, et qui les honore également l'un et l'autre. 1 A l'aide de ces lettres de Cavour à Émile de la Rue, on pourrait reconstruire à grands traits presque toute l'histoire de la glorieuse épopée italienne. Depuis les premiers jours où un souffle de liberté commença à agiter le Piémont, elles nous conduisent, en effet, jusqu'aux jours, où, malgré les désastres de 1848 et 1849 et les divisions des partis qui si souvent menacèrent de tout compromettre, les réformes de Charles Albert, la guerre de Crimée, le Congrès de Paris et les campagnes de 1859 et 1860, ame-
(1) CHIALA, Lettere edite ed inedite del conte di Cavour, vol. II, pag. 219.
nèrent la fusion de la Lombardie, des Duchès et de Naples avec le Piémont, et préparèrent la constitution, en un seul royaume libre et fort, de l'Italie tout entière (1).
Plusieurs de ces lettres traitent exclusivement de spéculations agricoles, industrielles et commerciales, entreprises en social avec Émile de la Rue, et, comme Cavour ne savait pas faire les choses à-demi, leur lecture pourrait faire croire qu'avant d'arriver au pouvoir, son intelligente énergie s'était tout entière concentrée sur ces sujets. —
On s'apercevra bien vite, cependant, que les opérations de ce genre, malgré la rare habileté avec laquelle il savait les entreprendre et les conduire à bonne fin, n'étaient qu'un accessoire, un déversoir au trop plein de son activité, et que la politique, quoi qu'il en dise, fut de tout temps sa passion dominante.
A chaque instant, en effet, au milieu ou à la fin d'une de ces lettres d'affaires, il échappe à sa plume un mot, une observation, une phrase, qui trahit cette constante préoccupation, cette involontaire tendance de son esprit.
Le Cavour patriote et futur ministre y perce partout.
L'exploitation de ses terres, la vente de ses riz et de ses blés, la création de ses Banques et de ses sociétés , industrielles n'étaient, au fond, qu'un dérivatif passager pour son activité. Il était né, avant tout, pour devenir homme d'État, et homme d'État il devint.
On a dit avec raison, que les grands hommes perdent à être connus de près, car l'intimité de chaque jour nous fait infailliblement découvrir chez eux, des imperfections dont nous ne les aurions jamais soupçonnés. Peut-être la lecture de ces lettres, qui, certainement, dans la pensée de leur auteur n'étaient pas destinées à la publicité, produirat-elle cet effet sur ceux qui ne voient Cavour qu'à travers les succès qu'il a obtenus et la grande œuvre qu'il a ac-
(1) J'ai cherché à résumer, dans les notes qui accompagnent ces lettres, la biographie des principaux personnages qui y sont nommés et les évènements auquels elles font allusion.
complie. Peut-être l'y trouvera-t-on parfois trop réaliste, trop pratique, trop préoccupé d'intérêts purement matériels (1). J'en conviens, et lui même reconnaissait, que dans son cerveau la « folle du logis » n'avait jamais joué un bien grand rôle. Mais, s'il en avait été autrement, si, au lieu d'avoir été un homme d'affaires accompli, un homme pratique dans toute l'étendue du terme, un honnête juste milieu, comme il aimait à s'appeler lui même, Cavour avait été un idéaliste, un enthousiaste, un utopiste, comme il y en eut en si grand nombre autour de lui, lors de ce premier réveil du sentiment national en Piémont et en Italie, aurait-il pu mener à bonne fin, comme il le fit, l'immense entreprise il laquelle il consacra sa vie? « Avec la consti« tution actuelle de la société », dit avec raison monsieur De la Rive (2), « il me semblerait difficile d'imaginer un « grand politique dépourvu des facultés qui, dans les af« faires, assurent et maintiennent le succès ».
Les ennemis de Cavour l'ont souvent accusé d'avoir profité de sa haute position, pour réaliser de gros bénéfices, et d'avoir recouru, pour augmenter sa fortune, à des procédés que la délicatesse devait lui interdire. Je crois que celles de ses lettres à Emile de la Rüe, qui traitent d'opérations financières, suffisent pour réfuter cette accusation. Cavour, avant d'être ministre, spécula, sans doute, sur les céréales, les engrais chimiques, les actions de la Banque et les fournitures des chemins de fer alors en construction dans le Piémont, et il y réalisa des bénéfices importants; mais, ces bénéfices, il les dut à sa remarquable intelligence des affaires, a sa persévérante activité, et non pas à des procédés louches et peu délicats, comme ses ennemis l'ont prétendu. Tout homme d'affaires, qui lira la correspondance de Cavour relative à ces opéra-
(t) On a même dit que Cavour avait si peu le sentiment esthétique et était si peu poëte, qu'il aurait transformé, si cela avait dépendu de lui, en fabriques et usines tous les monuments de l'Italie. (Gai- leria Nazionale. Genova, Tipografia Sordo-muti, 1863, pag. 72).
(2) DE LA RIVE, Cavour, page 69.
tions, reconnaîtra, j'en suis convaincu, que si elles étaient fort habilement menées, elles étaient cependant parfaitement honorables et n'avaient rien que d'absolument légitime dans les gains qu'elles lui procurèrent. Et, un fois devenu ministre, au lieu de profiter, comme on l'en a accusé, de sa haute position et des facilités qu'elle lui procurait, Cavour s'interdit, au contraire, d'une manière absolue, toute spéculation et toute affaire commerciale, en dehors de celles que nécessitaient l'exploitation de ses terres et la conservation de sa fortune. Ce fait ressort avec évidence, soit des lettres contenues dans ce volume, soit de celles qui ont été précédemment recueillies (1).
On a dit aussi, que Cavour n'eut jamais un plan politique clairement dessiné et fermement suivi, et qu'il ne fut qu'un « modéré », tour à tour municipaliste, fédéraliste ou unitaire, suivant les circonstances. Sans doute, les idées de Cavour subirent l'influence des évènements, au milieu desquels il vécut. Il appartint d'abord, au parti constitutionnel piémontais, libéral, mais très conservateur, très modéré et très piémontais. Il soutint ensuite les idées fédéralistes de Gioberti, et il modifia plus tard son plan, en devenant unitaire. Mais l'immutabilité est-elle donc la condition première de la grandeur et de l'honnêteté politique? Et le véritable homme d'État, est-il celui qui ne change jamais ses plans et ses idées, ou celui qui, tout en ayant un but bien défini, sait profiter des leçons de l'expérience et élever son idéal toujours plus haut, à mesure que les circonstances le lui permettent?
Cavour ne fut jamais un démocrate, dans le sens strict du mot, et ne professa jamais grande sympathie pour ceux qu'il appelait « les exagérés ». Ce fut là un des grands reproches que le parti avancé ne cessa de lui adresser.
Quoique libéral par instinct et par conviction, il lui resta néanmoins, toujours quelque chose des influences aristo-
(1) Voyez en particulier les lettres CCCXIII et CCCLVIII.
cratiques que la famille, les idées et le milieu au sein desquels il nacquit, exercèrent sur lui. Faut-il s'en étonner? Ce qui m'étonne bien plus, au contraire, c'est que, de l'ancienne Cour de Turin et des salons de la vieille noblesse piémontaise, alors si imbue encore de préjugés et d'idées surannées, il ait pu sortir un libéral comme lui, et qu'il ait dirigé aussi vite et aussi loin qu'il le fit, le grand mouvement national dont il fut l'un des plus puissants facteurs.
Du reste, mon intention, en publiant cette correspondance, n'est pas de faire une apologie du comte de Cavour, mais simplement de contribuer, au moyen de documents encore inédits, à mettre en relief quelques-uns des traits distinctifs de cette riche et puissante personnalité.
Après les travaux des Massari, des Berti, des Bianchi, des Castelli, des De la Rive, et surtout, après le volumineux Epistolario, si patiemment, formé et si admirablement commenté par L. Chiala, entreprendre une nouvelle publication sur le grand ministre et sur son œuvre, pourra paraître inutile, d'autant plus que près de deux mille de ses lettres ont été déjà publiées. Chiala, qui en a recueilli la majeure partie, exprime cependant le vœu que « plu« sieurs autres encore soient publiées et contribuent ainsi « à faire toujours mieux connaître les pensées intimes et « les sentiments de cet homme, dont la grandeur augmente « à mesure que les années s'écoulent » (1).
J'ai cru que les lettres de Cavour à Émile de la Rue, pourraient concourir à ce but et qu'elles méritaient mieux que d'être simplement conservées dans des archives de famille. J'ai cru que leur publication serait intéressante et utile, et, puisque j'en ai reçu l'autorisation, je les ai publiées.
Gènes, Avril 1888.
AMÉDÉE BERT.
(1) L. CHIALA, Lettere edite ed inedite del conte di Cavour, TOI. I, pag. xi.
I.
Turin, 27 juillet 1836.
Mon cher Émile, Je m'empresse de répondre aux notions que vous me demandez sur les tentatives faites en Piémont, pour y importer la nouvelle industrie du sucre indigène. La personne qui s'en est le plus occupé et qui a déjà fait quelques essais à ce sujet, c'est votre très-humble serviteur (1), qui
(1) Après avoir servi pendant peu de temps, en qualité de sous-Jieutenant du Génie dans l'armée sarde, le comte de Cavour dut se convaincre que ses opinions politiques et la franchise avec laquelle il les exprimait lui fermaient tout avenir dans cette carrière, sous le Gouvernement absolu qui régissait alors le Piémont, et en ayant obtenu le consentiment de son père, il donna sa démission le 12 novembre 1831.
— Au demeurant, comme le dit M. De la Rive, fait pour obéir il ne l'était pas pour servir, et encore était-il fait plus pour commander que pour obéir. — Après avoir voyagé quelque temps en Angleterre et en France, où l'avaient appelé des intérêts de famille, son père lui proposa de se charger de la direction de ses terres, dont les fonctions de Vicaire qu'il remplissait à Turin, ne lui laissaient pas le loisir de s'occuper suffisamment. « J'ai accepté avec empressement, écrit le comte Camille à M. De la Rive, car lorsqu'on a entrepris de faire valoir
a l'honneur de vous écrire. Je m'abstiendrai de vous parler de sa moralité et des garanties qu'il présente, quoique je vous avoue que j'ai en lui une grande confiance.
L'année dernière j'ai commencé à cultiver la betterave dans nos collines de Grinzane (1) ; je n'avais alors en vue que de me procurer une nourriture saine et abondante pour mon bétail, de sorte que je semai de la betterave champêtre, soit racine d'abondance. J'eus tout lieu d'être satisfait de mon essai; quoique ce fût la première fois que cette culture était pratiquée dans le pays et qu'elle n'ait pas été exécutée avec tous les soins qu'elle exige, j'en obtins de fort beaux résultats ; un demi-journal, soit trois cinquièmes de pose, me donna à peu près 607 quintaux de racines. Pendant l'hiver, l'idée me vint que nous pourrions tirer parti de la betterave pour en faire du sucre.
Je me décidai donc à faire venir de la graine de betterave blanche de Silésie, soit saccharine; malheureusement je
soi-même toutes ses terres, il y va de sa fortune à ne pas en soigner l'administration. Rien ne viendra d'ailleurs me troubler dans la carrière (d'agriculteur) que j'ai entreprise. Quand je conserverais le même goût que j'avais pour la politique, il y a quelques années, il me serait impossible de me mêler d'une manière active des affaires publiques sous un Gouvernement dont mes opinions et mes circonstances personnelles m'éloignent égalemnet. Car, quelque modéré, quelque juste milieu que je sois devenu, je suis bien loin encore de pouvoir approuver le système suivi chez nous. Ne sachant pas faire les choses à demi, une fois lancé dans les affaires, je m'y suis donné tout entier. J'y suis d'ailleurs forcé par ma position; je suis cadet, ce qui veut dire beaucoup dans un pays aristocratiquement constitué; il faut que je me crée un sort à la sueur de mon front. En agriculture, il n'y a de bonnes affaires que celles qu'on peut diriger soi-même. Je suis presque entièrement absorbé par mes occupations agricoles. J'ai entrepris de vastes spéculations, qui exigent de grand soins et une surveillance de tous les instants. (DE LA RIVE, Le Comte de Cavour, pag. 49 et suiv).
(1) Vaste propriété dans la province d'Alba, appartenant à la famille de Cavour.
ne pus m'en procurer, m'y étant pris fort tard, qu'une très-petite quantité.
Pour que l'expérience fût complète, je me décidai à semer plusieurs journaux (1) d'abondance, et de placer à côté quelques sillons de betteraves blanches. J'ai voulu donner une assez grande étendue à cette culture, pour pouvoir juger si elle était susceptible de réussir sur une vaste échelle. Si les résultats répondent à mon espérance, je n'aurai qu'à comparer le produit des racines blanches avec celui de l'abondance et j'aurai une base certaine pour établir mes calculs.
J'ai pris nos risières pour théâtre de mes expériences en grand ; j'ai preféré cette localité, car y possédant une très vaste étendue de terrain, nous pourrions produire à nous seuls, sans nous gêner, une quantité suffisante de betteraves pour alimenter une manufacture de moyenne grandeur.
J'ai aussi continué mes essais à Grinzane. Jusqu'a présent je reçois des deux côtés les meilleures nouvelles. De Leri (2) on m'écrit que les betteraves sont magnifiques, et de Grinzane on me mande qu'elles sont fort belles aussi, mais qu'elles commencent à souffrir de l'horrible sécheresse qui nous désole depuis deux mois. A Leri je suis sans inquiétude sur le succès de l'expérience, car nous pouvons arroser tant qu'il nous plait nos champs de betteraves ; je crains un peu plus pour Grinzane. A la récolte je constaterai la qualité et la quantité de mes produits, et s'ils sont de nature à me permettre d'entreprendre la fabrication du sucre avec avantage, je n'hésiterai pas à le faire, car la betterave nous fournit le moyen d'amender fort avantageusement nos sols de rizières.
J'aurais eu quelque envie d'établir ma fabrique à Grin-
(1) Ancienne mesure piémontaise, valant 3800 mètres carrés environ.
(2) Vaste propriété dans la province de Verceil, dont le marquis de Cavour et madame de Tonnerre avaient fait l'acquisition quelques années auparavant, et dont le comte Camille prit la direction en 1833.
zane, parceque le sol est plus fertile ; mais le manque d'eau, le défaut d'espace et le mauvais état des communications me décideront, je pense, pour Leri. L'expérience de cette année sera décisive pour moi, car c'est un des terrains les moins fertiles de la terre, terrain qui a produit du riz cinq ans de suite.
Lorsque je serai décidé à entreprendre ce genre d'industrie, je ferai un appel à vos capitaux, que vous ne me refuserez pas j'espère, et nous aurons la gloire d'avoir importé dans notre pays un nouveau produit.
La récolte du blé a été bien mauvaise, elle ne dépassera pas la moitié de celle de l'année dernière, je puis vous l'affirmer de la manière la plus positive. La sécheresse donne les plus vives inquiétudes pour les secondes récoltes. Si elle continue, elles seront à peu près nulles et le pays sera obligé d'importer une quantité considérable de blé pour sa propre consommation. Je vous prie de me mander quel a été le résultat des récoltes en Suisse, ce qu'on a fait en blé et ce qu'on attend des secondes récoltes. Cela m'importe beaucoup pour nos riz.
Veuillez me rappeler au souvenir de madame De la Rue, qui aura, j'espère, profité de son voyage, et croire à ma bien sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
II.
Turin, 29 août 1836.
Mon cher ami, Une inflammation à la gorge, pour laquelle on m'a fait trois saignées, m'a empêché de répondre plus tôt à votre lettre du 10 courant. Grâce au ciel, ma maladie n'a pas été longue et je suis maintenant en pleine convalescence,
prêt à recommencer mes courses agricoles. Je m'en vais m'occuper de la récolte des betteraves, que j'ai fait semer comme essai, dans nos rizieres. Le résultat que j'obtiendrai décidera la partie agricole de la question, c'est-à-dire le prix de revient de la betterave brute. J'espère que nous pourrons en avoir tant que nous voudrons, à raison de 10 francs les 1000 kilos, c'est-à-dire qu'il nous conviendra, comme propriétaires, de les cultiver à ce prix; c'est meilleur marché qu'en France, où on les paye généralement 15 francs les 1000 kilos. Maintenant il nous restera la question industrielle à résoudre, savoir quels sont les capitaux et les dépenses nécessaires pour établir et faire marcher une sucrerie. Je vous prie de prendre à cet égard tous les renseignements que vous pourrez; vous ferez bien de vous adresser a Mr Vincent qui connaît à fond toutes les questions industrielles et qui est à même de vous mettre en rapport avec les hommes les plus versés dans cette partie (1). Une fois que nous saurons ce que coùte l'érection d'une fabrique et quels sont les frais de fabrication de cet article, nous verrons de suite, s'il nous convient d'établir une sucrerie en Piémont. Faites bien attention que les résultats obtenus en France et en Lombardie ne sont pas décisifs pour nous, parceque dans ces deux pays les droits sur les sucres sont beaucoup plus élevés que chez nous. Si d'après des calculs exacts nous venons à découvrir que la fabrication du sucre peut nous offrir un beau bénéfice, mon projet serait d'établir une sucrerie dans nos rizières, à laquelle entreprise je serais heureux de vous voir concourir comme associé actif. Le domaine de Leri s'engagerait à fournir à la fabrique une certaine quantité de betteraves au prix de 10 francs les 1000 kilos, de plus elle lui céderait un hangar très vaste, pour y établir les constructions nécessaires et lui fourni-
(1) Emile De la Riie se trouvait alors à Paris.
rait une force motrice suffisante pour faire aller les mécanismes. En compensation de ces sacrifices le domaine retirerait les pulpes de betteraves sans les payer. Nous formerions une société, vous, votre père et moi, qui devrait durer au moins vingt ans, au bout desquels, si nous ne voulions plus continuer à faire du sucre, nous liquiderions nos fonds cédant au domaine les constructions que nous aurions fait faire pour le prix des matériaux. Voilà le projet qui me roule depuis longtemps par la tête, méditez-le et dites-moi franchement votre avis.
Vos idées sur les obligations de 1834 sont justes, en grande partie. On les admet comme cautionnement, au taux de 1000 pour les employés publics, mais à la condition de les déposer dans les caisses du trésor, ce qui n'empêche cependant pas de percevoir les intérêts qui y sont attachés.
Les fonds de 1819 et de 1831 sont passibles d'hypothèque, bien entendu qu'il ne peut être question que de cédules nominatives. Je pense que vous vous amusez légèrement à la bourse, je vous souhaite bonne chance.
Vous aurez bien profité du séjour de Paris, pour bien courir et voir une foule de choses ; j'espère que les distractions qu'il aura procurées à madame de la Rüe, lui auront fait plus de bien encore que les prescriptions des oracles de la faculté (1). ,
Les nouvelles de Gênes sont beaucoup meilleures; il n'y a eu que deux cas de choléra pendant les deux derniers jours. A Paris aussi cette maladie a reparu l'année qui a suivi la grande invasion, mais sans faire de mal bien sensible. De toutes parts nous apprenons que le choléra diminue; en Lombardie il a disparu d'un grand nombre de lieux r
(1) Madame de la Eue, dont la santé était fortement ébranlée, avait accompagné son mari à Paris pour consulter les médecins les plus célèbres de cette ville.
dans nos provinces il commence à devenir moins violent.
Nous n'en sommes ici aucunement inquiets.
Le mariage Rora (1) a eu lieu ce matin, il s'est fait à petit bruit dans une chapelle privée. Le contrat a eu lieu samedi dernier, les présents de l'époux et des parents de la mariée, anciens et futurs, étaient magnifiques; elle a reçu plus de dix parures, toutes d'une grande beauté. Il y a longtemps qu'on n'avait vu étaler à Turin autant de magnificences.
L'ami Rora aura été bien content.
Adieu, cher ami, mon père vous dit bien des choses.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
III.
Turin, 1 décembre 1836.
Mon cher Emile, Je ne saurais assez vous dire combien j'ai regretté de ne pas m'être trouvé a Turin lors de votre passage dans cette ville. Si j'avais su au juste le moment de votre arrivée, j'aurais quitté mes affaires pendant un jour ou deux pour vous les consacrer; mais dans l'incertitude où votre lettre m'avait laissé, je ne pouvais m'absenter longtemps de la terre dont je viens de faire l'acquisition (2). J'aurais vivement désiré avoir une main à fond sur l'article betterave
(1) Le mariage du comte V. Costa Carru de la Trinité avec mademoiselle Constance de Rora, fille du marquis Lucerna di Rora et sœur du marquis Emanuele di Rora.
(2) La propriété du Torrone. « J'ai acheté une vaste propriété dans les rizières. Je crois avoir fait une excellente affaire. Il me manque seulement l'argent pour la payer; à celà près, elle doit me donner un bénéfice superbe. (Lettre à M. de la Rive. DE LA RIVE, Cavour, p. 58).
qui m'intéresse au plus haut degré. Les documents que vous m'avez apportés, sont de nature, je pense, à fixer nos idées sur ce sujet; je me réserve pourtant de vous en parler à fond une autre fois, ne les ayant pas encore étudiés comme ils méritent de l'être et ne pouvant ce matin que vous donner quelques moments. J'espère que je pourrai, avant la fin du mois, vous communiquer mes opinions de vive voix, car il est bien probable que j'aille à Gênes pour régler l'affaire de nos moutons que nous devons expédier en Égypte (1). Je n'attends que l'arrivée de Mr Serra pour vous aller trouver; si vous pouviez me donner des nouvelles du dit sieur Serra, vous m'obligeriez infiniment, car il y a deux mois que j'attends de ses lettres et que je ne reçois rien. Son correspondant à Gênes est un certain M. G. B. ; veuillez, je vous en prie, faire demander en mon nom à ce Mr s'il ne sait rien de Serra.
Je vous quitte à regret, mais le courrier part et je n'ai que le temps de vous dire mille amitiés et d e vous renouveler l'assurance de mes sentiments d'attachement.
CAMILLE DE CAVOUR.
IV.
Janvier 1837.
Je profite, mon cher Emile, du départ de notre ami Rora, pour vous renvoyer les précieux documents que vous m'aviez apportés de Paris, sur l'industrie du sucre indigène. D'après les données qu'ils contiennent, et d'après toutes celles que m'ont pu fournir mes recherches et ma propre expérience, je me suis convaincu que la fabrication du sucre peut
(1) Il s'agissait de 800 moutons que le comte de Cavour avait vendus au Pacha d'Égypte.
devenir fort avantageuse dans ce pays. Je crois que l'agriculteur-fabricant piémontais peut produire du sucre brut à meilleur marché que le fabricant français, et qu'il peut par conséquent, malgré la différence des prix dans les deux pays, faire d'égaux bénéfices. D'après cette conviction bien établie chez moi, je n'hésiterais plus à entreprendre un essai de fabrication, si je n'étais retenu par une crainte que je crois bien fondée; l'industrie du sucre indigène est encore dans l'enfance, les procédés dont elle se sert présentent de graves imperfections que tout le monde reconnaît, sa marche est encore incertaine, puisque les hommes les plus habiles ne sont pas encore décidés entre les modes de fabrication les plus opposés. Cette industrie peut subir, d'un moment à l'autre, une révolution qui en change la face comme l'invention de Mull-Sercy a changé l'industrie cotonière. Convient-il, dans cet état de choses, de se lancer dans une entreprise nouvelle, pour laquelle il faut tout créer et établir à grands frais, ce qu'il faudra peut-être abandonner demain ? Mr Duport (1), qui vient de passer un mois dans le Nord de la France pour étudier la marche de l'industrie du sucre indigène, a été frappé du désaccord qui règne dans l'opinion des différents fabricants qu'il a connus. Comment pourrions-nous nous décider, nous qui manquons de tous les éléments nécessaires pour asseoir notre jugement?
Cette considération me fait penser qu'il est plus sage de suspendre l'exécution des projets de fabrication pour le moment. Laissons l'industrie saccharine se développer et s'asseoir sur des bases fixes, préparons-nous seulement à profiter des travaux et de l'expérience des autres. Pour nous mettre dans le cas de le faire avec avantage, je suis décidé à donner une grande extension dans nos terres à
(1) Le baron Duport, industriel, nommé baron par le gouvernement sarde, en récompense des services rendus par lui à l'industrie. (CHFALA, Lettere, V, p. 57).
la culture de la betterave, dont je trouve déjà un emploi avantageux comme nourriture pour le gros bétail. Lorsque cette racine se sera acclimatée parmi nous et fera partie de notre système agricole, nous pourrons sans peine, d'un moment à l'autre, créer un établissement pour en tirer le sucre qu'elle contient. Je vous ai exposé avec franchise ma manière de voir sur cette question, qui, je le sais, vous intéresse autant que moi; je serai charmé que vous me fassiez également connaître votre opinion à cet égard, afin que nous puissions arriver à une conviction commune.
Ne connaissant pas personnellement le comte Gallina (1), je l'ai fait sonder par un de ses plus intimes amis sur ses intentions relativement au projet de banque que vous avez soumis au gouvernement. Je suis fâché de vous dire que le ministre y est tout à fait hostile, non qu'il désapprouve l'idée de fonder une banque à Gênes, mais d'abord, parce qu'il a été choqué que vous ne vous soyez pas adressé directement à lui pour soumettre votre projet au roi, et que vous vous soyez servi pour cela de Villamarina (2), qui passe pour avoir dans la réussite du projet un fort intérêt personnel, et ensuite, parce qu'il s'est fourré dans la tête que les actions de la banque projetée ont été accaparées par un petit nombre de capitalistes, pour la plupart étrangers, ce qui rendrait cet établissement peu populaire parmi le commerce de Gênes. Je sens, autant que qui que ce soit, le peu de fondement des objections du ministre ; mais comme elles reposent en grande partie sur l'amour propre blessé, je sens aussi qu'il est parfaitement inutile de vouloir les combattre directement.
(1) L'avocat comte Etienne Galliua di Guarene, premier secrétaire d'Etat pour les affaires de l'intérieur et des finances, ministre d'État du 1850-66; nommé Comte par le roi Charles-Albert en 1834, mourut l'an 1867. (CIBRATUO, Notizie genealogiche di famiglie nobili. pag. 130).
(2) Le marquis Salvatore Pès de Villamarina, sénateur du Royaume.
Je suis fâché d'être au bout de mon papier, car j'aurais encore désiré m'entretenir avec vous sur une foule de choses qui nous intéressent également. Ce sera pour une autre occasion, ou peut-être pourrai-je le faire plus à mon aise, de vive voix avant peu, car je n'ai point renoncé à mon projet d'aller faire une course à Gênes, et si je puis, je le réaliserai avant peu.
Mes amitiés, je vous prie, à Davidin (1) et veuillez présenter mes hommages empressés à Madame de la Rue.
Votre bien dévoué C. DE CAVOUR.
V.
Turin, 27 avril 1837.
Mon cher Émile, Je vous assure que je n'ai pas négligé l'affaire de la banque. N'ayant pas de relations directes avec Mr le comte Gallina et sachant qu'il éprouve une certaine jalousie pour tout ce qui lui vient de mon père, je lui ai fait communiquer les observations que votre lettre contenait, par mon ami le marquis César Alfieri (2), qui a assez d'empire sur son esprit. Une absence de plusieurs jours et un grand malheur (3) m'ont successivement empêché de vous faire connaître plus-tôt le résultat de cette communication. Ce n'est qu'avant hier d'ailleurs, que César Alfieri m'en a parlé.
(1) David Julien de la Rüe, cousin et associé de M. Émile de la Rue.
(2) Le marquis César Alfieri di Sostegno, sénateur du Royaume. (Voyez Lettre xxxiv).
(3) La mort du duc de Tonnerre, oncle par alliance, du Comte de Cavour, ancien pair de France.
Le comte Gallina assure que, loin d'être opposé à l'établissement d'une banque à Gênes, il est disposé à le favoriser de tout son pouvoir, que même il a déjà soumis cette question au conseil de conférence, et qu'il est parvenu à faire renoncer le comte Pralorme (1) au projet qu'il avait formé de créer un établissement qui fût commun aux deux premières villes du Royaume. Le plan que vous aviez présenté le printemps dernier, n'est pas tout à fait conforme aux vues du ministre, mais il ne s'en éloigne pas radicalement. Cependant, comme il est atteint d'une certaine tache originelle, je crois qu'il vaudrait mieux que vous en présentiez un nouveau. Vous devriez aussi, en le présentant, déclarer que les fondateurs de la banque sont disposés à consentir à toutes le modifications qui paraîtraient convenables au gouvernement, pourvu qu'elles soient compatibles avec leurs intérêts, et, afin de les regler, il faudrait que vous délégassiez une ou deux personnes qui discuteraient avec le ministre le plan proposé et tâcheraient de le bien pénétrer de son importance, sur laquelle je crois qu'il n'a pas des idées bien étendues, ni bien exactes.
Vous savez, mon cher Emile, que je suis toujours charmé de faire quelque chose qui vous soit agréable, ainsi vous pouvez compter entièrement sur moi pour cette affaire. Je n'ai pas des moyens bien étendus, mais le peu que je possède est entièrement à votre disposition. Je crois d'ailleurs avoir dans mon ami C. Alfieri un excellent canal pour faire parvenir la vérité jusqu'aux oreilles du ministre.
On m'a objecté vaguement, pour combattre le projet de la banque de Gênes, le mauvais succès de la Banque de Marseille; je croyais cet établissement dans l'état le plus prospère, de sorte que cette nouvelle m'a prodigieusement étonné. Je vous prie de me dire si elle est fondée, ou bien
(1) Le comte François Beraudo di Pralormo, ministre de l'intérieur.
si c'est un bruit absurde propagé par des ignorants ou des personnes malveillantes.
Le pauvre Rora regrette bien de ne pouvoir vous être d'aucune utilité; mais il est plongé au fond de son lit, où la goutte le retient depuis vingt jours. Il avait cru un moment, avoir trouvé dans le magnétisme un remède contre cette maladie, l'attaque terrible qu'il vient de subir l'a cruellement détrompé.
Faites mes amitiés à Davidin et croyez moi, à la hâte, Votre dévoué ami C. DE CAVOUR.
VI.
Juin 1837.
Mon cher ami, je reçois à l'instant votre lettre d'avant hier, je m'empresse d'y répondre. Je crois qu'il n'est pas question de diminuer encore les droits d'entrée sur les blés ; cette mesure n'aurait plus maintenant de sens commun, elle ne ferait pas arriver un navire de plus avant la prochaine récolte, époque à laquelle le Piémont aura du blé au delà.
de ses besoins. Les apparences sont magnifiques ; les huit jours de beau temps que nous avons eu, ont suffi pour rendre à la campagne un aspect de prospérité qui ressemble fort à celui de l'année 1827, où la récolte a été si abondante. Soyez bien intimément convaincu qu'il y aura vers la moitié de juillet une baisse sensible sur tous les marchés du Piémont. Une foule de gens seront obligés de vendre pour payer les dettes contractées pendant cette année de misère. Tous mes grangers à Grinzane n'ont d'autre moyen de me payer leur loyer, qu'en réalisant tout de suite une partie de leur récolte. Dès qu'il y aura du blé récolté, la consommation de l'ancien produit cessera entièrement. Dans
les temps ordinaires les boulangers de Turin ne peuvent pas employer du blé de l'année avant le quinze du mois d'août ; cette année il leur sera permis d'en faire usage dès qu'il en paraîtra sur les marchés.
Le mariage (1) a eu lieu hier; le soir il y a eu appartement à la cour et l'épouse est partie à onze heures ; on a hâté le départ pour ne pas se mettre en route un vendredi, ce qui, dans l'idée des Napolitains, serait d'un triste augure.
J'ai énormément à faire, et le courrier va partir dans un instant. Je n'ai plus que le temps de vous faire mes amitiés et de vous assurer de mes sentiments dévoués.
Votre très-aff.né CAMILLE DE CAVOUR.
VII.
Coni, 17 août 1838.
Mon cher ami, je vous prie de faire dire aux deux courtiers qui ont en consigne le blé que nous avons acheté à compte à demi avec Davidy, de suspendre toute vente, quand même les prix auraient atteint la limite qui leur avait été fixée. Les secondes récoltes ayant complètement manqué dans le nord de l'Italie, vous pouvez vous attendre à de fortes demandes de blé étranger. On parle déjà de diminuer les droits d'entrée. L'année s'annonce sous les mêmes auspices que 1836.
Je vous serai fort obligé de me donner quelques détails sur l'état de votre place relativement aux blés.
(1) Le mariage de Marie Christine fille cadette de Victor Emanuell, avec le roi Ferdinand de Naples.
Je vous écris fort à la hâte, sur le coin d'une table de l'auberge de Coni, ce qui m'empêche de m'entretenir plus au long avec vous.
Votre tout dévoué ami CAMILLE DE CAVOUR.
VIII.
Turin, 25 août 1838.
Mon cher Émile, Je vous remercie de la lettre que vous m'avez écrite le vingt-trois de ce mois, ainsi que des précieux renseignements que vous me donnez sur le commerce des blés. Vos raisonnements ont ébranlé ma conviction et je crois comme vous que, pour le moment, il n'y a pas à espérer une nouvelle hausse. J'étais loin d'ailleurs, de supposer que le blé eût atteint le prix que vous me marquez dans votre lettre.
Nous avons acheté l'Odessa à 18 et 20 et le Marianopoli à 18 et 18,14; les prix actuels nous offrent un si beau bénéfice que je pense que la prudence nous ordonne d'en profiter; en conséquence, veuillez considérer comme révoqués les ordres contenus dans ma lettre de Coni et dans celle que Mr Renaldi (1) vous a écrite, en mon nom, le 23 courant.
D'après ce que vous me mandez et les nouvelles que les journaux donnent de l'Angleterre et de la France, je ne doute pas qu'il n'y ait une baisse dans les blés exotiques vers le mois de décembre. Par contre je ne doute pas que nous ayons cet hiver une très-forte hausse sur tous les marchés du Piémont, car la récolte du blé et sourtout celle du maïs, sont bien plus mauvaises qu'on ne le pense. Ainsi
(1) Secrétaire du comte de Cavour.
donc, il faut vendre maintenant, pour acheter en décembre et revendre ensuite en mars. Seulement, il faudra calculer si le blé de Sardaigne ne convient pas mieux à la spéculation, que les blés d'Odessa et de Marianopoli.
Ma mère a été très-dangereusement malade, aux eaux de Yaudier; après 36 jours de maladie nous avons pu la transporter, partie en litière, partie en voiture, jusqu'à Turin où elle est arrivée hier; elle est maintenant en convalescence, mais la faiblesse est encore extrême.
Mon père est bien, il vous dit bien des choses. Mille amitiés.
Votre tout dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
IX.
Turin, 31 août 1838.
Mon cher ami, Je reçois à l'instant votre lettre du 28 courant et je m'empresse d'y répondre.
Je ne suis nullement fâché que l'on ne puisse pas exécuter l'ordre de vente que je vous avais donné, car mon opinion personnelle est à la hausse, et même à la très-grande hausse. Vous verrez que les prix hausseront sur tous les marchés de l'Europe cet hiver. La récolte ayant été retardée partout, elle sera peu productive. J'ai assez d'expérience agricole pour savoir que lorsque une plante ne mûrit pas régulièrement, elle donne un produit moindre que celui qu'on en attend d'après les apparences. Au mois de juin on croyait encore avoir une belle récolte de froment en Piémont, ce n'est qu'après avoir battu les gerbes qu'on a reconnu qu'elle était détestable.
Le maïs manque entièrement, ainsi que le millet, les
haricots et ce que l'on appelle généralement les secondes récoltes. Le même défaut a lieu en Lombardie et dans le midi de la France. Je ne doute pas un instant, qu'avant la récolte prochaine, le port de Marseille ne s'ouvre aux blés éxotiques. Si j'avais consenti à vendre, c'était uniquement par déférence pour votre opinion et pour ne pas prendre sur moi la responsabilité d'une mesure qui intéresse votre cousin autant que moi. Mais, puisque vous revenez à mon avis, je n'hésite pas à vous déclarer que pour faire cet achat pour mon compte, j'aimerais mieux ne pas vendre pour le moment, persuadé que je suis, que l'Odessa se vendra 30 livres cet hiver. Je crois même, que ce serait une excellente affaire que d'acheter du maïs à 14 livres, car vous pouvez être sûr qu'on ôtera le droit sur cette denrée. Si D.
était à Gênes, je lui proposerais d'acheter en compte à demi mille ou deux mille émines (1) de maïs de 14 à 15 livres.
Nous les revendrions à 20 livres avant le mois de février.
Si j'avais de l'argent disponible je vous en enverrais pour mon compte, en attendant la réponse de D. Si vous trouviez à acheter à livrer, pour la fin de l'année, je vous prierais de conclure le marché en en donnant avis à D.
Pour qu'il se décide s'il veut entrer de moitié dans cette spéculation, ou non.
Je vous prie, mon cher ami, de faire prendre par votre cuisinier, des informations sur le prix de la viande de mouton; j'ai un troupeau de béliers châtrés que je voudrais envoyer vendre à Gênes, mais avant de leur faire faire un coûteux voyage, je désirerais assurer leur débit. Si un boucher voulait traiter au poids, je pourrais faire un marché avec lui dès à présent.
Pardon de cette commission triviale, elle rentre dans mes
(1) Ancienne mesure piémontaise valant 23 litres. Une minette = 118 d'émine.
habitudes d'agriculteur, dont Hyppolite (1) vous aura appris à connaître la puissance.
J'ai reçu hier de bonnes nouvelles de votre père, à qui j'ai envoyé un cochon modèle. Je vous prie de présenter mes hommages à madame de la Rue et de me croire à jamais Votre dévoué ami CAMILLE DE CAVOUR.
X.
Turin, 10 septembre 1838.
Mon cher Emile, Une course rapide que j'ai faite à Grinzane, et les deux jours de fête, pendant lesquels on ne reçoit pas les lettres à la poste, m'ont empêché de répondre plus tôt à vos lettres du 4 et 8 courant. Je vous remercie infiniment des peines que vous vous donnez pour exécuter ma commission et des conseils que vous me donnez. Je crois comme vous, qu'il convient mieux d'acheter du maïs à terme, dont la qualité est connue, que de courir la chance du livrer; ce qui me déterminerait pour ce dernier parti, c'est que je n'ai pas d'argent disponible pour le moment, et que j'en aurfii à la fin de l'année. Sans ce motif, je préférerais payer le maïs 14 livres à terme et même 14.50, que 15 à livrer, si on ne me garantissait pas un certain échantillon. Si vous pouvez me trouver de l'argent, n'hésitez pas à prendre le disponible, sans cela traitez à livrer, mais en tâchant d'assurer la qualité, autant que possible.
Dans la course que j'ai faite à Grinzane, j'ai pu m'assurer du produit réel de la seconde récolte; le produit sera moins faible qu'on ne le craignait; la sécheresse n'a pas
(1) Frère de Mr Émile de la Rue.
fait tout le mal qu'on pouvait redouter, malgré cela la récolte est, au plus, médiocre, certes elle ne s'élève pas aux deux tiers de l'année passée. Cependant je crois que les besoins les plus considérables se feront sentir sur le blé; cette denrée est peu abondante sur tous les marchés et je persiste à croire qu'elle obtiendra de très-hauts prix.
Les journaux vous auront confirmé les nouvelles que je vous donnais de la Baltique. Dans la Prusse on craint de ne pas avoir assez de blé pour les besoins du pays. Le déficit qui en résultera, doit nécessairement réagir sur les Prix de la Méditerranée; la Hollande importe ordinairement une grande quantité de blé de Hambourg ; si elle ne trouve Pas sur cette place, il faudra bien qu'elle vienne acheter à Gênes. Vous devez connaître mieux que moi l'état de la place de Marseille, cependant je persiste à croire qu'avant la fin de l'année agricole de grands besoins s'y feront sentir. La sécheresse a été plus forte dans le midi de la France que chez nous; la récolte des légumes doit y être nulle. Dans le nord on commence à se lamenter du faible produit des gerbes; la moindre impulsion peut causer une grande hausse.
J'ai tort de vous faire tous ces raisonnements, puisque vous ne spéculez pas dans les blés, mais comme je tiens à votre bonne opinion, je tâche de justifier ma manière de voir par tous les arguments que je peux.
Je n'ai pas de nouvelles politiques à vous donner. Toute la ville a été douloureusement affectée par la mort subite du marquis de Barol (1), arrivée à Chiari, près de Milan.
Il revenait de Yérone avec sa femme, on le croyait guéri d'une maladie qu'il avait eu dans cette ville; en voiture il prit mal, on le descendit à l'auberge de Chiari, où il expira au bout de peu d'instants. Le marquis de Barol
(1) Le marquis Charles Tancredi di Falletti di Barolo. philantrope Aes plus généreux.
était l'homme le plus charitable du pays; sa fortune, son temps, ses moyens, il les employait au services des pauvres, qui le regardaient comme leur père. Aussi jamais homme n'a été autant regretté par toutes les classes de la population. Il laisse sa grande fortune à sa femme, qui s'était associée depuis long-temps à toutes ses bonnes œuvres, et qui, bien certainement, a reçu la mission de les continuer; elle n'y manquera pas.
La récolte du riz est magnifique, tâchez d'en expédier beaucoup en Portugal et à Marseille, afin de maintenir nos prix.
Adieu, mon cher ami, croyez a mon bien sincère attachement.
CAMILLE DE CAVOUR.
XI.
Turin, 15 décembre 1838.
Mon cher ÉnÛle, Je vous prie de me donner sans délai des nouvelles de D., je voudrais lui écrire et ne sais pas où le prendre.
D'après ce que je connaissais de ses intentions, il devrait être de retour à Gênes, mais peut-être le mauvais temps le retient-il à Genève.
Vous aurez lu le décret pour la diminution de l'impôt foncier. Il a été accueilli avec reconnaissance par tous les propriétaires. Le comte Gallina est un homme fort éclairé et certes il fera tout ce qui dépend de lui, pour faciliter le commerce, surtout si cela doit augmenter les revenus de l'État. Je ne doute pas qu'on n'abolisse définitivement les droits différentiels.
Je ne vous parle pas des céréales ; peu de variations sur nos marchés, le blé se soutient sans grande hausse, le
maïs est moins recherché. En France, on a un peu baissé, mais les nouvelles d'Angleterre me rassurent complètement.
Les ports vont être libres et il ne peut manquer de se faire d'énormes envois qui feront monter nos prix.
Recevez à la hâte, mon cher ami, l'assurance de mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
XII.
16 juillet 1841.
Mon cher Émile, Une course que j'ai faite à (Mnzane, m'a empéché de vous remercier plus-tôt, des renseignements sur le commerce des blés, que vous m'avez fournis par votre lettre du 8 courant.
Ils me sont très précieux, en ce qu'ils me mettent à même de démontrer que les craintes que les blés d'Odessa avaient inspirées aux propriétaires piémontais, étaient chimériques.
Les résultats de la récolte du blé sont peu satisfaisants, nous n'aurons pas un produit au delà de la moyenne et comme il n'existe pas de fonds ancien, nous serons obligés d'avoir recours aux blés étrangers. Les maïs sont magnifiques, ce qui empêchera le blé de dépasser une certaine limite ; néanmoins, comme il y a des besoins de blé. que le maïs ne peut satisfaire, cette denrée sera constamment recherchée. A Turin, d'ordinaire, on ne permet pas aux boulangers d'employer le blé de l'année, que du 10 au 15 août.
Cette année l'administration municipale s'est vu forcée d'admettre les blés nouveaux dès le 12 juillet; au dernier marché il n'y avait plus un sac de vieux blé.
Je vous ai mandé, je crois, dans le temps, que j'avais fait acheter en Angleterre six vaches et deux taureaux pour le Roi. Ces bêtes précieuses, parties de Londres le
15 juin sur le bâtiment l'Henry Brougham, doivent débarquer à Gênes dans quelques jours. Je les ai fait adresser à Mr le Chev. Baratta (1), afin que les formalités de douane ne retardassent pas le débarquement. Mr de Castagnetto (2) lui ayant écrit au nom de S. M., je suis persuadé qu'il mettra tout l'empressement possible pour s'acquitter delà mission dont il est chargé. Cependant, comme j'ai promis à Mrs Morris, Prevost et Compagnie, qu'ils n'auraient rien à démêler avec les employés du gouvernement, je vous serai fort obligé de veiller à ce que Mr Baratta, par excès de zèle, ne fasse pas de mauvaises difficultés au capitaine.
Ce même bâtiment porte une caisse de livres à mon adresse.
Le comte Avet (3) a dû écrire à la censure de Gênes, pour qu'on la laissât passer librement. Je vous serais, en conséquence, fort obligé de la réclamer en mon nom, et de me l'expédier le plus-tôt qu'il vous sera possible.
Le pauvre ministère Melbourne touche à sa fin. Je le regretterais vivement si Lord Palmerston n'en faisait pas partie. J'ai confiance dans la sagesse de sir Robert Peel et j'espère que sous d'autres formes il adoptera à peu-près les mêmes mesures de réforme commerciale qui sont devenues indispensables à l'existence de la puissance industrielle de l'Angleterre ; cependant je regretterai le droit fixe de 8 sh.
par quarter proposé par Lord John Russel.
Je vous prie, mon cher Emile, de faire mes amitiés à Davidy et de croire a toute mon amitié.
C. DE CAVOUR.
(1) Directeur des Douanes à Gênes.
(2) Intendant de la maison du Roi, c. a. d. ministre de la liste civile.
(3) Ministre de grâce et justice.
XIII.
31 juillet 1841.
Mon cher Étnile, Je vous remercie infiniment des soins que vous avez donnés au troupeau de S. M. arrivé par l'Henry Brougham.
Je me flatte d'avoir rendu un véritable service à l'agriculture Piémontaise, en décidant S. M. à faire venir d'Angleterre la race courtes-cornes, dont la supériorité est incontestable. Les amateurs de beef-steaks et de roast-beef s'en trouveront fort bien dans quelques années, car la viande des short-horns est infiniment supérieure à celle des bêtes des autres races. Je pense qu'Aymo (1) sera arrivé, à l'heure qu'il est; il était parti le 24 de la montagne. Comme je vous l'ai mandé, il conduit des bêtes pour le compte de la maison Modéna. C'est un très petit envoi, dans le cas où cette maison me proposerait une affaire considérable, puis-je traiter en toute sûreté?
Accossato (2) est très solide, et, qui plus est, honnête et intelligent. C'est certainement le boulanger de Turin qui entend le mieux le commerce des blés. Je crois qu'il n'a plus l'entreprise de la munition, ce dont je le félicite, car le gouvernement payant un nombre déterminé de rations par émine de blé, il y aurait de la perte cette année que les blés sont de qualité médiocre.
(1) Berger en chef des troupeaux de moutons du comte de Cavour.
(2) Boulanger à Turin et fournisseur de l'Armée.
Je ferai appeler le dit Accossato, et lui parlerai de vous; je veux cependant préalablement prendre des informations plus positives sur l'état présent de ses affaires.
Je n'ai pas de nouvelles notions à vous mander sur les blés. La récolte a été infiniment moins abondante de ce qu'on le croyait au moment même où l'on a coupé les froments. La rente des gerbes est très faible, de sorte qu'on a beaucoup de paille et peu de grain. Il y aura des besoins réels. Les maïs et les haricots suppléeront jusqu'à un certain point au deficit du blé, mais ils ne nous dispenseront pas d'avoir besoin de blés étrangers. Je pense qu'il nous faudra cette année de 5 à 600 mille émines de blés exotiques pour les besoins du pays.
À 23 francs je crois qu'il y a de la marge à spéculer; on ne peut pas perdre beaucoup, tandis qu'on peut gagner beaucoup. Si les ports s'ouvrent en Angleterre, l'Odessa montera à 28 francs et peut-être à 30. Si vous en achetiez un 1000 d'émines, j'y prendrais, volontiers un intérêt.
Il nous conviendrait peut-être, de les faire vendre à Chivasso, marché où j'ai de nombreuses relations. Je me suis fort bien trouvé des expéditions de maïs que j'y ai faites, il y a deux ans; j'ai regretté seulement, d'avoir attendu si tard à me servir de ce moyen pour écouler les grains que vous aviez achetés pour mon compte.
Si vous avez quelque inquiétude sur des maisons de Turin, faites-le moi savoir et je tâcherai de vous donner des renseignements précis sur leur compte.
Votre dévoué ami CAMILLE DE CA. TOUR.
XIV.
Turin, 7 aofit 1841.
: Mon cher ami, En arrivant de Verceil j'ai écrit hier un mot à votre maison, pour lui donner l'ordre d'acheter de 1500 à 3000 émines de blé d'Odessa tendre, suivant les prix. Je crois qu'il n'y a pas de temps à perdre pour spéculer sur cet article, car s'il doit y avoir de la hausse, elle se manifestera dès que la récolte sera achevée et que l'on commencera à battre les gerbes. L'es pluies, au moment de la floraison, font un mal réel aux blés bien plus grand qu'on ne le pense d'abord. Nous en avons fait cette année la triste expérience. Au moment même où les moissonneurs commençaient leur besogne, on espérait encore une récolte abondante. Ce n'est qu'après avoir battu un certain nombre de gerbes, qu'on s'est aperçu qu'on avait récolté beaucoup de paille et peu de blé. Ce qui est arrivé en Piémont arrivera dans le nord de l'Europe; les agriculteurs peuvent se faire un moment illusion, mais dès qu'ils auront récolté, ils verront combien leurs calculs étaient fautifs.
Sur nos marchés il y a eu de la baisse causée surtout par la nécessité de vendre les blés avariés, qui ne sauraient "Se conserver longtemps ; il ne peut pas y -avoir de hausse sérieuse avant le mois d'octobre. Hier, en passant à Chivasso, - 'on m'a assuré qu'Accossato avait énormément acheté.
Les secondes récoltes sont belles et les riz magnifiques.
Je vous remercie infiniment des renseignements que vous me donnez sur la maison M., vous pouvez être bien persuadé de toute ma discrétion. Au reste les affaires que je pourrais avoir avec elle, ne sont pas assez importantes pour qu'un
'<tOute puisse m'arrêter.
Je vous remercie de nouveau, de tous les soins que vous avez donnés au troupeau que je vous avais recommandé.
Il doit arriver aujourd'hui ou demain à sa destination, j'espère que le propriétaire auquel il est destiné, en sera content.
Mon père est allé faire une course au Lac Majeur, et de là il compte aller à Milan. Je reste pour garder la maison.
TI n'y a rien encore de décidé à l'égard du nouveau ministre de l'intérieur (1). Il est probable que l'état provisoire dans lequel nous nous trouvons, se prolongera encore quelque temps.
Faites, je vous prie, mes amitiés à Davidy et croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. J'ai vu Accossato, il ma confirmé toutes les nouvelles que j'avais récoltées sur les récoltes. De plus il m'a assuré que les blés manquaient dans le Parmesan, d'où l'on en avait tiré l'année dernière de. grandes masses. Accossato m'a parlé des blés d'Ancône, comme de ceux qui conviennent le mieux aux besoins et au goût de ce pays.
Les connaissez-vous? Veuillez me marquer leur prix.
(1) Le comte Pralormo, ministre de l'intérieur, s'est retiré à la suite d'une lutte violente avec le parti congréganiste. Sa retraite a été un malheur pour le pays, car c'était un parfait honnête homme, aimant le bien pour le bien, administrant dans l'intérêt du pays et non dans l'intérêt d'une secte ou parti. Il résistait avec la plus louable énergie, à l'esprit envahissant du parti prêtre, malheureusement fomenté par les dispositions particulières du Roi. Un moment on a cru que le comte de Collegno, le plus fanatique et le plus obscurantiste du congréganistes, était ministre. La sagesse du Roi nous a sauvés de ce malheur. mais jusqu'à présent, le successeur de Pralormo n'est pas nommé. (Lettre du comte de Cavour a Mr Naville de Châteauvieux, juillet 1841).
XV.
Turin, 27 février 1844.
Mon cher ami, un grand élément Sachant qu'en affaires le temps est un grand élément de succès, j'ai été trouver, à peine votre lettre m'a été remise, le baron Manno (1) vice-président du conseil suprême de Sardaigne, et qui, mieux que personne, connaît les affaires de son pays. Voici les renseignements qu'il m'a donnés, vous pouvez leur accorder une entière confiance.
Il existe trois dettes en Sardaigne. La première contractée en 1825 en des conditions analogues à celles des emprunts de Piémont. La seconde est la dette dite féodale, qui devait s'élever à 250,000 francs de rente et dont je vous parlerai plus tard. La troisième enfin est celle qu'on vient de contracter dernièrement avec Mr Magnone (2).
Je ne vous donne pas de détails sur cette dernière, attendu que l'édit de création a paru dans les journaux, il y a trois jours, et que par conséquent vous devez l'avoir sous les yeux. J'ajouterai seulement, que le gouvernement a décidé que les rentes de cet emprunt pourraient être affectées au cautionnement des comptables en Sardaigne.
Or, comme le nombre des personnes qui doivent donner des cautionnements dans cette île, a augmenté et augmente tous les jours, il est probable que les rentes Magnone seront très recherchées par les comptables.
(1) Le baron Joseph Manno, qui fut ensuite Président de la Cour de Cassation, puis du Sénat.
(2) Banquier génois, prêta au Gouvernement 4 millions pour payer l'affranchissement des feudi sardes.
L'emprunt de 1825 est garanti par les revenus généraux des finances sardes, les intérêts ne sont payables qu'à Cagliari. j L'emprunt féodal a été émis aux mêmes conditions que l'emprunt de 1825, seulement on a affecté pour en garantir le payement: 1°) le produit des douanes, qui s'élève à plus d'un million; 2°) le produit des prestations que les anciens vassaux doivent au gouvernement, en compensation de l'impôt féodal dont ils ont été affranchis, prestations qui se payent en argent et constituent un véritable impôt personnel. La dette féodale est dotée d'un amortissement de 96,000 francs, ce qui équivaut à 2 pour 010 du capital nominal.
Ce qui a empêché que cette dette parut sur les marchés des capitaux, c'est que le Roi a voulu que les lois de fidecommis et des substitutions, qui réglaient la transmission des fiefs, s'appliquassent aux rentes féodales. Néanmoins il a accordé à tous les féodataires qui en ont fait la demande, la libération absolue du tiers de leurs rentes. Il en résulte que plus des deux tiers des titres des rentes féodales sont immobilisés entre les mains des personnes qui les ont reçus. Quant au tiers libéré il est transmissible librement, transférable à volonté, et il n'est sujet à aucune dévolution quelconque, ni en faveur du gouvernement ni en faveur des descendants des anciens propriétaires de fiefs.
Avant donc de traiter des rentes espagnoles, assurezvous bien qu'elles sont libres. Pour cela vous n'avez qu'à vérifier le titre, car celles qui sont grévées du lien d'une substitution doivent être annotées d'une manière formelle.
Le seul inconvénient réel que "les rentes espagnoles présentent, et ce qui les fait moins rechercher que les rentes Magnone, c'est que les intérêts de celles-là ne sont payables qu'à Cagliari. Néanmoins le baron Manno m'à assuré qu'il avait été plusieurs fois question de les faire payer à Gênes, et qu'il était persuadé que si des porteurs de rentes faisaient une
demande pour être payés par la caisse de la marine moyennant une perte minime cette demande leur serait accordée.
Voilà, mon cher, des renseignements qui doivent vous satisfaire ; s'il y avait encore quelques points sur lesquels vous desirassiez de plus amples détails, écrivez moi librement, j'irai les puiser à la source qui m'a fourni ceux que Je vous transmets ce matin.
J'oubliais de vous dire que les garanties accordées à l'emprunt Magnone, sont tout-à-fait distinctes de celles de l'emprunt féodal.
On s'attend tous les jours, à voir paraître le décret pour la formation de la banque de Gênes. Si j'apprends quelque chose à cet égard, je vous le ferai savoir immédiatement.
Les blés se soutiennent en hausse ainsi que le maïs, on n'a assuré que dans les villes qui alimentent les vallées, Il s'en est vendu samedi à 4 francs. Ce serait 15 francs de hausse par minette. Je suis étonné que les prix à Gênes ne s'en ressentent pas.
Recevez mes salutations affectueuses.
CAMILLE DE CAVOUR.
XVI.
Turin, 6 mars 1844.
Mon cher aîîii, Je vous envoie, ci-joint, une note que le Baron Manno a bien voulu rédiger en réponse aux questions que je lui ai adressées sur l'emprunt Sarde de 1825.
Vous verrez par son contenu, que l'on n'avait affecté aucun revenu spécial à l'emprunt de 1825 et que, par conséquent, on n'a pas violé la promesse faite aux prêteurs en hypothéquant les douanes aux porteurs de l'emprunt féodal et le revenu des salines à ceux de l'emprunt Magnone.
D'ailleurs, l'emprunt de 1825 est plus qu'à moitié amorti, il n'en reste plus grand chose. L'amortissement augmenté du produit de toutes les rentes rachetées l'aura éteint entièrement dans sept ans au plus.
Je considère l'emprunt Sarde comme aussi solide, comme plus solide peut-être, que l'emprunt piémontais. En cas de guerre, la Sardaigne courrait moins de risques d'être envahie et révolutionnée que le Piémont, et par conséquent les porteurs de rentes sardes auraient plus de chances d'être payés que les porteurs de rentes piémontaises. On m'assure que l'emprunt Magnone s'est négocié à 117.
Croyez à mon sincère dévoilement.
CAMILLE DE CAVOUR.
XVII.
Turin, 17 mars 1841.
Mon cher Émile, Je ne suis pas parvenu à connaître l'opinion positive du ministre de la Sardaigne relativement à la demande que vous pourriez être dans le cas de lui faire, si vous traitiez avec Magnone pour ce qui lui reste de l'emprunt de Sardaigne.
Cependant je doute, d'après tout ce qu'on m'a dit, que le ministre osât accorder quelque faveur que ce fût, aux porteurs de rentes Magnone. On a tant crié contre la manière frauduleuse dont cette opération avait été faite, qu'il est peu probable que l'on facilite aux soumissionnaires les moyens de remplir leurs obligations.
Quoique vous ne puissiez pas obtenir la rémission des titres, vous feriez toujours une bonne affaire en prenant les 2,000,000 que Magnone a encore sur les bras, à 108 et même à 109. Pour que l'emprunt se classe à Turin, il faudrait que quelqu'un se chargeât d'assurer contre les
chances de remboursement. C'est indispensable pour le succès de l'opération, ici où l'on cherche avant tout, dans les placements sur les fonds, à s'assurer une rente certaine.
Si je ne me trompe, l'amortissement de l'emprunt est de deux pour cent par an, soit d'un pour cent par semestre.
Dans cette hypothèse, en supposant la rente à 115, il y aurait du bénéfice à assurer à raison de 2 francs pour 1000.
Il en résulterait que pour 1150 on aurait 46 francs de rente, sans chance de diminution de capital. Or l'assurance SUr l'emprunt de 1831 étant de 3 francs par mille et son cours étant à 125, il s'en suit que pour 1250 francs on n'a que 44 francs de rente. C'est une différence de 100 francs Sur le capital et de 2 francs sur l'intérêt, plus que suffisante pour balancer la plus grande faveur dont l'emprunt de terre ferme peut jouir pendant quelque temps.
Si vous faites cette affaire, j'y prendrai volontiers une Part, car je la crois très bonne.
J'ai été aux informations sur la Banque de Gênes. Voici ce que m'a dit une personne qui en sait, à cet égard, autant que le ministre lui-même.
Le projet est définitivement approuvé : il n'y a, à cet égard, aucune espèce de difficulté. Ce qui retarde sa mise en exécution, c'est l'embarras dans lequel le ministre se trouve Pour la distribution des actions. Vous savez que les soumissionnaires n'auront que le tiers. Les deux autres tiers le ministre s'est réservé le droit de les donner à qui il voudrait. Or il ne sait comment s'y prendre pour opérer cette répartition entre le commerce de Gênes et de Turin sans faire crier. Je vous dirai en toute confidence, que les soumissionnaires qui sont au nombre de neuf, lui inspirent très Peu de confiance. Il craint que s'il n'entre dans la société d'autres maisons plus respectables du pays, la Banque ne soit très-mal administrée. En présence de ces difficultés, le ministre hésite, retarde et cherche un moyen qui est, je le crains, bien peu facile à trouver. J'ai parlé à la personne
en question, de vous. Il m'a répondu que le ministre désirait beaucoup voir votre maison prendre une part active à la Banque. Je l'ai vivement engagé à ne pas vous oublier dans la répartition des actions, et il m'a promis de rappeler la demande que vous aviez faite dans un temps. A cet égard il m'a parlé d'une double demande faite par des Mrs De la Rue, une de 200 et une autre de 100 actions. Il croyait qu'il y avait deux maisons De la Rue. Je lui ai dit qu'il n'y en avait qu'une, mais que probablement cette double demande était faite et pour la maison et pour le compte particulier d'un de ses membres.
Ces détails, dans lesquels vous pouvez avoir la plus entière confiance, étant d'une nature toute confidentielle, je vous prie de ne les communiquer à personne.
Si par hasard vous aviez quelque idée sur la manière de distribuer les actions de la Banque, écrivez-moi, je pourrai peut-être la faire goûter au ministre.
Depuis deux jours il tombe une pluie fine et douce, qui doit faire beaucoup de bien aux blés, aussi les derniers marchés on été froids.
Croyez, mon cher, à mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CA YOUR.
XVIII.
Leri. 24 mars 1844.
Mon cher Emile, Il m'est venu cette nuit une idée que je m'empresse de vous communiquer. Le ministre, je vous l'ai déjà dit, se donne au diable pour trouver le moyen de faire une répartition équitable des 213 des actions de la Banque, qu'il s'est réservés. Il n'a pas une très grande confiance dans l'impartialité de la chambre de commerce de Gênes, et ce
n'est pas sans raisons. Je doute que de longtemps il résolve le difficile problème, qui n'a pas de solution possible. Dans cette circonstance, si deux ou trois des premières maisons de banque de votre ville, vous, Parodi et Ricci par exemple, vous offriez au ministre de vous charger de toutes les actions qu'il a à sa disposition, en payant une prime au gouvernement, je crois que votre offre aurait des chances POur être acceptée.
Sans se faire d'illusions, il est à croire que les actions de la Banque se placeront facilement à 10 0[0 de prime.
Si le ministre se contentait du 5 010, ce serait encore une belle affaire.
On pourrait statuer que la prime payée au gouvernement serait employée exclusivement en faveur de la ville de Gênes ; ce serait un moyen de rendre la banque populaire.
Si mon projet vous sourit, répondez-moi de suite, j'irai en parler au comte Gallina.
Les blés en terre ont une très triste apparence. Si le Printemps ne leur est pas excessivement favorable, la récolte sera, tout au plus, médiocre.
On a mené de Gênes assez de blé de qualités inférieures.
Cela a empêché les prix de s'élever. Les maïs se soutiennent sans hausse bien marquée.
Répondez-moi à Turin, car j'y serai de retour dans deux ou trois jours au plus tard.
Recevez mes salutations amicales.
CAMILLE DE CAVOUR.
XIX.
Turin, 1er avril 1844.
A MM. De la Bile, frères. — Gênes.
Ayant été retenu à la campagne par les soins d'un procès, je n'ai reçu que hier matin la lettre collective que MM. Ricci et vous m'avez adressée le 27 dernier. Je suis revenu immédiatement à Turin et ce matin même je me suis rendu chez le comte Gallina et je lui ai soumis la proposition que vous m'aviez chargé de lui faire (1). Le ministre m'a répondu qu'il aurait eu le plus grand plaisir à traiter avec vous et MM. Ricci, mais qu'il craignait, en acceptant votre proposition, de manquer aux engagements contracté savec les fondateurs de la banque; que ceux-ci avaient fortement insisté pour qu'il fît vendre les actions à la Bourse au profit de la banque elle-même, mais qu'il s'y était positivement refusé parce qu'il redoutait d'attirer sur le gouvernement l'accusation d'agiotage. Il a ajouté qu'il aurait pu avoir pour le moins 10 p. de prime, mais qu'à tout prendre il préférerait sacrifier ce que le gouvernement pourrait gagner, et distribuer les actions entre toutes les maisons de banque.
Après beaucoup d'hésitations, il s'est décidé à consulter les Chambres de commerce et ensuite à faire la répartition luimme. J'ai objecté que c'était faire un cadeau aux maisons favorisées. Il a répondu qu'il le savait, mais de répartir les actions entre tant de maisons que le cadeau fût le même pour tout le monde. Je ne pense pas, m'a-t-il dit, que les
(1) MM. De la Rüe frères et fratelli Ricci, en date du 27 mars, offraient collectivement au ministre des finances, de se charger de la portion des 4 millions de la banque d'escompte de Gênes, qu'il avait à sa disposition, en lui bonifiant le 5 de prime au dessus du pair.
maisons comme celle de MM. Nigra (1), obtiennent plus de 10 à 12 actions chacune.
Je suis fâché de ne pas avoir mieux réussi. Peut-être, nous y sommes-nous pris un peu tard, car il m'a paru comprendre que dans le dernier conseil de conférence, c'est ,t dire jeudi dernier, le ministre avait fait approuver le plan e répartition dont je vous ai parlé.
? Une commission s'occupe du projet de chemin de fer; L SI vous le désirez, je vous tiendrai au courant de ce qui se passe à ce sujet. Où en sont les granoun? Le blé a fléchi chez nous, les maïs au contraire se soutiennent dans les environs de 4 francs la minette.
En grande hâte, recevez mes salutations empressées.
CAMILLE DE CAVOUR.
XX.
Turin, 4 avril 1844.
Mon cher Émile, J'ai reçu ce matin votre lettre du 3, qui était contenue dans une autre de votre maison.
Je vous écris deux mots, pour vous dire que la Chambre de commerce de Turin a déjà reçu une lettre du ministre de l'intérieur pour lui annoncer la formation de la banque de Gênes et l'intention du gouvernement d'en distribuer les actions qu'il s'est réservées, entre les maisons de commerce de Gênes, Turin, Nice et Chambéry. Il invite ensuite la Chambre à rendre publique cette détermination et à engager tous ceux qui désireraient des actions, à adresser leur demande à la secrétairie de la Chambre dans le dëlai d'un
(1) Une des premières maisons de banque de Turin.
mois. La Chambre devra dresser un tableau de ces demandes et le transmettre ensuite au ministère avec les observations qu'elle croira devoir y faire.
En grande hâte Tout à vous CAMILLE DE CAVOUR.
XXI.
Turin, 15 avril 1844.
Mon cher ami, Avant de vous répondre, je voulais attendre de voir la tournure que prenait la souscription ouverte pour la banque de Gênes. Samedi il y avait des demandes pour près de trois millions, et cependant beaucoup de personnes, MM. Nigra entr'autres, n'avaient pas encore souscrit.
Je crois que vous devez faire une demande modérée de 50 actions, et ensuite adresser un mémoire au ministère, dans lequel vous exposeriez ce qui s'est passé lors de la première demande (1). Le ministre est persuadé que, soit vous, soit MM. Ricci, vous vous êtes retirés volontairement.
En lui prouvant qu'on a mal agi à votre égard, il se peut qu'il vous traite plus favorablement que les autres maisons.
Je tâcherai de prendre, dans la journée, des informations relativement à l'affaire de Sardaigne, dont vous me parlez.
Je la crois fort avantageuse, bien entendu pourvu que les titres ne soient pas grévés de quelque obligation.
Reconnaissant de votre offre, j'entrerai pour Vs dans l'affaire. Ainsi que je vous l'avais mandé, plusieurs personnes ici songent à établir une banque à Turin. Ce projet
(1) Lors du premier projet pour la fondation d'une banque à Gênes, en 1836, qui n'aboutit pas et pour lequel la maison De la Rüe frères avait souscrit pour 600,000 francs.
vient d'être repris avec plus d'ardeur depuis quelques jours.
Je vous ai dit les raisons qui me portent à avoir confiance dans une banque turinaise. Toutes les années il se vend sur la place de Turin pour 40 millions de soies et l'on achète dans les provinces pour 30 millions, au moins, de cocons.
C'est donc un mouvement de 70 millions qui s'effectue en grande partie au moyen du crédit. Il y a là de quoi alimenter de nombreuses opérations pour une banque d'escompte.
, La banque de Turin aura néanmoins quelques difficultés a surmonter. Les maisons qui prêtent aux fileurs de la province, y sont contraires. En effet, lorsque la banque escomptera du papier à 4 p. %, ceux qui filent n'emprunteront plus à 6 et 5 de messieurs les banquiers de Turin.
B. et N., le premier par égoïsme, le second par ignorance, ont jusqu'ici découragé tous ceux qui voulaient se mettre à la tête de l'entreprise. Mais enfin, quelques personnes plus entreprenantes se sont décidées à passer outre, Ce sont MM. Vicino, Dupré, Casana et De Fernex. Cotta Se joindra à eux, mais il ne veut pas se mettre à la tête de l'affaire.
Si vous jugiez l'entreprise bonne, il serait aussi convenable qu'utile, que votre nom parût parmi ceux des fondateurs. Je crois pouvoir faire la même proposition à Messieurs Ricci. Je dois cependant vous observer que la banque de Turin aura à ses débuts plus de peine à s'acclimater que celle de Gênes. Je crois que son avenir est pour le moins aussi assuré, je serais même tenté de le croire plus brillant ; niais en commençant il faudra plus de temps pour apprendre aux Piémontais à profiter d'une institution dont ils ûont aucune idée.
J'écrirai demain à votre maison. Les blés qui avaient baissé, ont repris quelque faveur. La sécheresse se prolongeant serait très-nuisible aux emblaves.
A la hâte, je vous salue affectueusement.
CAMILLE DE CAVOUR.
01 d XXII. d Turin, 16 avril 1844.
A MM. De la Bile, frères. — Gênes.
Voici les renseignements que j'ai recueillis hier sur 1, 1 possibilité d'obtenir le payement en terre ferme des intérêt à de la dette sarde féodale. Vous pouvez y ajouter une fo f entière. i Les finances sardes étant complétement séparées de celle: s de terre ferme, dépendent exclusivement du ministre chargl 1 des affaires de Sardaigne; il n'est pas au pouvoir de et 1 ministre d'autoriser le payement à Gênes des intérêts dl
l'emprunt féodal. Il ne suffirait même pas pour cela de l'ac cord du ministre des finances, car la Chambre des compte ne sanctionnerait pas cette disposition, si elle n'était pa: ordonnée par un billet royal.
Cela étant, les porteurs de rentes sardes, désirant per cevoir leurs intérêts à Gênes, devraient recourir au roi Mais il est peu probable que leur demande fût accordée dans ce moment: 1°) A cause des complications et des embarras que caiv seraient à l'administration des finances de terre ferme l'établissement d'un grand livre succursal de la dette sarde à Gênes ou à Turin. Les employés du ministère prétendent que la faculté accordée aux porteurs de l'emprunt Magnoned'être payés à Gênes, leur a donné beaucoup de besogne.
Il est donc à croire qu'ils s'opposeraient à ce changement et qu'on aurait bien de la peine à vaincre leur résistance car vous savez, Messieurs, mieux que moi, que nous vivons sous le régime de la bureaucratie; 20) Quand-même le ministère de Sardaigne serait disposé à accorder la facilité que les porteurs de l'emprunt féodal demandent, ils auraient la plus grande difficulté à
obtenir le consentement du Conseil d'État et du ministère des finances, qui sont en guerre ouverte avec lui, surtout depuis l'affaire Magnone. Il est peu probable que Mr de Villamarina voulut engager une lutte pour une question qUI ne l'intéresse que médiocrement.
La personne de qui je tiens ces notions, haut-placée dans l'administration de Sardaigne, m'a offert de me faire payer a Turin les fonds que je toucherais à Cagliari sans aucun frais. Il suffirait de les verser dans la caisse de la trésorerie et de former une requête à l'Intendant général, qui serait prévenu d'avance. Mais il ne pourrait pas me les faire payer à Gênes, parceque le ministre de Sardaigne 11 a de comptes ouverts qu'avec la caisse centrale du trésor et celle des gabelles de Turin.
J'ai obtenu d'ailleurs les détails les plus satisfaisants sur les finances de Sardaigne; elles sont maintenant sur une base des plus solides et il n'y a pas de doute que, si les choses continuent à suivre le cours qu'elles parcourent depuis quelques années, elles présenteront bientôt un excédant de recettes considérable.
D'après ce que je viens de vous exposer, il me paraît difficile que les rentes sardes soient l'objet d'une spéculation avantageuse, à moins que parmi vos clients il y en ait qI voulant faire un placement stable, n'auraient pas de répugnance à laisser leurs rentes entre vos mains, et se borneraient à retirer leurs intérêts moyennant une commisSIon que vous pourriez réduire dans des limites fort borlIées, car les frais pour faire venir les fonds de Cagliari à Turin et de Turin à Gênes, seraient excessivement minimes.
Si vous persistiez dans vos projets d'achat et que vous voulussiez faire quelque arrangement à Cagliari, prévenez°foi, car j'ai sur les lieux un de mes meilleurs amis, sur Je zele duquel je puis compter de la manière la plus absolue.
Recevez, Messieurs, l'assurance de mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. Hier, les demandes d'actions s'élevaient déjà à 3,400,000 et l'on avait renvoyé à un autre jour près de quarante personnes, faute de temps pour inscrire leurs demandes. Il paraît que tous les épiciers de la capitale et de la province ont été mis en mouvement par leurs correspondants de Gênes et de Turin. C'est un spectacle curieux à voir. Ce qui se passe est une raison de plus pour suivre le conseil que je vous ai donné dans ma lettre de hier.
XXIII.
20 avril 1844.
Mon cher Émile, Je ne vois aucun inconvénient que vous demandiez 100 actions de la banque de Gênes, quoiqu'au fond cela revienne au même.
Dans votre mémoire insistez beaucoup sur ce que vous désirez avoir des actions, non pour spéculer, mais pour pouvoir prendre à l'administration de cette institution une part active. Vous direz que, faisant beaucoup d'opérations de banque, il vous importe qu'elle soit entre des mains sûres ; cet argument touchera peut-être le Ministre.
Si vous n'êtes pas pressés, vous pouvez m'envoyer votre mémoire ainsi que celui de MM. Ricci, ou bien votre mémoire collectif. Je l'enverrai au comte Gallina, ou le lui remettrai moi-même, au retour de la campagne. Du reste, vous ne perdrez rien à attendre ; je crois même qu'il vaut mieux que votre mémoire arrive en même temps que les notes des Chambres de commerce.
Les demandes ici, s'élèvent déjà à 7,000,000, je ne sais pas où elles s'arrêteront.
Les blés ont repris faveur ; il paraît certain que les blés ont souffert des torts, jusqu'à un certain point, irréparables.
Je vous salue à la hâte.
CAMILLE DE OA VOUR.
XXIV.
Grinzane, 27 avril 1844.
Mon cher ami.
J'ai reçu ici votre lettre du 24 courant et le mémoire que MM. Ricci et vous avez rédigé pour le Ministre. Je le remettrai à mon retour, au comte Gallina ; je le trouve aussi convenable que possible. Je crains néanmoins, qu'il ne vous fasse pas obtenir un grand nombre d'actions, car les demandes se multiplient de la manière la plus ridicule. Le mémoire cependant est de nature à faire impression sur le ministre et il peut vous être utile pour l'avenir.
Le projet de la banque de Turin est entre les mains de MM. Vicino. Nigra paraît revenir des idées hostiles qu'il avait manifestées. Il n'y a encore rien d'arrêté. Je sais seulement, que des maisons de Lyon sont disposées à s'y intéresser pour de fortes sommes. Les Genevois, aussi entreraient volontiers dans cette affaire. Un de mes amis qui cherche des placements, m'a écrit pour avoir 200 actions.
Avant de partir de Turin, j'ai eu l'occasion de causer longuement des rentes sardes avec un parent de Villamarina. Je lui ai démontré l'avantage immense qu'il y aurait pour la Sardaigne, en donnant le moyen aux porteurs de rentes, de percevoir leurs intérêts sur terre ferme. Cette personne m'a fort bien compris, et, comme lui et ses parents ont des rentes féodales, il m'a promis de chercher à persuader le ministre de faire tous ses efforts pour obtenir ce que les porteurs de rentes sardes demandent.
Je ne conçois rien au mouvement des céréales. Les apparences sont tout-à-fait médiocres, les dépôts sont faibles et malgré cela les prix ont de la peine à se soutenir. Je yeux attendre le mois prochain pour me défaire de mes maïs, car en Piémont presque tout le monde croit que les prix monteront.
Il y a eu une hausse marquée sur les riz fondée sur l'opinion que le Novarrais, la Lomelline et une partie du Vercellais, ne pourront pas semer cette année, faute d'eau.
Je saurai cela dans quelques jours. Il y a une sécheresse vraiment extraordinaire. Mes amitiés à Davidy.
Tout à vous CAMILLE DE CAVOUR.
XXV.
24 mai 1844.
Mon cher Emile, Le Ministre a très-bien accueilli la demande que je lui ai fait adresser relativement à l'emprunt sarde. Il a trèsbien compris que la faveur qu'on lui demandait, sans rien coûter au gouvernement, augmenterait le prix des rentes sardes et serait par conséquent, avantageuse aux sardes porteurs de ces titres. Il a déclaré sans hésiter, que si la chose dépendait de lui seul, il l'accorderait sans difficulté, mais que, comme le concours d'un autre Ministère était nécessaire, il ne pouvait s'engager à rien. Il a ajouté que si on lui présentait une demande par écrit, accompagnée d'une note où serait indiquée la manière dont l'opération pourrait se faire, il s'en occuperait et ferait tout ce qui dépendrait de lui pour faciliter le payement des intérêts de la dette sarde, soit à Gênes, soit à Turin.
Je vous engage donc à vous occuper sans délai de rédiger une demande formelle au Ministère de Sardaigne, dans laquelle vous exposerez: 1°) que vous avez acheté une forte partie de rentes féodales espagnoles ; 2°) que vous seriez disposé, tant pour votre compte, que pour celui de vos amis, d'en acheter pour des sommes beaucoup plus considérables, soit des féodataires espagnols, soit des féodataires sardes, si le gouvernement consentait à vous accorder la même faveur qui a été accordée aux porteurs de rentes )Iagnone, c'est-à-dire à payer à Gênes les intérêts, moyennant une déclaration faite trois mois à l'avance.
Dans ce mémoire, vous pourriez appuyer sur l'avantage qu'il résulterait pour la Sardaigne, des capitaux que les féodataires, tous grands propriétaires, retireraient de la vente de leurs rentes.
En outre, il faut que vous vous informiez des arrangements qui ont été pris à la trésoserie de marine pour le payement des rentes Magnone, et que vous étudiez le moyen de faire effectuer par ce même bureau les payements des autres rentes sardes achetées sur le continent. Si l'on établit une espèce de grand livre, rien ne serait plus simple que d'y ajouter une annexe relative aux rentes féodales et autres. Il faudrait se soumettre à payer un léger droit toutes les fois qu'on opérerait un transfert du livre principal de Cagliari sur le livre auxiliaire de Gênes. Tâchez de vous mettre en rapport avec les employés chargés d'organiser le nouveau service de la dette sarde, et de vous entendre avec eux pour présenter au ministre un plan, qui soit facilement exécutable.
Dès que vous m'aurez envoyé les pièces que je vous demande, je les ferai tenir directement à Mr de Villamarina, sans qu'elles passent par les bureaux, qui sont, ainsi que je vous l'ai dit, opposés au nouveau mode de payement des intérêts de la dette sarde, que nous demandons.
Je crois que Mr de V. a été flatté de penser que des
étrangers voulaient placer des fonds dans les rentes sardes.
Il sera bon que ces notes que je vous indique, viennent de votre maison, qui est connue pour avoir des relations hors du pays.
A la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
XXVI.
27 mai 1844.
Mon cher Émile, Je suis désolé que mes maïs vous donnent tant de peine.
Cette affaire a vraiment du guignon. Puisque vous n'avez pas vendu, ne vous pressez pas, car je persiste à croire que plus l'on s'approchera de la moisson et moins l'on se fera illusion sur les résultats de la récolte.
Hier il a plu assez, ce qui a fort dérangé nos courses et nous a forcé à les renvoyer. Aujourd'hui le temps est gris et le baromètre bas.
Malgré les chances de la pluie, je vous prie de ne laisser échapper aucune circonstance pour vendre mes maïs en détail.
Rien de nouveau quant à la banque de Gênes. Le ministre accablé d'affaires n'en presse aucune.
J'attends une réponse de D. pour aller lui parler de la banque de Turin. A ce sujet il m'est venu un doute.
Si vous et MM. Ricci désirez en faire partie, est-ce que votre mémoire sur la banque de Gênes ne serait pas déplacé? Votre concours avec les maisons de Turin pourrait être attribué à un mouvement de dépit. Réfléchissez-y et faites-moi savoir votre opinion.
Il n'y a rien de fait quant au chemin de fer. La commission dont je vous ai parlé, n'a point fait son rapport.
De Ferrari (1) a passé quelques jours ici, il en est reparti furieux des retards qu'on apporte dans la discussion du projet de la Compagnie génoise, dont il s'est constitué le patron.
H est inutile de faire des demandes auprès de Mr VilIamarina, si vous n'avez pas des rentes entre vos mains.
Au contraire, une demande qui ne serait pas appuyée sur Un fait accompli produirait un mauvais effet.
Je vous quitte pour aller à l'Exposition (2), où je suis de garde.
Recevez mes compliments affectueux.
CAMILLE DE CAVOUR.
XXVII.
30 mai 1844.
Mon cher Émile, Il a plu tous ces jours-ci, beaucoup de blés son versés, cependant les plaintes ne sont pas générales, de sorte que
(1) Le marquis Raphaël De Ferrari, duc de Galliera, prince de Lucedio, président de la compagnie pour le chemin de fer Gênes-Pavie, riche patricien de Gênes, pour le port de laquelle il fit don à la ville, de 20 millions, le 7 décembre 1876. Il lui donna de même, avec son épouse, la marquise Brignole-Sale, le célèbre palais rouge avec ses collections et sa bibliothèque. Il fit bâtir à Gênes plusieurs maisons pour la classe peu aisée et fut un vrai bienfaiteur de cette ville. — Son épouse vient d'y fonder le splendide hôpital de St-André sur la colline de Carignan et l'hôpital de St-Philippe pour les enfants malades. (L.
F- BELGRANO, La famiglia De Ferrari di Genova. Gênes 1876).
(2) Exposition des Produits de l'Industrie Sarde, ouverte au Palais du Valentin. « Notre exposition de l'industrie quoique bien loin de celle de tt Paris, témoigne cependant, des progrès de nos fabriques. Les étoffes M de soie, celles pour meubles surtout, se sont fort améliorées, aussi nos « exportations augmentent rapidement ». (Lettre du 29 mai 1844, du comte de Cavour à Mr G. E. N'avilie de Châteanvieux à Genève).
j'ignore si les prix s'en ressentiront. Aujourd'hui nous avons le soleil, mais il est encore fort pâle et le ciel est très nuageux. Je doute néanmoins, que vous ayez haussé à Gêne-, en conséquence, je crois qu'il faut se résigner à vendre au dessous de 14 francs, s'il n'y a pas moyen d'obtenir ce prix en détail.
Je remettrai votre mémoire au ministre, dès que la Chambre de commerce de Gênes aura envoyé son travail. Je ne comprends pas pourquoi elle retarde si fort à le faire. Le ministre en est très étonné.
Demain la commission des chemins de fer doit prendre une détermination et arrêter les réponses qu'elle doit adresser au ministre (1). Je crois que les partisans des compagnies l'emporteront.
Les vers-à-soie vont médiocrement. La semence est très mauvaise, ce qui est cause que beaucoup de vers sont morts à peine éclos. Je ne doute pas que les cocons ne se payent fort cher, je vous avoue que je ne redoute pas autant que vous, les folies des fileurs. Généralement ceux qui travaillent avec leurs capitaux et qui achètent dans de certaines limites, ne font jamais de mauvaises affaires. Il y a souvent plus de bruit que de mal.
Recevez mes sincères amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Les affaires sont chez nous d'une lenteur désespérante, surtout depuis que la même personne (le Comte E. Gallina) cumule les deux ministères de l'intérieur et des finances (réunis en 1841). Il y a un arriéré effrayant dont on ne parviendra pas à se débarrasser si l'on ne dédouble les deux ministères. (Lettre du Comte de Cavour à Mr G. E.
Naville de Châteauvieux, 29 mai 1844).
XXVIII.
Turin, 3 juin 1844.
Mon cher ami, Les rapporteurs de la commission des chemins de fer ont fait les propositions suivantes, qui, selon toutes les probabilités, seront adoptées par la commission: 1°) De fixer dès à present le système général de chettiins de fer pour les états du Roi.
Ce système comprendrait: 1°) Le chemin de fer de Gênes à la frontière Lombarde, d'après le tracé de Brunel, légèrement modifié, allant aboutir à Pavie.
2°) Un chemin de fer de Turin à Novi, par Asti et Alexandrie.
3") Un chemin de fer de Turin à Verceil et Novare.
4°) Un chemin de fer de Novare à Arone.
5°) Un chemin de fer de Turin à Coni, par Saluce et Pignerol.
20) De chercher à faire exécuter simultanément et le plus tôt possible les deux premières lignes.
8°) Traiter avec la compagnie Génoise, sur les bases de leurs demandes, avec quelques modifications, dont les principales seraient de réduire la garantie d'intérêt rèclamée à 4 114, soit 3 114 d'intérêt et 1 p. 010 d'amortissement, et de faire fixer la durée de jouissance de la route à 10 ans après l'amortissement complet des actions capitales.
Ce système entraine la création d'actions de jouissance, ce qui me paraît peu convenable.
4°) De traiter sur les mêmes bases avec toute autre compagnie qui se présenterait pour exécuter le chemin de fer de Turin à Novi.
Le travail de la commission est très bien fait, j'espère que le gouvernement en sera satisfait et agira suivant ses conclusions.
Il me paraît évident que la compagnie Génoise acceptera les modifications proposées. C'est d'autant plus probable, que le chemin de fer de Milan a Pavie vient d'être décidé et concédé à une compagnie dont le duc Visconti est le chef.
J'aurais assez bonne idée du chemin de fer de Turin à Novi, il n'offre que peu de difficultés. En suivant les vallées du Tanaro et du Borbo on arrive j'usqu'à Villanova, presque sans mouvement de terrain. Les communications de Turin à Asti sont très multipliées. D'ailleurs avec la garantie du 4 1{4 on ne risquerait rien. Pensez-y.
La pluie a continué de plus belle, elle a fait beaucoup de mal que le beau temps ne pourra pas réparer en entier.
D'ailleurs la pluie continue.
Les vers-à-soie vont généralement mal. On parle de 50 francs le rub, pour les cocons.
A la hâte Tout à vous CAMILLE DE CAVOUR.
PS. Un de nos agents, qui arrive à l'instant de Saluce, m'assure que presque tous les blés sont versés et que, pour peu que la pluie continue, elle fera des dommages incalculables. Les prix se sont relevés aux marchés de samedi, en conséquence si vous n'avez pas encore vendu mes maïs, je crois que je ne perdrai rien à attendre.
XXIX.
Turin, 9 juin 1844.
Messieurs De la Rüe frères — Gênes.
J'ai eu ce matin une entrevue avec le comte Gallina, dans laquelle je lui ai remis le mémoire que Mrs Ricci et vous, Messieurs, m'aviez envoyé pour lui. H l'a accueilli avec bonté, tout en me déclarant qu'il craignait ne pas pouvoir faire grand'chose. En effet, après ce que je vous ai mandé dans ma dernière lettre, il n'a pas beaucoup de marge.
J'ai manifesté au ministre le projet de fonder une banque à Turin, sur les mêmes bases que celles de la banque de Gênes, avec la faculté de prêter sur dépôts de soie. Il m'a assuré n'avoir rien de contraire à ce projet, quoiqu'il ne le crut pas fort avantageux pour le pays. Je n'ai pas pu saisir les causes sur lesquelles il fonde cette opinion, je crois qu'elle vient en grande partie de l'idée que les banques ne servent qu'au commerce étranger. C'est du moins ce que j'ai cru démêler au milieu d'un grand nombre de phrases passablement obscures. Le ministre m'a ensuite positivement déclaré qu'il n'avait aucune difficulté à admettre parmi les fondateurs des maisons étrangères établies depuis longtemps dans le pays. Je lui ai annoncé alors, que MM. Ricci et vous comptiez vous réunir à moi.
En sortant de chez le ministre j'ai été chez Mr. De Fernex (1), et nous avons convenu de faire un projet et de le communiquer ensuite à MM. Nigra et Vicino (2). Si, comme il paraît certain maintenant, ces deux maisons signent avec nous, nous ne demanderions plus que la signature de
(1) Charles De Fernex banquier génevois à Turin.
(2) Banquiers à Turin.
MM. Dupré, Soldati et Casana et celle du baron Duport, qui représente une ou deux grosses maisons de Lyon.
Dès que le projet sera rédigé, je vous en enverrai une copie, que vous voudrez bien communiquer à MM. Ricci.
Recevez, Messieurs, mes salutations empressées.
CAMILLE DE CAVOUR.
XXX.
14 juin 1844.
Mon cher Émile, La commission du chemin de fer a opiné, contrairement à l'opinion du rapporteur, pour qu'on accordât à la compagnie du chemin de Pavie 4 p. 0{0 d'intérêt et 1r2 p. OlO d'amortissement. Les amis du ministre ayant tous voté dans ce sens, je dois croire que le gouvernement est disposé à accorder aux Génois de brillantes conditions. Avec la garantie du 4 010, certainement les actions valent au moins 110.
Quoique, je vous le répète, la ligne, en elle même, soit, pour le moment, très médiocre.
Les membres de la commission, qui ont appuyé la garantie du 4 112, ont en même temps insisté chaudement pour l'exécution du tronc de Turin à Alexandrie. Le gouvernement serait charmé de faire pour Turin, ce qu'il fait pour Gênes. Aussi une compagnie qui se présenterait pour exécuter cette ligne, serait très bien venue.
Si on bat le fer pendant qu'il est chaud, on obtiendra la garantie du 4 112 et un tarif avantageux. Ce serait, je crois, une magnifique affaire. D'abord parcequ'au fond le 4 p. OiO d'intérêt et 1{2 d'amortissement vaut plus que le pair, ensuite, parceque je crois la ligne d'Alexandrie bonne.
Je crois qu'elle ne coûterait pas plus de 27,000,000, car il y a peu d'ouvrages d'art à exécuter et les terrains ne
seraient pas ruineux. On transporterait sur cette route une quantité énorme de marchandises. En comptant au plus bas, le vin seul donnerait de 4 a 5 cent mille francs par an. On aurait ensuite toutes les denrées venant de Gênes et Savone. Les sels, les coloniaux, les laines, les cotons, les huiles, etc. Asti fournit de légumes Turin. Le Piémont fournit à Alexandrie et Gênes la plus grande partie du bétail qu'on y consomme; la houille deviendrait aussi un objet de transport important; plusieurs usines à gaz en employent déjà une certaine quantité. D'après toutes ces considérations, je crois qu'on peut évaluer à 1,500,000 la recette des marchandises.
Les voyageurs produiront autant: 1°) Parcequ'il y a déjà un mouvement très considérable entre Turin, Chieri, Asti et Alexandrie; 2°) Parceque la route en fer attirerait la plus grande partie des provinces d'Alba et Casai, qui maintenant se rendent à Turin par d'autres routes; 3°) Parceque les communications entre Gênes et Turin deviendraient infiniment plus fréquentes. Il existe fort peu de rapports entre ces deux villes maintenant, mais du jour où elles seraient à quelques heures de distance, il s'établirait entr'elles un mouvement en rapport avec leur richesse et leur population; 40) Tant que le chemin de fer de Novare ne sera pas fait, on passera à Alexandrie pour se rendre à Milan, ce sera là, pendant quelques années du moins, une source abondante de recettes.
Vous voyez, d'après ce que je viens de vous dire, que mon calcul n'est pas exagéré, je le crois de beaucoup au dessous de la vérité. Au reste, il me serait facile d'avoir sur le mouvement actuel des notions précises. En partant de la base de recette brutte 3,000,000, la recette -nette peut être évaluée à la moitié, 1,500,000, ce qui pour 27,000,000 établirait un intérêt de 5,50. Ce ne serait pas énorme s'il y avait des chances à courir, mais avec une garantie derrière soi de 4 1{2 c'est beaucoup.
Si mes raisonnements vous paraissent fondés, vous devriez écrire à Mr Adolphe d'Eichtal (1) qui est de première force pour ce qui concerne les chemins de fer. Il est probable qu'il s'unirait à vous pour traiter cette affaire. D'après ce qu'on m'écrit de Genève, avec la garantie du 4 112 on trouverait beaucoup d'argent dans cette ville.
Je vous le répète, si on veut faire une bonne affaire il ne faut pas perdre de temps, il faut profiter du moment où l'on traite avec la Compagnie génoise. Plus tard si l'on voit que le gouvernement garantit le 4 112, il y aura concurrence. Parlez de cette affaire à MM. Ricci, mais surtout écrivez à Mr d'Eichtal.
L'affaire de la banque marche bien, seulement le nombre des amateurs augmente. Mr Cotta (2) s'est déclaré en sa faveur. Il sera fort utile, car c'est un homme capable et qui a beaucoup d'influence sur le commerce.
Hier le vieux V. est venu me trouver, il a commencé par me pérorer, pendant une heure, contre la banque de Turin. Je me suis gardé de le contrarier, car je désirais connaître à fond son opinion. Après m'avoir clairement démontré que ce serait une affaire détestable, il a fini par me dire que cependant, si on la faisait, il se chargerait volontiers d'une partie des actions, qu'il en prendrait même, pour nous aider, le quart ou au moins le cinquième. J'avoue que je suis parti à ces mots d'un grand éclat de rire. Je crois qu'on peut améliorer les statuts de la banque de Gênes; on y travaille activement.
Je pars demain pour Verceil. Je désirerais à mon retour recevoir les pouvoirs nécessaires pour signer en votre nom et en celui de MM. Ricci comme fondateur. Je signerai pour mon compte, car mon frère désire placer 100,000 francs dans
(1) Banquier à Paris.
(2) Le chevalier Joseph Cotta, banquier à Turin, plus tard sénateur du Royaume, un des hommes les plus bienfaisants de son temps.
cette affaire et j'ai des demandes de Genève pour des sommes beaucoup plus considérables.
Vendez mes maïs, ou donnez-les pour rien, mais pour l'amour du ciel, que je n'en entende plus parler.
A la hâte tout à vous CAMILLE DE OA VOUR.
PS. La chaleur est excessive, elle a fait beaucoup de tort aux cocons et elle ne vaut pas grande chose pour les blés.
XXXI.
Turin, 25 juin 1844.
A Messieurs De la Bue frères, J'ai reçu à Léri la lettre par laquelle MM. Ricci frères et vous m'autorisez à comprendre vos noms parmi ceux des fondateurs de la banque de circulation, d'escompte et de dépôt, qu'on a le projet d'établir à Turin.
A mon retour j'ai trouvé l'affaire fort avancée, les statuts rédigés en français sont maintenant entre les mains de Mr Cotta, qui s'est chargé de les traduire en italien. Ils sont calqués sur ceux de la banque de Gênes, avec de notables améliorations dont les deux principales consistent : 1°) A déclarer insaisissables, sauf en vertu d'un jugement, les comptes courants de la banque ; 2°) A faire considérer comme négociant toute personne tirant, acceptant ou endossant un billet escompté par la banque. Cette dernière clause est vitale, car le succès de notre entreprise dépend surtout des affaires auxquelles les opérations agricoles donnent lieu.
La banque trouve une grande faveur partout. Le malheur, maintenant, c'est que tout le monde veut en être. Il est un grand nombre de maisons qu'il est impossible d'exclure.
Depuis ma dernière, ont demandé à faire partie des fonda- 1 teurs: MM. Long et fils, MM. Sella, Bertini, Mancardi. I Todroz et Levi (1).
Je crois que la semaine prochaine il y aura une réunion préparatoire, elle aurait eu lieu plus-tôt, si ce n'eût été l'époque de l'achat des cocons.
Recevez mes salutations empressées.
CAMILLE DE CAVOUR.
XXXII.
Turin, 6 juillet 1844.
Mon cher Êmile, Je crois que je n'en viendrai jamais à bout, avec cette malheureuse banque. Voici ce qui arrive. Ainsi que je vous l'avais mandé, les bases principales avaient été acceptées par tout le monde ; il était convenu que vous, MM. Ricci et Mr Emilio Vitta, figureriez au nombre des fondateurs ; les statuts rédigés en français par le baron Duport avaient été traduits en italien par Cotta, qui était devenu tout-à-coup un des plus chauds partisans de la banque. Un seul inconvénient s'était manifesté, c'était le grand nombre de personnes qui avaient successivement demandé à figurer parmi les fondateurs. Nous en comptions déjà 27 et il aurait fallu aller au moins jusqu'à trente. En effet, ayant admis quelques maisons de second ordre, il fallait les admettre à peu près toutes. Cependant ce n'était pas, à mon avis, un grand malheur, car cela assurait, dès ses débuts, à la banque, une nombreuse clientèle.
Les choses étaient à ce point, lorsque l'autre jour MM.
(1) Banquiers à Turin.
Nigra, Barbaroux, Cotta et Vicino (1), se sont réunis et, après une longue discussion, ils ont délibéré qu'ils n'adhéreraient au projet, qu'autant que le nombre des fondateurs fût réduit à 10, pris tous parmi les personnes résidantes à Turin et qu'il fût stipulé que, pendant trois ans, les fondateurs seraient tenus de garder au moins 50 actions.
Ils m'ont envoyé communiquer cette décision, en me disant qu'elle ne pouvait pas me déplaire, puisqu'étant au nombre des fondateurs, j'aurais eu le même nombre d'actions que vous, Ricci et moi, dans le projet primitif. Ils prétendent que cette mesure ne choquera pas les maisons de second ordre, dont ils répondent. Leur but unique est, disent-ils, d'éviter les difficultés et les embarras que le concours d'un trop grand nombre de personnes amène dans les débuts d'une entreprise. Mon premier mouvement a été de les envoyer tous aux cent mille diables, eux, leur projet et la banque.
Mais après avoir ragé quelque temps, j'ai pensé que si je rompais avec ces Messieurs, la banque ne se ferait plus, ni par eux, ni par nous, car s'il eût été possible, même facile de la faire sans eux, s'ils s'étaient déclarés dès le principe, ce serait maintenant extrêmement difficile, s'ils venaient à faire une scission et à nous faire une guerre ouverte. Ces quatre maisons étant les plus riches et les plus influentes sur la place, elles trouveraient le moyen de nous susciter toutes espèces d'entraves.
Si je m'étais retiré, ces Messieurs n'auraient pas été en avant, car, au fond, Nigra, et Barbaroux ne désirent pas l'établissement de la banque, et Cotta n'aurait pas osé marcher tout seul. Or, comme je crois que le pays a essentiellement besoin d'une institution de crédit, je n'ai pas voulu sacrifier son avantage pour une question personnelle. En conséquence, je n'ai rien répondu et j'ai demandé huit jours pour vous écrire.
(1) Banquiers à Turin.
Si, par suite de cette détermination, vous pensez qu'il faille tout rompre, je le ferai, car avant tout je désire ne rien faire qui puisse vous blesser, vous ou Messieurs Ricci.
Si, au contraire, vous croyez qu'il faut transiger avec ces Messieurs, je vous propose de faire l'affaire en compte à tiers, entre vous, Messieurs Ricci et moi. Si elle réussit vous aurez à peu près le même nombre d'actions que s'il y avait eu trente fondateurs.
J'attends à cet égard, une prompte réponse.
Selon le projet de Nigra, Barbaroux, Cotta et Vicino, les fondateurs seraient, en outre d'eux quatre : Litta et C., De Fernex, Mestrezat, Todros et fils, Dupré et moi.
J'ai écrit hier une immense lettre à Mr Odier (1), sur le chemin de fer d'Alexandrie. En voici le résumé: Trois lignes ont été arrêtées: celle de Gênes à Pavie; celle de Turin à Alexandrie; celle du Pô à Arona.
Le gouvernement a été autorisé à traiter avec des compagnies. Il a été déclaré que pour obtenir leur concours, on pourrait leur garantir un intérêt, pourvu qu'il n'excédât pas le fonds d'amortissement compris 4 112, et que la concession ne s'étendît pas au delà de 60 ans.
Yoilà les bases adoptées dans le dernier conseil. Le roi paraît décidé à les appliquer.
La Compagnie génoise n'a aucun droit sur le tronc de Turin à Alexandrie. Il est vrai que dans les premières patentes ce droit leur avait été réservé. Mais alors ils ne demandaient rien; or, s'ils veulent une garantie d'intérêt, le premier contrat est annulé et ils ne peuveut plus prétendre aux faveurs qu'il leur réservait.
D'ailleurs, Mr Cavagnara (2) est venu me trouver et, d'après ce qu'il m'a dit, il me paraît que la Compagnie génoise ne se soucie pas d'entreprendre à la fois les deux lignes.
(1) Gabriel Odier banquier à Paris, beau-frère de Mr Émile De la Rüe.
(2) Génois, agent d'affaires.
Je vous le répète, si l'on pouvait obtenir du gouvernement la concession du chemin de fer, avec la garantie du 4 Ij2 p. 0[0 pendant 60 ans, je dirai même 50 ans, ce serait une affaire où il y aurait au moins dix millions à gagner.
Il est sûr que les capitalistes regarderaient ces actions, au bout de quelque temps, comme un fonds public, et que leur cours se réglerait d'après celui des rentes de l'État.
Or celles-ci ne rendent guère plus du trois. Calculez ce que coûte la rente et ce qu'elle donne, en déduisant l'assurance contre le remboursement, et vous trouverez qu'elle se négocie au taux de 3 4110.
Lorsque vous serez à Genève, je vous prie .d'aller voir Mr Naville Edouard (1), qui s'intéresse beaucoup au chemin de fer d'Alexandrie.
La récolte du blé est à peu près finie; elle est bonne ordinaire ; ce qui la distingue, c'est sa bonne qualité. Cela fera gagner une cinquantaine de mille francs de plus à Capello et Accossato, qui, recevant le- prix de leur fourniture à la mesure, tandis qu'ils fournissent au poids, gagnent en proportion de la bonté moyenne des récoltes.
Recevez, mon cher, l'assurance de mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
XXXIII.
Turin, 9 juillet 1844.
Mon cher Émile, Je répondrai demain à votre maison, je me borne aujourd'hui à vous accuser réception de la lettre collective que MM. Ricci et vous, m'écrivez, pour m'autoriser à signer
(1) Mr. G. Edouard Naville de Châteanvieux, conseiller d'état à
Genève.
pour votre compte, comme pour le mien, un engagement comme fondateurs de la banque de notre ville. Depuis ma dernière lettre, j'ai vu Cotta qui est la seule personne qui comprenne bien l'affaire. Il m'a dit qu'en réduisant le nombre des fondateurs à dix, il n'avait eu qu'un objet en vue, celui d'éviter que les marchands de soie fussent en majorité dans le conseil. Il prétend que cela aurait les plus graves inconvénients et peut-être n'a-t-il pas tort. Si on avait été juqu'à 15, cela serait certainement arrivé.
Nigra et Vicino n'entendent absolument rien à l'affaire.
Barbaroux en est ennuyé, quoiqu'il la comprenne fort bien.
Le seul vous dis-je, qui va bon jeu, bon argent, c'est Cotta.
Cela nous suffit, car, quoique moins riche que Nigra et Barbaroux, Cotta a plus d'influence qu'eux sur la place.
Demain, je l'éspère, nous terminerons quelque chose.
Les banquiers de Genève, à qui j'avais parlé du chemin de fer d'Alexandrie, ont pris feu ; ils voulaient déjà envoyer ici l'un d'eux. Je leur ai conseillé d'attendre votre arrivée et celle de Mr G. Odier. Cela me donnera le temps de connaître plus positivement les intentions du ministre.
Mr Cavagnara est venu me trouver, avant son départ pour Gênes. Je lui ai parlé du projet du chemin de fer d'Alexandrie, et c'est à moi qu'il a dit qu'il était persuadé que la Compagnie génoise serait charmée de s'entendre avec une Compagnie turinaise. Je ne crois pas qu'il ait rien traité avec Mestrezat (1), cependant je m'en assurerai.
Je vous engage fortement à faire partie de la Compagnie qui se formera à Gênes, soyez persuadé qu'avec la garantie, les actions seront très recherchées. L'amortissement agit chaque année avec une nouvelle vigueur, les capitaux s'accumulent et leur emploi devient de plus en plus difficile.
Si vous voyez à Gênes Mr Gustave Levol, le jeune com-
(1) Banquier suisse à Turin.
pagnon de Mr Rigal, veuillez lui faire mes compliments et lui dire que je lui ai adressé à Gênes une lettre, que Mr Naville m'avait envoyée pour lui.
Recevez à la hâte, mes salutations empressées.
C. DE CAVOUR.
XXXIV.
Turin, 12 août 1814.
Mon cher ami, J'ai reçu avant-hier, à Santena, votre lettre du 8 cour.
Je suis bien sensible à tout ce que vous me dites d'aimable sur votre trop court séjour à Santena. J'aurais désiré, ainsi que toute ma famille, que vous n'eussiez pas été aussi pressé et que vous eussiez pu vous arrêter plus longtemps avec nous. J'espère que, puisque vous avez appris le chemin de Santena, vous ne passerez plus devant, sans venir vous y reposer au milieu de ma famille qui se fera toujours une fête de vous voir.
Il paraît certain que Gallina se retire. Le Roi a envoyé Castagnè auprès de lui pour s'assurer de son état, il l'a trouvé dans l'impossibilité ni d'écrire, ni de lire. Là dessus un grand parti a été décidé, mais le Roi le tient encore caché. Villamarina, qui faisait le malade, a recouvré de suite la santé, et ce matin il est parti pour Raconis, pour aider l'enfantement du nouveau ministère. Son intervention nous préservera de Collegno (1), mais nous vaudra-t-elle Al-
(1) Le général Giacinto Provana di Collegno (1793-1856) avait fait la campagne de Moscou, puis était entré au service sarde. Compromis en 1821, il dut s'exiler jusqu'en 1848, où Charles Albert le nomma ministre de la guerre, charge qu'il céda biéntôt à son ancien compagnon d'armes, Perrone. Collegno fit partie de la députation qui porta
fieri? (1) Tant que nous ne connaîtrons pas le successeur de Gallina, il faut suspendre toute démarche.
Les ingénieurs se sont mis à l'ouvrage. Barbaroux était à Poirino lundi. Ils paraissent déployer une grande activité.
Du reste, je ne fais qu'arriver de Santena, de sorte que je ne sais rien de précis. J'éspère vous mander des nouvelles plus intéressantes, dans le courant de la semaine.
Une maison de Marseille, MM. G. R. de la T. et C., m'a écrit pour m'offrir du guano, à livrer aux premiers mois de l'année prochaine. Avant de lui répondre, je désirerais avoir quelques notions sur la moralité de ces Messieurs, car la valeur du guano dépend entièrement de sa composition chimique. Si, en effet, il répondait à l'analyse qu'ils m'ont envoyée, il y aurait convenance à en acheter pour fumer nos terres; mais il faut pouvoir compter sur la fidélité et l'exactitude de ces Messieurs.
à Oporto, à Charles Albert, l'adresse du parlement sarde. En 1852 il représenta le Piémont à Paris, puis en 1854, il commanda la division militaire de Gênes, où il se distingua par son dévouement à secourir les cholériques, pendant la terrible épidémie de cette année. Sa santé chancelante l'obligea ensuite à prendre sa retraite.
(1) Le marquis César Alfieri di Sostegno (1799-1869), ami intime du comte de Cavour, avec lequel il se lia chez le marquis de Barolo, leur ami commun, et avec lequel il travailla à organiser la statistique du royaume et les Asili infantili de Turin. Ministre de Sardaigne en Russie en 1825, il fut chargé en 1833, avec Cesare Balbo, de la réforme des prisons sardes. Président de l'institution de la maternité à Turin, conseiller d'État en 1838, président de l'Association agraire en 1842, Magistrat de la réforme des études en 1844, où il rendit d'immenses services à l'instruction publique, ministre ensuite de l'instruction publique, il concourut pour une large part, à obtenir du roi Charles Albert la Constitution de 1848. Sénateur, vice-président, président du Sénat, il fut rapporteur, le 18 janvier 1850, sur le traité de paix avec l'Autriche et en 1855, sur celui d'alliance avec la France et l'Angleterre. César Alfieri fut, à juste titre, un des hommes les plus estimés et les plus influents de son temps. Son fils Charles, fondateur de l'École des sciences sociales à Florence, épousa la nièce du comte de Cavour, Joséphine de Cavour.
H vous sera facile de vous procurer à Marseille ces renseignements; vous m'obligerez beaucoup en me les transmettant le plus tôt possible, car je tiens à ne pas trop tarder à répondre à MM. G. R. qui se sont montrés très polis à mon égard.
Recevez mes compliments amicaux.
CAMILLE DE CAVOUR.
XXXV.
Turin, 31 août 1844.
Mon cher Émile, Vous aurez déjà su les nominations de MM. de Revel (1) et Des Ambrois (2) aux ministères des finances et de l'inté-
(1) Le comte Octave Thaon de Revel, né a Turin le 26 juin 1803, mort le 10 février 1868, fut ministre des finances de 1844 à 1849; le marquis Vincenzo Ricci le remplaça dans ce poste, pendant peu de mois, et Revel reprit ces fonctions pendant le ministère Alfieri-Perrone. Revel concourut largement, à obtenir la médiation de la France et de l'Angleterre, après les désastres de 1848. Après la chute de ce ministère, Revel fut, successivement, député au Parlement par plusieurs collèges et devint sénateur en 1860. Il fut un des adversaires de Cavour, en fait de théories financières et ne partageait pas ses idées libre-échangistes. Il fut nommé Commissaire royal à Londres en 1851, lors de l'emprunt Hambro.
(2) Le chevalier Louis de Nevache Des Ambrois. « Le comte Gallina a du se retirer à cause de l'affaiblissement de sa santé, son crédit s'est borné à empêcher la nomination d'un partisan déclaré du parti jésuitique. Le Roi à nommé Mr Des Ambrois, jeune et habile administrateur, qui, bien-qu'élève du comte Gallina et ami d'Alfieri, n'était pas de taille à effrayer le parti congréganiste ». (Lettre du comte de Cavour à Mr Naville de Châteauvieux, septembre 1844). « Je crois qu'il arrivera aux mêmes résultats, que le comte Gallina et reconnaîtra les difficultés qui s'opposent à l'exécution des chemins de fer par l'état n. (Ibid). Louis
rieur. Le comte Gallina est nommé grand archiviste et conserve l'entrée du Conseil. Je considère ces nominations comme favorables aux chemins de fer et aux compagnies, cependant je ne puis avoir une opinion positive sur Mr Des Ambrois, car je ne sais rien de lui, sinon que c'est une créature de Gallina et d'Alfieri. La position ne tardera pas à se dessiner d'une manière positive. Je vous écris fort à la hâte, car je ne fais que d'arriver de Pignerol, où j'ai assisté au congrès agricole. J'ai passé cinq jours à Campion, avec Rora, qui est tout fier d'avoir été couronné trois fois, en récompense de ses travaux champêtres.
La maison D. jouit d'une très bonne réputation, ce ne sont pas des aigles, mais de fort honnêtes gens. Je considère qu'on peut sans danger leur faire un crédit de cinquante à soixante mille francs.
La récolte de maïs est décidément médiocre, les prix se .soutiennent.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
XXXVI.
, 6 novembre 1844.
Mon cher Emile, Je prends la liberté de vous recommander le porteur de .ce billet, fils du portier de notre hôtel. Étant en garnison
Des Ambrois de Nevache était né à Oulx, dans la Vallée de Suse. Il contresigna, en sa qualité de ministre, le Statut de Charles Albert et la déclaration de guerre à l'Autriche. Ministre des travaux publics (Cabinet Balbo), député de Suse au Parlement, nommé sénateur le 18 .décembre 1849, il représenta le Piémont à Zurich et à Paris, président ,du Conseil d'État et enfin président du Sénat, il mourut à Rome le 4 décembre 1874.
à Gênes, il s'y est marié; le temps de son service militaire expiré, il a servi comme domestique plusieurs étrangers.
Maintenant il se trouve sur le pavé. Si vous pouviez l'aider à se placer chez quelques-unes des personnes qui viennent à Gênes pour y passer l'hiver, vous me rendriez un véritable service.
Je viens de faire un voyage agricole avec César Alfieri.
Nous avons parcouru les provinces qui bordent le Pô, depuis Casai jusqu'à Pavie. Ce sont de beaux pays, admirablement bien cultivés. L'agriculture y a fait et continue à y faire des progrès énormes. La Lomelline est soignée comme un jardin. La culture des prairies et celle des mûriers y sont aussi avancées qu'en Lombardie.
Partout on nous demandait des nouvelles du chemin de fer. Nous étions fort embarrassés à répondre, car Alfieri n'en savait pas beaucoup plus que moi. Le Roi se décidera peutêtre pendant son @ séjour à Gênes. Le parti qui pousse à l'exécution par l'Etat me paraît gagner des forces. Il flatte l'amour propre du Roi. Le ministre actuel n'est pas de force à lui résister.
Je vous écrirai au long, un de ces jours, par la poste.
Tout à vous CAMILLE DE CAVOUR.
XXXVII.
Turin, 12 novembre 1844.
Mon cher Émile, Je vous remercie de la lettre que vous m'avez écrite le 9 et qui ne m'a été remise que hier matin.
Ce que vous me dites au sujet des actions du gaz, me paraît fort sensé; j'attendrai donc l'émission des titres pour vendre mon action et demi. Les coupons seront plus faci-
lement négociables et il est probable, pour peu que l'affaire marche, qu'ils se vendront au dessus du pair.
La baisse des actions de la banque ne m'étonne pas, quoique je ne croie pas qu'elle soit fondée sur des raisons solides. Il me paraît évident que s'il y a eu des retards, il n'y a pas eu des dommages réels. Je crois que, vu la rareté des écus, causée par la manie de thésauriser qui s'est emparée du gouvernement, et les inconvénients que présentent les mauvaises monnaies d'or, qui surchargent les marchés intérieurs, les billets de la banque de Gênes seront recherchés en Piémont. Il suffira pour cela qu'elle ait à Turin un correspondant qui change ses billets moyennant une petite prime.
Un de mes amis avait pensé à faire une spéculation sur ces valeurs, il désirerait savoir ce qui lui en coûterait en frais d'achat, courtage et commission compris. Veuillez me donner à cet égard des renseignements positifs.
Le Roi étant à Gênes, vous en saurez plus que moi sur la question des chemins de fer. Ici l'on commence à murmurer contre l'inaction du gouvernement. Quoiqu'on puisse dire et faire, je ne pense pas que la question fasse un pas avant le printemps.
Je ne crois pas que les blés haussent. La récolte n'a pas été abondante chez nous, mais il paraît qu'elle a été énorme dans le nord, surtout en Angleterre.
Les maïs ont peu donné dans tous les pays où l'on n'arrose pas, aussi leur prix se soutient. La vente des maïs de la Mer-Noire n'aura pas une grande influence sur nos marchés, car décidément nos consommateurs n'en veulent pas.
Les riz, quoique la récolte ait été bonne, se soutiennent.
On m'a assuré que cette année l'Inde et l'Amérique ne peuvent envoyer en Europe que de faibles quantités de riz; cela nous assurerait de bons prix jusqu'à la récolte prochaine.
Je joins à ma lettre un petit billet de ma grand'mère qui
s'adresse à vous pour satisfaire une fantaisie d'une de ses amies. Je crains que vous n'ayez de la peine à trouver des chinoiseries à Gênes, car il ne m'a jamais paru qu'on y eût beaucoup de goût pour des babioles de ce genre.
Adieu, cher ami, croyez à mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
XXXVIII.
Verceil, 22 octobre 1845.
Mon cher ami, J'ai écrit à votre maison relativement au transport du g'uano, en lui envoyant copie du traité que j'ai passé avec le charretier Cipriano. Je ne regrette pas le retard que nous fait subir le capitaine Cumming, pourvu toute-fois, qu'il ne soit pas cause de prix additionnels à Liverpool. Si vous écrivez à MM. Melwisch et De la Bue (1), veuillez leur toucher deux mots à ce sujet.
Le chemin de fer de Pignerol peut devenir une bonne ou mauvaise affaire, selon les conditions que le gouvernement imposera à la compagnie cessionaire. Si celle-ci obtient de s'embrancher au-delà de Moncalier, sans être assujettie à un fort péage pour l'usage du tronc commun avec le chemin de Gênes, elle peut se tirer d'affaire. Mais si on l'oblige à un débarcadère spécial, ou si l'État la force à lui payer un péage élevé, l'affaire sera mauvaise.
Pignerol est un cul-de-sac, très-riche, très-peuplé, il est vrai, mais au-delà duquel il n'y a que des montagnes infranchissables. L'ouverture du Mont-Genèvre n'aurait pas une grande influence sur cette route, car entre Pignerol et les frontières françaises il y a, outre cette montagne,
(1) Négociants à Liverpool.
le col Sestrière à passer, ce qui rendra préférable, soit pour les moyens ordinaires de communication, soit pour ceux à vapeur, la vallée de la Doire qui, entr'autres mérites, a celui d'avoir donné le jour à notre ministre de l'intérieur.
Si le gouvernement favorise cette entreprise et si la route ne coûte pas trop, la compagnie Rora peut prétendre à un honnête bénéfice. Ne vous pressez pas de répondre aux ouvertures qu'on vous fera ; lorsque j'aurai étudié cette affaire je vous la ferai connaître en détail.
Les projets pour Parme me paraissent absurdes; je sais qu'il est arrivé à Turin des aventuriers anglais de la pire espèce, pour traiter un de ces chemins. Ne les laissez pas approcher de vous.
Le projet de percer les Alpes pour unir la Suisse allemande avec les lacs de la Haute Italie est sérieux. Des ingénieurs piémontais et grisons ont fait des investigations pour trouver un passage facile à travers la grande chaîne.
Ils assurent que la route est faisable, mais pour sûr elle ne saurait être profitable.
En fait de chemins de. fer il y a une règle générale, c'est qu'il n'y a de bonnes lignes que celles qui sont alimentées par le mouvement national. Les lignes qui vont à la frontière ne valent rien. Voyez en effet le chemin de Strasbourg à Bâle. Le chemin du Nord forme une exception, mais sans compter qu'on ne saurait trouver des foyers de population comparables à Londres, Paris et la Belgique, il faut ajouter que ce chemin traverse les provinces les plus riches et les plus peuplées de la France.
Le Piémont sera probablement envahi par les spéculateurs en chemins de fer. Quant à moi, je ne connais qu'une seule ligne qui fût véritablement excellente. Ce serait celle qui de Turin irait s'embrancher près de Verceil sur le chemin de Gênes à Arona. Je saurai si le gouvernement y songe ou s'il est disposé à la concéder. Dans ce cas, je vous en préviendrai. Pour vous donner une idée du mou-
vement qu'il y a sur cette ligne, il me suffira de vous dire qu'aujourd'hui la ville de Chivas est traversée chaque jour par 26 diligences, sans compter un nombre infini de voitures de particuliers et de louage. Cette ligne vaut celle d'Alexandrie, j'en ai l'intime conviction.
La récolte du riz traîne en longueur, les grains mûrissent mal, même chez nous qui avons des terres et des eaux de première qualité. La pluie nous contrarie excessivement ; somme toute, je crois que la récolte ne réalisera pas les espérances que l'on avait conçues.
Les maïs sont assez beaux.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
XXXIX.
Leri, 14 janvier 1846.
Mon cher ami, Je m'empresse de répondre d'une manière catégorique aux diverses questions que contient votre lettre du 10 courant.
1°) J'ignore ce que Rora a offert au gouvernement ; ce que je sais fort bien, c'est qu'il n'a jamais eu l'intention de garder les s/4 de sa part du chemin de Pignerol. Le gouvernement défend la vente des promesses d'actions, mais il n'a jamais songé à entraver la négociation des actions, une fois que la société anonyme sera fondée.
Les fondateurs sont dans le cas de verser 2/io facilement; il y en a deux qui sont fort légers: MM. B. et D., mais on les dit appuyés par des maisons solides. Dans l'état actuel des choses, ils n'auraient pas de peine à céder leur part d'intérêt, car le chemin de Savigliano a été accueilli du public avec une grande faveur.
Nigra est tout capot de n'avoir demandé au début qu'un vingtcinquième, et plusieurs bonnes maisons de Turin cherchent à se procurer une demi action de fondation.
Cette première réponse répond à vos 3me et 4me questions.
2°) J'ignore si les actions de Savigliano pourront être cotées à Paris et à Vienne. J'ai l'idée que l'affaire restera dans le pays, ne dépassant pas ses moyens.
3°) L'affaire du St-Gothard est un job dans toute la force du terme. Il n'y a pas un fondateur, Nigra tout le premier, qui pense à mettre un sou dans cette affaire qui n'a pas le sens commun.
4°) J'ai écrit à Odier, mais je lui ai à-peine parlé de Savigliano, car je n'aurais pas pu lui offrir un intérêt qui méritât d'attirer son attention sur cette affaire. Mon but a été de lui parler de la ligne de Turin à Novare, que je persiste à considérer comme une affaire capitale, sous tous les rapports.
5°) Nous avons, mon frère et moi, Vas chacun. Mon frère est très-animé, possédant de grandes propriétés à Savigliano même et dans les environs, il veut garder son intérêt. Quant à moi, je n'ai voulu prendre d'engagement avec personne , si ce n'est avec Mr de St-Marsan (1), qui est mon intime ami et qui certainement ne voudra pas s'engager pour plus de 20,000 francs. J'ai donc Vas. Si vous voulez la moitié de l'affaire, je vous l'offre volontiers. Nous entendrions facilement les conditions de notre compte à demi.
Je vous laisse libre de traiter, soit pour vous seuls, soit d'accord avec MM. Ricci; seulement, soit dans un cas, soit dans l'autre, je ne pourrais pas vous céder au-delà de {/iS-
(1) Capitaine d'artillerie, fils du comte de St-Marsan, exilé et condamné à mort pour sa participation aux événements de 1821. En 1854 le comte de Cavour, étant ministre, l'envoya comme commissaire sarde au quartier général français en Crimée, où il fut atteint du choléra et en mourut en peu d'heures.
L affaire, je vous le répète, est destinée à rester dans le pays qui possède les capitaux qu'elle exige. Par amour propre ou par intérêt, tous les principaux marchands de soie voudront avoir une part dans cette affaire ; cela assure un concours à peu près suffisant.
Je ne crois pas que le chemin de fer de Pignerol lui fasse concurrence, car la compagnie qui veut le soumissionner renferme peu d'hommes sérieux. Quant au chemin des deux lacs, c'est une véritable plaisanterie. Magnone et Prandi ont cru organiser une attaque pour prendre les capitalistes anglais. Je ne sais s'ils y parviendront, mais à Turin ils n'ont rien à espérer. On ne peut songer aux rails qu'après avoir obtenu la concession définitive. Alors nous verrons de nous servir de l'intermédiaire de MM. Melwisch et De la Rue.
Le Roi s'est montré on ne peut plus favorable au projet.
Il en a parlé à plusieurs reprises à mon père. Nous avons eu soin de placer à la tête de la Société quelqu'un qui lui est particulièrement agréable, le marquis de Pampara (1), choix, au reste, excellent car le dit marquis est un homme de beaucoup de bon sens, qui a cent mille livres de rente en terres, et qui a marié son fils unique à Mlle de Praslin, petite-fille de Sébastien.
Nous n'avons encore rien décidé quant à l'ingénieur. Le comité compte s'adresser à Mr Maus (2) pour avoir sa
(1) Intendant de la liste civile du Roi. — « Votre oncle n'aurait pas trop mal figuré autour de la table (de jeu) de Sartirana, entre l'honnête Pampara et vous (Lettre du Comte de Cavour à monsieur William De la Rive, 20 janvier 1847).
(2) Mr Henry Maus , célèbre ingénieur belge, qui fut ensuite directeur supérieur des chemins de fer du Piémont et inspecteur honoraire du génie civil, s'était acquis une réputation presque européenne par la construction d'un appareil fort ingénieux de locomotion sur le plan incliné de Liège. Chargé par le gouvernement sarde d'étudier la
coopération, ou du moins ses conseils, relativement à l'ingénieur.
Si ces réponses vous laissent encore quelques doutes, je m'empresserai de les éclaircir dès que vous me les aurez fait connaître.
Croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
XL.
, Turin, 13 avril 1846.
Mon cher Emile, M. D. m'avait proposé l'affaire dont vous m'entretenez dans votre lettre du 9 courant. Je ne puis découvrir quel est le propriétaire des actions en question. Je ne pense pas que ce soit le comte R. Reste le marquis de P. Si c'était lui, on pourrait traiter avec toute sûreté, car il a une fortune territoriale magnifique.
Je ne crois l'affaire bonne que pour un capitaliste qui aurait des fonds à placer. Ce ne peut être une spéculation convenable, car on engagerait une somme considérable pour un temps indéterminé. Je ne crois pas que ce soit une affaire qu'on puisse proposer à Genève. Vous savez que les Génevois n'aiment guèrp à immobiliser leurs capitaux. Je n'ai reçu de Genève des demandes que de votre famille.
Votre frère et votre père voulaient un intérêt de 60,000 francs, je leur en ai fait céder un de 20,000 par mon frère.
A. De la R. m'a demandé un intérêt, je le lui ai promis, mais sans en déterminer l'importance. D'ailleurs, je n'ai parlé
question du percement des Alpes, après 4 ans d'études avec l'ingénieur Rombaux et le savant naturaliste Sismonda, il présenta en 1845 son célèbre projet sur ce sujet. (HUDRY-MENOS, Il Traforo delle Alpi. Revue des Deux Mondes, 15 février 1805).
de cette affaire à personne, pas même à M. L. 0. et MM. T.
et P. avec lesquels nous sommes en correspondance suivie.
Comme il n'y a encore rien de définitif, que la concession est incertaine, il m'a paru peu convenable de les faire entrer dans une société préparatoire, où il n'est encore question que des fonds pour des études.
En résumé, si vous connaissez quelqu'un qui désire placer d'une manière sûre de 120 à 150 mille francs et qui en même temps soit bien-aise de spéculer sur un chemin de fer piémontais, vous pouvez leur proposer l'airaire de M. D., mais elle n'ira pas à des capitalistes spéculateurs, et colportée à Genève, elle pourrait faire du tort au crédit définitif de nos actions.
Les études avancent promptement. M. Maus, après avoir parcouru le tracé provisoire, a ordonné quelques nouvelles études complémentaires.
Ce matin nous avons reçu l'avis de verser un second dixième de nos actions ; en conséquence je débiterai le compte de votre maison de deux cent francs valeur 14 courant.
Mandez-moi au juste l'époque à laquelle le navire en charge pour Liverpool mettra à la voile. Vu la baisse des riz, il serait possible que j'envoyasse quelques sacs de plus à MM. Melwisch et De la Rue.
Je pense qu'il faut faire des balles de 100 kilos. Dans le cas où je me déciderais à faire un envoi à Liverpool de 200 à 300 sacs vercellais, voudriez-vous faire l'affaire en compte à demi, ou bien me fournir les fonds moyennant l'intérêt à 5 et une commission de 1 %?
Recevez l'assurance de mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
XLI.
Turin, 10 juiflet 1846.
Mon cher Émile, D. me répond que pour ce qui le regarde particulièrement il ne peut pas augmenter la part qu'il a prise dans le chemin de fer de Savigliano, ayant déjà donné une autre direction à ses' capitaux. Si cette réponse de D. ne change pas vos projets, je vous offre de prendre pour mon compte ce que votre cousin aurait pris. D'après cela, dans la demi-action que je me suis fait céder, vous et vos parents prendriez ce que vous voudriez, votre maison arriverait ensuite et ce qui resterait serait pour moi. Je n'ai aucun scrupule à vous recommander cette affaire, car, en vérité, je la crois une des meilleures qu'il soit possible de faire en Piémont.
Si pendant votre séjour à Envie (1) vous vous êtes informé du mouvement qu'il y a entre Saluces et Turin, vous aurez la même opinion que moi. D'ailleurs le sentiment public est favorable à cette ligne. La seule difficulté c'est de la bien présenter au public. Je vous assure que, si j'avais assez de capitaux disponibles, je n'hésiterais pas à prendre 2 actions pour moi tout seul.
Pendant votre séjour à Genève, sondez le terrain pour savoir si l'on pourrait- s'organiser pour soumissionner l'emprunt.
La récolte du blé est décidément médiocre, aussi les blés vieux et nouveaux se vendent très-bien. Vraiment on ne conçoit pas comment l'ancien droit a été rétabli.
Mille amitiés à votre père.
Tout à vous CAMILLE DE OA VOUR.
(1) Près de Saluces, chez le comte Guasco.
XLII.
, Turin, 14 octobre 1846.
Mon cher Emile,
Je réponds deux mots, à la hâte, à la lettre que vous m'avez écrite le 9 courant et à celle de votre maison.
Celle-ci ne parle pas des 8000 francs en billets de banque que contenait la lettre que M. N. a dû vous remettre.
Je suppose que ce n'est qu'un oubli et que le dit M. ne se les est pas appropriés.
J'écrirai aujourd'hui ou demain au plus tard, à MM. D.
et C., en leur envoyant les plans et profils des rails et coussinets de la fourniture à faire pour le chemin de Turin à Asti, et je leur transmettrai des renseignements précis sur cette affaire. Je connais particulièrement toutes les personnes dont elle dépend.
À l'heure qu'il est, vous connaîtrez déjà les affreux événements de Genève (1). La lutte, le combat, la chûte du
(1) Le 7 octobre la révolution avait éclaté à Genève. La question de l'expulsion des Jésuites de la Suisse, en fut une des premières causes, le Conseil d'État ayant refusé de déclarer leur existence incompatible avec la liberté, l'ordre et la sécurité que les Cantons s'étaient assurés entre eux par l'art. 1er du pacte fédéral. — La Diète fédérale réunie à Zurich n'avait pas réussi à trancher la question, et l'alliance des 7 Cantons catholiques (sous le nom de Sonderbund) et la guerre civile, en furent la conséquence. Le grand Conseil de Genève refusant de se prononcer contre les Cantons catholiques, une protestation d'environ 3000 citoyens réunis aux abords du temple de St-Gervais, déclara violé le pacte fédéral. — Le Conseil d'État appela soas les armes quelques bataillons de milices et décerna un mandat d'amener contre James Fazy, qui était à la tête du mouvement, et alors les habitants de St-Gervais s'armèrent élevèrent des barricades et le combat commença. Peu d'heures après un armistice fut signé et le 8 octobre le Conseil d'État donnait sa dimission et le Conseil municipal était provisoirement chargé de prendre ses attributions. — À la tête de ce mouvement populaire se trouvait' James Fazy (1794-1878), qui,
gouvernement et le triomphe des radicaux. J'en suis atterré car j'étais loin de m'attendre à une si prompte et aussi horrible catastrophe.
Mes deux cousins Revilliod et Maurice sont blessés ; heureusement leurs blessures ne sont pas dangereuses. Mes cousins De la Rive sont à Bonneville. Quels malheurs ! Je pense que D. suspendra son départ. Ce serait plutôt le cas d'engager Hippolyte à venir vous trouver, Genève ne sera plus tenable. Si je sais quelque chose avant le départ du courrier je vous l'écrirai.
L'affaire de Savigliano marche bien. Le rapport officiel des ingénieurs nous est tout-à-fait favorable. Il donne de grands éloges au projet. Il se peut que la concession définitive nous soit accordée plus vite que l'on ne le pense.
J'avais placé une action à Genève, je ne sais maintenant si ces MM. seront encore d'humeur à se mêler d'affaires.
En tout cas je compte sur vous pour les premiers fonds.
Si l'opinion ne se modifie pas une fois la concession obtenue, les actions se placeront avec une forte prime.
J'ai un rendez-vous à neuf heures, je vous quitte en vous promettant de vous écrire demain.
Tout à vous CAMILLE DE CAVOUR.
pendant plusieurs années, fut presque le dictateur de Genève et y joua un rôle important par les réformes radicales qu'il introduisit dans l'administration et le gouvernement de cette république. Le comte de Cavour, quoiqu'il ne partageât pas les idées de Fazy, fut en relation avec lui et le trouvait assai ragionevole. Il dîna chez lui en octobre 1852. u J'ai dîné hier chez le radical Fazy, qui a une cuisinière di« stinguée et d'excellents vins. Ses idées sont, pour le moment, assez u raisonnables. Il cherche à faire de la conciliation, mais les conseru vateurs, par antipathie personnelle, au lieu d'accepter ses propositions « penchent pour les radicaux extrêmes. Les partis sont également stuu pides dans tous les pays ». (Lettre du Comte de Cavour au député E. Martini, 10 octobre 1852).
XLIII.
Turin, 15 octobre 1846.
Mon cher Emile, J'ai prévenu vos intentions en envoyant le cahier des charges à MM. Ch. D. et C. Vous avez raison, de vous assurer de la solidité de cette maison, car il s'agit d'une affaire de 3,000,000. Si MM. André (1) y prennent un intérêt, on peut y aller les yeux fermés. Au reste, vous êtes placé de manière à avoir sur leur compte les renseignements les plus précis.
L'affaire de Savigliano chemine aussi vite que nos usages administratifs le comportent. Le ministre a assuré hier M. de Pampara que la concession nous serait accordée dans le courant de novembre.
Lorsque je vous parlais de l'action que j'ai placée à Genève, lors de la petite panique qui a eu lieu cet été, parmi nos actionnaires, j'étais sous l'influence des coups de canon, et j'envisageais la possibilité d'une émigration générale. La tranquillité matérielle étant rétablie, il n'y a pas de doute que MM. Turrettini, Pictet et C., et MM. Lombard Odier (2) ne remplissent les engagements qu'ils ont contractés à mon égard. Cela d'autant plus, que, dans ce moment, mes actions sont très-recherchées. Depuis huit jours j'en ai refusé à un grand nombre de mes amis qui avaient fait la sourde-oreille, lorsque j'avais une action tout entière à placer.
Dès que les deux premiers dixièmes seront payés, les actions se négocieront à la Bourse, seulement les premiers
(1) Banquiers à Paris.
(2) Banquiers à Genève.
titulaires resteront responsables du payement du troisième dixième.
On doit élire aujourd'hui le comité dirigeant. Selon toutes les probabilités, les choix seront ainsi faits :
Comte Rignon ) M. Mancardi Comité directeur; Camille de Cavour.
..-. - A - - -
Uolzio, Directeur des travaux; Bolmida, Directeur des bureaux.
Rignon (1) a beaucoup de capacité, d'ordre et de bonne volonté. Ayant hérité de ses deux oncles, les riches Rignon, il se trouve à la tête d'une très-grande fortune.
Mancardi (2) est un négociant habile, de fortune moyenne.
Il représente le commerce des soies et surtout les fileurs de Raconis.
Golzio (3), fils d'un entrepreneur de bâtiments, connait parfaitement la partie des travaux. Riche par lui-même, et plus encore par les héritages qu'il attend, il désire s'illustrer au moyen du chemin de Savigliano. C'est lui qui a dirigé la confection des projets préparatoires qui ont reçu une pleine approbation des ingénieurs du gouvernement.
Bolmida (4) est un homme de beaucoup d'esprit et de moyens. Sa fortune a été un moment gravement compromise par les folies que son frère a faites dans les moresche.
Bertini (5) les a tirés d'affaire. Maintenant il va bien, son moulin de la Pérouse jouit d'une grande réputation. Depuis deux ans il a gagné assez d'argent. D'ailleurs il est trèspopulaire parmi les maisons secondaires.
Je suis sans nouvelles particulières de Genève. Ce matin
(1) Felice Rignon, banquier et filateur de soie à Turin.
(2) Banquier à Turin.
(3) Grand entrepreneur de travaux publics.
(4) Banquier à Turin.
(5) Banquier à Turin.
le Fédéral raconte en détail les événements de la semaine dernière. Fazy (1) est entré dans la salle du Grand Conseil comme Napoléon à St-Cloud. Le conseiller Chaumontel a protesté au nom des communes réunies. Il y a un germe de dissolution qui pourrait bien amener des nouvelles complications. Je m'en vais envoyer chez Feder et chez Moutura (2) pour voir si monsieur et madame P. sont arrivés.
Vraiment ils auraient grand tort de retourner à Genève dans ce moment.
XLIV.
16 octobre 1846.
Mon cher ami, Voici le résumé des nouvelles que le Gouvernement a reçues hier au soir:
(1) Le 9 octobre l'assemblée des citoyens (radicaux) réunie à la place du Molard , prononça la dissolution du Grand Conseil et du Conseil d'État et proclama un Gouvernement provisoire de 10 membres, à la tête duquel était Fazy. Celui-ci, suivi de la foule, se rendit à l'Hôtel de Ville, où le Grand Conseil était réuni, entra dans la salle et d'une voix vibrante s'écria: Au nom du Conseil Général, je vous déclare dissous ». — Le président, M. Rigaud-Constant, ayant répondu en se couvrant: « Nous ne recevons ici d'ordres de personne », Fazy s'écria une deuxième fois: « Au nom du Conseil Général je vous déclare dissous ». — À ce moment, le colonel Dufour se leva et s'adressant à Fazy, s'écria: « Nous ne sortirons d'ici que par la force des baïonnettes — u Qu'à cela ne tienne » répondit Fazy, et joignant l'action à la parole, il ouvrit la porte: « Entrez, messieurs ", s'écria-t-il, et en un instant la salle du Grand Conseil fut envahie par la foule irritée et les députés obligés à se retirer. (James Fazy. Sa vie et son œuvre par HENRY FAZY, pages 215 et 216).
(2) Les deux premiers hôtels de Turin.
Ochsenbein (1), Druey (2) et Frei (3) d'Argovie, sont accourus à Genève, où ils ont eu de longues conférences avec le Gouvernement révolutionnaire et avec James Fazy en particulier. Rien de positif n'a transpiré, mais on dit
(1) Ulrich Ochsenbein de Nidau (canton de Berne), rédacteur du journal radical « La Jeune Suisse », chef des corps-francs qui, le 29 mars 1845, attaquèrent le canton de Lucerne qui avait rappelé les Jésuites. À la suite de la révolution de 1846, qui renversa le gouvernement aristocratique de Berne et donna au Canton une nouvelle constitution, il fut nommé Président du nouveau Gouvernement en octobre 1846. Berne étant devenue Canton directeur (Vorort Fédéral) en 1847, Ochsenbein y présida la Diète qui s'ouvrit le 5 juillet. Lorsqu'éclata la guerre du Sonderbund, il commanda , sous le général Dufour, un corps de troupes bernoises, qui fut engagé plusieurs fois. — Après la nouvelle constitution fédérale de 1848, Ochsenbein fit partie pendant plusieurs années du Conseil Fédéral. — Lors de la guerre de Crimée, il fut nommé par le Gouvernement français, général de brigade, commandant d'une légion étrangère, qui fut licenciée avant d'avoir pu être employée sur le champ de bataille. - Ochsenbein vit encore retiré à Nidau.
(2) Henry Druey, avocat et homme d'État du canton de Vaud, conseiller d'État et député à la Diète fédérale, fondateur de l'Association démocratique, président du Gouvernement provisoire du canton de Vaud en 1845, y était tout-puissant et contribua grandement à la nouvelle constitution radicale de ce Canton. En 1846, lors de la révolution de Genève, il était président du Conseil d'État vaudois et à la première nouvelle du conflit, il fut délégué auprès du Gouvernement genevois pour lui offrir ses bons offices afin de faire cesser l'effusion du sang.
En arrivant à Nyon dans la soirée du 8 octobre, Druey apprit que la lutte était terminée et renonça à pousser jusqu'à Genève, se bornant à écrire à J. Fazy pour le féliciter de l'heureuse issue des événements et lui conseiller d'agir avec toute la promptitude et la fermeté possibles.
— Après la révision du Pacte fédéral en 1848, Druey fit partie pendant plusieurs années, du Conseil fédéral. — Il mourut le 29 mars 1855.
(3) Frédéric Frei-Hérosée né en 1800 à Aarau, mort en 1873, participa activement aux affaires politiques de son pays dès 1831, se vouant surtout à l'étude des questions scolaires. Membre du Conseil de l'Instruction publique du canton d'Argovie, en 1835, député au Grand Conseil, conseiller d'État en 1838, eolonel fédéral en 1839, il fit, comme
que l'attaque de Fribourg et du Valais a été résolue. En effet, on remarque une grande agitation dans le canton de Vaud, et tout présage une collision prochaine.
D'un autre côté, il paraît que les habitants de la campagne trouvent le nouveau Gouvernement de Genève fort peu de leur goût. Il avait été question de convoquer une assemblée populaire à Chênes, pour protester contre les derniers événements. L'assemblée populaire n'a pas eu lieu, mais jusqu'ici les communes rurales refusent de reconnaître l'autorité de James Fazy et consorts. Ceux-ci, pour se maintenir, seront obligés, assure-t-on, d'invoquer l'appui des milices vaudoises.
Il me paraît probable que le Gouvernement pense à envoyer des troupes en Savoie, pour être en mesure d'agir dans toutes les éventualités.
Je ne pense pas que votre présence à Turin soit utile, jusqu'au moment où vous serez fixé d'une manière positive sur le parti.
J'allais fermer ma lettre, lorsqu'un ennuyeux est venu s'établir chez moi et m'a empêché de l'envoyer à la poste.
Comme elle ne peut plus partir que demain, j'attends pour la mettre à la poste, le prochain courrier qui nous apportera peut-être quelque chose de nouveau.
samedi.
J'ai une lettre de mes cousins De la Rive. Ils sont revenus à Pressinge. Ils considèrent la partie comme perdue
tel, exécuter par la force la décision du Grand Conseil d'Argovie sur la suppression des couvents en 1841.- Député à la Diète fédérale en 1845, 1846 et 1847, il fut chef de l'état-major fédéral pendant la guerre du Sonderbund, sous les ordres du général Dufour, et deux fois président de la Confédération suisse, en 1854 et en 1860.
sans ressources, du moins pour longtemps. D'après ce qu'ils me mandent, ils ne croyent pas une réaction possible ou peut-être désirable pour le moment.
Il fait un temps épouvantable depuis deux jours, on craint de nouvelles inondations.
Recevez l'assurance de ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
XLV.
Turin, 24 octobre 1846.
Mon cher ami, Votre lettre du 17 ne m'est parvenue que hier au soir fort tard, grâce au mauvais état des routes. Je m'empresse d'y répondre ce matin.
D'abord, pour ce qui regarde l'intérêt des banquiers de Genève, je vous dirai que peu de jours avant les derniers événements, j'ai reçu un lettre de MM. P. F. et C. qui, tant en leur nom qu'à celui de MM. L. 0., m'annonçait prendre d'une manière définitive 250,000 fr. dans le chemin de Savigliano. Si ces messieurs avaient dû quitter Genève, certes je ne les aurais pas persécutés pour les forcer à exécuter leur contrat, mais comme il n'y a pas de changements dans leur position, il me paraîtrait peu convenable d'avoir l'air de douter de leurs intentions.
Quant à faire une spéculation sur le maïs, je ne saurais vous le conseiller, par les motifs suivants. Le maïs exige des vastes magasins, on ne peut en faire des tas élevés.
De plus il faut le remuer souvent afin qu'il ne contracte pas de mauvaises odeurs. L'automne ayant été pluvieux on trouverait avec difficulté du maïs parfaitement sec. Celui qui contient encore de l'humidité perd facilement de sa
qualité, en restant en magasin, à moins de lui donner des soins continus.
Je ne vois qu'une manière d'opérer, c'est de s'associer Un négociant de Chivas, pays où l'on trouve de grands magasins à louer à bon marché, et qui est très-bien placé pour la vente des maïs. Je m'en vais faire appeler un négociant que je connais beaucoup et sur l'honnêteté duquel on peut compter. Je vous ferai connaître le résultat de notre conférence. Je crois que le riz offre plus de chances et moins de risques à la spéculation, que le maïs. Le mauvais état des chemins et le renchérissement du prix de la voiture ont occasioné une baisse momentanée dans le prix du riz, qui se maintiendra, je pense, jusqu'à la moitié du mois prochain. Si vous voulez, nous pourrions acheter 1000 sacs de C., en compte à demi, à 35 ou 36 fr. le sac. Nous n'aurions aucun frais de magasin à supporter, car les vendeurs prennent facilement l'obligation de garder en magasin pendant plusieurs mois.
Si vous acceptez cette proposition envoyez-moi 20,000 fr., je puis disposer en ce moment de 16 à 18,000 francs. Nous ferions l'affaire à compte à demi, vous seriez censé faire tous les fonds, par conséquent vous porteriez au crédit de mon compte ce que j'ajouterai.
Je ne percevrai aucune commission, ni pour la vente, ni pour l'achat, par contre, vous vous borneriez pour cette affaire au 4 p.
Le négociant de Chivasso, Pichiura, offre de mettre à ma disposition, sans frais, ses magasins, de se charger de surveiller nos maïs et de les vendre, soit au détail, soit en gros, moyennant le tiers du bénéfice. L'offre me paraît acceptable, nous achèterions pour 10,000 fr. de maïs d'abord, ses magasins n'en tiennent pas davantage, cela fait, nous verrions s'il convient d'en louer.
L'avis de Pichiura est qu'il y aura 1 franc par émine à gagner. Pour la vente des maïs, Chivasso vaut mieux
que Turin, surtout cette année, où l'on n'a fait que de très médiocres récoltes dans la vallée d'Aoste.
Répondez-moi si vous le pouvez, courrier par courrier.
Recevez mes salutations empressées.
CAMILLE DE CAVOUR.
XLVI.
Turin, 24 octobre 1846.
Mon cher ami, J'ai écrit une longue lettre d'affaires à votre maison. Il ne me reste plus le temps que de vous dire deux mots.
Les mouvements des troupes françaises vers la frontière suisse ont produit beaucoup d'effet à Genève. James Fazy doit avoir, à cette occasion, adressé un ordre-du-jour aux milices. Cela serait passablement comique. On craignait un mouvement radical dans Bâle.
Les renseignements que Mr 0. vous donne sur Mr D.
sont tout-à-fait rassurants; je suis tout disposé à traiter cette affaire de compte à demi avec vous. Je n'ai pas écrit à ces messieurs, car je pense recevoir une réponse d'eux lundi; en conséquence, il m'a paru plus convenable de ne pas se montrer trop pressé.
Le temps est toujours pluvieux. Cela est bien fâcheux pour ceux qui, comme tous les Vercellais, n'ont pas encore semé.
Recevez mes amitiés empressées.
CAMILLE DE CAVOUR.
XL VII.
26 octobre 1846.
Mon cher ami, Je vous écris deux mots, à la hâte, pour vous annoncer que la pluie continue sans interruption. Le mal causé par les inondations est immense. On compte que le Gouvernement et les Communes auront à subir une perte de plus de 10,000,000. Les pertes des particuliers sont incalculables. Malgré nos lamentations, on assure que le Piémont peut se regarder comme favorisé, relativement au Milanais.
Les environs de Pavie ont été abimés. Des villages entiers sont détruits, enfin c'est une 'désolation.
Beaucoup de maïs qui n'était pas retiré est perdu, ou du moins, fortement endommagé. De ce côté là, j'ai assez à souffrir. Le riz continue à hausser. Je vous manderai ce que Falco (1) aura fait mardi à Verceil. Si les communications se rétablissent, Pichiura commencera aujourd'hui ses achats.
Je vais voir Mr Abbene (2) le chimiste, pour le consulter sur les nouveaux échantillons de guano. Leur odeur est très-satisfaisante, ils empestent l'appartement.
J'ai appris qu'une Compagnie anglaise, propriétaire de grandes forges, se disposait à soumissionner la fourniture des rails.
Je n'ai rien reçu des D.
Mr Abbene j uge le guano des nouveaux échantillons fort bon, malgré le mélange de terre et d'humidité. Si Mr B.
(1) Agent du Comte de Cavour.
(2) Angelo Abbene, professeur de chimie à Turin.
voulait garantir la qualité sur ces échantillons, on pourrait aller jusqu'à 18 et 18,50 sans crainte.
En dernière analyse, on pourrait acheter sans garantie, à condition toutefois d'être libre de refuser toute partie dans laquelle l'humidité dépasserait le 25 p. %, ou la terre le 10 p.
Le guano, je vous le répète, est d'excellente qualité. Il contient beaucoup d'acide urique, qui est le plus précieux de tous les ingrédients. Ainsi, si on peut être assuré contre l'excès de terre ou l'humidité, on ne court aucun risque de l'acheter.
Croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
XL VIII.
9 novembre 1846.
Mon cher Emile, Je n'ai pas grandes nouvelles à vous donner aujourd'hui.
Pichiura a continué ses achats, mais pas en aussi grande abondance qu'il croyait. Les marchés sont assez bien fournis en maïs, mais on trouve à Chivasso difficilement de la marchandise en parfait bon état. Hier il a acheté à peu près 200 sacs de 3,8 à 3,11 ; en tout il a déjà 800 sacs. Le temps s'étant remis, il n'y a pas de chance que les prix haussent d'ici à quelque temps.
Je n'ai rien de positif de Saluces. J'ai déjà placé 200 q. m.
de guano ; mais je n'en ai pas fixé le prix, attendant pour cela de savoir si nous serons obligés d'écouler une forte portion du noir humide.
J'ai acheté 30 Obligations qui étaient déposées aux finanees, il me suffit, en conséquence, d'avoir 27,000 francs pour les retirer.
La Chambre de Commerce de Gênes a bien voulu m'accorder une médaille de vermeil, pour les mérinos que j'ai exposés au mois de septembre.
Pourriez-vous me faire l'amitié de la retirer, et de me l'envoyer par la première occasion ?
Je suis très pressé, aussi je vous quitte en vous renouvelant l'assurance de ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
XLIX.
11 novembre 1846.
Mon cher ami, Nos achats de maïs ne vont pas aussi vite que je le voudrais. Nous en avons cependant déjà plus de 1200 sacs, qui nous reviennent à peu près à 3,9 la minette. J'espère que dans la semaine nous compléterons les 2000 sacs. J'ai également acheté 200 sacs de riz, à 36 francs, profitant d'un moment de baisse à Verceil.
Aux prix ci-dessus, nous pouvons gagner peu ou beaucoup, mais il n'y a aucune chance de perte. Les pommes de terre ont manqué dans toutes nos vallées. J'ai eu à cet égard des renseignements positifs. La récolte des châtaignes a été, il est vrai, fort abondante, mais la qualité en est mauvaise et n'est pas susceptible de se garder.
On a fait dans cet article de forts achats pour le compte de maisons de Marseille. À Mondovi, un seul agent a acheté près de 4000 sacs.
Le blé augmente chaque jour, en France ; les dernières mercuriales de Paris indiquaient le prix de 30 et 31 frs.
l'hectolitre. C'est énorme, il y a une différence de 5 à 6 frs.
aves le prix d'ici.
Hier Mr H. M., chef de la maison A. M. de Moscou, s'est présenté chez moi avec une lettre de Mr L. de la
maison L. et V. Il vient pour soumissionner la fourniture des rails et coussinets du chemin d'Asti, au nom et pour le compte de la maison H. C. et fils de Liverpool. Il avait des lettres de crédit pour MM. Mestrezat.
Connaissez-vous la maison M. et la maison C. ? S'il me proposait de le cautionner, qu'en penseriez-vous ?
Veuillez me répondre sur le champ.
30 francs les 100 kilogrammes, pour le guano humide, c'est un prix énorme. Tant mieux si vous pouvez le réaliser, mais jamais je ne pourrai le demander à mes amis.
J'apprends à l'instant l'achat de 100 sacs à Saluces à 3,40.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
L.
Turin, 14 novembre 1846.
Mon cher Émile, Étant un peu souffrant, je me borne à vous écrire deux mots pour vous informer du résultat de l'adjudication.
Il n'y avait de concurrents sérieux que Mr S. et Mr M.
La soumission du premier n'étant pas conforme au cahier des charges, n'a pu être admise. Celle du second était régulière, mais il n'avait pas les modèles prescrits par le dit cahier. En conséquence, l'Intendant général a annoncé que l'enchère était renvoyée à un jour, qui serait fixé incessamment.
Mr S. est un charlatan, il s'est fort mal conduit envers vous puisqu'il a traité avec MM. N. sans vous avoir consulté. Ses prix, d'ailleurs, étaient excessifs, 11 L. 15 sh. à
Gênes. Mr M. est fort gentil. Si vos informations sur la maison C. sont d'accord avec les miennes, vous serez bien aise d'avoir à traiter avec lui. Il n'est pas besoin d'être
quatre ou cinq fois millionaire, pour traiter cette affaire.
La Maison anglaise a un traité avec le maître de forges, de sorte qu'elle ne risque que le frêt et le transport de Gênes à Turin.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LI.
Turin, 18 novembre 1846.
Mon cher Émile, Je vous écris deux mots avant de monter en voiture pour Léri. Hier j'ai eu une longue conférence avec Mr H. M., dans laquelle je l'ai vivement engagé à se rendre à Gênes pour conférer avec vous ; l'enchère étant remise à la fin de décembre, il a tout 'le temps de faire cette course, et même d'aller à Milan, où sa Maison de Moscou a de nombreuses relations.
J'ai dit à Mr M. que j'avais signé pour vous, et qu'ainsi, ses cautions étaient vous et MM. Duprè père et fils. Je pense qu'à l'heure qu'il est, vous savez à quoi vous en tenir sur la Maison C. Le chef de la Maison de Londres est consul de Belgique, et le chef de celle de Liverpool consul de Prusse. Cela vous prouve que, de toutes les manières, elle est extrêmement bien placée. Si, comme le pense Mr M. et comme je le considère comme probable, cette première affaire peut devenir un acheminement à des affaires beaucoup plus importantes, puisqu'il y a pour 20,000,000 de rails, au moins, à fournir en trois ans, vous verrez si vous pouvez le seconder dans ses opérations banquières.
Mr M. avait d'abord demandé à Mr Duprè d'être autorisé, une fois les connaissements des navires chargés de rails expédiés à leur adresse, de tirer sur leurs correspondants
de Paris. MM. D. n'y ont pas consenti et ils ne le pouvaient pas, car ils n'ont pas un crédit assez étendu pour cela. Mais il me paraît que vous pouvez le faire, moyennant certaines précautions, sans courir le moindre danger.
Dans les nouvelles enchères, la livraison des rails devra avoir lieu à Gênes. Cela simplifiera beaucoup les opérations et permettra à Mr M. de faire un rabais très considérable.
Rien de nouveau, en fait de céréales. Nos achats s'élèvent à près de 1500 sacs de maïs, de 5 minettes, et 700 sacs de riz. Mon ami de Saluces est parvenu à en acheter enfin 200 sacs à très-bon prix. À Chivas, les prix tendent à s'élever; je ne sais pas si nous pourrons continuer, je verrai cela aujourd'hui à mon passage.
Quant au guano, ne vous en inquiétez pas. Le pire qui puisse nous arriver c'est d'être obligés d'attendre dix mois pour le réaliser avec un honnête bénéfice, car je vois que le prix de cet engrais tend à hausser en Angleterre.
Mon cousin E. De la Rive devait partir aujourd'hui pour Gênes, il est retenu par une légère indisposition de sa fille.
Dès qu'il arrivera dans votre ville, il ira vous voir. Je vous le recommande de la manière la plus particulière.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LU.
Turin, 2 décembre 1846.
Mon cher anzi, J'ai reçu hier, après le départ du courrier, la lettre que vous m'avez écrite pour me communiquer les renseignements que Mr Odier vous a transmis sur MM. C. Je vous avoue que j'en ai éprouvé un vif chagrin, car, ainsi que vous, j'ai dans le jugement de Mr Odier une grande con-
fiance. Toutefois, je vois que rien n'est compromis; s'il s'agissait d'une affaire hasardeuse, certainement je serais un peu inquiet, mais l'affaire que ces Messieurs traitent est une affaire qui ne me paraît offrir aucun danger quelconque, pourvu que leur traité avec le maître de forges avec lequel ils sont en relations, soit sérieux. Quant à la solidité du maître de forges, elle ne saurait être douteuse, car, aux prix actuels, ces Messieurs gagnent des millions.
J'en étais là de ma lettre, lorsque MM. Duprè m'ont envoyé une copie d'une lettre qu'ils viennent de recevoir de MM. H. F. et C.; elle me paraît de nature à nous tranquilliser tout à fait, du moins pour ce qui regarde la fourniture de Turin à Asti. Nous ne sommes engagés à rien au delà. Encore nous n'avons plus d'engagements absolus, puisque l'enchère pour laquelle nous avions accordé notre signature, a été déclarée nulle. Toutefois, pour que Messieurs H. et F. leur ouvrent un crédit de L. St. 10,000 et les recommandent d'une manière si chaude, il faut que leur position soit à leurs yeux meilleure de ce que pense Mr Odier.
Au reste, MM. H. vous écriront directement, et vous saurez à quoi vous en tenir. Pour le moment il n'est question que de la fourniture de Turin à Asti, et nous sommes d'accord que nous pouvons la garantir sans crainte. Plus tard nous verrons.
J'espère être à même de vous envoyer dans quelques jours le compte des achats faits en compte social.
Pour le moment je n'ai nul besoin de fonds; si par hasard je me trouvais serré avant la réalisation de nos denrées, je recourrai à votre obligeance pour me couvrir des avances que j'ai faites.
Je reçois de tous côtés des demandes de guano, il est vrai en petites quantités, mais d'une foule de personnes que je n'aurais pas soupçonné friandes de ce précieux engrais. J'attends le compte final d'achat, pour fixer mes
prix. Vous comprendrez que toutes les personnes qui s'adressent à moi, agissent en toute confiance, je ne puis pas leur faire payer hors de proportion avec le guano Schaboë que j'ai fait venir de Liverpool.
Une fois que vous aurez soldé Baldoino, il faudra l'engager à faire venir un autre vaisseau de guano pour l'année prochaine. C'est un genre de spéculation où il est difficile de faire concurrence.
Veuillez me donner la note des frais que vous avez faits, tant à Liverpool qu'à Gênes, pour le guano et l'engrais venus par le John Hall.
Le prix des transports à Gênes a beaucoup augmenté, par suite du grand nombre de voituriers employés au transport des poutres qu'on emploie au tunnel des Gioghi.
Croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
LUI.
, Turin, 4 décembre 1846.
Mon cher Emile, Les renseignements si contradictoires que nous avons reçus à l'égard de MM. C. m'ont plongé, ainsi que vous, dans une grande perplexité. Je reconnais beaucoup de justesse de vue à Mr Odier, mais je crois qu'il est plutôt enclin à la sévérité.
D'autre part les renseignements de MM. H. et F. sont si positifs, leurs recommandations si pressantes, que je ne puis m'empêcher d'avoir confiance dans leurs protégés.
MM. H. sont vos parents et amis intimes, certes s'ils croyaient vous compromettre le moins du monde, ils ne vous auraient pas parlé des C. comme ils le font. Il est bien difficile qu'ils puissent se tromper de beaucoup sur les
moyens pécuniaires d'une maison qui fait un grand nombre d'affaires. Mr H.. ayant été vingt ans directeur de la banque, et en étant gouverneur depuis deux, doit connaître le poids de toutes les maisons de Londres. D'autant plus que la maison de cette ville s'occupe, presque exclusivement, d'affaires de banque. Quant à Mr T., vous savez que son opinion fait autorité dans le commerce. Il passe pour un des hommes les plus entendus, les plus délicats de l'Angleterre. C'est l'arbitre de tout le monde; enfin c'est une personne qui inspire une confiance illimitée. D'après cela, je vous avoue que je suis plus disposé à pencher du côté de Mr Odier. Toutefois, l'avis que vous avez reçu, doit nous engager à agir avec une grande prudence et nous donne le droit de suivre de près l'affaire, afin d'empêcher que MM. C. ne s'engagent au delà de leurs moyens.
Si MM. C. ont derrière eux des maîtres de forges du pays de Galles, il n'y a rien à craindre, ni pour eux ni pour nous; car ces Messieurs sont maintenant immensément riches, et chaque jour ils le deviennent davantage.
Mr M. m'a montré une lettre du gérant de la compagnie, si je ne me trompe, adressée à sa maison, par laquelle la dite compagnie s'engageait à livrer à MM. C. tous les rails dont ils avaient besoin pour soumissionner la fourniture du chemin de fer de Turin à Asti, et de les indemniser de toutes les pertes qui auraient pu être causées par le refus des rails, ou par la garantie de deux ans que présentent les soumissionnaires. En un mot, cette lettre, qui m'a paru pouvoir être considérée comme un véritable contrat, mettait la maison C. à l'abri de tous risques, hors ceux que pourraient lui faire courir l'élévation du frêt ou celui des transports de Gênes à Turin. Or sur ces deux articles Mr 31. s'était réservé une marge qui lui garantissait un bénéfice assuré.
Je pense donc, en résumé, que pour le moment nous pou-
vons aller de l'avant pour ce qui regarde la fourniture des
rails de Turin à Asti. Nous avons le temps de concerter ce que nous ferons pour les autres fournitures qui n'auront lieu que d'ici à quelque temps.
MM. C. sont très liés avec les P. W. de Paris. Si vous pouviez les faire interpeler par quelqu'un de sûr, nous serions mieux fixés à leur égard.
Mr M. reviendra peut-être à Turin avant d'aller à Gênes.
Il veut savoir à quoi s'en tenir sur l'époque de l'adjudication, qui ne paraît pas fixée d'une manière absolue.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LIV.
Turin, 16 décembre 1846.
Mon cher Émile, J'ai commencé hier une lettre pour vous, qu'il ne m'a pas été possible de finir, tant j'ai été interrompu. Mr M..
est arrivé avant hier de Milan, où il à été retenu par le désir de traiter avec MM. 0. et B. et B. pour la fourniture du chemin de fer de Côme. Les maitres de forges avec lequels sa maison est en relations, sont MM. W. W.
and Co, South Wales.
Les dits maîtres de forges ont écrit à C., après la dernière adjudication, pour renouveler l'engagement qu'ils avaient pris pour le mettre à même de soumissionner les rails et coussinets du chemin de fer d'Asti. Seulement, ils demandent une conférence pour fixer le prix, à raison de la difficulté qu'ils éprouvent à confectionner le trait de Jupiter que M. exige. J'ai vu cette lettre, il ne m'a pas paru nécessaire d'en demander copie.
Mais, comme notre engagement avec Mr M. n'est pas absolu, il est bien entendu que nous ne prêterons la eau-
tion qu'il réclame, qu'autant que nous serons convaincus qu'il a tous les moyens d'exécuter ses engagements. Nous devons nous réserver le droit d'exercer un contrôle moral sur toutes ses opérations.
Il est certain que si, par crainte de la concurrence, Mr M.
fixait des prix trop bas, je me refuserais à lui servir de caution.
Le maitre de forges et Mr M. ont déclaré qu'ils ne pouvaient pas accepter la garantie pendant deux ans des coussinets. En effet, les coussinets étant de leur nature fragiles et sujets à la casse par suite de mille accidents indépendants de la qualité de la fonte, il est absurde de vouloir mettre à la charge des soumissionnaires leur manutention pendant deux ans. La garantie réduite aux rails, se réduit à peu de chose, car comme on ne forcera pas à la réexportation les rails effeuillés, il n'y aura pas une perte bien forte sur leur revente comme vieux fer.
En effet, j'ai vendu il y a quelque temps, à des marchands de Turin, francs 30 les 100 kilos, soit 300 francs la tonne, des vieux rails du chemin du Bourget.
Mr M. vous écrira ce matin. Quelques personnes songent à remettre en avant l'établissement d'une banque à Turin. Je pense que ce serait une très bonne affaire, car nous avons ici bien plus besoin qu'à Gênes, d'un établissement d'escompte.
D'ailleurs le public se montre très favorable aux billets.
Ceux de la banque de Gênes circulent avec la plus grande facilité, et je suis persuadé que s'ils n'étaient pas recherchés comme une remise commode, il y en aurait à Turin beaucoup plus que chez vous.
J'ai déclaré aux personnes qui sont venues me proposer cette affaire, que pour m'en mêler je voulais y avoir une large part, que s'il s'agissait de réunir tous nos banquiers je ne voulais pas en entendre parler.
Veuillez réfléchir à ceci et ensuite me faire connaître
vos intentions et celles de MM. Ricci, si vous jugez à propos de leur en parler.
J'ai vendu hier 10,000 kilos de guano à mon ami le marquis Alfieri.
Le calme continue sur nos marchés. Les boulangers, quoique presque depourvus de fonds, s'obstinent à ne rien acheter, par crainte des changements qui doivent avoir lieu au commencement de l'année.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LY.
22 décembre 1846.
Mon cher ami, Votre lettre du 19 ne m'est parvenue que ce matin.
Mr M. m'avait lu la copie de la lettre qu'il vous a adressée avant de partir de Turin. Votre réponse me paraît tout à fait bien, seulement je trouve la commission que vous lui demandez un peu élevée. Vous aurez le temps, si vous jugez comme moi, d'en rabattre quelque chose.
Je vous engage fortement à venir à Turin pour l'adjudication, nous nous entendrons bien mieux de vive voix que par écrit. Vous devriez arriver ici le 10 ou le 11 janvier.
Je vous ferai préparer une bonne chambre chez Feder et nous tâcherions de vous faire passer le temps agréablement.
Dans l'espoir de vous voir, je ne vous rapporte pas une longue conversation que j'ai eue avec Mr M., dans laquelle je lui ai parlé avec la plus entière franchise. J'ai été fort satisfait de ce qu'il m'a dit.
Je vous ai mandé hier, que le ministre de l'intérieur a fini son travail sur Savigliano. Malheureusement Pampara
a dû partir à la hâte pour ses terres, mais il sera de retour samedi, et dès-lors il se mettra aux trousses de Revel. Je lU' en vais pousser les partisans de la banque.
Il fait un temps affreux. La neige succède à un froid de huit degrés. Cela arrête les communications.
Croyez à ma bien sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
LVI.
Turin, 27 décembre 1846.
Mon cher ami, La lettre que votre maison m'a écrite le 24, ayant été lllise à la poste après le départ du courrier, je ne l'ai reçue que hier au soir, trop tard pour vous répondre de suite.
Je m'empresse de vous raconter en détail ce qui s'est passé entre Mr M., MM. D. et moi. MM. D. se sont engagés ainsi que Mr M. vous le mande, à faire la caution, surveiller le débarquement des rails, l'épreuve à laquelle ils doivent être soumis, ainsi qu'à encaisser la valeur des dits rails, lUoyennant une commission de 3 p. Je vous dirai que s agissant d'une affaire de 3 a 4 millions, qui doit se réaliser dans six mois (voyez le cahier des charges), je n'ai pas cru qu'on pût exiger une commission plus élevée. D'ailleurs je lle crois pas qu'une affaire de ce genre pût supporter de plus grands frais.
, Lorsque MM. D. m'ont prié avec instance de m'associer a eux pour garantir Mr M., j'ai déclaré que je n'y consentirais qu'autant que ces Messieurs, se chargeraient de 1 entière surveillance de l'affaire. Ces Messieurs, après m'avoir offert un tiers de la commission, sont venus d'eux-mêmes 111 en offrir la moitié, et là-dessus j'ai signé.
Notez que dans la première soumission, les livraisons et
les épreuves devant avoir lieu à Asti et Turin, il n'y avait à peu près rien à faire à Gênes. Les navires devaient être adressés à une maison d'expédition, Brambilla, Cabella, ou autre, qui devaient soigner le débarquement et la réexpédition pour les lieux de destination définitive. MM. D.
l'ont si bien entendu ainsi, qu'ils se sont associé un certain Paracca qui est très au fait des fournitures à faire au gouvernement.
Maintenant, si la livraison et les épreuves se font à Gênes, et que ce soit vous et non MM. D. qui surveilliez les différentes opérations auxquelles l'affaire donnera lieu, notre position avec ces Messieurs change tout-à-fait. L'intervention de P. devient inutile et la proportion dans laquelle se divisera la commission, doit changer. Je suis prêt pour ma part, à renoncer en votre faveur à telle partie de mes 3/4 que vous jugerez convenable. MM. D. devront, il me semble, se contenter de moins. Toutefois comme ils auront à faire bien des démarches auprès du Gouvernement, il conviendra de les traiter mieux que moi qui dans tout ceci joue un peu le rôle de la cinquième roue du char. Je serais d'avis de diviser la commission ainsi:
Messieurs Duprè 1 pour 100, vous 1 4/s 100, moi Va 100.
Dans ce cas, je ne signerais pas la soumission, mais je m'engagerais envers vous pour la moitié de la caution que vous prêteriez.
Pour le moment, notez que je ne suis pas engagé définitivement avec les Dupré, que les termes du contrat ayant changé, je peux exiger d'autres conditions; Mais tout ceci ne peut se traiter par lettre, il faut absolument que vous veniez à Turin du 9 au Il janvier.
Quant à la commission pour le crédit à ouvrir chez H., il me paraît que vous pourriez la fixer à 4/2 ; vous auriez
ainsi 2 pour 0/0' ce qui sur 3,000,000 fait 60,000 francs à réaliser en six mois.
Au reste, je suis disposé à faire tout ce qui vous arrangera le mieux, même à renoncer à cette affaire, à laquelle je ne tiens que médiocrement.
Recevez mes vœux pour le nouvel-an et croyez-moi à jamais votre bien dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
LVII.
Turin, 28 décembre 1846.
Mon cher ami, Je vous ai écrit hier une longue lettre sur l'affaire des rails, je n'ai rien à y ajouter puisque vous me promettez d'en venir causer avec moi dans quelques jours. Quant au chemin de Pignerol, je puis vous dire en toute sûreté, que Rorà n'a pas obtenu la faculté d'émettre des promesses d'action. On lui a dit: cherchez des fonds et alors nous vous donnerons la concession que vous demandez. Vous comprenez que c'est bien différent. D'ailleurs, ici le chemin de Pignerol est peu populaire. Les personnes qui mènent cette affaire n'inspirent pas de confiance, d'abord parce que parmi elles, il n'y a pas d'hommes véritablement sérieux, De Fernex n'y étant que pour la forme, ensuite parce qu'entre tous les fondateurs, ils n'ont pas fourni 100,000 francs. Rorà lui-même, ne compte pas y mettre plus de 10,000 francs, sauf le cas où il bénéficierait sur la vente des actions. Valerio est un utopiste gorgé d'amour-propre et de vanité, que Bertini a mis à la porte. Enfin il n'y a Personne capable de conduire à bien cette affaire.
En elle-même, je la crois très médiocre. Primo, parceque le chemin de Pignerol aboutit dans un cul de sac; en
second lieu, parcequ'il y aura des pentes très considérables.
L'ouverture du mont Genèvre est une circonstance favorable à ce chemin; mais si jamais on fait le chemin de Suse, comme on paraît fermement décidé à le faire, personne ne passera par Fénestrelle et Pignerol pour aller en France.
D'ailleurs, les communications avec l'étranger, sauf quelques cas très extraordinaires, influent peu sur la prospérité d'un chemin de fer.
À la hâte, croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
LVIII.
2 janvier 1M7.
Mon cher ami, Je conclus de tous les renseignements que vous avez recueillis sur MM. C. et M. W. W., qu'il faut agir avec une extrême prudence, c'est à dire qu'il faut s'assurer qu'ils ne s'engagent pas imprudemment avec notre gouvernement.
Quant à la fourniture de Turin à Asti, si nous ne garantissons pas les coussinets, nous ne courons aucun danger.
MM. W. peuvent fort bien fabriquer 7000 tonnes de rails, en un an, et si ce sont des honnêtes gens, les C. peuvent être parfaitement tranquilles à leur égard, car au prix actuel des rails, ils gagnent beaucoup d'argent. Avant de nous engager plus avant, nous avons le temps de nous concerter. Je pense que nous pourrons nous adresser une seconde fois à Mr. H., en lui expliquant en détail ce dont il s'agit.
MM. C. de Londres, faisant spécialement la banque, il est impossible que H. ne les ait pas pesés à leur juste
valeur, depuis le temps qu'il est initié aux mystères de la banque d'Angleterre.
D'ailleurs, je ne crois guère probable une hausse dans le prix des rails. Il va y avoir un temps d'arrêt dans les entreprises de chemin de fer, qui donnera temps aux usines qui s'élèvent de toutes parts, de venir faire concurrence aux maîtres de forges actuels.
De toutes les manières, il est indispensable que vous veniez à Turin.
Je répondrai lundi à votre maison. Au revoir, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LIX.
Turin, 1 février 1847.
Mon cher Émile, Je réponds deux mots, à la hâte, à votre lettre du 30, qu'on me remet à l'instant.
Attendez pour vendre à livrer, que je me sois assuré des voitures; les 706 sacs que nous avons achetés a 36 francs sont dans le Vercellais. Je ne puis compter, pour les faire partir, sur les moyens dont on dispose à Turin.
Je m'en vais toujours donner l'ordre à Badino, de continuer à vous expédier les riz qu'il a achetés.
Ceux-ci vous arriveront en sacs, ce sera le cas de les vendre sur le champ; les autres, c'est à dire ceux de Beltrani, arrivant en balles de 5 émines, il doit y avoir une grande économie à les envoyer à Marseille.
Recevez, à la hâte, mes compliments empressés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LX.
, 2 février 1847.
Mon cher Emile, Vos craintes ne se sont que trop réalisées: Le gouvernement a défendu la sortie du blé et du maïs, et frappé celle du riz d'un droit de 4 francs le quintal. Nous voilà pris. Cependant il ne faut pas trop se désoler, d'abord parceque plaie d'argent n'est pas mortelle, ensuite parcequ'il se peut que nous nous en tirions encore sans perte et même avec quelques légers bénéfices.
Yoilà 2000 sacs qui sont atteints par la mesure du gouvernement ; c'est 8000 francs qu'il prend dans nos poches.
Maintenant, mon opinion est qu'il ne faut pas vendre sous l'impression que produira la mesure qui a été adoptée.
Pour ce qui regarde Turin, on regagnera sur le prix de la voiture ce que l'on perd par le droit. En effet, les expéditions de blé et celles de maïs, pour la Suisse et même pour la France, étaient fort considérables. Elles avaient contribué à faire monter la voiture pour Lyon et Genève, au prix excessif de 11 francs par balle de 72 kilos. Je crois que lorsqu'on n'aura plus à expédier que du riz, la voiture retombera à 8 francs, si ce n'est au dessous, car le prix
moyen est de 5 francs l'été, et 6 francs l'hiver.
Je crois que le riz augmentera à Lyon et à Genève. Je ne sais pas ce que diable ces pauvres génevois mangeront.
Ils vont être obligés d'acheter du blé à Gênes ou à Marseille; or ce blé leur reviendra à 11 ou 12 francs l'émine à Genève, pour le moins.
La Savoie sera forcée de manger du riz, le blé y est à 9 francs l'hectolitre et l'on n'en trouve plus.
En Piémont, je m'attends à une forte hausse sur le blé,
ainsi donc je ne crois pas que le riz baisse au point de nous constituer en perte.
Mais comme chat échaudé craint l'eau froide, je pense qu'il faudrait nous assurer contre une nouvelle hausse de droit. Mon avis en conséquence serait d'expédier à Marseille, ou même à Londres, une partie de nos riz. L'emballage vous convient, je ferai mettre en sacs nos riz et je vous les adresserai petit à petit. La baisse de la voiture nous dédomma-, gera du droit. Si l'on baisse à 4 francs, il y aura 30 s.
de gagnés et le droit ne nous coûtera plus que 50 s.
J'attendais Davidy ces jours-ci, mais comme vous ne me parlez pas de son départ, je pense qu'il l'a ajourné. Je crois que j'irai samedi à Leri.
Dites-moi si je dois vous envoyer des billets, comme ceux que j'ai signés dans le temps, à la requête de Davidy. Je pense que dans ce cas vous enverrez des instructions à Mr Long.
Mon père a la grippe, il vous remercie d'avoir pensé à son vin de Marsala.
Ne vous découragez pas. Que voulez-vous, nous avons eu un moment d'entraînement.
J'ai débité à peu près toute ma cargaison de guano Baldoino, il ne m'en reste plus que 30,000 kilos à Gênes. Je commence à penser pour l'année prochaine. MM. Melwisch et De la Rüe m'ont écrit de Liverpool; avant de leur donner un ordre définitif, je voudrais savoir si Baldoino a effectivement expédié un bâtiment au Pérou et si Graffigne est en voie d'arriver.
Vos renseignements à ce sujet, m'obligeraient beaucoup.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
Mardi 10 heures.
Je rouvre ma lettre pour ajouter le reçu de Beltramo.
Les nouvelles de Verceil indiquent une forte hausse.
Ici les négociants suisses ne paraissent pas découragés.
Mon courtier m'assure que MM. Bolens et Dutoit (1) ont maintenu une offre de 7,45 la minette, pour un riz marchand, première qualité.
Une quantité de maïs avait été achetée pour l'exportation.
On croit qu'on continuera à expédier à Gênes, pour les besoins de la consommation locale.
Il faut donc attendre, payer le droit et mettre nos riz en lieu sûr.
De nouveau mille amitiés.
LXI.
13 février 1847.
Mon cher Éntile, J'arrive à l'instant de Verceil, transi de froid. Je m'empresse de vous écrire deux mots pour vous mettre au courant de ce qui se passe. Le riz, à Verceil, était faible, on ne faisait 40 francs que pour les qualités supérieures. Les maïs et les blés au contraire très-bien tenus. Les riz à Turin se vendent beaucoup mieux, mais la difficulté est de les faire arriver ici. J'ai voulu payer 8 francs l'émine, on les a refusés; il est vrai que les chemins dans l'intérieur du Vercellais sont atroces, il n'est pas possible de s'en tirer sans l'aide des boeufs. J'ai d'excellents chevaux qui bravent la boue et je puis envoyer charger nos 700 sacs, mais il faut que je combine mes voyages avec les besoins de l'agriculture. Cependant, pour en finir, je vous offre de me charger de toute la partie à 40 francs, valeur 10 mars.
Si vous acceptez, je vous créditerai de 28,000 francs, valeur 10 mars, et vous créditerez de pareille somme le compte denrées.
(1) Négociants suisses à Turin.
Savigliano marche. Revel a fini son examen, maintenant il passera au premier conseil de conférence.
M. ne sait rien encore, mais je doute qu'il l'emporte sur C.
Je vais commencer à faire vendre une partie des maïs achetés dans la province de Saluces.
Lundi j'enverrai à Davidy le compte d'achat des 1160 sacs achetés de compte à demi.
J'ai promis à Badino de lui remettre 3000 à peu près sur vous. Je verserai ce que j'ai de disponible, chez Monsieur Long.
A la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXII.
18 février 1847.
Mon cher Émile, Je n'ai pas répondu hier à la lettre que Davidy m'a écrite, craignant que ma réponse ne le trouvât plus à Gênes. Il me disait qu'il comptait acheter des riz sur la place pour diminuer le prix de revient des 660 sacs que Badino nous a achetés. S'il l'a fait ou s'il vous a chargé de le faire, je désire que ce soit toujours pour compte à demi. Je persiste à avoir bonne opinion de l'article. Les besoins sont trop généraux et trop réels pour qu'il y ait chance de baisse d'ici à la récolte. D'ailleurs, les prix de Gênes, si tant est que vous puissiez acheter à 24,50, sont relativement bien inférieurs aux nôtres.
J'ignore encore le résultat du marché, mais je viens d'apprendre qu'il y a eu des troubles sérieux à Sesto et au Borgo Ticino. La population lombarde s'est opposée avec violence à l'exportation du blé vers le Novarais. Des bar-
que sont été pillées, des violences commises. Si après cela, l'Autriche défend l'exportation, il y aura une hausse marquée dans le blé, car le Novarais en est dépourvu. Il devra acheter à tout prix à Gênes, et vous monterez en conséquence.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXIII.
, 20 février 1847.
Mon cher Emile.
J'ai eu le plaisir de voir Davidy deux fois depuis son arrivée ; nous avons beaucoup causé de nos affaires sociales.
Il persiste dans ses idées de hausse et, ma foi, tout me porte à croire qu'il ne se trompe pas, surtout pour ce qui a rapport au blé, dont le besoin se fait sentir chaque jour davantage.
Les troubles dont je vous ai parlé, sur le Lac Majeur, ont été fort graves. Il y a en plusieurs magasins de pillés.
La police autrichienne a agi avec une grande mollesse.
Maintenant on croit que la sortie de la Lombardie sera prohibée. Cela produira un contre-coup à Gênes, parceque les Ticinois seront obligés de vous acheter à tout prix, et qu'il y aura des besoins dans les vallées qui bordent le lac.
D'après les avis de Davidy, j'ai suspendu la vente des maïs.
Je ne sais pas encore ce qu'on fait à Saluces, où j'avais écrit de vendre quelque chose.
Rien de nouveau au sujet de la banque de Savigliano et des rails. Avouez que l'on nous administre d'une singulière façon.
Recevez mes amitiés empressées.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXIV.
, 25 février 1847.
Mon cher Emile, Une course à Santena m'a empêché de vous répondre ces jours-ci. Les nouvelles que vous me donnez s'accordent avec les opinions de Davidy. La hausse n'a pas atteint ses dernières limites. Nos marchés commencent à se ressentir des craintes qu'inspirent les demandes qui nous arrivent de tous les pays de montagne, de la Savoie en particulier.
Nous sommes maintenant exposés à avoir une panique d'un moment à l'autre. Hier on demandait 8 francs des plus beaux blés. Aujourd'hui on ne sait pas ce qu'on les payera.
Le maïs suit le mouvement. Pichiura aurait pu réaliser toute notre partie à 4 L. 14 s. Il pense qu'on ira a 5 L.
Le riz demeure stationnaire. Cependant je crois qu'il y aura une reprise, car la Suisse ne pouvant tirer du blé de chez nous, est forcée à nous en acheter.
Je finirai ma lettre après le courrier.
Le marché a été faible, les riz ont baissé de deux à trois sous. Les maïs stationnaires, les blés bien tenus.
Recevez mes compliments empressés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXV.
, 26 février 1847.
Mon cher Emile, Le gouvernement a fini par prendre une grande détermination relativement aux rails. On renonce complètement au trait de Jupiter!!! (1).
(1) On nomme ainsi (en italien Saetta di Giove) un procédé employé souvent, pour relier l'une à l'autre, deux poutres, au moyen de deux cercles en fer et d'un coin qu'on enfonce dans un petit espace laissé libre entre les deux poutres, et donnant ainsi, à la jointure, par la Pression qu'il y exerce, une beaucoup plus grande solidité.
Demain ou après demain, on appellera les représentants des soumissionnaires et l'on engagera à traiter la fourniture d'ici à Poirino, 2000 tonnes à peu près, les rails étant portés de 30 à 34 kilos par mètre courant et l'angle droit étant substitué au fameux trait de Jupiter.
Ensuite on publiera immédiatement l'annonce de la fourniture des rails de Poirino à Novi, plus de 20,000 tonnes qu'on adjugera à Pâques.
Je n'ai pas encore vu M., j'ignore quel parti il va prendre.
Je compose dans ce moment un long mémoire pour persuader à Revel de nous permettre d'établir notre banque à Turin.
Vous êtes véritablement féroce en fait de subsistances.
Diable, il me paraît que nous sommes déjà bien bénis. Je pense qu'à 5 francs nous pourrons vendre sans regret.
Nous avons du temps devant nous pour le guano, car la saison de le répandre sur les prés approche, et s'il n'était disponible que dans un mois, on ne pourrait plus l'employer que pour le maïs.
Excitez Baldoino à agir pour une autre année. Aux prix actuels il n'y a rien à faire avec l'Angleterre.
L'ami Golzio me propose un intérêt dans l'achat d'une forêt (la superficie bien entendu). Il prétend que ce sera une affaire excellente. Ses calculs, en effet, offrent une très grande marge.
Qu'en pensez vous? Il s'agit d'une avance pour la part qu'on m'offre, de 20,000 francs au plus.
Répondez-moi et croyez à ma sincère amitié.
Le courrier Simon a rencontré Davidy en très bon état à Chambéry, un peu ennuyé seulement, d'avoir dû démonter sa voiture sans trop grande nécessité (1).
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Pour traverser la montagne en traineau.
LXVI.
27 février 1847.
Mon cher ami, Au point où en sont le choses, je crois que les plus habiles n'en savent guère plus que les moins. Vous dire si les blés hausseront, c'est ce que je ne saurais faire, car je n'en sais rien moi-même. Les prix actuels me paraissent déjà bien élevés. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'un certain nombre de spéculateurs se sont décidés à vendre et la hausse a été arrêtée. Sera-ce momentanément? Ce mouvement ascendant reprendra-t-il dans dix ou quinze jours?
C'est bien possible, car je crois que les réserves des propriétaires sont fort dégarnies. Je crois bien qu'il n'y a nul
danger à attendre, mais je ne voudrais pas laisser passer tout le mois de mars, sans réaliser quelque chose.
J'ai lieu de croire que l'on n'augmentera pas le droit de sortie pour le riz. Le ministre des finances, sans vouloir prendre d'engagements positifs à cet égard, a cependant déclaré à l'ambassadeur de France, de la manière la plus positive, que le gouvernement n'y songeait nullement.
Il paraît que les fers de M. ont été trouvés forts bons.
On les a jugés préférables à ceux de S. Jusqu'à présent on n'a rien publié à l'égard des rails. On suit à ce sujet une marche bien extraordinaire. Que voulez-vous, il faut s'armer d'une patience inépuisable.
Nous avons arrêté ce matin un projet de mémoire sur la banque, ainsi que des statuts. Nous avons décidé de demander à N. sa signature, c'est un sacrifice fait au préjugé qui existe en faveur de cette grande nullité. Je doute fort que nous réussissions. En tout cas, le succès ne sera pas prompt.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXVII.
12 mars 1847.
Mon cher ami, J'arrive de Léri. Je n'ai encore vu personne. Je sais que l'enchère des rails jusqu'à Poirino est fixée au 32 courant et celle jusqu'à Novi, au 4 mai. M. sera furieux. Mais que faire? Il y a une recrudescence de froid incroyable.
Nous avons de la glace tous les matins. Cela n'est guère bon pour la campagne. Si les blés n'en souffrent pas, certainement la récolte sera notablement retardée.
Les prix ont une tendance à la hausse. Veuillez m'envoyer la cote des changes, car j'aurai incessamment de l'argent à vous remettre.
Je vous écrirai au long lorsque j'aurai parlé a tout le monde.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CA VOUR.
LXVIII.
16 mars 1847.
Mon cher Emile, Le temps m'a manqué hier pour vous écrire. On m'avait d'ailleurs fait espérer jusqu'au moment du départ du courrier, du papier qu'on n'a pas pu me procurer. Je n'ai pas voulu envoyer mes fonds chez MM. Long, car il m'a paru, d'après les cours des changes, qu'il leur était presque impossible de vous faire des remises sans perte.
Golzio est revenu enchanté de vous. Il rumine l'affaire des traverses et il espère parvenir à traiter directement avec le gouvernement. Il peut y avoir là énormément d'argent à gagner, car personne dans le pays ne peut nous faire concurrence. J'ai grande confiance en Golzio ; sous une écorce un peu grossière, il cache une grande finesse et Une grande habileté. Si vous persistez dans l'intention que vous m'avez plus d'une fois manifestée, de tourner vos regards vers le Piémont, vous trouverez dans Golzio un auxiliaire inappréciable.
A ce propos je dois vous adresser une question, comme à mon ami Emile, et non comme au chef de la maison De la Rue frères. Dites-moi franchement si, lorsqu'une affaire avantageuse se présente, je puis toujours compter sur votre concours soit comme associé, soit comme bailleur de fonds, et dans ce cas à quelles conditions ? Si vous me répondez afifrmativement, je n'entreprendrai rien sans vous en faire Part et vous laisser l'option d'agir en compte à demi. Je sais bien que dans ce moment, il y a beaucoup de chair au feu; mais d'un autre côté, lorsque vous aurez réalisé vos belles affaires en céréales, vous aurez bien des fonds disponibles, et il sera peut-être prudent de ne plus toucher à l'article blé de quelque temps.
L'affaire de la banque a été retardée par la maladie de Mestrezat. Toutefois elle a avancé, sous ce rapport que nous avons obtenu l'adhésion de Nigra, à laquelle le gouvernement attachait une haute importance. J'ai bon espoir de voir l'affaire réussir.
Le ministre de l'intérieur a nommé une commission pour discuter les conditions de la concession du chemin de Savigliano. Nous espérons arriver à une solution quelconque de cette interminable affaire.
J'écrirai demain à votre maison.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXIX.
Turin, 18 mars 1847.
Mon cher ami, Voici les explications que je vous ai promises sur l'affaire des traverses.
Le gouvernement a besoin, pour le chemin d'Asti à Gênes, de 235,400 traverses de bois. Il a cru qu'il les trouverait facilement dans le pays. En effet, dans une première adjudication, un propriétaire qui possède de nombreuses forêts, en a soumissionné 80,000 destinées au premier tronc d'Asti à Turin, au prix de francs 8, si je ne me trompe. Depuis cette époque, c'est à dire depuis six mois, il a vainement tenté de nouvelles enchères. Toutes sont restées sans résultat.
Dans ces entrefaites, une maison de votre ville, qui possède, à ce qu'il paraît, des forêts en Corse, s'est paraît-il adressée à Golzio pour transmettre des offres au gouvernement. On les a d'abord repoussées, mais les résultats de plusieurs enchères successives ayant ouvert les yeux du gouvernement sur la difficulté de se procurer le bois dont il a besoin, on a fait dire a Golzio qu'on était prêt à traiter. C'est alors que celui-ci a été à Gênes, pour s'entendre définitivement avec la maison dont je vous ai parlé. Il s'est aperçu je crois, qu'elle n'était pas en mesure de faire cette affaire qui exige des capitaux et une certaine capacité, dont il paraît que cette maison manque également. Pendant son séjour à Gênes vous lui avez parlé d'une offre d'un de vos amis de Venise, de 50,000 traverses. Cela lui a donné l'idée de traiter cette affaire avec vous. Toutefois, avant de vous faire une proposition pour la fourniture entière, il a voulu être dégagé tout-à-fait avec la première maison, ce qui aura lieu, je pense, dans quelques jours.
Après cet historique, venons à l'affaire en elle-même. Le gouvernement, vous ai-je dit, a besoin de 235,000 traverses en mélèze ou en chêne. S'il s'agissait de les livrer à Gênes, l'affaire serait facile, mais il faut les livrer à Asti, Alexandrie, Novi et Gênes. C'est ce qui éloigne les personnes qui ne sont pas au fait des grandes entreprises.
Le projet de Golzio serait celui-ci ; acheter dans le pays ce qu'il faut pour Asti et Alexandrie, tacher de faire venir par le Pô, ce qui est nécessaire pour Novi, et se procurer en Corse ou en Sardaigne, ce qu'on serait autorisé à donner à Gênes. Si l'on parvenait à réaliser cette idée, on obtiendrait un bénéfice énorme, au moins 500,000 francs.
Ainsi que je vous l'ai dit, personne n'est aussi bien placé que Golzio pour traiter. Le ministre a autorisé l'intendant général a traiter de gré à gré avec lui. La première condition qu'il exigera, sera que les payements se fassent au Moment même de la livraison; cela réduira de beaucoup les avances. J'ai écrit à Arona et dans plusieurs autres localités où je sais exister des bois. Nous ne déciderons rien sans être sûrs de notre affaire, et tenez pour base qu'à moins d'un bénéfice de 500,000, nous nous tiendrons cois.
Quant aux fonds, je pense qu'une avance de 300,000 francs sera suffisante. D'ailleurs, je pense qu'avec des traites signées Par Golzio, vous et moi, nous trouverons toujours de l'argent à Gênes.
Adieu, mille amitiés.
Votre tout dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
LXX.
Turin, 22 mars 1847.
Mon cher ami, Eh bien! l'ami M. à été enfoncé. S. a soumissionné les rails à 269,10, tandis qu'il demandait 288. A vous dire vrai, j'ai été fort content que M. ait demandé un prix raisonnable. Celui de S. ne l'est pas; et si je ne savais pas par vous, que la maison L. est fort solide, j'en prendrais une mauvaise opinion. M. était fort démonté, de sorte que j'ignore ce qu'il fera pour l'enchère du 3 mai. Il est possible que les L. aient misé à perte, pour éloigner les concurrents le jour de l'enchère principale. Pour le moment donc je considère l'affaire des rails comme finie. Je ne la regrette pas outre mesure, ayant d'autres choses en vue.
Grolzio vous a écrit relativement aux traverses. Il n'a rien de positif avec les Génois, seulement il leur a déclaré qu'il ne se considérait engagé avec eux que pour ce qui avait rapport aux bois de la Corse. Ces messieurs sont partis pour le Lac Majeur. Je ne sais pas quand ils reviendront.
En attendant, je m'occupe d'organiser une fabrique d'engrais, une espèce de guano. Ces genres d'établissements ont eu en Angleterre un grand succès. Pour qu'il soit complet il faut qu'une semblable fabrique soit unie à une fabrique de produits chimiques. Il y a deux fabriques de ce genre dans les environs de Turin, une appartenant à M. Rossi, apothicaire très achalandé, et l'autre à Mr Schiaparelli, homme d'une grande intelligence. Je travaille à les fondre en une seule, qu'on monterait sur une échelle assez étendue. Mr Rossi est un commerçant d'une grande prudence et d'une grande régularité. Il est assez riche.
Schiaparelli est certainement le Piémontais qui a le plus de connaissances et d'habileté pour la chimie industrielle.
Il a monté une fabrique de phosphore qui certainement est sans rivale en Italie ; mais il a peu de fortune. Le peu qu'il possède il l'a gagné à la sueur de son front, car il a commencé avec rien. Je crois que ce genre d'industrie est le plus productif qui existe, surtout si, avec les débris non utilisables pour les arts industriels, on parvient à fabriquer des engrais. Nos agriculteurs ayant pris goût au guano, achèteront plus d'engrais artificiels que nous n'en pourrons fabriquer.
On me propose d'y mettre 50,000 francs et l'on m'assure le tiers net des bénéfices, de plus, Rossi et Schiaparelli s'engagent à ne rien entreprendre sans mon approbation.
Si vous désirez un intérêt dans cette affaire, je vous le céderai bien volontiers, autrement vous serez notre banquier à Gênes, et nous vous ferons acheter les nitrates de soude, les graisses et les autres objets dont nous aurons besoin.
Ces messieurs ont pour correspondants à Marseille, MM. C.
Père et fils et MM. C. e J. Vous m'obligerez en prenant (les informations sur le compte de ces deux maisons.
Dites-moi également si le papier sur Gênes se fait bien a Marseille. Dans ce moment le Marseille étant très bas chez vous, le Gênes doit bien faire à Marseille, mais peutêtre les 50,000,000 de ce bon empereur de Russie vont changer la position et ramener les écus sur les places Maritimes.
* Il est tombé pendant deux jours une pluie bienfaisante qui a fait beaucoup de bien à la campagne. Je ne sais si cela influera sur le cours des céréales. Je désire que cela arrête la hausse qui menaçait de faire à chaque marché de Nouveaux progrès. Quant à amener de la baisse, je ne le crois gUère possible, attendu que les achats pour la Savoie continent sans interruption. Les voitures sont devenues plus
nombreuses et moins chères, de sorte que c'est énorme ce qui part chaque jour pour Suse et le Mont-Cenis.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXXI.
, 29 mars 1847.
Mon cher Emile, Hier nous avons eu une conférence avec la commission nommée par le gouvernement pour traiter avec la compagnie de Savigliano. La discussion a porté sur les points suivants : 1°) Durée de la cession. Nous demandions 80 ans.
On nous en offre 55. Probablement on nous en accordera 60, ou même 65. Sur ce premier point nous serons probablement d'accord, car avec 60 ans à partir de la mise en activité de la route, nous en avons assez.
2°) Tronc commun. Le gouvernement insiste pour faire avec ses locomotives le service du tronc commun, soit de Turin à Moncalier. Cette prétention me paraît absurde et onéreuse, surtout pour le gouvernement. Nous l'avons combattue de toutes nos forces. Toutefois, si le gouvernement se soumet à des conditions qui assurent la régularité du service, peut-être trouveronsanous avantage à l'accepter, car il y a pour nous une grande économie. La route de Savigliano étant une route royale, nous avons presque la
certitude que s'il se manifeste, dans l'organisation du service, des inconvénients graves, le gouvernement sera le premier à chercher à y remédier.
3°) Négociation des actions. Le gouvernement insiste pour que les actions ne soient cotées à la bourse et transformées au porteur, qu'après le payement des 5/10 ; nous
demandions que cela fût fixé aux 3/10. Là dessus la commission a paru assez disposée à transiger.
4°) Le gouvernement veut se réserver la faculté de réviser les tarifs, si le revenu net de la route dépasse le 7 pour %, non compris le fond d'amortissement. Nous nous y sommes opposés et avons proposé qu'on divisât avec le gouvernement les produits supérieurs au 7 pour
La commission a paru goûter notre proposition.
5°) Le gouvernement veut pouvoir racheter le chemin après 15 ans d'exploitation, en assurant à la compagnie Une rente égale au produit moyen des 7 dernières années, les deux années les moins productives demeurant exclues du calcul. Nous avons demandé que le rachat ne pût avoir lieu qu'après 25 ans. Si l'on fixe ce terme à 20 ans, ce sera raisonnable.
Sur tous les autres points nous avons été d'accord. En général, il nous a paru que le gouvernement avait envie de favoriser notre entreprise. Demain la Société se réunit pour délibérer sur les propositions du gouvernement, et j'espère que la semaine prochaine nous arriverons à une conclusion définitive.
M. m'a dit hier en passant, qu'il croyait que sa maison préférerait nous donner une contre-garantie d'une maison de Paris, pour toute la fourniture. Je lui ai répondu que dans ce cas je croyais que, comme garants, nous nous contenterions d'un pour cent, ainsi que le fait N., mais qu'il aurait à s'entendre avec vous pour la réception des rails et les avances en compte courant. Pour mon compte je préférerais t/3 en toute tranquillité, qu'un pour cent avec un certain degré d'inquiétude.
Répondez-moi de suite si vous considérez les B. comme Une garantie satisfaisante pour toute la fourniture de 12,000 tonnes.
Au marché de samedi il y a eu moins de fermeté dans les cours. Je crois que la hausse est définitivement arrêtée.
Veuillez me dire à quelle époque nos 661 sacs sont partis de Gênes et à quelle autre on croit qu'ils arriveront au Havre. Je n'ai plus de nouvelles des W. Il me paraît que Marseille doit se ressentir de la hausse sur les riz qui a eu lieu chez nous.
Recevez mes compliments affectueux.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXXII.
Turin, 1 avril 1847.
Mon cher ami, Il paraît que cette fois nous sommes d'accord et que le projet de banque sera définitivement présenté au ministère avant la fin de la semaine.
Hier nous avons eu une réunion chez Barbaroux. C.
nous ayant abandonnés, au grand contentement de tout le monde, nous nous sommes trouvés neuf, le dixième, Salmour, étant pour le moment à Paris.
Je ne vous conterai pas ce qui s'est passé, en détail. Il y a eu des incidents d'un haut comique. Un moment personne ne voulait d'actions, cinq minutes après on se les disputait. Enfin nous sommes arrivés aux conclusions suivantes : 1°) Les statuts seraient mis au net et signés dans la journée de jeudi.
2°) Chacun des dix fondateurs figurerait pour 400,000 francs, mais les personnes suivantes ne s'engageaient d'une manière définitives que:
MM. Nigra 200,000.
Barbaroux 200,000.
Casana 200,000.
Vicino 200,000.
Chacun de ces MM. m'a abandonné d'une manière définitive la moitié de la somme à laquelle ils auraient eu droit, à condition que, si dans l'espace de 20 jours ils ne changeaient pas d'opinion, j'eusse à me charger de toute la somme. J'ai accepté, tant en mon nom qu'au vôtre. Sans me vanter, je vous assure avoir eu un aplomb admirable.
Un moment je me suis trouvé avoir presque toute l'affaire sur les bras.
En définitive en nous quittant, je me suis trouvé avoir:
Pour mon compte 400,000.
id. compte de Salmour 400,000.
id. Nigra définitif 100,000.
id. Barbaroux définitif 100,000.
id. Vicino 150,000.
id. Casana 100,000.
1,250,000.
Plus, engagements éventuels 450,000.
Total 1,700,000.
Malgré l'appui que vous me prêtez, je vous avoue que je me suis trouvé un tant soit peu hardi. Ne voulant pas commettre d'imprudences trop fortes, j'ai été le soir même chez mon ami le comte Rignon et je lui ai cédé 200,000 francs. Le brave garçon en aurait désiré 400,000. Heureusement j'ai résisté.
Ce matin je suis assailli de demandes. Bolmida prétend avoir des engagements, Mestrezat m'exhorte à céder à différentes maisons fort respectables. Jusqu'à présent je n'ai lâché que les 300,000 de Vicino, qui seront distribués entre MM. Mascardi, Rignon frères et Denina.
Cela me laisserait toujours avec 900,000 francs d'assurés et 300,000 francs d'éventuels, sur lesquels il ne faut pas compter, vu la tournure que prend l'affaire.
Sur ces 900,000 francs, je vous en céderai 400,000 et 200,000 à MM. Ricci. Je garderai 300,000 entre Salmour et moi.
Les banquiers génevois Mestrezat, Long et De Fernex sont très chauds, ils ont déjà bon nombre d'ordres de leurs correspondants de Genève.
Si je n'avais pas blagué un peu, l'affaire ne réussissait pas. J'ai offert à Nigra de lui avancer la valeur des actions contre intérêt. J'ai dit que vous étiez prêt à débourser un million, enfin je les ai amenés à conclure, ce qui ne paraissait guère probable au moment où nous nous sommes réunis.
A la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXXIII.
2 avril 1847.
Mon cher ami, Ce qui était facile à prévoir est arrivé. Hier toute la bourse voulait des actions. Les cédants sont tout honteux.
Le vieux Barbaroux m'a fait dire qu'il garderait volontiers sa part entière. Je lui ai répondu qu'ayant considéré son engagement comme formel, j'avais disposé des 100,000 francs qu'il m'avait cédés. Il n'y a rien à dire, il faut qu'il subisse les suites de sa sottise.
Toutefois, comme j'ai à plusieurs reprises déclaré que je me portais fort pour votre maison, afin d'éviter toute chicane, vous m'obligerez beaucoup, en m'envoyant une déclaration dans la forme suivante: « Les soussignés déclarent reconnaître tous les engagements que Mr de Cavour pourrait prendre en leur nom, relativement à la formation d'une banque d'escompte à Turin.
« DE LA RUE, frères".
Ces messieurs sont on ne peut plus capots. C. avait hier, en me parlant, les larmes aux yeux.
A une heure nous signons et demain probablement nous irons chez le ministre.
A la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXXIV.
Turin, 5 avril 1847.
Mon cher anbi, C'est bien 400,000 francs que je vous cède, je me suis trompé samedi. Seulement je vous prie d'écrire à votre père, en mon nom aussi bien qu'au vôtre, car il ne m'en reste plus assez pour pouvoir lui en donner.
J'ai eu tort de céder 200,000 francs à Rignon. H se serait contenté de 100,000 francs, et nous serions demeurés également bons amis. Patience !
Nigra s'étant fait mettre les sangsues, nous avons été chez Rével avec Casana. Le ministre nous a fort bien accueillis. Ses seules objections ont porté sur la difficulté de trouver du papier à escompter à Turin. Là-dessus nous lui avons présenté plusieurs observations, et nous avons terminé en disant que si la Banque escomptait peu, ce serait tant pis pour les actionnaires, mais qu'en définitive le pays gagnerait toujours quelque chose.
Si Rével croit l'affaire médiocre, il ne nous forcera pas à faire une distribution philantropique de nos actions.
Je suis charmé que vous ayez donné la signature à Georges et à votre beau-frère (1). Cela vous permettra de
(1) Monsieur Georges de la Riie, cousin, et Mr William Granet, beau frère de Mr Émile de la Rüe.
faire plus souvent des courses à Turin, où nous finirons bien par nouer quelques bonnes affaires. Cette année nous avons travaillé le guano et le riz et maïs, l'année prochaine ce sera la Banque et les chemins de fer. Espérons que ces nouvelles spéculations iront aussi bien que celles que nous avons à peu près liquidées.
À propos de guano, un de mes amis s'étant adressé à Gênes pour avoir de ce précieux engrais, on lui a écrit qu'on y attendait d'un jour à l'autre un bâtiment venant du Pérou. Tenez-vous au courant de ce qui se passe, car il ne faut pas laisser sortir ce commerce de nos mains.
Quoique je sois sur le point de devenir fabricant d'engrais, je ne renonce pas au guano, si je peux l'avoir au prix de l'année dernière.
Vous aurez vu, d'après le projet de statut, que, pour le moment, nous n'aurons à verser que 500 francs par action, et que par conséquent nous n'aurons pas grandes avances à faire.
J'envoie chercher Golzio, pour lui communiquer l'article qui le regarde. Si jamais nous faisons l'affaire des traverses et qu'il y ait une Banque à Turin, vous tirerez à trois mois sur Golzio, des traites que j'endosserai ; cela fera travailler la Banque et nous procurera, à peu de frais, les fonds dont nous avons besoin.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXXV.
12 avril 1847.
Mon cher ami, J'ai reçu hier la lettre que vous m'avez envoyée au milieu d'un échantillon de blé. Je vous remercie des prompts renseignements que vous m'avez fait parvenir sur le voyage de Bombrini. Je le considère comme excessivement utile à
notre entreprise. La seule objection que Rével nous ait adressée, reposait sur ce que jamais Gênes n'avait songé à établir une succursale à Turin. Si maintenant la Banque demande à le faire, le ministre ne craindra plus d'autoriser une Banque qui n'aurait rien à faire.
J'ai été chez Rével; ne l'ayant pas trouvé, j'ai vu le premier officier Mr Ceppi (1), homme de beaucoup de mérite. J'ai pu me convaincre par la longue conférence que nous avons eue ensemble, que l'opposition des génois ne saurait nous être nuisible.
Quant aux actionnaires de la Banque de Gênes, à Turin, nous n'avons rien à craindre, car se sont pour la plupart, des personnes qui ont souscrit à notre demande, ou qui sont associées aux souscripteurs. Casana a 100 actions, Bolmida autant, et l'un et l'autre sont maintenant passionnées pour l'établissement de la Banque. L'arrivée des génois mettra l'amour propre des Turinois en jeu. Là dessus n'ayez aucune crainte.
Mestrezat verra Bombrino probablement ce matin, et tâchera de lui prouver, ce qui au fond est très vrai, que l'établissement d'une Banque ici ne saurait être désavantageux à celle qu'il dirige à Gênes. Si je ne partais pas ce matin pour Léri, je verrais Bombrino moi-même, et je crois que je viendrais à bout de le convaincre de l'inutilité de ses efforts.
Hier nous avons eu une seconde conférence avec la Comttiission chargée de traiter avec nous les conditions de la
(1) Le comte Lorenzo Ceppi, pendant plusieurs années, premier officier au Ministère des finances. « Aussi habile administrateur que profond magistrat » (Lettre du comte de Cavour au marquis de Villamarina, 16 mars 1858). Député du Collège de Caselle à la II et III Législature, premier officier aux finances (Ministère Thaon de Rével), Passa ensuite à la Cour de Cassation et au Conseil d'État, fut nommé sénateur en 1860; mourut en 1872. Le Roi lui accorda le titre de Comte, en récompense de ses longs et importants services.
concession du chemin de fer de Savigliano. Nous l'avons trouvée infiniment plus coulante, de sorte que nous sommes parvenus à nous mettre d'accord à peu près sur tous les points.
Nous arriverons à Turin avec nos locomotives.
Nous ménerons des voyageurs à Moncalier, ce qui est une concession immense. Le péage à payer au Gouvernement pour le tronc commun, est fixé aux s/5 du prix d'ici à Moncalier, ce qui est fort raisonnable. Enfin nous pourrons négocier nos actions et les faire coter à la bourse, après le payement des *li0.
Maintenant on nous chicane un peu pour la durée ; nous avons tenu bon pour 70 ans et il a été convenu qu'on soumettrait notre demande au Conseil d'État.
On a renoncé au remaniement des taxes, lorsque l'intérêt net serait du 7. Le Gouvernement demande le partage après ce taux, nous le lui offrons après le 10. Probablement tranchera-t-on la difficulté en établissant le point de partage au 9 ou au 8, ce qui, à mon avis, ne serait pas exorbitant.
Pendant la discussion Pampara nous a quittés pour aller assister à la promenade journalière du Roi. Le Roi lui a parlé de notre affaire et lui a dit en riant : « J'espère que les commissaires sont bons enfants". Ils l'ont été en effet.
Il considère l'affaire comme à peu près arrêtée.
Je m'en vais écrire a T. P., auxquels j'ai cédé un intérêt de 225,000 francs, voulez-vous que je leur propose d'abandonner leur contrat ? Nous les prendrions à compte à demi. Si je ne me trompe, le moins que puissent valoir nos actions au moment de l'émission, c'est 10 pour
Le vent de la semaine dernière est considéré comme fâcheux pour les jeunes blés. C'est peut-être une illusion, je crois que le mal produit par la sécheresse, est plus apparent que réel, et que la sécheresse, à moins qu'elle ne se prolonge outre mesure, affectera la paille plus que le blé. Néanmoins l'effet n'est pas moins positif sur les imagi-
nations, de sorte que je crois à une reprise dans les prix, dont je profiterai pour écouler le reste de nos maïs.
Ecrivez-moi demain à Tronzano. Adieu, je vous quitte pour monter en voiture.
Tout à vous.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXXVI.
15 avril 1847.
Mon cher ami, Je réponds deux mots à la hâte à votre lettre du 13.
L'affaire des traverses est mal acheminée, Golzio croit qu'on ne peut soumissionner qu'autant qu'on serait assuré d'avance de 100,000 traverses. Les Carignani voulant traiter pour leur compte, il ne faut guère compter sur les traverses de Corse.
La course de Bombrino ne m'a jamais effrayé, ce que je crains ce sont les sourdes menées de quelques maisons de Turin, qui sont mécontentes de ne pas avoir la haute main dans cette affaire. Cependant je considère l'affaire trop engagée pour qu'il soit possible de la faire avorter.
Je ne connais pas Mr F. de Pavie, qui a acheté des riz pour Mr G.; celui-ci lui a été adressé par un de mes amis de Verceil. Si vous désirez avoir des renseignements sur son compte, je puis facilement m'en procurer.
J'ignore si Messieurs d'Eichtall et André De la Rue désirent avoir un exemplaire de mon article sur la législation des céréales, qui a paru il y a deux ans dans la Bibliothèque Universelle de Genève, ou bien si c'est mon article sur l'influence des réformes anglaises sur le commerce de l'Italie. Veuillez me fixer à cet égard.
Si vous le voulez, nous établirons notre compte à demi,
à partir du premier Mai; si vous l'approuvez vous arrêterez à cette époque le compte que vous avez avec mon père. Bien entendu que vos rentes seront perçues comme par le passé.
Je serai mardi à Turin. Si votre présence peut être utile à nos affaires autant qu'elle me serait agréable, je vous l'écrirai.
Il doit y avoir une grande fête dans le mois de Mai, dans le jardin du Roi ; vous pourriez saisir cette occasion pour venir traiter nos affaires et faire d'une pierre deux coups.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. J'espère que Davidy pourra me donner des nouvelles de nos riz du Havre.
LXXVII.
Turin, 20 avril 1847, Mon cher ami, Je m'empresse de vous annoncer mon retour à Turin.
N'ayant encore vu personne, je n'ai rien appris de nouveau sur la Banque et le chemin de Savigliano.
Les nouvelles de France annoncent une reprise très marquée dans les céréales. J'espère que nous en profiterons pour vendre nos riz à Marseille et au Havre. Chez nous, la faiblesse continue, mais elle ne saurait durer car le temps est peu favorable aux récoltes, il y a eu de la gelée blanche qui a fait du mal aux seigles. Les avis sont partagés sur l'effet produit sur la feuille du mûrier.
Certainement la gelée ne leur a pas fait du bien, mais il est probable que les marchands de soie exagèrent le mal.
, Je pense qu'il est convenable de faire commencer le compte a demi le 1er Mai. A ce sujet, je vous prie de me diriger dans les commencements. Vous me marquez les courtages à V2 pour 100, je crois que vous voulez dire t/2 pour mille.
Ce matin, à la bourse, on assurait de nouveau que les mûriers avaient souffert.
Croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXXVIII.
21 avril 1847.
Mon cher ami, Les W. n'ayant pas conclu la vente de nos maïs à 47, Je leur écris de suspendre le contrat jusqu'à nouvel avis.
Ce prix me paraît trop bas pour ne pas provoquer une reprise. La hausse est très marquée dans le Nord, elle influera sur le Midi.
Si toutefois vous ne partagez pas mon opinion, je vous offre de me charger à 47 francs des 346 sacs sociaux. Seulement pour ne pas payer une double commission aux W.
nous attendrions pour régler cette affaire, que j'eusse effectué la vente pour mon compte.
Je crois que notre fabrique d'engrais et de produits chimiques sera en activité le mois prochain, sous la raison Rossi, Schiaparelli et Compagnie. Je leur ai fait une commandite de 50,000 francs, dont 40,000 pour mon compte et 10,000 pour celui de mon ami Mr de Sainte Rose. Sans croire aux calculs de Mr Jullien, qui n'a aucune espèce de privilèges en Piémont, je pense que ce sera une excellente affaire. Il m'est impossible de vous en expliquer les détails avant que vous veniez à Turin. Si cependant vous étiez tenté de vous y intéresser, je vous céderai sur ma part
jusqu'à concurrence de 20,000 francs, la somme que vous me demanderiez.
J'ai promis à mes associés, qui cependant apportent chacun 50,000 francs dans l'affaire, de leur ouvrir à Gênes un crédit de 50,000 francs, pour solder les achats que la fabrique devra faire, tant sur cette place qu'à Marseille, Trieste et Livourne. Je pense que vous n'aurez pas de difficultés à leur ouvrir ce crédit, sur ma responsabilité personnelle, sauf le cas où vous vous intéresseriez dans l'affaire, car alors nous partagerions la responsabilité en proportion de notre mise de fonds.
Pour les achats que vous traîteriez directement à Gênes, vous percevriez la commission qui est d'usage, et quant aux traites qui seraient fournies, il me paraît que vous devriez percevoir * /3 de commission et 5 pour d'intérêts.
M. a passé chez moi, mais nous nous sommes manqués.
Je suis fort satisfait des informations que vous me transmettez sur les T. and F. Elles me tranquillisent toutà-fait, si M. soumissionne pour eux.
Le pauvre Golzio est malade d'une traverse rentrée, on lui a fait quatre saignées, toutefois il commence à mieux aller.
Nigra et Yicino sont irrités de ne pas avoir mené l'affaire de la Banque. Ils sont honteux du sot rôle qu'ils ont joué.
J'ai appris que les J. B. F. de Pavie étaient des commissionnaires en céréales fort estimés pour leur probité et leur fortune. Cependant, je ne saurais vous fixer, d'une manière absolue, sur l'étendue du crédit qu'ils méritent.
Il paraît bien que les mûriers ont un peu souffert. On attend les nouvelles du midi de la France, avec impatience.
Le froid a diminué, mais le vent continue; je n'ai pas une très bonne idée de la future récolte de blé.
Les riz sont calmes, cependant la consommation intérieure a pris une assez grande activité par le manque des légumes.
Pichiura a vendu ce qui nous restait de maïs, à 5 francs, livrables à Turin. J'ai été très content de la manière dont il a mené cette affaire.
Il faudra quelque temps pour réaliser nos fonds, mais nos acheteurs sont fort bons.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXXIX.
24 avril 1847.
Mon cher ami, Une personne, d'ordinaire bien informée, m'a assuré ce soir, que le Conseil des ministres avait adopté un avis contraire à la Banque de Turin. Cela ne m'étonnerait guère, vu l'ignorance et le mauvais vouloir de la plupart de ces Messieurs qui nous gouvernent. La nouvelle peut être exagérée, mais le fond est vrai. Il y en a assez pour faire ïnonter les actions de la Banque de Gênes. En conséquence, je viens vous proposer d'acheter de compte à demi, de 20 à 30 actions de la Banque de Gênes, de 135 à 137. Si notre demande est rejetée, ou seulement ajournée, nous les revendrons dans la semaine au-delà de 140. Ce petit bénéfice nous dédommagera du petit déboire qu'on nous fait essuyer.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXXX.
8 mai 1847.
Mon cher Émile, Je vous envoie 60 et quelques mille francs. Vous me direz si j'ai fait des boulettes. Envoyez-moi force billets si vous trouvez que le change se soutient sur Paris. Cette
valeur va probablement baisser, attendu l'approche des filatures.
La chambre de commerce, après une longue discussion, a opiné: 1°) Que l'institution d'une Banque était éminemment utile.
2°) Qu'elle ne pouvait faire aucun tort à la Banque de Gênes.
3°) Qu'on devait payer intégralement les actions dans l'espace de 6 mois.
4°) Qu'il fallait donner 2 millions aux fondateurs et répartir les autres 2 millions entre les principales maisons de Turin.
Enfin, qu'il était convenable de consulter les fondateurs, pour la répartition des actions.
Savigliano traine. Vous verrez que la Banque prendra le pas sur le chemin de fer.
Adieu, à la hâte.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
LXXXI.
19 mai 1847.
Mon cher Émile, Il paraît que la faillite de Mr X. de Londres oblige MM. Y. à suspendre leurs payements. On espère encore, que l'affaire ne sera pas trop mauvaise. Ces messieurs avaient beaucoup perdu l'année dernière, mais cette année ils se sont presque abstenus de faire des affaires, ce qui prouve qu'ils sont d'honnêtes gens, ce dont d'ailleurs personne ne doute. Une réunion des principaux créanciers doit avoir lieu aujourd'hui chez Long.
Il est possible qu'on prenne des arrangements qui leur permettront de continuer à marcher.
Je vous ai remis en mars une traite d'eux, de 300 L. st., qui échoit le 20 juin. Pour éviter des frais, il sera, je crois, utile de la faire payer par Heath. Je ne doute pas que ces messieurs ne fassent honneur à ma signature si je les en Prie, mais n'étant pas en compte avec eux, vous m'obligeriez, lorsque vous leur écrirez, à les autoriser à porter au débit de votre compte le montant de cette traite, si je réclame de leur complaisance son payement.
Rien de nouveau de Savigliano, j'ai dit à Pampara qu'il fallait frapper un grand coup, en déclarant au Gouvernement que nous retirions notre demande. Peut-être cela produirait-il quelque effet.
M. a de nouveau été très souffrant. Le Gouvernement ue s'est point encore prononcé à son égard. Les fers ont baissé en Angleterre ; S. doit avoir proposé un assez fort rabais. Mon opinion est qu'on ne l'acceptera pas, mais avec des gens comme ceux qui nous administrent, il est impossible de prévoir ce qui peut arriver.
Les informations que j'ai prises hier, relativement aux vers à soie, ne sont pas aussi favorables que je l'avais supposé. Les éducations vont assez bien, mais il paraît que la feuille manque généralement. Dans plusieurs provinces on a revendu une partie des vers déjà éclos, et la semence est tombée à un prix infime. Il est donc certain que la récolte ne peut être très abondante. Si les chaleurs qui se sont développées, continuent avec la même intensité, elle sera mauvaise.
Les blés ont beaucoup gagné, cependant la récolte sera tout au plus moyenne.
Le temps a été on ne peut plus favorable aux semailles du riz et des maïs. J'espère pour mon compte, grâce au guano, en faire plus encore que l'année dernière.
J'ai écrit à Liverpool pour que l'on m'achetât 400 tonnes
de guano de Schaboe à L. 6,10. Si nous traitons l'affaire de compte à demi, je me réserverai 100 tonnes au prix coûtant. Il est prouvé maintenant que l'effet du guano dure au moins deux années, de sorte que son débit est certain.
J'ai vu Mestrezat, il m'a dit que les V. devaient 400,000 au plus, et que leur actif dépasserait probablement cette somme. Il est, ainsi que Long et De Fernex, des plus intéressés dans cette affaire. Les nouvelles de Londres étaient meilleures ce matin. Mercier espérait reprendre ses payements, si, les V. pouvaient tant soit peu l'aider.
Enfin, quoiqu'il arrive, ce ne sera pas désastreux autant que les riz de W. que j'ai sur le cœur.
Tout à vous CAMILLE DE CAVOUR.
LXXXII.
Turin, 20 mai 1847.
Mon cher Émile, Ayant été ce matin faire une course à Truffarello, avec mon père, je me borne à vous accuser réception des 20,000 fr.
que vous m'avez envoyés.
M. m'a remis les pouvoirs des T. et F., ainsi cette affaire est réglée.
J'écris ce matin à Heath de payer la traîte de Vertu (1) sur Mercier, et de se rembourser sur vous.
L'affaire V. paraît passable. L'actif est de 700,000 et
(1) Banquier et filateur de soie à Turin. « Mr Vertu est un de nos exposants les plus distingués. Les soies qu'il a exposées, soutiendront, j'espère avantageusement, la comparaison des soies françaises ». (Lettre du comte Cavour au marquis E. d'Azeglio, 25 avril 1851 — N. BlANCHI, Politique du comte de Cavour, pag. 3).
le passif de 500,000. En déduisant les mauvaises créances, il y aurait encore un boni. Toutefois il faut attendre les nouvelles de Londres pour porter un jugement définitif.
Il n'y a que des Turinois compromis, pas un seul étranger.
Les plus attrapés sont Celestin Long, pour 1600 L. st., Long et Mestrezat, pour 1000 L. st., chacun. De Fernex, Dupré, Rignon, Andreis et une foule d'autres, pour des sommes, qui varient entre 10 et 20 mille francs.
On a convenu de laisser la gérance des affaires aux V., mais de leur adjoindre trois commissaires. On craint que si les traites reviennent de Londres un peu vite, cela ne fasse manquer plusieurs petits marchands.
Merci des nouvelles du guano.
Les blés sont médiocres, tout le long de la route. On assure qu'ils valent mieux plus loin.
Adieu, à la hâte CAMILLE DE CAVOUR.
LXXXIII.
Turin, 22 mai 1847.
Mon cher Élnile, Je vous remercie des nombreux et intéressants détails que vous m'avez transmis dans vos lettres du 19, 20 et 21 mai.
Golzio ne croit pas tout à fait exact ce que vous lui mandez relativement à O. Les C. continuent à lui écrire comme s'ils tenaient toujours la compagnie Suisse sous leurs mains. Je crois qu'il faut renoncer à cette affaire des traverses. Elle est beaucoup trop compliquée. Elle nous donnerait trop d'ennuis et de soucis, surtout si nous avions Pour associés les jeunes C. qui me paraissent furieusement légers.
Quant aux rails, je suis moins inquiet que vous. L'intendant général a dit à Golzio qu'on avait attendu l'arrivée de M. pour essayer les fers que M. avait présentés. Quoiqu'il n'ait rien ajouté de positif, il a parlé comme un homme qui considérait l'affaire comme décidée.
Quant à Savigliano, nous attendons une réponse définitive d'un jour à l'autre. Il paraît que le Gouvernement ne veut pas démordre de la clause qui limite le dividende maximum au 4 p. Si cela est, mon avis est d'envoyer au diable le projet. Qu'en dites-vous? Dans l'état actuel du monde financier, il serait absurde de s'engager dans une affaire douteuse. D'ailleurs, en voyant la manière dont le Gouvernement agit à notre égard, il est impossible de ne pas soupçonner un mauvais vouloir de la part du ministre ou de quelque autre personnage influent.
En abandonnant Savigliano, en voyant réduit notre intérêt dans la fondation de la Banque, nous devons penser à d'autres affaires qui ne dépendent pas du bon ou mauvais vouloir de nos ministres. Golzio est venu m'en proposer une ce matin, qui m'a paru très séduisante. Je vous joins la note qu'il m'a remise. Si vous acceptez en principe, je vous entretiendrai des détails de l'affaire qui est des plus intéressantes.
Il s'agirait de s'associer à un individu qui jouit au plus haut degré de la protection d'un illustre personnage, et de créer une industrie qui, bien exploitée, peut amener à de très grands résultats. Golzio et son associé feraient la moitié des fonds. Il s'agirait de faire l'autre moitié.
Je vais m'occuper de votre Examiner (1). Le plus simple est d'aller en parler au directeur général, le marquis de Cavaglia (2). Je le ferai incessamment.
(1) Le journal l'Examiner qui arrivait irrégulièrement à MM. De la Rüe.
(2) Directeur général des postes à Turin.
L'affaire des Y. paraît devoir s'arranger d'une manière satisfaisante. S'ils avaient été soutenus par leurs parents et amis, ou même s'ils avaient eu un peu plus d'énergie, ils auraient pu très bien se tirer d'affaire. Pour faire face à 850,000 francs d'échéances plus ou moins éloignées, ils avaient au moins 250,000 fr. de disponibles, abstraction faite de ce que Mercier leur doit. Ils ont agi en hommes d'une excessive délicatesse. Peut-être eussent-ils rendu un service à leurs créanciers, en étant un peu plus hardis.
Je vous remercie de l'avis que vous me donnez sur les G. Je partage tout-à-fait votre opinion à leur égard. Je ne crois pas que nous ayons de catastrophe à craindre sur la place de Turin. Le commerce des soies est assez prudent cette année. On à très peu envoyé en Angleterre. Les affaires avec Lyon et l'Allemagne n'ont guère laissé de bénéfices, mais elles n'ont pas non plus entraîné de grandes pertes.
Ce malheureux Coq (1) me corne dans les oreilles, car n'étant pas arrivé à l'heure qu'il est, c'est signe qu'il a fait naufrage quelque part. Étant parti au mois de février, il aurait eu le temps d'aller et de venir deux ou trois fois.
S'il avait abordé dans quelque port intermédiaire, le capitaine aurait écrit à Custo. Veuillez me dire ce que le dit Custo, qui est fort expert dans ces affaires, en pense.
J'ai déjà retiré près de 40,000 francs de nos maïs. C'est déjà plus que nous n'avons déboursé. Il y a une petite queue que j'espère bientôt écorcer.
J'ai remis à Cabella une traite de 1200 francs pour solde des frais du guano des Deux Sorelle. Comme c'est une affaire que nous avons traitée en compte à demi, je vous ai crédité simplement de la dite somme dans les colonnes de votre compte courant.
(1) Navire sur lequel le comte Cavour avait expédié une cargaison de riz et de blés au Havre.
Petitti étant malade, Cobden est à ma charge, cela ne me laisse guère de temps pour songer aux affaires.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
LXXXIV.
Turin, 26 mai 1847.
Mon cher ami,
L'affaire de Golzio est une affaire de bois. Il voudrait, avec le fameux Moncalvo, le grand menuisier de la Cour, établir une scie mécanique à la porte de Turin et un dépôt de bois exotiques et du pays. Il croit que Moncalvo, qui est le favori de Castagnetto (1), obtiendra toutes les facilités imaginables et que l'affaire est aussi sûre qu'excellente.
Avant d'avoir reçu une réponse de votre part, je n'ai voulu entrer dans aucun détail. Il m'a offert de me porter tous ses calculs, je les lui demanderai. Comme vous, je suis dégoûté de Savigliano, et je n'attends que la fin des courses (2) qui occupent exclusivement Pampara, pour proposer à la société une mesure énergique. Rignon et les principaux actionnaires sont entièrement de mon avis.
Je ne vous ai pas encore envoyé copie de notre contrat avec Rossi et Schiaparelli, parce que je l'ai remis à ce pauvre Ste-Rose, qui, à peine en convalescence, a eu son fils à la mort.
Cobden (3) est ici depuis cinq jours, je l'ai beaucoup vu et j'en ai été excessivement satisfait ; c'est un homme d'un
(1) Le comte César de Trabucco Castagnetto, sénateur du royaume.
(2) Une société de courses de chevaux venait de s'établir à Turin.
(3) Le grand économiste anglais.
bon sens parfait et d'un esprit très fin et très adroit. Il est en outre d'un caractère charmant, simple, modeste et de bonne foi.
Hier nous lui avons donné un grand dîner chez Trombetta (1). Colobian (2) devenu free-trader sans s'en douter, le présidait. Pollon (3), Petitti, les deux Syndics, le comte Sclopis (4), les deux premiers officiers du ministre de l'intérieur, beaucoup de grands propriétaires, plusieurs banquiers, des avocats, des savants y assistaient. Les choses se sont bien passées. Colobian a lu un discours en l'honneur
(1) Propriétaire du grand Hôtel de l'Europe à Tarin, place du Château.
(2) Le comte Colobian, ancien officier de gendarmerie, un des favoris du roi Charles Félix et de la reine Marie Christine.
(3) Le comte Antoine Nomis di Pollone, mort en 1866, conseiller d'État et sénateur du royaume, fut nommé en 1849 inspecteur général des postes, et en 1851 commissaire royal à l'Exposition de Londres.
(4) Le comte Paul Frédéric Sclopis di Salerano (né à Turin en 1798, mort en 1878), jurisconsulte du plus haut mérite. Attaché d'abord au cabinet particulier du ministre Prospero Balbo, il fit partie de la Commission nommée par Charles Albert, pour élaborer le nouveau Code civil, puis président de la Commission pour la loi sur la presse, et ministre de grâce et justice en 1848 (cabinet Balbo) il s'occupa de la réforme des lois pour les harmoniser avec le Statuto, et, en particulier, d'un concordat entre l'Église et l'État. Il envoya dans ce but, à Rome, le marquis Domenico Pareto, avec un memorandum pour le Pape, qui n'aboutit pas. Après la démission du cabinet Balbo, il fut créé sénateur, puis vice-président et président du Sénat, où il prononça plusieurs importants discours. Il succéda à Plana dans la présidence de l'Académie des Sciences de Turin, et collabora à YAntologia fondée à Florence par Vieusseux, tout en continuant à publier d'importantes œuvres de jurisprudence. Catholique fervent, il combattit la suppression des Ordres religieux et l'obligation du service militaire pour le clergé. En 1868, le Roi lui accorda le collier de l'Ordre suprême de l'Annunziata. Dans la fameuse question de l'Alabama, qui menaça de faire éclater la guerre entre l'Amérique et l'Angleterre, en 1872, Sclopis eut l'honneur d'être nommé arbitre entre ces deux nations, et il devint ainsi le chef de l'école qui voudrait substituer l'arbitrage international à la guerre.
du Roi. Scialoja (1) a porté un toast à Cobden. Celui-ci a, répondu, en mauvais français, des choses excessivement spirituelles et tout-à-fait à propos. Enfin j'ai terminé la séance, par un dernier discours à Cobden, dont je me suis tiré tant bien que mal (2).
Aujourd'hui, je le mène aux courses. Demain il dîne chez Abercromby (3), après demain id. et vendredi il part.
Je suis charmé de l'idée de vous voir dans une quinzaine de jours. Je désire bien pour vous et pour nous, que d'ici là la chaleur diminue, car pour le moment elle est véritablement étouffante. Ce temps ne vaut rien pour la campagne; les blés mûrissent trop vite, et les maïs souffrent de la sécheresse.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXXXV.
Turin, 28 mai 1817.
Mon cher ami, Malgré vos avis, je vous envoie un peu de papier sur Paris et Lyon, qui doit nous laisser quelque petite chose pour le compte à demi. C'est du papier de toute tranquillité. Quoique le bon Bertini fasse un tant soit peu de cir-
(1) L'avocat Antoine Scialoja, né en 1817 dans la province de Naples, mort en 1877. Économiste et libre échangiste distingué, appelé en 1845 à la chaire d'économie politique de l'Université de Turin, ministre du commerce en 1848 à Naples, fut emprisonné par la police bourbonne en septembre 1849 et condamné à 9 ans de réclusion, peine qui fut ensuite changée en exil perpétuel. Il se réfugia à Turin, où Cavour qui l'estimait beaucoup, le nomma consultore legale au cadastre.
(2) C'est dans ce discours que le comte de Cavour adressa à Cobden, ce bel éloge: « De loin on vous admire, de près on vous aime ».
(3) Ministre d'Angleterre à Turin.
culation avec Paris, il est encore une des colonnes les plus solides du commerce de Turin.
Ne vous prononcez pas d'une manière négative sur l'affaire que Golzio vous propose. Si Moncalvo obtient la concession que le ministre lui a fait espérer, ce sera un apport gratuit de 30 ou 40 mille francs qu'il fera à la société.
Car une force motrice, comme celle qu'on lui promet dans la ville même, a un prix d'avenir inestimable. D'ailleurs il n'y aurait que le tiers des fonds employé d'une manière stable, le reste serait un capital circulant, dont une partie irait en achats de bois exotiques qui vous viendront à Gênes.
Je vous le répète, si Moncalvo ne se fait illusion, c'est Une affaire telle que, même lorsqu'il faudrait renoncer au commerce, on réaliserait un joli bénéfice en revendant le terrain.
Je vous promets de ne vous engager dans cette affaire, que s'il y a dix à gagner et un à perdre.
Si vous désirez que nous fassions marcher activement le compte à demi, envoyez-moi des billets. Si au contraire vous croyez plus prudent de rester en panne, remettez-moi du Turin.
J'ai pris des informations précises sur la maison G. Il ne résulte pas qu'elle ait éprouvé des pertes. Cette année, au contraire, elle a agi d'une manière très-prudente et elle est du petit nombre des maisons de soie qui aient réalisé leur campagne avec bénéfice. Elle fait assez en huile, ayant des parents à Nice et dans la rivière de Gênes. En définitive, je ne pense pas qu'on doive la traiter avec défiance et la ranger dans le nombre des maisons douteuses.
Les maisons qui font en soie, en général, n'ont pas perdu Cette année. Les pertes des V. remontent à l'année derrière. Ainsi que presque tous leurs confrères, ils avaient fort restreint le cercle de leurs affaires, ce qui résulte, du reste, de l'état de leur passif. $
Cobden part demain pour Milan et Vienne; il va tâcher
de convertir le prince de Metternich. Le Roi l'a fort bien accueilli et s'est prononcé pour la diminution graduelle des droits de douane. Les chaleurs continuent à être accablantes. Il faut espé- j rer que nous aurons bientôt la pluie; sans cela, la récolte des maïs serait sérieusement menacée dans les terres sablonneuses.
Merci des nouvelles du Coq. Le capitaine doit être une brute, pour ne jamais avoir écrit à ses commettants depuis Gibraltar.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR. LXXXVI.
Turin, 29 mai 1847, Mon cher Émile, Je vous transmets la réponse du marquis Cavaglia, directeur général des postes, aux réclamations que je lui ai adressées en votre nom, au sujet de l'Examiner. Vous verrez qu'il rejette la faute sur votre correspondant de Londres.
C'est peut-être une défaite, mais elle aura pour résultat d'exciter les employés de Gênes et de Turin à user envers vous d'un peu plus d'exactitude.
Revel hier m'a écrit une longue lettre, en m'envoyant le rapport de la chambre de commerce sur notre demande de fonder une Banque à Turin. Il paraît approuver les propositions de la Chambre, mais il m'annonce que quant à la distribution des actions, il ne compte pas se départir des bases adoptées à l'égard de la banque de Gênes. Cette déclaration m'a beaucoup peiné, car elle change tout-à-fait ma position vis-à-vis de mes cessionnaires. Je ne sais comment, dans ce cas, tenir mes engagements avec vous et Ricci,
car enfin, je ne puis pas réduire Salmour à rien, ce qui lui arriverait s'il était obligé de subir une réduction proportionnelle.
Quant à vous, je serai toujours charmé de vous donner la moitié de tout ce que j'aurai, peu ou beaucoup, mais avec les Ricci je ne puis en faire autant. S'ils ne veulent pas se contenter de peu de chose, de 20 ou 30 mille francs au plus, s'ils prétendent que je suis engagé envers eux d'une manière absolue, j'aime mieux me retirer de l'affaire.
Dans les termes où nous sommes menacés de nous voir réduits, je vous offre un compte à demi complet. Je tâcherai de faire que Rignon se contente de peu de chose, faites en autant avec les Ricci.
Je regretterai de devoir me retirer, non pas à cause du bénéfice qui doit résulter de cette affaire, mais parce que je désir d'avoir une banque à Turin devient, de jour en jour, plus vif à Turin et que je désirerais attacher mon nom à son établissement.
Lundi nous nous réunissons chez Barbaroux pour délibérer la réponse à faire au ministre. Je vous communiquerai mardi le résultat de cette séance.
Si du Paris, comme celui que je vous ai envoyé, vous va, Je puis m'en procurer beaucoup. L'excellent Adriani met toujours son portefeuille à ma disposition et comme c'est un des meilleurs papiers de Turin, je puis opérer en toute sûreté.
Cobden est parti ce matin, emportant nos sympathies et nos regrets. Il a su se concilier l'affection et l'estime de tous ceux qui l'ont approché.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
LXXXYIL
2 juin 1847.
Mon cher ami, Je craignais que mes bons associés ne profitassent des exigeances du ministre relativement à la répartition des actions de la Banque, pour annuler l'engagement qu'ils ont contracté avec moi, mais il n'en n'ont pas dit un mot. S'ils ne se rétractent pas, la répartition subsistera sur les bases
fixées entre nous, avec une seule modification dont vous apprécierez la justesse.
Pour pouvoir disposer d'un plus grand nombre d'actions, j'avais obtenu que Salmour me cédât les de celles dont il disposait, mais si on le réduit au i/3 ou au 7i> il me paraît impossible que Salmour me cède encore les 2/s ou 3/4 de son quart. Je ne puis lui laisser moins de 50 actions. Il ne serait pas convenable qu'il en eût moins. Il faudra alors, que chacun, sur notre part, nous supportions la moindre réduction qui frappera Salmour Je me suis chargé de répondre au ministre, mais devant en même temps faire le mémoire pour Savigliano (1), je ne sais trop comment me tirer d'affaire, d'autant plus que les grandes chaleurs ne me laissent la disposition que d'une partie de mes facultés intellectuelles.
Il paraît que M. est sûr de son affaire, mais jusqu'à vendredi, il n'y aura rien d'officiel. Je l'engagerai vivement à vous aller trouver à Gênes.
Je me recommande pour des billets, avant mardi, car je
(1) Le chemin de fer de Savigliano.
suis tout-à-fait à sec. Avec 30,000 francs, je ferai marcher toute ma boutique.
Je ne puis digérer ce malheureux Coq.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
-PS. Golzio est allé voir les bois de Pérouse. Avant de serrer le contrat, il a cru prudent de faire procéder à une estimation rigoureuse des plantes de la forêt.
LXXXVIII.
, 4 juin 1847.
Mon cher Emile, J'ai le plaisir de vous annoncer que le bon M. a reçu Ce matin, l'avis officiel que sa soumission était acceptée.
Le contrat sera signé vendredi matin, à dix heures. J'ai déjà envoyé à l'Azienda, votre procuration pour qu'on pût l'insérer dans l'acte. M. ira vous trouver la semaine prochaine. Il est fort content, car S. avait fait un rabais de 100,000 francs, au dessous de ses prix.
Préparez-vous à bien mener cette affaire, qui, j'espère, llous en amènera d'autres.
Adieu, n'oubliez pas mes billets.
Tout à vous C. DE CAVOUR.
LXXXIX.
9 juin 1847.
Mon cher ami, J'ai reçu ce matin, les deux lettres particulières de votre Maison et votre lettre particulière du 7. J'ai de suite enVoyé communiquer à M. celle qui le regarde. Je l'aurais Portée moi-même, si je n'avais été retenu à la maison par Une suite de visiteurs. Il paraît que c'est S. qui a pro-
posé San Pier d'Arena (1), ce qui, dès le premier abord, m'a fait l'effet d'être complètement absurde. M. partira sans faute dimanche et passera ainsi encore quelques jours avec vous.
Je vous remercie de vos détails sur les soufres. Je vais les communiquer à Rossi et Schiaparelli. Les nouvelles bâtisses sont fort avancées. Cela sera fort beau. Je pense qu'à la fin de ce mois, tout sera en pleine activité.
Baldoino a fait offrir à Verceil son chargement de guano.
J'en ai été prévenu par ceux qui font dans cet article.
Tous m'ont assuré qu'ils ne nous feraient pas de concurrence.
L'effet de cet engrais a été merveilleux cette année. Il n'y a eu que les prairies guanées qui ayent donné d'abondants produits.
La pluie a fait un bien énorme à la campagne. Les maïs sont sauvés et les blés mûriront bien. Toutefois, la récolte de cette céréale ne sera pas abondante, vous pouvez en être certain. Grâce aux circonstances favorables au milieu desquelles elle s'est développée depuis deux mois, elle sera médiocre.
Nous allons aujourd'hui, Golzio, Rignon et moi, porter au Roi notre philippique contre Desambrois. Pampara, tout premier écuyer qu'il est, l'a signée. Cela amènera une crise ; ou l'on nons enverra promener, ou l'on finira par nous accorder ce que nous demandons.
J'ai répondu à la dernière lettre de Rével sur la Banque, en insistant pour avoir la moitié des actions. Demain, il y aura une réunion pour approuver cette réponse, rédigée au nom de tous les intéressés.
J'attends la réponse de M. pour fermer ma lettre.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
(1) Pour y débarquer les rails.
xc.
19 juin 1847.
Mon cher ami, J'arrive des rizières, où j'ai reçu vos deux lettres du 12 et du 16 courant. J'ai prolongé mon séjour là-bas, dans la Persuasion que ma présence n'aiderait nullement les Rayalle et Bellone à reprendre leurs payements. Ce matin, on croyait à la Bourse, que la liquidation de ces messieurs s'opérerait Sans désastres, et que tout le monde serait payé intégralement. J'espère que vos amis de Marseille agissent dans Inon intérêt. Veuillez leur donner vous même les directions que vous jugerez les plus convenables.
Les pauvres G. sont finis. Ceux qui n'ont pas d'acceptations de Marseille ou de Gênes, se trouveront assez Inal. J'espère que les L. ne sont pas dans ce cas. À propos de ceux-ci, je vous dirai que mon opinion est qu'ils sont d'une honnêteté à toute épreuve, mais que leurs moyens Sont faibles. Je ne les crois pas riches. Je les classerais dans les Maisons de second ordre. De Fernex, et même Mestrezat, ont beaucoup plus de moyens pécuniaires qu'eux. Dans les Opérations que vous dirigez, vous pouvez avoir toute confiance en eux, car, je vous le répète, c'est l'honnêteté même ; mais S il s'agissait d'une grande affaire où il fallût diviser la responsabilité, je vous conseillerais d'y regarder à deux fois.
Vous aurez su l'arrangement des V. Ils donnent le 70 p. %, plus 12 p. 0 à ceux qui ont des traites acceptées par les M.
Je ne doute pas d'être dans cette dernière catégorie. Vous VOyez que nous nous en sommes tirés à bien bon marché.
Notre mémoire sur Savigliano a produit un bon effet.
On nous a répondu avec assez d'aigreur, mais en consenant à fixer le dividende maximum au 10 p. Cela deVlent passable. Lundi nous nous réunissons pour prendre Un parti décisif.
Nos discussions avec le Gouvernement ont eu le bon effet de persuader au public que le chemin de Savigliano ne pouvait pas rendre moins de 10 p.
Rien de nouveau sur la Banque. Il pleut depuis 12 heures. Cela assure la récolte des
maïs qui sera, j'espère, fort abondante. Si la maladie des pommes de terre se déclare en Angleterre, avec la même intensité que l'année dernière, on pourra y exporter de nos maïs. Nous verrons cela à la récolte. Il faudrait qu'ils valussent au moins 50 francs.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
XCI.
30 juin 1847.
Mon cher ami, Ne sachant pas si vous comptez vous reposer quelques heures en arrivant, je n'irai pas vous chercher à l'hôtel.
Je vous attendrai chez moi avec beaucoup d'impatience, car nous avons beaucoup de choses à nous dire. J'ai fait prévenir Golzio, qui sera chez moi à 11 h. t 12. À une heure, je vais avec Nigra chez Rével, lui annoncer l'acceptation définitive des conditions relatives à la Banque de Turin.
Savigliano tourne mal; plusieurs personnes sont découragées, d'autres pensent qu'en faisant mine de se retirer on obtiendra de meilleures conditions. Je vous avoue que l'idée d'avoir à faire à ce gros lourdeau de Desambrois, m'effraye. J'ai remis votre billet à Jaillet (1) et annoncé à Romagnan (2) votre arrivée en ville pour demain au soir.
Adieu, au revoir.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Alors Colonnel dans la Brigade de Savoie, plus tard Général en France, après l'annexion de la Savoie.
(2) Gendre du comte Guasco, capitaine de cavalerie, ami intime de Mr De la Rue.
XCII.
, Turin, 5 juillet 1817.
Mon cher Emile, Davidy nous a écrit, à Golzio et à moi, une longue lettre relative au débarquement des rails. Ne sachant trop que lui répondre, nous l'avons envoyée à M. qui est à Milan, et nous vous engageons à venir au plus-tôt, en conférer avec moi.
Le gouvernement s'étant aperçu de la bêtise qu'il a faite, en ne s'assurant pas la Darse (1) au préalable, parle de donner une indemnité pour changer le lieu de débarquement.
Il paraît que nous allons conclure l'affaire des bois de la Pérouse. Grolzio prétend qu'il y aura 50,000 francs à gagner. Cela me dédommagera de cet infâme Coq qui est enfin arrivé au Havre.
Adieu, je ne vous en dis pas plus long aujourd'hui, espérant vous avoir bientôt ici.
CAMILLE DE CAVOUR.
XCIII.
, Genève, 26 juillet 1847.
Mon cher Emile, Je veux vous écrire deux mots pour me rappeler à votre souvenir, et vous donner quelques nouvelles. J'ai trouvé Genève moins bouleversée que je ne le craignais. L'aspect Matériel de la ville n'a pas changé et les choses cheminent sans de trop grands désordres. Certainement il est triste de voir le pouvoir aux mains des gens les moins respectables (2),
(1) La Darse de Gênes, pour y débarquer les rails.
(2) Les radicaux, avec James Fazy à leur tête.
mais ces gens en font un moins mauvais usage qu'on aurait pu s'y attendre. Quant aux affaires suisses, il est difficile d'y voir clair. Toutefois, il me paraît que les radicaux ont moins envie de se battre qu'ils n'en ont l'air. Il se peut que tout se borne à des menaces et à des proclamations, mais qu'il n'y ait pas de coups de feu.
Les récoltes, dans la vallée du Rhône, sont magnifiques.
Depuis longtemps les. blés n'avaient autant rendu. On dit qu'il en est de même en France, voilà des raisons pour oublier tout à fait les blés et tourner nos vues sur d'autres affaires.
Si les chargements de guano arrivaient pendant mon absence, ne vous hâtez pas de les traiter. Ils seront plus difficiles à vendre qu'on ne le croit. Cette année, d'ailleurs, les frais de transport de Gênes en Piémont, doivent être fort élevés, c'est là un obstacle grave au débit du guano.
Aussi, je suis bien décidé à n'acheter de cet engrais par spéculation, qu'autant qu'on me le donnera à bon marché.
Je ne sais pas au juste jusqu'à quand je resterai ici, mais pour sûr je serai à Turin du 10 au 15 du mois prochain. Si vous me répondez de suite, adressez-moi votre lettre à Genève, chez Mr Auguste De la Rive.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
XCIV.
, Pressinge, 2 août 1847.
Mon cher Emile, Je m'empresse de répondre deux mots, à la hâte, à votre lettre du 30.
Je ne pense pas que le guano arrive à Gênes avant le 20 courant ; en tout cas, s'il anticipait de quelques jours, Cabella pourrait le faire décharger, sauf quelques quintaux
(lu guano Pérou seconde qualité, qui est destiné à votre frère H.
Je compte garder la moitié du chargement pour mon usage, l'autre est destinée à mes amis qui l'attendent avec impatience.
Dites à Balduino et Puccio que nous avons déjà deux bâtiments et que nous n'achèterons le leur, qu'autant qu'ils n'auront pas des prétentions exagérées. Ils seront embarrassés à vendre directement. Je doute qu'ils trouvent des amateurs dans les Vercellais, qui, déjà plus d'une fois, ont été floués par les Génois.
J'espère que l'affaire des bois sera bonne. Si j'ai bonne mémoire, j'ai envoyé moi-même à Gênes, des lettres relatives à cette affaire. Peut-être les aurai-je oubliées sur ma table, mais certes elles ont été copiées par Tosco, mon second secrétaire.
Mr Rénaldi doit vous prier de lui indiquer une Maison de Marseille, que nous puissions charger de nos intérêts dans la faillite Rayalle et Bellone. G. donnera 40 p. %, J'espère que les Marseillais donneront au moins 60, eux lui prétendaient avoir une marge d'un million.
J'ai dîné hier avec Davidy, chez Eugène De la Rive.
Adieu, mon cher ami, écrivez-moi à Turin la semaine prochaine.
CAMILLE DE CAVOUR.
XCV.
Turin, 13 août 1847.
Mon cher ami, Je suis arrivé cette nuit, j'ai trouvé ici une foule d'affaires arriérées, de sorte que je n'ai pas le temps de vous écrire au long.
Ce matin, on m'a apporté de chez Mr Golzio, une lettre
des Castellani, qui envoyent une soumission pour différents objets accessoires du matériel du chemin. J'irai la porter au chevalier Bona (1), en lui conseillant toutefois, de ne rien conclure jusqu'à ce que nous ayons reçu des lettres d'Angleterre.
J'ai mandé à votre Maison mon entrevue nocturne avec Golzio. Je lui ai donné une lettre de recommandation pour la maison Melly de Liverpool ; quoique j'aie eu à Genève les meilleurs renseignements sur les C.
Quoique j'eusse le plus grand plaisir à vous voir à Turin, je n'ai pas le courage de vous faire faire ce détour, par la chaleur qui règne dans nos plaines. Si vous pouvez suspendre votre départ jusqu'à lundi, je vous écrirai demain, après mon entrevue avec Bona.
Je n'ai pas encore vu Bolmida. Je sais seulement que tous mes scieurs de long sont partis il y a deux jours.
À la hâte mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. J'ai écrit à Cabella pour le guano.
XCYI.
, Turin, 14 août 1817.
Mon cher Emile, Je vous écris encore deux mots, à tout hasard, à Envie, pour vous rendre compte de mon entrevue avec le chevalier Bona. Ce digne administrateur m'a confirmé ce que
(1) Le chevalier Barthélemy Bona, alors intendant général des chemins de fer du Piémont ; plus tard secrétaire général du Ministère des travaux publics, puis ministre (1857-59). Député du Collège de Nice (Monferrato), nommé sénateur en 1854, mort à Florence en 1876. Son nom et son souvenir sont attachés à toutes les grandes créations de chemins de fer et de travaux publics de cette époque.
Golzio m'avait dit ; c'est-à-dire que le ministère lui avait donné la faculté de traiter pour son compte, 3000 tonnes de rails aux prix de M., en lui allouant de plus, une commission de 3 p. Le ministère attendra en outre, les notions de Golzio, avant de délibérer sur l'adjudication des freins, plaques tournantes, roues, etc.
S. est toujours ici, s'agitant beaucoup. Il n'est pas tout à fait aussi bas que je l'aurais imaginé.
Pour le moment, il vaut mieux que vous alliez à Gênes directement. Il sera peut-être nécessaire que vous fassiez une course à Turin, au retour de Golzio.
Bolmida m'a dit que l'affaire de la forêt cheminait rondement. Je me propose d'aller la visiter un de ces jours.
Vous apprendrez avec plaisir, que la maison Sébastien Bellone de Nice, sur laquelle je ne comptais nullement, a liquidé et va distribuer un dividende de 35 p. au moins.
Les G. donneront 40 p. 0/0.
C'est bien le diable si les R. ne nous couvrent pas entièrement.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
XCVII.
20 aoùt 1847.
JIon cher ami, Je vous adresse ces lignes à Envie, pour vous donner des nouvelles de nos affaires. Golzio n'a pas encore écrit, je n'attends plus de ses lettres avant lundi. Puisque vous ne serez plus à Envie la semaine prochaine, je me bornerai à en envoyer copie à votre Maison.
Les papiers relatifs à la Banque, sont tombés malheureusement, entre les mains de Barbaroux, qui est peu pressé
de voir notre projet mis en activité. J'espère cependant, que lundi on prendra un parti décisif.
La chaleur est ici étouffante, je dirais stupéfiante ; j'en suis à peu près imbécile.
Il paraît que quelques créanciers des G. se flattent de percevoir le 80 p. 0/0. Cela me paraît fort exagéré. Je crois que si l'on trouvait de bonnes cautions on ferait bien de se contenter du 50. Au reste, depuis que je sais que J. B. donne le 35, je suis sans inquiétude sur le sort de ma créance.
Les soies sont assez bien tenues. Aux prix courants, les fileurs peuvent réaliser de beaux bénéfices. Si j'étais à votre place, j'engagerais mes clients à réaliser une bonne partie de leur filature.
Les blés, les maïs et les riz continuent à baisser sans temps d'arrêt.
Adieu, au revoir à bientôt ou plus tard.
Tout à vous CAMILLE DE CAVOUR.
XCVIII.
Léri, 31 août 1847.
Mon cher ami, Malgré les assurances des Messieurs Heath Furst et C., vous aurez vu que la maison H. C. a été obligée de suspendre ses payements. Cette nouvelle tragique exige, de notre part, de promptes mesures. Si, comme je le pense, cette catastrophe n'atteint pas les T. et F., elle peut nous mettre en meilleure condition. Mais pour cela il faut que nous envoyons à Golzio des pouvoirs pour traiter avec une autre Maison puissante, qui prenne pour son compte le traité des Castellani, ou, tout au moins, nous serve d'in-
termédiaire avec les maîtres de forges. En conséquence, je vous engage à partir sur le champ de Gênes et de venir à Turin, pour que nous combinions ce qu'il y a à faire.
Davidy m'offre d'aller en Angleterre, je crois que ce serait fort utile qu'il s'y trouvât en même temps que Golzio.
Je vous attends à Turin samedi, n'y manquez pas.
Adieu, à la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
XCIX.
Tronzano, 29 août 184 7.
Mon cher ami, Ne pouvant porter moi même, à Mr Bona, la lettre que vous lui avez adressée le 27 courant, je la lui ai envoyée en y ajoutant deux mots, pour lui faire sentir l'importance d'une prompte décision.
Mr Rénaldi vous a transmis copie de la lettre de Golzio du 19, vous aurez appris que le bon M. entrait dans la maison Castelain comme associé. Cela me tranquilise tout à fait, car je crois que M. père est puissamment riche, et par conséquent, il n'irait pas associer son fils unique et son seul héritier, avec des gens qui fussent chancelants.
La récolte du riz est magnifique, malheureusement la grêle tombée mercredi, m'a emporté quelques centaines de sacs.
Adieu, mon cher, je vous écrirai à peine arrivé à Turin.
Tout à vous CAMILLE DE CAVOUR.
c.
Turin, 3 septembre 1847.
flfon cher Émile, Je vous envoie copie d'une lettre de Golzio, de Londres, qui est assez rassurante. Comme il parle de partir pour le continent, il est inutile que vous veniez ici pour combiner ce que nous avons à écrire.
Toutefois, comme il paraît essentiel de faire partir sans délai les rails qui sont fabriqués, je vous prie d'écrire sur le champ à Messieurs Heath Furst et C., pour les autoriser à payer au besoin à Thomson et Foreman les avances que les Castelain avaient stipulées. Il suffit d'assurer le départ d'un seul navire.
Je m'en vais trouver le chev. Bona. Je suis désolé de la faillite de C. Je vous avoue franchement que je suis à peu près certain que jamais Davidy n'a parlé de faire l'expédition du Coq en compte à tiers avec C. Il n'a jamais été question que d'embarquer nos riz sur un bâtiment nolisé par C. Je vous fais connaître mon sentiment, cependant je m'en remets entièrement à la délicatesse de Davidy, avec lequel je vous prie de régler cette affaire comme bon vous semblera.
Je vous écrirai demain, au long; ce matin je suis horriblement pressé.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CI.
4 septembre 1847.
Mon cher Émile, Je vous ai écrit hier deux mots qui, probablement; n'avaient pas le sens commun. La lettre de G. vous aura, J espère, tout à fait rassuré. Elle a produit cet effet sur moi. Il me paraît clair que G. ne considère plus la Maison (le Liverpool comme en état de pouvoir exécuter seule, son contrat, et que, par conséquent, il aura exigé une caution de premier ordre, ou il se sera décidé à traiter directement avec les maîtres de forges. Dans l'une et l'autre hypothèse, il me paraît évident que les C. de Liverpool fie peuvent songer à faire traite sur vous. Ce serait de leur Part un acte de déloyauté dont je les crois incapables.
P'après cette réflexion, je prends sur moi de suspendre jusqu'à lundi, l'envoi de votre lettre aux C. Lundi nous saurons quels sont les arrangements que Golzio a pris ; Pour peu qu'ils laissent de doutes sur la faculté que vous avez laissée aux C., je donne cours à votre lettre. Si vous ne trouvez pas mon opinion fondée, vous me l'écrirez lundi, et alors votre lettre partira mardi.
Je connais l'état critique de la place de Gênes et combien vous devez avoir à faire dans ce moment. Je ne me trouve pas, malheureusement, très en fonds dans ce moment, ayant à faire face aux frais de la récolte de riz que je Paye en argent, et étant obligé de faire des avances à l'usine du riz. Je vous envoie 13 billets de Banque que j'ai en caisse. Je préfère cet envoi à l'achat de papier sur Gênes, qui aurait l'inconvénient de me donner de l'inquiétude.
Si la semaine prochaine, il me rentre des fonds, je vous les expédiérai sans retard.
Si le papier sur France tombait beaucoup à Gênes, vous
pourriez m'en envoyer, je crois que je le négocierais facilement. Le Paris à 3 mois, se placerait à 99 15. Je vous ,couvrirai avec des billets, des espèces.
J'ai dit à Rossi, Schiaparelli et C., de ne plus tirer sur vous, jusqu'à nouvel avis. S'ils ont besoin d'argent plus tard, je leur ferai faire une traite à mon ordre, que je vous ferai escompter à la Banque. Leurs affaires vont bien, trop bien peut-être, car la vente est excessivement active. Quoique nous n'ayons pas encore livré une livre de phosphore et qu'ils nous ait été impossible de fournir tous les articles qu'on nous demande, nous avons déjà pour 60,000 fr.
de crédits. Dès à présent on peut compter sur un mou- vement d'affaires de 300,000 francs par an. J'espère que vos nouvelles lundi seront meilleures. Si vous désirez des billets comme ceux que j'ai envoyés à Davidy, je suis à vos ordres.
J'ai quelques broches sur Paris, mais ce n'est pas le cas de vous les envoyer.
Tout à vous CAMILLE DE CAVOUR.
CIL , 6 septembre 1847.
Mon cher Emile, Je vous envoie ci-contre, copie de la lettre de Golzio du 30. Il s'est laissé attendrir par M. Cependant, étant sur les lieux, il était mieux que nous dans le cas de juger ce qu'il convenait le mieux de faire. Si, en effet, il obtient la garantie de M. père, nous pouvons être tout à fait tranquilles.
Il donne cours, ce matin, à votre lettre aux C. de Liverpool.
Je vois que Heath n'aura rien à payer aux Thomson, FTAIS la commission que vous lui avez donnée produira toujours un bon effet.
J'ai écrit à Davidy quelques mots au sujet du Coq. J'ai relu toutes ses lettres et il n'est dans aucune, question de société avec C. Vraiment cette affaire a été menée bien légèrement.
Vous ne me dites plus rien de la crise. Cela me fait espérer qu'elle se calme.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. Les L. se sont plaint que vous aviez refusé de renouveler un prêt sur dépôt d'actions de la Banque. Ils croient que vous voulez rompre avec eux. J'en serais fâché, Car ce sont de très-braves gens.
cm.
Turin, 7 septembre 1847.
Mon cher ami, Je réponds à votre lettre du 6. Puisque vous ne croyez pas opportun de m'envoyer du papier, ne faisons rien d'ici à quelque temps ; c'est le plus sage. Vous avez raison de ne pas vouloir vous prêter aux billets de comodo qu'on vous expédie de Turin, mais quant aux prêts sur dépôts d'actions de la Banque, je vous trouverais bien sévère de Vous refuser à les faire, car enfin ce n'est pas une opération qui engage le crédit, au contraire, on prouve à la banque qu'on est possesseur de plus de capitaux réels, de Ce qu'on a besoin de fonds disponibles.
Vous aurez vu par ma lettre d'hier, que j'avais prévenu Vos désirs et donné cours à votre lettre aux C. Je suis
grandement de votre avis. Dans la position où cette Maison est placée, il ne serait pas du tout convenable que vous acceptassiez ses traites pour des sommes considérables ; cela vous ferait tort aux yeux de tous les gens raisonnables.
J'ai écrit à Grolzio pour le prévenir de votre détermi' nation. J'écrirai également à M., dès que je saurai où le prendre. Pour le moment, je ne sais s'il est à Londres, Liverpool ou Bruxelles.
Quand nous aurons reçu quelques bâtiments, alors nous pourrons nous montrer plus faciles avec ces messieurs. Il est indispensable, avant de nous mettre à découvert, d'avoir reçu au moins 3000 tonnes. J'ai reçu trois échantillons de guano. Il paraît que les Génois ont mordu à l'hameçon, trois cargaisons outre celle
de Liverpool, c'est beaucoup pour le pays. D'après ce que me mande Cabella, il y a à peu près 700 tonnes ; rien qu'à 200 francs par tonne c'est 140,000 francs. C'est une affaire qui est à considérer à deux fois, avant de la tenter.
Mon guano de Liverpool est tout placé. J'ai eu soin de ne pas en vendre dans le Vercellais. Je puis, dans cette province, compter sur un débit de 50,000 francs au moins.
Comme on manque de paille, cette année il sera peut-être beaucoup plus considérable.
En résumé, c'est une affaire à ne pas négliger, mais dont il ne faut pas s'engouer. Si nous pouvons l'avoir à bon compte au-dessous de 20 fr., on peut risquer; mais quant à passer ce prix, je vous avoue que je ne m'en soucie guère.
Je n'ai pas encore fait analyser les trois échantillons, mais à en juger par la vue et l'odorat, le guano Baldoino vaut mieux que les autres. ,
Vous savez que le gouvernement a porté à 4 p. le taux des prêts sur les obligations. C'est bon pour la Banque et mauvais pour nous.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CIV.
11 septembre 1847.
Mon cher ami, Golzio est arrivé. M., fils, lui a écrit de Malines, que son père s'était décidé à aller avec lui à Liverpool, qu'arrivés dans cette ville, le père et le fils nous donneraient les plus amples garanties pour l'exécution du contrat des rails. Golzio m'a répété que, soit H., soit T., lui avaient, Rieme après la faillite C., renouvelé l'assurance qu'il n'y avait absolument rien à risquer pour nous, et que les fabricants qui s'étaient chargés de notre fourniture, étaient en état de livrer deux fois plus de rails et de coussinets que nous n'en avions besoin.
Golzio approuve beaucoup votre lettre aux C. à l'égard des traites. Au reste, il avait déjà arrangé avec M. que la Maison de Liverpool ne tirerait pas sur vous, au moins Pour le moment.
Je vous prie de remercier Davidy de la détermination qu'il a prise à l'égard de nos riz. J'apprécie toute la délicatesse de sa conduite.
Vous ne me dites rien des démonstrations qui ont eu lieu à Gênes. Cela a fort occupé les esprits.
J'ai remis hier au ministre les statuts de la Banque, rédigés d'accord avec lui et signés par tous les promoteurs.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CY.
13 septembre 1847.
Mon cher ami,
Je réponds à 4otre lettre du Il courant. Golzio doit avoir entretenu Mr Bona de l'affaire des allèges. Comme je vais partir pour Léri, veuillez vous entendre directement, à ce sujet, avec Golzio qui est plus au fait que moi, de la manière de négocier avec les Aziende.
Je suis convaincu que Balduino et Picino seront obligés de traiter avec moi, veuillez leur déclarer que s'ils ven- dent au détail, je retire mes offres. Tout ou rien.
Si vous avez quelque chose de pressé à me faire savoir, écrivez-moi à Tronzano. Pour les affaires courantes, adressez vous à Mr Rénaldi (1). Les blés ont remonté. On dit que la récolte des maïs ne tient pas ce qu'elle promettait, que la gelée a fait beaucoup de mal en Savoie et en Suisse. Je ne puis avoir, à cet égard, d'opinion bien fondée. À Santène la récolte du maïs est fort belle. Il en est de même à Grinzano ; mais les plaintes viennent d'autres localités avec lesquelles je n'ai pas de rapports directs. Le riz aussi se soutient. Il y a eu la semaine dernière deux grêles épouvantables ; on estime le dommage qu'elles ont causé, à 60,000 sacs. Un de mes amis en a perdu 2000.
Je vous sais très-bon gré de votre conduite envers les L. , j'aurais été fâché qu'on crût que je voulais vous détacher d'eux.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. Golzio vient de me dire que le chevalier Bona est allé à Valence avec le Roi, mais qu'il croit être de retour aujourd'hui.
(1) Secrétaire du comte de Cavour.
CVI.
Turin, 14 septembre 1847.
Mon cher ami, Je vous écris encore deux mots avant de partir pour Léri. Les nouvelles que vous me donnez de Gênes, me rasSurent. Tout en étant fort ami du progrès, je ne me soucie Pas de nous voir lancés sur une mer orageuse sans pilote habile à bord. Je crois qu'en définitive tout s'arrangera Pacifiquement. Évidemment l'Autriche est fâchée de ce qu'elle a fait à Ferrare.
Les obligations ont beaucoup baissé, elles sont à 1125 fr.
Je crois qu'elles se relèveront, car au fond l'argent ne banque pas. Les soies s'écoulent et les fileurs gagnent.
Mais dans ce moment tout le monde a peur, quoique beaucoup de monde ne sache pas de quoi.
Grolzio m'a promis de venir me voir ce matin. Lorsque le chef de division des chemins de fer l'a vu entrer dans Son bureau, il lui a sauté au cou et l'a embrassé. Qu'en dites-vous ?
S. est toujours ici, on prétend qu'il veut plaider. À
Propos, Golzio a acheté une cargaison de coke, je pense qUe c'est pour compte du Gouvernement.
Je vous recommande l'affaire du guano, je suis certain que Picino et Balduino seront obligés d'en passer par où Je veux. Personne ici n'ose faire une spéculation sur une aussi grande échelle. Les Verceillais qui ont acheté directement à Gênes, ont tous été pincés.
Ayez l'air de traiter avec Carignani qui, en fin de compte, sera, je l'espère, forcé de jeter son guano à la mer.
Comme je dois vous faire passer des fonds, dites-moi si Je puis vous adresser des remises, ou vous faire avoir des edis ou des billets de Banque.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CVII.
Léri, 16 septembre 1847.
Mon cher ami, Je vous écris deux mots à la hâte, pour vous prier de suspendre la négociation des deux chargements de guano Balduino et Picino, jusqu'à l'arrivée à Gênes de Mr Badino de Yerceil, avec lequel j'ai du entrer en traité pour qu'il ne me fît pas concurrence.
Je vous prie d'accueillir favorablement Mr Badino et de vous entendre avec lui pour l'achat du dit guano.
Le temps favorise singulièrement la récolte du riz, qui, toutefois, ne sera pas aussi abondante qu'on l'avait espéré.
Adieu, mon cher ami, croyez à mes sentiments dévoués.
CAMILLE-DE CAVOUR.
CVIII.
Léri, 19 septembre 1841.
Mon cher ami, J'ai reçu hier votre lettre du 16 courant. Vous aurez reçu depuis deux jours, l'avis que les C. avaient cédé leur premier contrat aux Baudon. Comme vous êtes d'anciens amis, vous n'aurez aucune difficulté à vous entendre avec eux pour les remboursements. Je ne crois pas que les Baudon veuillent tirer sur vous, mais quand ils le feraient cela ne pourrait nullement vous compromettre, car j'ai toujours ouï dire que c'étaient des gens de tout premier ordre.
Vous avez parfaitement raison pour insister sur le 2 p.
sur les nolis. Il n'y a pas eu d'engagements formels, mais M. a toujours parlé de la commission sur les nolis, comme
compensation de vos soins dans cette affaire. Je puis l'attester de la manière la plus positive.
J'accepte avec plaisir votre proposition relativement aux obligations. Si vous voulez, nous règlerons cette affaire au premier octobre.
Quant au guano, je vous ai dit que pour m'ôter tout souci, j'avais donné un intérêt à deux négociants de Verceil, Messieurs Badino et Mazzuchelli; le premier, qui est génois, désire aller voir par lui même la qualité du chargement, vous pouvez le lui laisser traiter, car c'est un homme fort habile. Je vous engage même, à déclarer à Picino que, puisqu'il se met à détailler, vous retirez votre offre.
Badino vous consultera, si par hasard il parvenait à conclure, je vous autorise à lui avancer pour cette affaire, dont Bn définitive vous aurez toujours la direction, 10,000 fr.
Si Balduino veut plus de 19 fr., qu'il garde son guano.
Je suis fort heureux d'être pourvu pour mon compte.
Je vous remercie de vos nouvelles politiques, elles m'ont fort diverti. Le séjour de Léri a le grand mérite de m'éloigner de tous ces bruits qui m'excèdent.
Mon frère devant venir me voir à Léri, je resterai encore quelques jours ici.
Adieu, mille amitiés.
Votre affectionné CAMILLE DE CAVOUR.
CIX.
Léri, 26 septembre 1847.
Mon cher Émile, Pendant que le monde financier est agité par les plus dolents orages, je ne songe dans mon coin, qu'à retirer du riz et du maïs. Je me trouve fort bien de cet éloignement
des affaires, qui me permet de jouir du plus complet repos d'esprit. j Depuis que le contrat des rails est entre les mains des Baudon, je dors parfaitement tranquille, car cette Maison me paraît, non à l'abri des pertes, mais hors d'atteinte d'une catastrophe comme celles qui viennent d'épouvanter toutes
les bourses du monde.
Je vous remercie des détails que vous me donnez sur l'affaire guano. Je prévoyais le mauvais effet que devait produire le voyage de Badino, néanmois, j'ai consenti afin d'ôter du cervau de ces Messieurs l'idée que je voulais monopoliser le commerce du guano. Vous comprenez qu'en cette matière, l'intérêt n'est pas mon seul guide.
Quant à la politique, je m'en bats l'œil. Pendant longtemps j'y ai pris la chose au sérieux, il en est résulté que les ultras m'ont accusé de radicalisme et les radicaux d'ultraïsme ; je me suis trouvé un beau jour honni par les deux partis. Sur ce, je suis venu à Léri renonçant à la folle idée de jouer un rôle dans ce bas monde, sur le théâtre de la politique.
J'espère que la grande faillite de R. C. et Comp. ne vous intéresse pas. C'est un terrible moment à passer.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
ex.
, Turin, 4 octobre 1847.
Mon cher Emile, Je suis arrivé hier au soir, de Léri, et je. n'ai pas vu encore le bon Golzio. En conséquence, je ne vous donnerai pas de nouvelles de nos affaires. Je les sais en bonnes mains, de manière à me laisser l'esprit en repos.
Il y a eu ici du bruit, la veille de la naissance du Roi.
On a beaucoup crié sur les remparts: vive le Roi! vive les Lucquois! à bas les Jésuites! etc. Le rassemblement s'étant dirigé vers l'hôtel de l'ambassadeur d'Autriche, un détachement de soldats lui a barré le passage et tout est l'entré dans l'ordre.
La gazette vous aura appris la nomination #d'un certain nombre de conseillers d'Etat extraordinaires, parmi lesquels figurent plusieurs noms assez libéraux. Je crains, qu'il n'y ait d'extraordinaire dans cette affaire, que de ne jamais les voir réunis
Nous sommes occupés à préparer des engrais artificiels pour les semailles du blé. On nous en demande beaucoup, mais j'insiste pour que nous n'en donnions qu'à titre d'essai.
Adieu, je vous écrirai demain.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
CXI.
Turin, 9 octobre 1847.
Mon cher ami, Je reçois votre lettre du 8 au moment de monter en voiture pour Santena et Grinzane. Je vous réponds deux mots, à la hâte.
Grolzio m'a expliqué l'affaire de la forêt. Elle a éprouvé des difficultés, comme toute nouvelle affaire en éprouve.
Bolmida ne pouvait les vaincre, car s'il est un habile négociant, il n'y entend rien à l'exploitation des forêts, qui est une affaire du genre de celles que Golzio fait depuis son enfance.
Si nous achetons de nouvelles coupes, nous n'aurons presque pas de débours à faire, le bon Golzio nous payant par anticipation les traverses qui sont équaries, avec l'argent qu'il retire du gouvernement. Ainsi ne vous agitez pas à ce sujet.
La politique va médiocrement ici. La réaction commence.
On publie des proclamations contre les rassemblements et
les ultras commencent à relever la tête.
J'ai vendu toute ma vendange à Messieurs Ondart et Bruché (1), qui feront du vin chez moi, pour l'usage des Génois. Je vous recommande d'en dire beaucoup de bien, afin que je puisse, une autre année, me faire payer mes raisins plus cher.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXII.
10 octobre 1847.
Mon cher ami, Je ne suis revenu que ce matin de Grinzane, où, quoique vous en disiez, on fait du vin beaucoup meilleur que votre Saint Georges.
J'ai vu Golzio il y a peu d'instants. Il est vrai que M. lui bonifie 1 p. sur sa fourniture, qu'il garde pour frais de voyage. Je vous l'ai mandé dans le temps. Le bon Golzio est furieux contre M. qu'il ne trouve pas assez actif. Il dit avec raison, que s'il n'avait pas usé d'excessive délicatesse à son égard, il aurait pu avoir la fourniture des plates-formes qui nous a échappé. Du reste il n'est pas inquiet des retards dont vous me parlez, parcequ'il est à peu près certain que Bona, maintenant son tendre ami, ne le chicanera pas. D'ailleurs Burkard lui a écrit de Liverpool, sans lui dire un mot des difficultés auxquelles votre lettre fait allusion.
(1) Français établis à Gênes, où leur Maison jouit d'une juste réputation dans le commerce des vins.
Golzio m'a dit qu'il me rembourserait, dans quelques jours, les frais de voyage qu'il vous doit. Je lui ai répondu de ne pas se gêner, qu'il payerait lorsque cela lui conviendrait. Si par hasard il y avait quelques intérêts à supporter, j'en prendrai ma part, car je vous engage à beaucoup ménager Golzio qui est un homme précieux. Le gouvernement ne peut pas se passer de lui et doit lui confier la plupart de ses entreprises. En le traitant bien, nous sommes à peu près certains qu'il ne se détachera pas de nous.
Puisque vous ne faites pas d'affaires, vous ne devez pas être à court d'argent, c'est pourquoi je ne me presse pas de vous couvrir.
Je m'en vais prévenir R. et S. de s'adresser à Messieurs Melhwish, Gray de Londres, en remplacement de ces pauvres Rougemont qui ont manqué.
Les céréales se soutiennent d'une manière qui m'étonne.
Le blé est très-recherché, le maïs aussi. Je ne puis m'expliquer un tel état de choses que par l'influence que les hauts prix de l'année dernière exercent sur l'esprit des détenteurs.
Veuillez me donner quelques renseignements sur l'état de votre place à cet égard. Peut être que les désastres qui ont frappé le commerce des blés, auront dégouté un grand nombre de vos faiseurs et que par suite, les arrivages d'Odessa auront diminué.
Je n'ai pas encore recueilli de nouvelles politiques, de sorte que je suis moins bien renseigné que vous sur ce qui se passe à Turin.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. Vous aurez appris, sans doute avec un vif regret, la mort de la pauvre marquise de Rorà.
CXIII.
m
Turin, 16 octobre 1847.
Mon cher ami, Je reprends la plume pour vous annoncer que le Conseil d'État a approuvé dans sa séance de ce jour, les statuts de la Banque de Turin, sans faire la moindre objection.
L'affaire peut donc être considérée comme faite.
On m'a appris ce soir une faillite de Marseille, dans laquelle vous seriez intéressé pour une forte somme. J'espère que cette nouvelle n'est pas exacte, ou du moins fort exagérée.
Croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXIY.
Turin, 22 octobre 1847.
Mon cher ami, Je vous écris deux mots à la hâte, à mon retour de Campion, où j'ai passé deux jours. J'ai trouvé toute la famille Rorà bien abattue. La perte qu'elle a faite est immense, car la marquise Adèle était la clef de la voûte qui tenait réunis tous les membres dont elle se compose.
Le Roi est assez souffrant, on l'a saigné quatre fois. Ce matin, sans être plus mal, il n'y avait pas de mieux décidé.
Cette maladie le dispensera peut-être du voyage de Gênes qui l'offusque extrêmement.
Mr de Saint Marsan est arrivé hier au soir. On attend avec impatience de voir la couleur qu'il prendra.
Les patentes de la Banque sont signées ainsi que l'annonce la Gazette de Turin
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
cxv.
25 octobre 1847.
Mon cher ami, Nous venons d'avoir pendant deux jours, non de véritables émeutes, mais des démonstrations publiques en faveur des idées nouvelles. Dans les soirées de vendredi et de samedi, il y a eu des réunions nombreuses sur les principales places de la ville, notamment sur la place Saint Charles, et l'on a beaucoup crié : Viva Pio IX! Les autorités, sauf quelques exceptions, ont agi avec assez de modération et le commandant lui même, le féroce Bury (1) s'est montré assez poli.
En définitive, il n'y a pas eu de véritables désordres.
La population s'est montrée fort sage, mais en même tems assez décidée. Hier, la soirée a été tranquille. Il y avait beaucoup de promeneurs dans les rues, mais ni cris, ni bruits.
Maintenant quel effet ces démonstrations auront-elles?
Tous les hommes raisonnables, quelles que soient d'ailleurs leurs opinions, pensent que le gouvernement doit faire des concessions dans le sens de celles accordées par le Pape.
J'ose dire qu'il y a à cet égard, unanimité. Le Roi se décidera-t-il à les faire ? C'est probable, quoique je craigne qu'il ne tâche de les rendre illusoires par des subterfuges peu louables.
(1) Commandant militaire de la Place de Turin.
On travaille à une loi sur la presse et à une nouvelle organisation communale. Ce sera déjà un premier pas dans la bonne ligne, mais ce pas est insuffisant. Il faudrait, avant tout, retirer la police des mains des commandants. C'est ce que le Roi a le plus de répugnance à faire.
Au reste, il est probable que les plus grands changements s'opéreront à Gênes' et que vous en serez instruit avant moi.
Les affaires de la Banque marchent, samedi nous avons décidé : 1° De charger une Commission de trois membres deprendre les mesures définitives pour la location et l'appropriation du local où la Banque sera installée (Bolmida, De Fernex, Cavour) ; 2° De charger une Commission de 2 membres (Barbaroux, Casana) de former une note des candidats à la place de directeur; 3° De verser 500 francs par fondateur pour les dépenses courantes.
J'envoie ce matin 1000 et je vous débite de 500.
J'espère que nous pourrons nous arranger au rez-dechaussée du palais du Prince de la Cisterne.
Les nouvelles d'Angleterre sont décidément désastreuses.
La suspension du Royal-Bank de Liverpool doit porter un grand coup au commerce de cette ville. Golzio m'assure qu'il vous écrit régulièrement, je ne vous parle pas des rails.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXVI.
8 novembre 1847.
Mon clier ami, Comme vous le dites, nous avons passé le Rubicon et nous sommes entrés dans la carrière des idées nouvelles (1).
Le gouvernement ne peut plus reculer après ce qu'il a fait, et surtout après ce qu'il a laissé faire. Bon gré, mal gré, il va suivre l'impulsion qui, dans peu d'années, l'amènera a établir parmi nous le système représentatif.
(1) Le 2 septembre, Charles Albert avait adressé au comte de Castaguetto, la célèbre lettre, où, dans un moment d'enthousiasme, il avait e<srit : u Si jamais Dieu nous fait la grâce de pouvoir entreprendre une guerre d'indépendance, c'est moi seul qui commanderai l'armée, et je suis résolu à faire pour la cause Guelphe ce que Schamil fait contre 1 immense Empire Russe ». Cette lettre lue à l'Assemblée du Comice Agraire de Casai présidé par le comte de Colobian, y provoqua des transports d'enthousiasme, mais peu après, Charles Albert répondant à Une Députation génoise venue à Turin pour applaudir à ses paroles, étirait à peu près ses promesses et refusait d'accorder la liberté de la Presse et l'institution de la Garde Nationale. Un mécontentement gérerai et des démonstrations publiques en furent partout, la conséquence, eu particulier à Turin, où la police intervint brutalement le 1er octobre, ce lui provoqua la démission du ministre Villamarina et força le Roi à se séparer du comte Solaro della Margherita. Le 30 octobre enfin, la Gazzetta Piemontese (journal officiel) publiait une notification promettant au nom du Roi, toutes les réformes demandées par le peuple et en particulier, le gouvernement avec un Conseil d'Etat consultatif et la semi-liberté de la presse, sous le contrôle d'une Commission suPérieure de censure (dont l'illustre comte Frédéric Sclopis fut nommé Président), réformes qui marquaient, sans doute, un grand progrès, mais Vu étaient insuffisantes, car, au fond, elles constituaient une fausse poSltIVe pour le gouvernement, qui, grâce à elles, n'était plus absolu, 1llais n'était pas non plus constitutionnel.
Turin, après des fêtes, des illuminations et des cris sans nombre, est rentré dans le calme le plus profond. Le pu- blic attend avec impatience, de voir se dérouler devant lui la série des mesures dont on ne lui a donné que le programme.
Les membres de la Cour de Cassation sont nommé, vous les verrez probablement dans la gazette de Gênes. Venant au affaires, je vous avouerai que votre lettre m'a fait le plus grand plaisir, le bon résultat de l'essai des rails me tranquillise tout à fait. Maintenant notre affaire marchera sans difficultés. Golzio m'a dit, en partant, qu'il aviserait à tout. C'est un homme bien précieux.
On m'accable de visites. Adieu.
Votre affectionné CAMILLE DE CAVOUR.
CXVII.
15 novembre 1847.
Mon cher ami, Depuis votre départ, le commerce de Turin a pris le mors aux dents. La Chambre a nommé une Députation pour aller remercier le Roi de l'union douannière. Les commerçants réunis à la Bourse, ont décidé d'envoyer un drapeau au commerce de Gênes. J'ai été choisi par la Chambre et par les commerçants, de sorte que je fais partie des deux Députations.
Nous partons mardi à 2 ou 3 heures, et comptons arriver mercredi à Gênes, dans la matinée. Vous ne devineriez jamais quel sera mon compagnon de voyage. Je vous le donne en dix — eh bien ! c'est le vieux Barbaroux qui lui aussi, avec ses 86 ans, veut aller à Gênes célébrer les réformes. Ce ne sera pas très-amusant pour moi, mais au moins c'est très-convenable. Je n'ai pas pu refuser ce respectable vieillard.
Nous sommes convenus d'aller tous chez Féder (1).
Je vous verrai mercredi, et vous apporterai des nouvelles de Golzio. Je suis bien aise de voir par moi-même, nos infortunés rails.
Cette lettre vous est portée par mon intime ami Mr de Sainte Rose, qui fait partie de la Députation de la ville de 'furin. Je vous le recommande, dans le cas où il aurait besoin de vous.
A la hâte.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXVIII.
Turin, 18 novembre 1847.
Mon cher ami, Je suis tout capot d'être forcé de vous écrire, au lieu d'aller vous faire la visite que j'espérais. Le pouvoir a fait Un faux pas. Patience ! Il faut se résigner, car ce ne sera ni le seul, ni le dernier. Je crois que la Députation du commerce aurait fait un excellent effet. Elle était composée d'hommes ultra-modérés; on la retient sans raison plausible, sans avantage réel, au risque de causer des explosions de mécontentement. J'espère que le pouvoir ne continuera pas dans la voie funeste où il s'est engagé un moment. Il serait déplorable qu'il perdît la popularité qu'il s'était acquise.
Du reste rien de nouveau. Nous continuons à nous occuper de l'organisation du journal (2). La petite brochure
(1) Premier Hôtel de Gênes, à cette époque.
(2) Le Risorgimento. Les nouvelles libertés accordées à la presse, quoique assez restreintes encore (obligation de l'autorisation supérieure pour les journaux, limitation de leur publication dans les chefs-lieux de division, Commissions supérieures et Commissions provinciales de révision, etc.), donnèrent à Cavour l'idée de fonder un journal poli-
de Balbe : « Alcune parole", a produit un excellent effet.
Dites à tout le monde qu'elle contient notre véritable programme. Cela nous vaudra des actionnaires. On intrigue beaucoup contre nous. La médisance et la calomnie vont leur train ; mais jusqu'à présent nous ne sommes pas découragés. Je ne vous parle pas des rails, ni des coussinets. Je m'en tiens à ce que Golzio vous en dit. J'attends avec impatience la réponse des Baudon.
Les céréales baissent sur nos marchés. Mais ce n'est point encore le cas de spéculer.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
tique quotidien, pour diriger le mouvement avec une" énergique modération, également éloignée des exagérations des ultra-libéraux et des rétrogrades". Le Risorgimento fut fondé par Cavour, Balbo, Santa Rosa, Santi, Galvagno, Ferraris, Castelli, etc., qui constituèrent une Société, au capital de 100,000 francs, divisé en 500 actions de 200 fr.
Le premier numéro du journal parut le 15 décembre. Il contenait un article du comte de Cavour : « L'influence des Réformes sur les conditions économiques de l'Italie ». Le programme du journal y figure aussi, rédigé par le comte Balbo et se résume en ces termes : 1° Indépendance — 2° Union entre les princes et les peuples — 3° Progrès dans la voie des Réformes — 4° Ligue des prince italiens entre eux — 5° Modération forte et bien ordonnée.
Dans le second numéro, qui parut le 21 décembre, le comte de Cavour figure avec le titre de Directeur du journal et plus tard avec celui de Gérant. Le Risorgimento fut l'organe du comte de Cavour et le premier champ de bataille de ses luttes politiques. Il y collabora et le dirigea jusqu'au jour où il fut nommé ministre, et les innombrables articles qu'il y publia, démontrent ses admirables aptitudes économiques, financières et politiques, en même temps que son profond amour pour sa patrie et ses progrès. Il disait lui-même, que" ce qui l'avait le mieux préparé au maniement des affaires et de la politique, c'était, après les mathématiques, d'avoir été journaliste". (MASSARI, Il conte di Cavour, pag. 28).
CXIX.
21 novembre 18-17.
Mon cher ami, Vous receverez par le courrier une copie du programme ùu nouveau journal. Faites-le lire à vos amis et tâchez de nous obtenir des actionnaires, auquels vous ferez signer Qn des bulletins ci-joints, que vous me renverrez ensuite.
Adressez-vous surtout et uniquement aux gens de l'opinion modérée. Dites-leur à demi voix, qu'il s'agit de combattre l'influence d'un journal exagéré : La Concordia (1), et qu'il est de la plus grande importance de s'organiser promptement.
J'ai lu avec plaisir, la lettre des Baudons. Elle est tout a fait convenable. Vous aurez appris directement que les Ticinois ont été complètement battus par les gens d'Uri, lsquels, à l'heure où j'écris, doivent être maîtres de Belllllzone. Cette affaire a une grande importance en mettant les ligueurs en contact avec l'Autriche. Cela leur assure les vivres et les munitions qui leur manquent.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) La Concordia, journal politique fondé à Turin par les professeurs Domenico Berti et Giuseppe Bertoldi, et messieurs Domenico CerrUtti, Marco et Gargano, sous la direction du député Lorenzo Valerio.
T16 premier numéro parut le 1 Cr janvier 1848. Le programme du journal ®tait : Concordia e federazione entre les États de Rome, Toscane et Piémont.
cxx.
Turin, 23 novembre 1847.
Mon cher ami, Je commence ma lettre avant la poste, car voilà plusieurs jours qu'une fois le courrier arrivé, je n'ai plus le temps d'écrire. Les dernières nouvelles de Gênes m'ont fait le plus grand plaisir en me prouvant que, pour le moment du moins, les modérés ont eu le dessus. Il en est de même à Turin, où l'esprit, en général, est excellent. Ce qu'il faut maintenant, c'est que le gouvernement soit sincère et qu'il n'ait pas des accès de repentir et des velléités de reculade.
Malheureusement, on ne peut guère compter sur l'esprit de suite du principal personnage. Il vient de prendre une décision qui a produit un effet déplorable. Quelques officiers du Piémont Royal(l) en garnison à Vigevano, étant allés au théâtre de Mortara, prirent part aux démonstrations qui eurent lieu en faveur des réformes; ces démonstrations, bruyantes il est vrai, mais tout à fait inoffensives, ne donnèrent lieu à aucun désordre. Malgré cela, le ministre de la guerre a envoyé dans des forts quatre officiers et en a mis quatre aux arrêts forcés, au quartier. Parmi ces officiers, il y a un major et trois capitaines. Ce n'étaient pas des perturbateurs ni des factieux, puisque deux d'entr'eux, Cigala (2) et Villamarina (3), sont attachés à la Cour.
Vous aurez reçu hier le programme de notre journal.
(1) Régiment de grosse cavalerie piémontaise.
(2) Le chevalier Henry Martini de Cigala, plus tard général.
(3) Le comte Bernardino Pès di Villamarina del Campo, plus tard général.
J'espère qu'il sortira avant la fin de l'année. Balbe (1) est très en train. Il s'est engagé à nous faire tous les premiers Paris. Continuez à le prôner. Vous nous rendrez un de ces services qui ne seront pas inutiles au pays.
Il est entendu que toutes les actions de la Banque que, vous ou moi, nous pourrons avoir, seront en commun. A Turin les demandes ont été fort nombreuses. Elles dépassent de beaucoup la somme disponible. Peut-être en sera-t-il autrement à Gênes. C'est un motif pour en beaucoup demander; 50 actions ce n'est pas trop, nous n'en serions pas embarrassés.
Dites-moi si vous en avez proposé à vos correspondants de Genève. Pour mon compte je n'en ai plus parlé à personne.
Vous faites bien de ne pas escompter et de continuer à jouer très-serré. Mais une fois l'année achevée, je pense que vous pourrez recommencer à donner l'eau au moulin "t à faire tourner la roue.
(1) Le comte César Balbo (né à Turin en 1789, mort en 1853) fils du comte Robert Balbo, ambassadeur de Sardaigne a Paris, fut élevê dans cette ville et y servit pendant longtemps dans l'armée Française, où il obtint le grade de major. Chargé d'affaires de la Sardaigne en Espagne, en 1818 et 1819, il revint prendre du service en Piémont, puis Voyagea jusqu'en 1824, époque où il revint s'établir à Turin et où il écrivit; entre autres œuvres : Le Speranze d'italia, qui furent un vrai événement, ainsi que son ouvrage : Sulla situazione dei popoli liguri subalpini en 1847. Il collabora activement à la rédaction du Risorgimento et le 16 mars 1848, Charles Albert qui venait d'accorder le Statuto au Piémont et qui professait pour lui une haute estime, le chargea de former un nouveau Cabinet (cfr. Lettre CXXXVII) qui tomba le 27 juillet 1848, à la suite de l'armistice Salasco et des violentes discussions qui le suivirent. Au Parlement, Balbo représenta le II Collège de Turin, y jouit du respect de tous et fit partie de plusieurs Commissions ; il Présida en particulier celle qui fut chargée de rapporter sur le traité de paix de Milan du 6 août 1849, et fut délégué par d'Azeglio, en 194'», comme envoyé extraordinaire à Gaëte et à Naples.
Je vous envoie par le courrier l'ouvrage que vous me demandez, Le Portefeuille des chemins de fer. Gardez-le tant que vous en aurez besoin, Golzio l'a aussi. En conséquence il est inutile de vous en faire faire la dépense.
M. a écrit de Paris. Le pauvre Burkard aussi, qui vient de manquer ainsi que les C. Nous sommes bien heureux d'avoir à faire aux Baudon. Si vous réussissez à vendre les rails du San Giacomo en Lombardie, ce serait une excellente affaire qui nous mettrait l'esprit en repos. J'espère que vous aurez terminé avec Pucci.
J'ajouterai deux mots après le courrier.
Dites-moi ce que c'est que Borsino de votre ville.
Davidy m'a écrit, mais comme il m'annonce vous avoir écrit en même temps, je ne vous envoie pas la lettre.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXXI.
Turin, 26 novembre 1847.
Mon cher ami, Un de mes correspondants me demande 20 actions de la Banque, et m'autorise à payer une prime de 8 à 10 p. 0/0' Tachez de vous en procurer à 8 p. %, là-dessus nous partagerons une petite commission.
Offrez 8 p. °/o à la Bourse, cela fera bon effet.
J'attends deux mots de réponse avant de chercher ici.
Adieu, à la hâte.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. Golzio vous aura écrit qu'à 3 heures aujourd'hui, on compare le fer de nos rails à l'échantillon déposé à l'Azienda. On m'avait invité à assister aux expériences.
J'ai répondu que vous et moi, nous nous regardions comme suffisamment représentés par Mr E. Golzio.
CXXII.
3 décembre 1847.
Mon cher ami, Je vous envoie par la poste, une masse de programmes de notre journal. Faites-les répandre dans toute la ville.
Demain je vous expédiérai plusieurs copies des statuts de la Société, vous en remettrez une à chacun de nos actionnaires. Il y a maintenant à payer, par action, 50 francs. Je porterai sur votre compte ce que messieurs Ricci et Sebilla doivent payer. Je garderai les titres jusqu'à ce que tout soit payé, à moins que vous n'en décidiez autrement.
Nous sommes prêts à paraître tous les jours. Nous attendons une décision relative au timbre, afin de fixer en conséquence, le prix des abonnements (1).
On prépare de grandes démonstrations pour demain. Les étudiants, au nombre de 2000, seront eux aussi, sous les armes. J'espère que tout ira bien.
Je ne vous parle pas des rails, n'ayant pas pour le moment le temps d'y penser. D'ailleurs l'affaire est en trop bonnes mains pour que je m'en inquiète le moins du monde.
Je crois que les actions de la Banque prendront faveur.
Il sera très facile de les faire mousser au début. Ce que, du reste, on peut faire sans scrupules, puisque l'affaire en elle même, est excellente.
Je vous renouvelle l'instance d'acheter ce que vous pourrez trouver au dessous de 10 p. Ce genre de contrat n'étant pas légal, il ne faut en conclure qu'avec des personnes dont vous soyez parfaitement sûr.
(1) Le 13 décembre la Chambre Royale des Comptes (Tribunal Suprême du Contentieux administratif) fixa à 3 centimes, le droit de timbre des journaux politiques.
Voulez-vous que je vous propose comme correspondant de la Banque à Gênes ?
Davidy me paraît très découragé en affaires et en politique. Altro que donner raison à Valerio, il a l'air de nous trouver trop dans le mouvement. Il avoue que les banquiers de Paris sont fort rassurés.
Adieu, mon cher.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
CXXIII.
7 décembre 1847.
Mon cher ami, Je vous suis infiniment reconnaissant des peines que vous vous donnez pour notre journal. Je comprends parfaitement que vos grands meneurs, Balbi et autres, veuillent avoir un journal à eux, et ne puissent, par conséquent, disposer de fonds en notre faveur. Veuillez leur confirmer tout ce que vous leur avez dit sur nos dispositions à leur égard, et leur demander de ma part, l'échange de nos journaux respectifs.
Puisque vous avez tant de zèle pour notre cause, je vous prierai de tâcher de nous procurer, si cela est possible, des correspondants à Naples, à Palerme et dans le Levant.
Nous serions disposés à les payer, pourvu qu'ils remplissent fidèlement leur mission. Vous êtes on ne peut mieux placé pour recevoir les nouvelles de première main. En me les transmettant de suite, vous me rendrez un immense service.
L'organisation de la banque chez nous, marche bien, malgré le peu d'énergie de notre secrétaire, M. Casana, et le grand âge de notre président, M. Barbaroux. Hier nous
avons signé le bail de l'appartement du comte Vial, qui sera, je l'espère, très convenable à l'usage auquel nous le destinons.
L'accueil que le Roi a reçu, a été magnifique. Il a eu le tort de passer au galop, au milieu des rangs de la population. Mais il n'est maintenant que trop justifié, car il a dû se mettre au lit, et déjà on lui a fait trois saignées.
Dieu veuille qu'il se remette vite, car nous avons absolument besoin qu'il se porte bien.
Vous savez la nomination de Borelli (1) au ministère de l'intérieur. Qu'en dit-on à Gênes ? Ici les opinions sont fort diverses. Les uns croyent que c'est un bon choix, d'autres disent que c'est un finaud.
Je crois que l'affaire des rails finira bien. L'intendant général finira par entendre raison. Il me paraît d'ailleurs, qu'il n'est pas excessivement pressé. Golzio le voit souvent et le tient au courant de tout ce que nous recevons d'Angleterre.
Ce qu'il y aura de plus intéressant dans quelque temps, ce sera l'emprunt. Ecrivez-en à Odier. S'il compte y prendre part, tâchez qu'il s'adresse à vous, car il n'a à Turin, pour correspondant, que le vieux Barbaroux, qui n'est plus homme à mener une affaire de ce genre, et qui n'a dans son bureau personne qui connaisse les opérations financières étrangères au commerce des soies.
Je vous renouvelle, en terminant, la prière de nous procurer de bons correspondants et des nouvelles sûres.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Le comte Giacinto Borelli.
CXXIV.
Turin, 13 décembre 1847.
Mon cher Émile, Merci de vos intéressantes nouvelles. Le Roi va mieux, pour cette fois il s'en tirera, mais je crains bien qu'il ne tombe dans le chronisme. Vous avez décidément La Planargia (1). C'est un homme très fin. Sa femme est très aimable. Elle est mère de mon ami le comte Rignon.
Le journal va bien, financièrement, les 500 actions étant toutes souscrites. Politiquement, je crains que nous n'ayons quelques difficultés à surmonter, mais nous avons bon courage.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
cxxv.
, Turin, 17 décembre 1847.
Mon cher Emile, Vous recevrez de bonnes nouvelles de M. Si les nouveaux rails résistent aux épreuves, il n'y aura pas de difficultés de la part de l'Azienda.
Au prix actuel de la fonte, les fabricants de rails gagnent énormément.
Vous aurez reçu le Risorgimento, le prix de l'abonnement est 40 francs pour Turin, et 44 pour les provinces.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Le général Pagliaccio de la Planargia, ancien gouverneur de Turin, nommé alors gouverneur de Gênes.
CXXVI.
23 décembre 1847.
Mon cher ami, Vous avez reçu, à l'heure qu'il est, le second numéro du Hisorgimento. J'espère que vous en serez content. On m'assure toutefois, qu'il a été brûlé chez Giorgio Doria (1).
Tâchez de vérifier le fait.
Cecco Pallavicini (2) ne m'a pas écrit, ainsi veuillez me procurer à Naples, le correspondant dont vous m'avez parlé.
J'ai vérifié l'affaire de Rossi et Schiaparelli. Ils vous ont demandé des fonds, dont probablement ils n'auront pas besoin, pour peu qu'on nous paye une portion de ce qu'on nous doit. Ils ont craint d'être à court et ont usé de prudence.
Si le nitrate de soude se vend à 16 ou 17 fr. on peut l'acheter par spéculation; il n'y a pas de risques de perte, car à ce prix, on ne peut le faire venir d'Angleterre, où il est réputé à très bas prix à 12 sh., ce qui le fait revenir à 19 francs à Gênes. Au dessus de 17 à 17 50, il ne faut acheter que ce qui est nécessaire à la consommation de l'usine et à la fabrication de l'engrais.
Si vous voulez, nous ferons la spéculation de compte à demi, vous et moi, en cédant à l'usine, au prix coûtant, ce dont elle aura besoin.
(1) Le marquis Giorgio Doria de Gênes (f 23 janvier 1873), chez qui se réunissaient les principaux membres du comité réformiste (L. Pareto, G. Mameli, N. Bixio, R. Rubattino, Federici N., etc.). G. Doria fut nommé sénateur en 1848.
(2) Le marquis François Pallavicini de Gênes, député de Varazze à la Ve législature.
Balduino veut détailler à 28 francs. Il a fait insérer un avis à cet effet, dans les journaux. Tâchez de le surveiller de près.
M. Kiston n'est pas encore arrivé. J'espère qu'il parviendra à aplanir toutes les difficultés que présente notre malheureuse fourniture.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXXVIL
27 décembre 1847.
Mon cher ami, Je suis un bien mauvais correspondant, et je réponds bien imparfaitement à toutes vos bonnes lettres. Mais que voulez-vous? C'est un rude métier que d'organiser et diriger un journal quotidien.
Pallavicini ne m'ayant pas écrit, j'en conclus que décidément il ne désire pas entrer en correspondance avec moi.
Je le regrette médiocrement, car, à dire vrai, je ne fais pas un grand cas de son jugement et de son caractère.
Je dois, en conséquence, vous prier de me transmettre les nouvelles de Naples, au fur et à mesure que vous les recevrez.
La Banque ne fera pas d'appel de fonds avant le mois de juillet, d'ici-là nous avons tout le temps de prendre nos mesures pour être en fonds. Il est probable que je puisse disposer de la plupart des fonds qui me seront nécessaires; mais il faudra toujours penser à ceux de Salmour.
Le nitrate de soude à 16 et 17 francs est une si bonne affaire qu'il ne faudrait pas regarder à l'avance de fonds, si on pouvait l'avoir à ce prix-là. Je pense que je pourrais facilement avancer de 20 à 30 mille francs, à la fin de janvier, si ce n'est plus.
J'ai vu une seule fois Kiston. Il est entièrement livré à Golzio; c'est-à-dire qu'il est en bonnes mains.
Je vous remercie de vos détails sur le Risorgimento.
J'ai été enchanté qu'on l'ait brûlé. Cela a fait parler de lui, c'était l'essentiel.
Massimo d'Azeglio (1) est avec nous. C'est son frère (2) qui est avec la Concordia. Je vous assure que, le nom à part, il y a plus à perdre qu'à gagner en l'ayant avec soi.
Balbe est malade. C'est fâcheux ; malgré cela nous commençons les feux lundi prochain. Dieu nous soit en aide.
(1) Massimo Tapparelli d'Azeglio (1798-1866), soldat, peintre, écrivain, orateur et homme politique, fut une des personalités les plus remarquables du risorgimento italien, dans lequel il joua un grand rôle. Ami et parfois rival de Cavour (qu'il appelait l'empio rivale dans l'intimité), il contribua puissamment, avec Balbo et Gioberti, à préparer le mouvement libéral, soit par ses romans (Ettore Fieramosca, Nicolo dei Lapi), soit pas ses écrits politiques (Sui casi delle Romagne, Sui casi della Lombardia). Il combattit en Lombardie en 1848, et fut graVement blessé à Vicence. Victor Emmanuel, qui le tenait en haute estime, le chargea de former un nouveau Cabinet après la déroute de Novare et c'est lui qui rédigea la fameuse proclamation de Moncalieri (20 novembre 1849), où le roi faisait appel au bon sens, à la confiance et à l'amour de son peuple, pour pouvoir, au milieu des désordres de ces jours néfastes, gouverner et appliquer le Statuto. D'Azeglio fut président du Cabinet du 7 mai 1849 au 22 mai 1852 et du 24 mai au 4 novembre 1852. Député au Parlement (collège de Strambino), puis sénateur, il fut président du gouvernement des Romagnes en 1859, chargé d'une mission confidentielle à Londres après le traité de Villefranche, gouverneur de Milan, etc. etc.
(2) Roberto d'Azeglio (1790-1862). Comme son frère Massimo, il fut aussi peintre et poëte. Intimément lié avec Charles Albert, il dut s'exiler après les événements de 1821, mais n'en continua pas moins, Par sa correspondance, à exercer une grande influence sur l'esprit du jeune prince et à le pousser dans la voie du progrès et des réformes.
frommé, en 1833, directeur de la Galerie royale de Turin, il s'occupa activement d'œuvres de bienfaisance et d'instruction publique. Il concourut pour une large part, à la promulgation du Statuto et surtout it l'émancipation civile et politique des protestants et des israélites.
La poste reçoit les abonnements. C'est à elle que vous devez vous diriger et faire diriger vos amis.
M. Lester, le consul des États-Unis (1), a envoyé à Balbe, par l'entremise de M. Cerruti, une traduction d'une adresse votée au Saint-Père dans un meeting de deux mille personnes à New-York. Veuillez remercier M. Cerruti en lui disant le motif pour lequel Balbe ne répond pas.
J'insérerai l'adresse dans un des premiers numéros du llisorgimento.
Veuillez dire à M. Lester que Balbe et moi acceptons avec empressement, l'échange de notre journal avec le Herald for Europe de New-York, et qu'il ait la complaisance de m'indiquer à qui je dois l'adresser.
Seulement, je l'engage à nous le faire arriver du Hâvre par le moyen le plus économique.
Pardon de tant d'ennuis.
Adieu de cœur.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXXVIII.
29 décembre 1817.
Mon cher anÛ, J'ai remis à M. Golzio vos 55 obligations, en gardant le coupon qui va échoir.
J'espère que M. Kiston va prendre un parti définitif sur les rails que vous avez déjà reçus.
Il vous rassurera sur le sort des autres cargaisons. Il paraît que cette affaire a été menée avec une excessive légèreté par M. et par T. lui-même. Nous avons une idée singulièrement exagérée de la régularité et de l'exactitude des Anglais.
(1) À Gênes.
Je suis fort embarrassé pour vous couvrir, d'après ce que vous me dites sur la baisse du Paris ; j'avais arrêté 20,000 francs ce matin, que j'ai rendus, pour ne pas causer de Perte au compte à-demi.
A propos de compte, il me paraît que c'est le moment de le régler.
Je me recommande de nouveau pour les nouvelles; s'il fallait faire quelques sacrifices avec les directeurs des bateaux à vapeur, pour être renseigné avant les autres, je les ferais volontiers.
Dites-moi si vous avez des correspondants à Bologne, chez lesquels je puisse faire verser le montant des abonnements que nous faisons en Romagne.
Pouvez-vous négocier facilement des traites sur Rome, Florence et Bologne?
Remettez ce petit billet à Golzio.
Adieu, mille vœux, mille souhaits pour la nouvelle année.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXXIX.
Turin, 7 février 1848.
Mon cher ami, Je vous écris deux mots par M. M., pour vous dire que )1. Golzio et moi, lui avons déclaré que. si nous n'avions pas, avant quinze jours, la contre garantie formelle de 4000 L. st., soit de MM. Baudon, soit de MM. Thurneister, nous nous considérerions comme dégagés envers lui. Veuillez le lui répéter pour votre propre compte, et, au besoin, lui adresser une lettre.
J'ai parlé à M. M. avec beaucoup de vivacité et de franchise. J'avoue que je ne sais comment expliquer ce qui arrive. M. L. me paraît un homme sérieux. Il était désolé.
Il me paraît que vous pourriez écrire une lettre un peu forte aux B. Il faut les mettre au pied du mur.
Je serais d'avis qu'à moins de recevoir des nouvelles rassurantes de Paris, vous fissiez partir votre beau-frère pour l'Angleterre. C'est l'homme qu'il faut pour nous tirer d'embarras. Ne précipitez rien, mais préparez-vous à tout.
Ici un Conseil extraordinaire (1) discute la grande question de la constitution ; je crois qu'elle sera accordée, sans retard. Une fois le principe admis, il faudra voir comment les partis se dessineront. Je crains beaucoup que Gênes ne devienne un foyer de radicalisme. Qu'en pensez-vous?
Ici, j'espère bien que les Valerio (2) ne domineront pas.
Adieu, si l'on décide quelque chose ce soir, je vous l'écrirai demain.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) La nouvelle que le 29 janvier le roi Ferdinand II avait été forcé par la révolte de la Sicile et de Naples, d'accorder une Constitution à ses sujets, faisait bien prévoir que Charles Albert serait forcé de suivre cet exemple. Le comte de Cavour, dans un remarquable article sur le Risorgimento du 3 février (La Constitution donnée par le Roi de Naples), l'annonçait comme une conséquence inévitable des libertés déjà octroyées. — Les ministres, réunis par le comte Borelli, avaient décidé à l'unanimité, de représenter au Souverain que les circonstances exigeaient qu'il accordât, lui aussi, une Constitution à son peuple, et celui-ci, après, bien des hésitations, finit par y consentir. Le 8 février Charles Albert publiait un manifeste annonçant qu'il accordait le Statuto à son peuple. Quinze jours après, il nommait une Commission (dont Je comte de Cavour fit partie) présidée par Cesare Balbo, pour préparer la loi sur les élections des députés. Le 4 mars, enfin, le Statuio était promulgué et un nouveau ministère se formait sous la présidence de Balbo.
(2) Lorenzo Valerio (frère des députés Cesare Valerio, ingénieur, et .Gioacchino Valerio, médecin), se voua d'abord à l'industrie, mais mal vu par le gouvernement, à cause de ses opinions libérales, il se réfugia à Vienne en 1831, où il fut employé chez un de ses oncles, qui y avait une maison de commerce. Il rentra en Piémont en 1836 et prit la direction d'une grande filature de soie à Agliè, où il fonda une caisse
cxxx.
, Turin, 11 février 1818.
Mon cher Emile, Je vous remercie de ma nomination de ministre, à laquelle je ne m'attendais pas. En attendant que le Roi la ratifie, je pense à trouver un coin pour me faire élire député. Après, nous verrons.
d épargne et un Asilo infantile. Il fonda aussi alors un petit journal hebdomadaire" Letture popolari » qui fut supprimé par la censure, à cause de ses idées libérales, mais qui reparut quelques années après, sous le titre de « Letture di famiglia ». — Valerio fut un des fondateurs et le secrétaire , pendant plusieurs années, de l'Association agraire, qui contribua si largement aux progrès de la liberté en Piémont. Les discours qu'il y fit, ayant paru subversifs au gouvernement, le Roi ordonna son internement au fort de Fenestrelle, mais, grâce à 1 intervention d'un puissant ami, il révoqua cet ordre et voulut même avoir un entretien avec Valerio, mais la fierté de celui-ci, qui était un Vrai popolano pénétré des droits du peuple, jusqu'alors si profondément Méconnus, déplut au souverain et ils se quittèrent assez mal. Peu aVant la promulgation du Statuto, Valerio fonda avec quelques amis, 1: journal La Concordia, qui vécut 3 ans et qui professait des prinCIpes plus avancés et plus batailleurs que le Risorgimento. Dès les Premières élections, Valerio fut nommé député du collège de Casteggio, qui lui confirma son mandat jusqu'à la VIe législature. Il fut au Parlement un des chefs les plus influents de l'opposition et y prononça Plusieurs importants discours, avec une éloquence de vrai tribun. Ministre Extraordinaire du Piémont en Toscane, lors du gouvernement provisoire de Guerrazzi, et à Rome, lors de la République, Valerio, après la déroute de Novare, ne désespéra pas de l'avenir de l'Italie et fonda, avec d'aubes députés, le journal d'opposition « Il Diritto ». Lorsque la Lombardie fut affranchie, il fut nommé préfet à Côme, où il acquit l'estime de tous ses administrés, puis commissaire extraordinaire dans les Mar'cheil, où sa conduite lui valut sa nomination de sénateur et le grand ordon de l'Ordre de St-Maurice, 1862, et enfin préfet de Messine, où Il mourut, regretté de tous, le 26 août 1865. Il fut enseveli au Campo anto de Turin, à côté de Gioberti et de La Farina.
La ville est calme, et je pense que l'ordre rentrera dans les esprits. La seule chose que je craigne, ce sont les passions guerrières que les exagérés chercheront à exciter et à exploiter. J'espère que les gens de bon sens reprendront le dessus, même à Gênes.
Demain je fais partir pour Naples un de mes employés, M. Degrotti ; je vous serais obligé de lui donner une lettre de crédit pour cette ville.
Adieu.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXXXI.
14 février 1848.
Mon cher ami, Les tristes résultats de l'Otter me désolent, moins dans la.
crainte des pertes que nous pouvons essuyer, que par suite des torts que cela nous cause auprès du gouvernement.
Il est évident que nous ne pouvons compter sur ce que nous dit M. ; il est menteur comme un Russe, ce qui est beaucoup dire. H. vaut mieux en apparence, mais en réalité il agit comme M. Je crois, en conséquence, qu'il est indispensable que votre beau-frère parte le plus-tôt possible pour l'Angleterre. Cela fera le plus grand plaisir à l'intendant général, qu'il est essentiel de ménager dans ce moment.
En passant, il verra MM. Baudon à Paris, et pourra leur dire bien de choses qui ne peuvent s'écrire. Ensuite, en arrivant en Angleterre en même temps que les commissaires du gouvernement, il les aidera puissamment.
Golzio va partir pour Gênes ; je l'engagerai à y demeurer quelques jours, pour vous aider dans l'affaire des rails et coussinets.
En attendant, écrivez de suite à Davidy de revenir à Gênes, au plus-tôt.
Voyez de vous faire rembourser par M. les 2000 francs que je lui ai donnés, car je vous avoue ne plus avoir dans cet animal la moindre confiance. Je le crois capable de nous planter là, un beau matin, pour s'en retourner à Moscou.
On m'écrit de Gênes, que Balduino s'humanise et qu'on pourrait avoir son guano à 24 et même au-dessous. Voyez de sonder le terrain. Malgré les agitations politiques, les demandes de guano ne discontinuent pas.
Rien de nouveau ici. On s'occupe de la confection de différentes lois, peut-être avec trop de lenteur, mais enfin On marche. Le Roi n'est pas dans un état de santé brillant, mais enfin il n'est pas trop mal.
Adieu, pardon de mon insistance au sujet de votre beaufrère , mais plus j'y pense, plus je crois son voyage indispensable.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXXXII.
Turin, 27 février 1848.
Mon cher ami, Au moment de partir pour la grande fête constitutionnelle, où le ffisorgimento paraîtra avec un immense gonfalon (1), je vous donne un bonjour à la hâte. Je suis
(1) La grande procession patriotique organisée par le marquis Robert el' A.zeglio , en l'houneur des Réformes de Charles Albert, Il laquelle prirent part les représentants de toutes les clauses, professions, arts et Métiers, bannières en tête, chantant le célèbre « Fratelli d'Italia" 'de Goffredo Mameli. Cavour y prit part dans la classe des journalistes, omme directeur du Bisorgimento, au milieu de Pinelli, Valerio, Brofferio, Castelli, Lanza, Dnrando, Chiala, etc., représentants des divers journaux de cette époque (Ricordi politici di G. TORELLT, p. 57).
plus que jamais occupé, devant travailler cinq à six heures par jour, à la loi électorale.
J'attends avec impatience des nouvelles des rails. Adieu, à la hâte, mille et mille amitiés. CAMILLE DE CAVOUR.
CXXXIII.
Turin, 28 février 1848. Mon cher aiiti, Vous aurez appris, probablement en même temps que nous, la révolution de Paris (1). Je suis terrassé, car j'étais loin de m'attendre, je vous l'avoue, à un aussi lamentable événement. Avec la république en France, qu'allons-nous devenir? Entre l'Autriche, d'une part, et la France, de l'autre, comment nous tirer d'affaire? Enfin, toute con jecture serait prématurée. Il faut prévoir le pire et agir en conséquence (2).
J'espère que vous n'aurez pas encore acheté le guano de Balduino. Si vous êtes encore à temps, suspendez les opérations jusqu'à ce que nous voyions un peu plus clair dans les affaires de la France.
Tâchez de ne pas être en avance, pour les rails. S'il y a la moindre menace de guerre, le gouvernement sera bien aise de résilier son contrat.
(1) La révolution du 24 février.
(2) « Aucun événement, à mon avis », disait au Sénat, le comte de Cavour, le 16 décembre 1852 , « ne fut plus funeste et déplorable et ne me causa plus de douleur ».
Adieu. Dites-moi si vous croyez que les événements de France exercent un contre-coup à Gênes. Je le crains très fort.
Mille amitiés.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
cXXXIV.
1er mars 1848.
Mon cher Émile, Je ne vous parle pas des déplorables événements de Paris, que vous devez connaître mieux que nous, par Marseille.
Nous sommes fort agités, mais non découragés. Nous travaillons activement à la loi électorale. Chargé de la partie' qui concerne le commerce et l'industrie, je crois devoir proposer de régler les droits électoraux, d'après l'importance du loyer des magasins et des usines occupées par ces deux catégories de citoyens.
Le loyer minimum doit varier d'après les villes, car leur valeur relative varie excessivement.
On m'assure qu'à Gênes les loyers des boutiques sont très bas. Veuillez, à cet égard, me procurer le plus-tôt possible, tous les renseignements qui sont en votre pouvoir.
Nous voudrions faire descendre les droits électoraux jusqu'au boutiquier qui jouit d'une petite aisance, qui a tous les ,jours un bon pot-au-feu. À Turin, je crois que nous atteindrons cette limite en fixant un taux de 6 à 700 francs, boutique et logement compris. Veuillez me dire quel taux correspondrait à Gênes, à cette limite.
Faut-il faire une catégorie à part, pour les magasins du port franc?
Les capitaines de navires, qui ne payent pas patente,.
doivent-ils être compris dans le nombre des électeurs ? Et à quelles conditions ?
Je vous écris fort à la hâte, j'espère toutefois que vous comprendrez bien le sens des demandes que je vous adresse, et que vous serez assez aimable pour m'envoyer des documents précis.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXXXV. 1er mars 1?48.
Mon cher ami, Je suis parfaitement de votre avis, relativement à la résiliation du contrat des rails. Je voudrais que tout fût fini et qu'il ne fût plus question de rien.
Il est impossible de prévoir ce qui arrivera. Le pays ici est bon, mais le gouvernement est incapable.
Adieu. Je ne sais rien de plus de ce que les journaux nous apprennent.
CAMILLE DE CAVOUR.
cXXXVI.
9 mars 1848.
Mon cher ami, Voilà huit jours que je veux vous écrire et que le temps me manque. On m'a élu capitaine de la Civica (1) et tenu
(1) La garde nationale. Le comte de Cavour fut capitaine de la lre compagnie (Sezione Monviso), jusqu'au 11 octobre 1850, où il fut appelé à faire partie du ministère.
quarante-huit heures, de garde. J'ai accepté pour coopérer à donner un bon esprit à cette nouvelle institution. J'espère beaucoup en elle.
La position est grave, mais n'est pas désespérée. La nomination de Lorenzo Pareto au ministère, doit satisfaire tous les Génois qui n'ont pas perdu le sens commun (1).
L'affaire des rails me désole. Je donnerais je ne sais quoi, Pour n'en entendre plus parler. Je ne conçois pas comment B. peut retirer une garantie qu'il a donnée ? Ce n'est pas Un acte légal, ni loyal. Si M. veut annuler son contrat et le gouvernement aussi, j'en serais enchanté, mais je doute que cela soit possible. La route de Turin à Gênes est non seulement une route commerciale, mais c'est encore une route stratégique, le gouvernement doit chercher à l'activer le plus-tôt possible.
Ce qui me console, c'est que les événements européens doivent nécessairement faire baisser les rails, et qu'en définitive nons n'avons rien à perdre.
Je suis assailli de demandes de guano, mais je n'ai pas le courage d'acheter celui de Balduino, sauf le cas où il le céderait à 20 francs. Alors il vaudrait la peine de tenter l'aventure. Je saurais où le placer immédiatement et d'une Manière certaine. Il n'y aurait à craindre que le cas de révolte ou de guerre civile, auquel je me refuse encore à croire.
Ayez patience avec les R. et S. Les temps sont durs.
On ne nous paye pas et l'on ne peut interrompre la fabrication qui va très-bien. Il n'y a rien à craindre. J'ai retiré le montant de nos intérêts, en fumier. Je vous en donnerai compte prochainement.
Je fais ralentir les opérations commerciales. Adieu; par-
(1) Le nouveau ministère, sous la présidence de Balbo, était composé qe Revel, Pareto, Franzini, Hicd V., C. Boncompagni, F. Sclopis et I)esambrois.
donnez-moi si je vous écris si peu, mais je n'ai plus un moment à moi.
Je ne fais pas partie du ministère Balbe. Je ne pouvais guère m'entendre avec lui. Je le soutiendrai toutefois, de tout mon pouvoir.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXXXVII.
16 mars 1848.
Mon cher ami, Le ministère est constitué: Balbe, président sans portefeuille ; Pareto, affaires étranlJères;
Ricci, intérieur; Revel, finances; Desambrois, travaux publics; Sclopis, justice; Boncompagni, instruction publique ; Franzini, guerre.
Les ministres génois se sont très-mal conduits. Ils ont mis en avant des prétentions insoutenables (1). On n'a pas cédé tout à fait, mais on a introduit dans le gouvernement un germe bien dangereux.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Pareto et Bicci demandaient que le fort de Castelletto et les autres forts qui dominent la ville de Gênes, fussent détruits, ou tout au moins remis entre les mains du peuple (PAOLO BOSELLI , Lorenzo Nicolo Pareto, Note biografiche, p. 24).
CXXXVIII.
17 mars 1848.
, De chez Golzio, vendredi.
Mon cher Emile, La nouvelle de la suspension de B. nous a jetés dans l'inquiétude, Golzio et moi ; nous croyons toutefois que nous n'avons rien à craindre, si nous agissons avec prudence et résolution. Il sera indispensable que vous veniez a Turin avec M. et H. et que vous preniez vos mesures Pour expédier votre beau-frère, M. Granet, en Angleterre.
Si les B. manquent décidément, nous pourrions nous Ranger avec le gouvernement, qui, peut-être, sera charmé de résilier une partie de notre contrat. Il est essentiel d'agir d'accord, avec prudence et sagesse. Peut-être les Maîtres de forges prendront-ils sur eux l'exécution du contrat. Ils sont parfaitement solides, s'ils nous donnaient en outre une maison à Londres, nous pourrions les laisser faire.
L'essentiel c'est de nous entendre. Tâchez donc d'arranger vos affaires de manière à pouvoir venir la semaine Prochaine.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXXXIX.
Turin, 23 mars 1848.
Mon cher ami, La guerre (1) va être déclarée légalement, elle l'est déjà de fait. Je vous prie de suspendre tout achat quelconque de
(1) Le 19 mars était arrivée à Turin la nouvelle de la révolution ae Milan et de l'expulsion des Autrichiens, et Charles Albert, malgré Ses continuelles irrésolutions, avait dû se persuader que la guerre devait inévitable, s'il voulaif conserver son trône. La population de
guano. Je suis dans de grandes anxiétés à l'égard dé quelques traites que j'ai prises de l'usine du riz, qui avait une partie de ses fonds chez G.
Ici on est agité et irrité. Je ne me laisse pas décourager, mais je vous assure que je ne vois pas en rose. J'ai bien peu vu Davidy, mais il a passé ici pendant un moment où j'étais accablé d'affaires.
- Adieu.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXL.
le»' avril 1848.
Mon cher ami, J'ai vu H. et M. La longue conversation que j'ai eue avec ces Messieurs, me prouve qu'il est indispensable que nous prenions un parti pour assurer l'exécution de notre contrat, qui est si mal emmanché. Je vous supplie en conséquence de venir le plus-tôt que vous pourrez ici, et même, au besoin, de vous disposer à aller en Angleterre. Je doute fort que, sans ce voyage, nous arrivions jamais à nous tirer d'embarras. -
Turin commençait, en effet, à s'agiter aussi et à murmurer contre les demi-mesures prises par le gouvernement pour satisfaire le vœu universel, qui se résumait en ces mots : « Fuori lo straniero ! n. C'est à cette occasion que le comte de Cavour publia dans le Risorgimento, son célèbre article « L'ora mprema della Monarchia sabauda ", où il déclare qu'en certains moments « l'audacia è la vera prudenza, e la temerità più savia della ritenutezza « et qu'une seule voie peut sauver le roi et la nation: « la guerra! La guerra immediata e senza indugio ». — Peu de jours après, Charles Albert signait la fameuse proclamation u Ai Popoli della Lombardia e della Yenezia » et le 25 mars, un premier corps de l'armée piénciontaise entrait à Milan.
Il faut avant tout, préciser notre position avec les B.
Je crois qu'il faut chercher à obtenir d'eux, des pleins pouvoirs pour agir comme mieux nous l'entendrons dans l'intérêt de l'affaire ; sans cela, ils pourraient plus tard nous faire des chicanes. Or, c'est là une négociation qui ne peut Pas avoir lieu par lettres. Ensuite il faut voir à assurer le service des rails et des coussinets. R. voudrait être Payé intégralement, et de ce qu'il a fourni et de ce qu'il fournira. C'est une prétention absurde, mais nous ne pouvons rien conclure avec lui, sauf un nouvel arrangement, Un nouveau contrat et la sanction des B.
Quant aux coussinets, dans l'état actuel des choses, nous ne savons pas à qui nous adresser. M. a perdu la tête et ne nous est bon à rien.
Si vous allez en Angleterre, tout s'arrangera facilement.
Nous avons entre les mains 700,000 francs et ensuite les fers ont prodigieusement baissé, ainsi nous pouvons tenir les cartes hautes avec les maîtres de forges, mais pour cela, il faut que nous soyons en mesure d'acheter des rails d'autres personnes, si les G. et les T. veulent nous imposer des conditions exagérées.
En étant ici, nous exposerons à l'intendant et au ministre la position critique où les faillites répétées des soumissionnaires du contrat, nous ont placés. Nous leur témoignerons notre détermination de remplir scrupuleusement notre contrat et nous leur demanderons de nous aider à sortir de ce terrible embarras.
Nous leur proposerons d'aller en Angleterre, avec un délégué du gouvernement, et de traiter d'accord, soit avec T. ou autres, le reste des rails et des coussinets non encore livrés.
Cette manière franche d'agir plaira au gouvernement, et je pense qu'on ne nous refusera pas un délai et l'appui d'un commissaire. Avec cela notre affaire est sûre. Les T.
subiront nos conditions, non pas quant aux prix, car je
suis d'avis d'exécuter à cet égard, fidèlement, les conditions du contrat avec les B., mais quant aux payements.
Ils ont, pour ne pas rompre avec nous, une excellente raison : c'est que les rails leur étaient payés 8,15 et que maintenant ils ne valent plus 7 francs.
La baisse quant aux coussinets, est plus considérable encore. Il est vrai que l'assurance a augmenté, mais cela ne peut être que transitoire.
Mais si nous ne nous entendons pas, si nous laissons cette affaire traîner en longueur, nous pourrions assumer vis-à-vis du gouvernement, une immense responsabilité.
Croyez-moi, je vous en conjure, venez au plus vite, entendons-nous avec le ministère et ensuite allez en Angleterre.
Ce voyage est nécessaire, indispensable, je voudrais bien pouvoir le faire avec vous, mais m'éloigner dans ce moment, c'est perdre ma carrière politique.
Je vous attends avec la plus grande impatience, je dirais même avec la plus vive anxiété, si je ne comptais pas autant sur votre amitié, sur votre intelligence et votre sagacité en affaires.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXLI.
2 avril 1848.
Mon cher ami, Après vous avoir écrit, j'ai rencontré Mr Long qui m'a annoncé que Mr Dapples, fondé de pouvoir des Baudons, était parti de Paris, pour se rendre à Gênes par la voie de Marseille. Il sera peut-être chez vous à l'heure qu'il est.
En tout cas, il faut l'attendre et nous l'amener à Turin, où tout s'arrangera pour le mieux.
Hier, un employé de l'Azienda m'a assuré que le rapport des commissaires que le gouvernement avait envoyés en Angleterre, était tout à fait favorable aux maîtres de forges, à T. en particulier. Il ont plus de 5000 tonnes prêtes à être embarquées, et ils sont en mesure de compléter leurs livraisons, avant le mois de juillet.
La seule difficulté est relative aux payements, mais celle-là aussi se résoudra, puisque nous avons de sept à huit cent mille francs entre les mains.
Le gouvernement, malgré la guerre, est en mesure de faire face à toutes les dépenses du chemin de fer. Nous pouvons compter que l'on ne nous fera pas subir de retard, surtout si nous représentons au ministère la position Critique dans laquelle la banqueroute de B. nous a placés.
On a quelques inquiétudes sur la Savoie, non pas à cause de l'esprit des populations, qui est excellent, mais par suite du renvoi des ouvriers établis à Lyon, qu'on dit animés d'un très mauvais esprit.
Adieu, mon cher, croyez à mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXLII.
7 avril 1848.
Mon cher Émile, Je vous écris du corps de garde, où j'ai passé la nuit.
Je trouve que vous avez mille raisons de ne pas venir à Turin, tant que Mr Dapples n'aura pas les pleins pouvoirs de Mr Baudon. Si la masse veut exécuter le contrat, c'est ce qui peut nous arriver de plus heureux, car cela nous éviterait des soucis sans nombre, seulement il faudrait voir a ce que les expéditions ne fussent pas retardées. D'après Ce que j'ai appris, je n'hésiterais pas à conseiller à T.
d'expédier ses rails ; on les acceptera sans difficulté, car j le rapport des commissaires leur est favorable. On exigera un rabais de G. auquel il est tout à fait disposé. !
Si les 200,000 francs que vous m'annoncez, sont en outre des 7 à 8 mille qui étaient déjà entre nos mains, je ne verrais pas de difficultés à faire passer aux B. ou, ce qui vaudrait mieux, aux T. le prix du Nautïlis et ceux de l'Otter et du Champion (1). On trouve dans ce moment, à Turin, assez de Londres, à des prix raisonnables, 25,40 et peut-être moins, de bonnes maisons. Ne serait-il pas prudent d'en acheter pour n'être pas embarrassé à faire des fonds en Angleterre ? On attend assez de cette devise, c'est la seule que nos marchands de soie acceptent de leurs correspondants d'Allemagne et de Russie. Mais je suis sans le sou, si vous voulez que j'en achète, il faut m'envoyer des fonds.
Pas une seule des personnes, auxquelles j'ai vendu du guano, ne me paye. Le riz est à peu près invendable.
Dites-moi franchement, si je puis faire faire des billets à trois mois, de mes débiteurs qui sont tous très solides, et si vous pourriez me faire escompter ces billets à la Banque.
Je vous en enverrai pour une somme de 25,000. Répondez-moi sur le champ, car j'aurai besoin d'argent d'ici à quelques jours.
Les événements de Savoie sont bien heureux, si la république tenait à Chambéry (2), nous étions perdus.
Adieu, mon cher, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Navires portant les rails à Gênes.
(2) La bande dite des Voraces, de Lyon, avait envahi Chambéry et proclamé la république, profitant de ce que la garnison avait déjà en grande partie quitté la ville pour rejoindre l'armée appelée en Lombardie. Le 16° régiment (brigade de Savone) retourna de suite à Chambéry, et avec le concours de la Garde Nationale, y rétablit l'ordre.
CXLIII.
Léri, 28 avril 1848.
Ion cher ami, J'ai le regret de vous annoncer que je n'ai pas été élu député dans la province de Verceil, comme je l'espérais, et comme je le tenais presque pour certain (1). C'est une nouvelle preuve de la facilité avec laquelle on se fait des illusions sur son mérite et sur l'influence qu'on exerce.
Je m'en retourne à Turin, un peu capot, mais nullement découragé, je continuerai à travailler dans la presse, pour la bonne cause, jusqu'au moment où je verrai ne plus pouvoir être utile au pays.
J'espère que les élections de Gênes auront été modérées, c'est l'éssentiel. Si les députés de votre ville ne soufflent pas le feu de la discorde et ne nous poussent pas vers la république, la législature ira bien.
Je suis charmé de la bonne tournure que prend l'affaire ':es rails. R., complètement rassuré, hâtera les expéditions d'Angleterre, qui doivent maintenant se succéder sans interruption.
Je vous écrirai à peine arrivé à Turin.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Le comte de Cavour se porta, ou fut porté, comme candidat, aux Collèges de Turin, Cigliano, Monforte et Verceil et y échoua, malgré Sa remarquable circulaire aux électeurs de Vercelli, où il proclamait ses principes en faveur de l'ltalia una e libera e in pieno possesso di Un sincero sistema costituzionale. (Risorgimento, 13 avril 1848 J. Il est hors de doute que le fait d'appartenir à une famille aristocratique et d'être le fils de l'ancien Vicario (Préfet de Police) de Turin, fut une des premières causes de l'insuccès de cette candidature.
CXLIV.
3 mai 1848.
Mon cher Émile, Je vous envoie une lettre pour Mme de la Eue, que la poste a apportée et qui lui a été adressée par erreur à Turin.
Je suis fâché de toutes les tribulations que vous donne maintenant la livraison des rails. Je vous félicite de l'énergie que vous avez déployée dans cette circonstance.
Je vous promets de veiller au petit contrat. Je suis, comme vous, fort mécontent du capitaine élu (1).
Adieu, cher ami.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXLY.
24 mai 1848.
Mon cher ami, L'honnête Boggio, secrétaire de l'Azienda, m'a promis de vous faire expédier vos mandats, avec une plus grande régularité.
Je suis heureux de voir que les choses cheminent avec régularité, toutefois je ne serai tout à fait tranquille que lorsque je saurai que les 4000 tonnes de T. ont été acceptées.
(1) Le comte de Cavour, tout en remplissant régulièrement ses devoirs de capitaine de la Civica, trouvait qu'ils lui faisaient souvent perdre uu .temps précieux, qu'il aurait pu employer plus utilement.
Je m'en vais écrire à M. Dites-moi si je dois lui demander des traites sur Durand de Londres. Cela vaudra toujours mieux que rien.
Turin est d'une tranquillité exemplaire. Nos Chambres Paraissent incliner vers le système de lenteur qui a. fait tant de mal au gouvernement de Louis Philippe.
Nous avons aussi notre part de prisonniers allemands.
On attend aujourd'hui, un premier convoi. Sur la route, on les fête comme si c'étaient des frères.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. Yous m'aviez annoncé, il y a bien de mois, des livres anglais qui m'auraient été expédiés par les bateaux South-Péninsular, d'ordre de Mr Ridway, libraire.
Je recois votre lettre du 23, je m'en vais la transmettre à Boggio.
CXLVI.
20 juin 1848.
Mon cher ami, Bien que je ne vous aie pas répondu, je n'en ai pas moins donné cours aux lettres pour les fabricants et Mr B., que vous avez bien voulu me communiquer. J'ai approuvé tout à fait, la manière dont vous vous posez à leur égard.
tardez les fonds et vous les verrez se hâter de remplir leurs engagements. D'ailleurs, grâce à la baisse continuelle des prix des fers, ils ont intérêt à livrer à 210 et même bien au-dessous.
Golzio prétend qu'il ne faut pas faire décider maintenant la question des chevilles ; que, puisqu'on a consenti à faire porter la réduction sur le 10me de retenue, c'est
signe qu'on transigera. Dans ces matières Golzio en sait long, et je crois qu'on peut se rapporter à lui.
L'agitation s'est calmée jusqu'à un certain point. Si la Chambre décide que l'assemblée se réunira à Turin, le public sera content (1). On est furieux contre Valerio (2). Cet homme est perdu à jamais, dans l'esprit des Piémontais.
Les articles de Papa (3) dans le Corriere, nous ont fait pitié, car s'il y a une vérité incontestable dans le monde, c'est que les Piémontais sont dix fois plus courageux que ; les Génois. Nous avons cru qu'il était de meilleur goût de ne pas le rappeler.
Adieu, mon cher ami, croyez à mon bien sincère attachement.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXL VII.
28 juin 1848.
Mon cher ami, Je suis certain de vous faire plaisir en vous annonçant que j'ai été élu député à Turin, Cigliano et Monforte (4).
Me voilà politiquement réhabilité.
(1) La proposition Rattazzi, qui demandait une constituente élue par suffrage universel (à l'occasion de l'Union opérée avec la Lombardie),
avait été vôtée par la Chambre, avec l'approbation du ministère. Le&
Turinais craignant que le siège du gouvernement ne fût porté à Milan, s'en émurent et présentèrent à la Chambre une pétition qui faisait de Turin capitale, une condition absolue à l'Union.
(2) Valerio avait soutenu au Parlement et dans la Concordia, qu'il s'agissait d'une question italienne et que par conséquent, tous les intérêts de clocher devaient céder devant elle. (Concordia, 19 juin 1848).
(3) Giuseppe Papa, directeur du Corriere Mercantile de Gênes.
(4) Le comte de Cavour opta pour le 1er Collège de Turin, qu'il représenta ensuite jusqu'à sa mort.
Il paraît que l'on s'entendra avec les Lombards, moyenfiant un amendement moins significatif que celui du ministère. Ce sera un replâtrage. Patience, si on ne peut faire mieux.
J'irai retrouver Golzio pour l'affaire des coussinets.
Celui-ci est convaincu qu'en exigeant une déclaration immédiate on se met dans une position pire qu'en attendant à la fin du contrat. Et T. ne vous écrit-il rien ? Je commence, sinon à m'inquiéter, un peu à m'impatienter.
Quelles nouvelles de Paris ! ! Le 25, il paraît qu'on se battait encore, jamais une pareille bataille n'a ensanglanté Une ville civilisée. Si on n'en finit pas avec les Clubs, il faut désespérer de la France.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXLYIII.
12 juillet 1848.
Mon cher ami, Le ministère n'est pas encore définitivement constitué ; néanmoins il paraît certain que la nuance Pareto (1) sera la dominante ; je m'apprête à lui faire une rude guerre.
(1) Le marquis Lorenzo Pareto, né à Gênes en 1800, mort en 1865, géologue distingué, ami intime de Bianca Rebizzo (Lettre CCCLI) et du marquis Vincenzo Ricci, fut un des fondateurs des Asili Infantili de Gênes. Il prit une part importante à tous les Congrès scientifiques qui se réunirent à cette époque dans les principales villes d'Italie et furent le Prélude de l'Union, qui en prépara l'indépendance. Il appartenait au parti libéral avancé et s'y était acquis une haute influence par la noblesse et l'élévation de son caractère. Il fut l'âme de toutes les démonstrations qui, n Ligurie, poussèrent le Roi à accorder le Statut et à déclarer la guerre a l'Autriche. Appelé à faire partie du ministère Balbo, en mars 1848, Il n'y consentit que si sou ami Vincenzo Ricci y siégerait aussi. C'est à. eux que Gioberti, qui était alors à Paris, dut sa nomination, à laquelle
Je vous prie de m'envoyer, si cela vous est possible, par le retour du courrier, le compte rendu de la Banque de Gênes du dernier semestre, et dans le cas où il n'aurait pas encore paru, la situation approximative de la caisse, de la circulation et de son portefeuille.
J'espère que ces maudits rails arrivent. Cette affaire me crispe les nerfs. Savez-vous quelque chose de M. et des 600 francs qu'il nous doit encore G. a été assez malade. Comment vous êtes-vous tiré de l'emprunt qu'il vous a demandé ?
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
Charles Albert n'était guère disposé. Pareto fut le premier à voter dans le Conseil des ministres, réuni le 22 mars, pour que la guerre fut déclarée à l'Autriche, et il affirmait que Gênes se serait insurgée et séparée du Piémont, si le Roi n'avait pas pris cette décision (BOSELLI, Lorenzo Pareto, pag. 28). C'est lui qui prononça à la séance du 16 avril, ces paroles devenues presque classiques: « Italia farà da se », en présence du refus de la France d'accorder au Piémont son secours, ou même de lui prêter un général pour prendre le commandement de son armée.
Pareto s'opposa avec ardeur à l'armistice de Milan, qu'il déclarait « inconstitutionnel et contraire à l'honneur national Il. « Que le Gouvernement concentre ses forces à Gênes, qu'il déclare la patrie en danger, et qu'il y appelle autour de lui tous les hommes aptes à porter les armes » s'écriait-il alors, dans le Parlement. Il préludait ainsi au mouvement insurrectionnel de Gênes, après la déroute de Novare; révolution à laquelle il prit une large part comme général dans la Garde Nationale, mais où il fit aussi beaucoup pour empêcher les désordres et les crimes, compagnons trop habituels des émeutes populaires.
Président de la Chambre, Pareto sut s'y concilier le respect et l'affection de ses collègues. A la mort de Cavour, avec lequel il était loin de s'accorder, il prononça cependant, au Sénat, des nobles paroles sur le caractère et la personne du grand citoyen que la patrie perdait en lui.
Pareto, libéral et fervent catholique, mourut à Gênes le 19 juin 1865, « pleuré par tous ceux qui en Italie aiment et honorent les bons citoyens, qui ont concouru à la grande œuvre du relévement de la patrie n.
(BOSELLI, loc. cit., pag. 38).
CXLIX.
20 juillet 1848.
Mon cher ami, Je vous remercie de l'envoi de la situation de la Banque, elle me sera fort utile dans la prochaine discussion des lois de finances.
Je ne veux pas m'associer avec Pareto, parceque c'est Un écervelé démagogue, qui n'a ni bon sens, ni énergie, (lui est toujours prêt à tout sacrifier à la popularité de la rue.
Ricci (1) dont j'avais meilleure idée, est également d'une Illédiocrité désespérante, d'ailleurs l'opinion publique du Piémont s'est prononcée contre eux. Je ne crois pas qu'il Y ait un Piémontais un peu bien placé, qui consentît à faire partie d'un cabinet dont on n'aurait pas mis à la Porte, au moins l'un d'eux.
Collegno (2), honnête homme, mais esprit faible et étroit, dominé par sa femme et sa belle-soeur, milanaises intrigantes, s'est uni à eux et il a échoué. Il n'a pu trouver aUcun Piémontais pour se joindre à lui. Gioberti (3), lui-
(1) Le marquis Vineenzo Ricci de Gênes, ami intime de L. Pareto député de Gênes au Parlement Subalpin, mort en 1868, ministre de l'intérieur en 1848 (Cabinet Balbo) puis des finances (Cabinet Casati et Gioberti) combattit la politique de Cavour et en particulier, l'expédition: (le Crimée, la loi sur le mariage et sur l'incamerarnento des biens ecclésiastiques.
(2) Giacinto Provana di Collegno. (Voir Lettre XXXIV).
(3) L'abbé Vincenzo Gioberti de Turin (1801-1852), le célèbre auteur du Primato morale e civile degli Italiani, et du Gesuita modernoi député du 3me Collège de Turin, fut président de la Chambre en 1848, ïuis ministre de l'instruction publique (cabinet Casati, 27 juillet à J 5 août 1848), puis président du cabinet (cabinet Gioberti 16 décem-
même, a jugé les deux Génois des impossibilités gourvernementales.
Maintenant Collegno s'est démis, et nous sommes plus loin que jamais, d'avoir une ministère.
Venant aux affaires, je vous dirai que je crains que Bona ne retienne les commissaires pour retarder la livraison des rails, non pour nous faire une mauvaise chicane, mais pour retarder les payements, de quelques mois.
D'après l'état des fonds que vous avez entre les mains, je crois que vous pouvez envoyer aux B., sinon tout, au moins une grande partie de ce qui leur est dû. Mais quant aux T. je pense qu'il ne faut plus leur lâcher un centime.
Les livraisons, d'après notre contrat, doivent être achevées à la fin de juillet, elles ne le seront certainement pas et cela suffit pour justifier cette mesure conservatoire.
Vous m'obligerez beaucoup, en me marquant dans une de vos lettres, le nombre de tonnes que nous avons livrées à ce jour, et ce qui reste encore à livrer pour achever notre fourniture.
bre 1848 à 21 février 1849). Il voulait envoyer les troupes piémontaises à Rome et en Toscane, pour y rétablir sur leurs trônes, Pie IX et Léopold II, à condition qu'ils s'engageassent à s'allier avec le Piémont contre l'Autriche et à accorder un gouvernement constitutionnel à leurs États. Cette idée (que Cavour appuyait, Lettre CXCIV) d'abord approuvée par le Roi et qui avait déjà reçu un commencement d'exécution par l'envoi de Lamarmora et de ses soldats à Sarzane, fut ensuite abandonné subitement et Gioberti, vivement irrité contre ses collègues et le Roi, donna sa démission. En 1849 (mars 27) Gioberti fut appelé à faire partie du Cabinet De Launay, comme ministre sans portefeuille, et chargé d'une mission à Paris, pour y demander à la France d'intervenir en faveur du Piémont, dans les négociations de paix entre lui et l'Autriche. Sa mission n'ayant pas réussi et les affaires prenant fin Italie une tournure que Gioberti déplorait, il jura de ne plus rentrer dans sa patrie, se remit à ses études, pubblia son Rinnovamento Civile d'Italia, qui passe pour un de ses meilleurs ouvrages, et mourut à Paris le 17 octobre 1852.
Je n'ai plus vu Golzio depuis des siècles.
Ce que vous me dites de l'opinion publique à Gênes, me charme, car c'était le seul point qui me donnât vraiment de l'inquiétude.
Le blé rend peu au battage, de sorte que la récolte est moins bonne qu'on ne l'avait cru. Adieu.
CAMILLE DE CAVOUR.
CL.
28 juillet 1848.
Mon cher ami, Je viens' d'avoir une longue conversation avec le chev.
Sismonda (1), qui arrive de l'Angleterre, où il a laissé son collègue, M. Melchioni, à Londres. Il m'a assuré que tous les rails, sans exception, étaient fabriqués et qu'il y avait dix bâtiments en voyage. Il m'a dit que M. et G. sont d excellentes gens. Enfin, il paraît enchanté des fabricants.
Je pense que vous pouvez envoyer à T. tout ce qui lui revient.
Les nouvelles de l'armée sont assez médiocres. Adieu, Je n'ai que le temps de vous faire mes amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
U) Savant géologue, membre de l'Académie des Sciences à Turin, collabora aux études pour le projet du tunnel du Mont-Cenis.
CLI.
11 aoiit 1848.
Mon cher ami, Nos désastres militaires et politiques (1) m'ont rendu hébété. Je n'ai plus la force d'écrire une ligne. Que de fautes, grand Dieu ! Il est impossible de concevoir une plus funeste réunion d'incapacités de tous genres, soit à l'armée, soit dans le ministère (2).
Tout le monde a des torts, mais les plus grands sont ceux des Génois (3). Ils ont fait un mal immense à la cause italienne. Les moins coupables ce sont les Piémontais, les chefs et surtout le chef suprême, exceptés.
On nous assure que le Roi et Radetzky ont conclu un armistice de 45 jours (4). C'est un gage presque certain de la paix. Si l'Autriche victorieuse se montre modérée, elle méritera une bien belle page dans l'histoire.
L'armistice va changer la position financière et l'améliorer singulièrement. Nous allions en être réduits aux
(1) Après l'armistice de Milan et les funestes résultats d'une guerre entreprise cependant sous de favorables auspices et au milieu du plus sublime élan national.
(2) En moins d'un an, il y avait eu successivement 9 ministres de la guerre.
(3) Le 7 août, quand arriva à Gênes la nouvelle de l'armistice de Uilan, le peuple se mit à parcourir les rues, criant à la trahison et réclamant qu'on armât la garde nationale et qu'on lui confiât les forts, ce qui eut lieu le 8, où les forts de Castelletto et de S. Giorgio furent détruits. (LA MARMORA, Un episodio del Risorgimento italiano, p. 9).
(4) Le 9 août, avait été conclu l'armistice entre les deux armées, qui fut signé pour le Piémont par le comte Salasco, lieutenant général, chef de l'état major sarde, d'où le nom d'armistice Salasco.
expédients. Un emprunt forcé devenait inévitable. Le ministère actuel se retire. Il est probable que Revel reviendra aux finances. Avec la paix, on pourra contracter un emprunt.
Quant aux coussinets de Falkirk et aux plaques tournantes de Ramage, il vaut mieux ne pas en parler de quelques jours. Il faut attendre qu'il y ait un véritable ministre des travaux publics et qu'on sache à quoi s'en tenir sur la question politique. Si la guerre devait continuer, on ne ferait certainement pas de nouveaux contrats.
Je vais ce soir à Santena, j'en reviendrai demain. Vous verrez par ma lettre que je suis encore tout ahuri. Adieu.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLII.
13 août 1848.
Mon cher ami, J'ai oublié de vous dire, dans ma dernière lettre, que le nouvel intendant général de Gênes, M. de St-Martin (1), est mon cousin et ami. Vous en serez content, surtout
(1) Le comte Gustave Ponza di S. Martino, né à Cuneo le 4 janvier 1810, appliqué d'abord au ministère de l'intérieur, s'y acquit l'affection et l'estime de Gallina et de Des Ambrois, avec lequel il collabora aux réformes de 1847 et 1848. La nouvelle loi provinciale et communale ut en grande partie, son œuvre. Nommé intendant général à Gênes, Il y douna de nombreuses preuves de son courage et de sa fermeté, durant les émeutes qui suivirent dans cette ville, l'armistice Salasco.
Lorsque Buffa fut nommé commissaire royal à Gênes, en 1849, S. Martino donna sa démission. Il fut ensuite premier officier du ministère de l'intérieur, lorsque Pinelli et Sineo en furent les titulaires. Le roi Victor Emmanuel avait en lui une confiance absolue et le tenait en haute estime. Il fut ministre de l'intérieur dans le premier cabinet Cavour (4 décembre 1852 - 6 mars 1854).
lorsque vous l'aurez connu ; le fond chez lui est infiniment supérieur à la forme.
Ce matin, Abercromby (1) et Reizet (2) ont reçu des instructions positives. La France et l'Angleterre demandent l'indépendance de la Lombardie et des Duchés. Ils pro- : posent l'Adige à l'Autriche comme frontière. Si ces deux puissances parviennent à faire entendre raison à Radetzky, nous pourrons encore nous féliciter du résultat de la guerre. Ne parlez pas des instructions arrivées à nos diplomates. C'est encore un secret. J'ai vu par une lettre que vous avez écrite à Grolzio,
que M. a payé votre traite. Veuillez m'en écrire un mot pour la régularité de notre compte.
Lorsqu'on croyait à la continuation de la guerre, on avait décidé un emprunt forcé sur le commerce, les créances hypothécaires, les propriétaires de terres et de maisons.
Sur ma proposition, on aurait émis du 5 à 80. Je crois
que c'était le seul moyen de se procurer de l'argent. Dites- i moi votre avis.
Je vous remercie de m'avoir envoyé le compte-rendu de
la banque de Gênes. Si nous étions en temps plus calmes, je le critiquerais comme il le mérite, mais dans ce moment je n'ai guère envie de faire de la polémique financière.
Si le gouvernement déploie un peu de fermeté, l'ordre I ne sera pas troublé à Gênes. On criera beaucoup et l'on
finira par accepter avec reconnaissance, la médiation anglofrançaise.
Adieu, mon cher, croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Abercromby (sir Ralph), ministre d'Angleterre à Turin.
(2) De Reizet, secrétaire de la légation de France à Turin.
CLIII.
20 août 18-18.
Mon cher ami, Le nouveau ministère est constitué (1). Sainte Rose est aux travaux publics. Les deux génois, De Ferrari (2) et Colla (3), ont refusé. Ils ne veulent pas se compromettre llvec leurs concitoyens, les gueux!!
Comment les nouveaux ministres se tireront-ils du pas terrible où le pays est phcé L. Je ne comprends pas comblent tout finira. Les passions sont excitées, les esprits exaltés. Personne ne se soucie de la voie de la raison. Que faire ?
Je voudrais bien me débarrasser tout à fait du Risorgimento, et aller me cacher au fond des rizières.
Adieu, croyez à ma bien sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) César Alfieri, président — Pinelli, intérieur — Perrone di San Ilartino, extérieur — Merlo, grâce et justice et instruction publique - Revel, finances — Franzini, guerre et marine — Sainte Rose, travaux publics — Boncompagni, agriculture et commerce.
(2) Domenico De Ferrari, qui devint plus tard premier président de la Cour de cassation. Député de Gênes au Parlement, fut ministre des affaires étrangères (ministère Chiodo), du 8 au 27 mars 1849, nommé sénateur le 10 juillet 1849.
(3) L'avocat Fiédéric Colla, plus tard contrôleur général, sénateur du royaume et premier président de la Cour des comptes. — Ministre sans portefeuille (ministère Chiodo), du 25 août au 16 décembre 1848.
CLIV.
21 août 1848.
Mon cher ami, Je vous remercie des nouvelles que vous me donnez, avec tant de régularité et de justesse. Gênes est une des diffi- cultés de la position, mais ce n'est pas la plus grave. Ce qui m'effraye, c'est l'anarchie morale dans laquelle nous sommes tombés. Il n'y a point de réunion nulle part, chacun exprime une opinion individuelle, et l'on ne voit personne capable de rallier un parti puissant. Le Roi est le plus grand obstacle à la solution de la crise. S'il n'abdique pas, le pays est perdu presque sans ressource. Le ministère, qui paraissait formé, est de nouveau mis en question. La po- sition est des plus critiques. Je pense que les rails continuent à arriver et que nous , serons bientôt sortis de cette interminable affaire. J'ai vu M. qui se plaint amèrement de G. Je trouve qu'il a assez raison.
Rappelez-vous de ne pas lâcher à G. un sou de la part qui lui revient dans l'affaire des rails, afin que nous puis- sions nous payer de nos avances dans l'affaire du bois.
Adieu, croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
CL Y.
, août 1848.
Mon cher Emile, M. Ramage est arrivé, je tâcherai de m'occuper de lui aujourd'hui, car demain je vais à la campagne.
Je vous conseille une grande prudence en traitant le Turin de MM. T. et F., quoique je ne doute pas que le gouvernement ne paye. D'ici à quelques jours, vous
verrez publiées de grandes mesures financières et vous vous réglerez en conséquence.
Gioberti fait de l'opposition factieuse, c'est déplorable.
Adieu.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLVI.
Léri, 25 août 1848.
Mon cher ami, Je profite de la tranquillité parfaite, dont je jouis au milieu des rizières, pour causer un peu au long avec vous.
, Hier j'ai conduit chez M. Bona votre recommandé. Monsieur Bona l'a fort bien reçu, mais il a répondu à toutes ses propositions, que les commissaires du gouvernement avaient traité directement avec les fabricants de coussinets, pour la fourniture de toute la route de Turin à Gênes, à un prix bien inférieur à celui du contrat Castelain. Après cette déclaration, il m'a paru qu'il n'y avait plus rien à faire, car, dans ce moment, le gouvernement n'ira pas penser au chemin du Lac Majeur. J'ai emmené M. Ramage, et je l'ai engagé à s'en retourner en Angleterre, en remettant à des temps plus opportuns l'idée de faire de nouvelles offres au gouvernement.
Le gouvernement a profité de la présence de ses commissaires en Angleterre pour traiter directement avec tous les fabricants, de sorte qu'il ne faut plus penser à de nouvelles commissions ; vous pourriez toutefois voir que T.
et F. vous adressent leurs vaisseaux. Que voulez-vous?
Ce malheureux G. a abimé une affaire qui pouvait être magnifique, car il est évident que c'est sa faute et celle de cet imbécile de M. si T. et G. n'ont pas envoyé de suite de bons rails, car ces deux fabricants, maintenant qu'ils ont été en relation avec des hommes de bon sens, comme les commissaires, fournissent des rails excellents et sont en odeur de sainteté auprès de l'administration.
Je suis parti l'esprit bien préoccupé de la situation pré-
sente. Ce malheureux Gioberti, furieux de ne plus faire part du ministère, s'est mis à exciter les passions populaires. Il a été au cercle politique, et y a prononcé un discours incendiaire, dans lequel il dénonce les nouveaux : ministres comme des traîtres, les nouveaux ministres, parmi lesquels on compte ses plus intimes, ses meilleurs amis : Pinelli (1), Sainte Rose (2) et Merlo!! (8). C'est une vé-
(1) Pinelli Pier Dionigi, né à Turin en 1804, mort en 1852, commença sa carrière comme avocat et prit part au mouvement de 1831. Ami intime de Gioberti, il alla le voir lorsqu'il s'était réfugié à Bruxelles et contribua, pour une large part, à sa nomination au ministère. Député du Ve collège de Turin, Pinelli ne tarda pas à acquérir une haute position dans le Parlement, par sa loyauté et sa franchise. Ministre de l'intérieur dans les cabinets Alfieri et Perrone, il donna sa démission après l'armistice de Milan, estimant, contrairement au vote du Parlement, que le pays n'était pas prêt pour recommencer la guerre.
Renommé ministre de l'intérieur après le 2e armistice (cabinets De Launay et 1er d'Azeglio) il eut à lutter contre d'immenses difficultés et fut exposé à l'impopularité et surtout à l'animadversion de son ancien ami intime et ex-collègue Gioberti. — Nommé ensuite président de la Chambre, il sut par son impartialité y regagner une partie de sa popularité, mais non l'amitié de Gioberti, qui ne lui pardonna pas sa conduite politique. Il mourut le 23 avril 1852.
(2) Sainte Rose Pietro Derossi, né à Turin en 1805 mort en 1850, ami intime de Cavour. Décurion de Turin, il proposa, en février 1848, à la municipalité de cette ville de demander le Statuto au roi, et fit part avec Cavour et Brofferio, de la députation qui lui présenta cette demande. Collaborateur actif du Risorgimento, commissaire royal à Reggio (Emilia) lorsque les Duchés demandèrent leur annexion au Piémont, député au Parlement par le collège de Savigliano, ministre des travaux publics (cabinet Alfieri), puis d'agriculture et commerce (cabinet Azeglio), il prit une grande part à l'acceptation de la loi abolissant le for ecclésiastique, homme d'une droiture et d'une intégrité remarquables. (Voir Lettre CCCIII).
(3) Merlo Felice, né à Fossano (Piémont) en 1793. Professeur à la faculté de droit à Turin, représenta le collège de Fossano au Parlement dont il fut éln vice-président à la poe législature. Ministre de l'ins-
stable infamie, dont un prêtre renégat peut seul être capable. Dans Gioberti, il y a du Lamennais, l'un et l'autre, après avoir été les défenseurs exaltés de la puissance de Rome, sont devenus des démagogues effrénés, et ont fait 1111 mal immense à leur patrie. Le discours de Gioberti a Produit un grand effet sur la masse ignorante ; on a dressé des pétitions pour demander le renvoi des ministres, qu'on a colportées dans toute la ville. On est venu au corps de | garde que je commandais, pour obtenir des signatures, mais [ J ai mis à la porte le mandataire séditieux. Cela m'a valu Une dénonciation furibonde au cercle politique, dont je me hats l'œil (1).
Je crains que les passions ne continuent à s'exalter et qu'il ne s'en suive une collision. Le Roi, avec son caractère faible et irrésolu, ne saura ni céder, ni résister à temps, et il entravera l'action de ses ministres, hommes de tête et de cœur. On se flatte qu'il abdique. Dieu le veuille!
(J'est peut-être le seul moyen de sauver le pays d'une crise terrible. L'armée est irritée contre les clubs, contre les Prétendus patriotes qui prêchent la guerre à mort, au coin du feu, du fond des antres du journalisme. Une collision Peut naître d'un moment à l'autre, et donner lieu aux Plus terribles conséquences. Si Cavaignac nous envoie BuSeaud (2), nous sommes sauvés ; car, loin de fomenter les
touction publique dans le cabinet Alfieri, et de grâce et justice dans celui Perrone, il se démit avec ses collègues, en décembre 1848, aprèsles longues et violentes luttes parlementaires de cette époque. La perte de l'amitié de Gioberti fut aussi pour lui un grand chagrin, ainsi que les violentes attaques dont il fut l'objet de sa part. Il mourut le 30' Illars 1849, peu de jours après la terrible déroute de Novare.
(1) Voir sur cet incident C. Cavour, Lettere raccolte da L. CHIALA, Vol. J, p. 135-142.
(2) Pour prendre le commandement en chef de l'armée piémontaise, qui, sur le refus des généraux français Oudinot et Bugeaud, fut confié' au général polonais Adalbert Chrzanowski.
-passions anarchiques, il sera leur plus acharné ennemi.
Mais si l'armée continue à être commandée par des personnages aussi ineptes que ceux qui sont à sa tête, si le Roi s'obstine à rester à Alexandrie, entouré d'hommes im- populaires , si les négociations se prolongent et prennent une mauvaise tournure, nous sommes menacés de troubles graves dans l'intérieur du pays.
Enfin, il faut se préparer à toutes les éventualités et ne pas trop se chagriner d'avance. !
Dans ce moment, je ne puis songer à acheter le guano
Balduino. J'ai déjà à peu près ce qu'il me faut pour l'année prochaine, et je ne suis guère d'humeur de spéculer sur .cet article. La portion la plus riche du Yercellais a été !
abimée par la grêle, de sorte que beaucoup de fermiers sont hors d'état de me payer leur guano de l'année der-
nière ; je n'irai certainement pas leur en confier de l'autre.
Veuillez, toutefois, vous tenir au courant de ce que fera Balduino.
Je vous annonce un emprunt forcé; je pense que des maisons de premier ordre, comme la vôtre, seront taxées de 20 à 30,000 francs. Si l'on exécute le projet que nous avons formulé avec Balduino, l'emprunt se payera avec facilité.
Je me suis dédommagé, vous le voyez, mon cher, du si- lence que je garde avec vous, faute de temps pour vous écrire. Je serai mardi, de retour à Turin, où je trouverai i ,certainement de vos lettres. Adieu, mille amitiés. CAMILLE DE CAVOUR. j
CLVII.
6 septembre 1848.
Mon cher ami, Je fais tout ce qui dépend de moi, pour exciter le Ministère à adopter une ligne de conduite ferme et énergique vis-à-vis des Génois (1). J'espère que l'avenir vaudra mieux que le passé, mais il ne faut pas se dissimuler que Je caractère faible et indécis du Roi est un grand obstacle à la marche régulière des affaires.
Depuis quelques jours, nous sommes très belliqueux, la France paraît décidée à agir en notre faveur. Si l'expédition de Venise a lieu d'accord avec l'Angleterre, il y a de grandes chances que l'Autriche cède.
Votre Maison m'annonce que le comte A. de Casanova (2) a tiré sur vous 5000 francs, sans vous en prévenir.
Mon ami, homme excellent, est excentrique au plus haut degré. Il ne m'a pas plus écrit qu'à vous. Toutefois, si
(1) Plusieurs émigrés italiens s'étaient refugiés à Gênes, et parmi eux, un certain nombre d'exaltés prêts à soulever le peuple contre le gouvernement qu'ils accusaient de trahison. Le 1er septembre, la police ayant arrêté l'émigré Philippe De Boni, que le gouvernement avait ordonné de renvoyer à la frontière Toscane, une émeute s'en suivit qui força le gouvernement à le relâcher et à faire brûler tous les documents du procès commencé contre ceux qui avaient détruit les forts.
et à nommer Lorenzo Pareto, commandant de la Garde Nationale, au lieu du marquis Balbi-Piovera (Lamarmora, Episodio, pag. 10).
(2) Le comte Alexandre Avogadro di Casanova, lieutenant-général et sénateur du Royaume, grand propriétaire à Verceil. « Notre ami Casanova à été saisi par une rage agricole furieuse. Il passe tout son temps dans ses champs et ses rizières, et la nuit il couche avec Liebig et Domsbale. Prenant à la lettre tous les préceptes de ces farceurs d'agriculteurs à établissements modèles, il pèse, il compte, il évalue depuis le brin de paile à la meule de foin Il. (Lettre du comte de Cavour au prof. Auguste De la Rive, CHIALA, V, pag. 99).
vous êtes certain que la signature est légitime, veuillez accepter cette traite pour mon compte.
Les décrets financiers vont paraître. Je pense que les Maisons de premier ordre seront taxées à un emprunt de 30,000 francs nominals, soit 24,000 francs effectifs, pour lesquels elles recevront une inscription de 1500 francs de rente. Enfin ce sera du 5 à 80. Je crois que cette mesure donnera lieu à beaucoup d'opérations.
Adieu, à la hâte. CAMILLE DE CAVOUR.
CL VIII.
7 septembre 1848.
Mon cher ami, Vous aurez vu arriver à Gênes, à l'heure qu'il est, le général Jacques Durando (1), nommé commissaire royal avec des pouvoirs extraordinaires. Le dit Durando n'est pas un génie, mais c'est un homme d'ordre et d'énergie.
Il tâchera de se servir des moyens de douceur, mais si
(1) Jacques Durando, nè à Mondovi en 1807, prit part en 1830, avec Brofferio, à une conspiration contre le gouvernement sarde et dut s'enfuir en Belgique, où il s'enrôla dans la Légion Étrangère ; il passa de là en Portugal, où il servit dans l'armée de Don Pedro contre Dont Miguel, de 1832-1834. En 1835, il s'enrôla avec Cialdini et Cucchiarl au service de Marie Christine contre Don Carlos, et il y obtint le grade de colonel. Après la prise de Sarragosse, il se retira à Paris,.
puis il rentra en Piémont, où il écrivit son ouvrage sur la Nationalité Italienne, dans lequel il déclarait que la papauté est le plus grandi obstacle au risorgimento du pays, contrairement à l'idée de Gioberti, qui en faisait le fondement même. En 1848, il fonda à Turin, le journal l'Opinione et il se présenta avec Cavour, Brofferio et P. Sainte-Rose, au Roi, pour lui demander la constitution. Nommé général par le ministre Collegno, il fit des prodiges de valeur contre les Autrichiens, sur la frontière du Tyrol. Envoyé comme commissaire Royal à Gênes,.
avec pleins pouvoirs, il ne put guère y faire autre chose que tempo-
ceux-ci ne réussissent pas, il ne reculera devant aucune des conséquences des principes qu'il a mission de faire prévaloir. Disciple d'Espartero, il a fait décimer un régiment, -et contribué au bombardement de Barcelone. Cela vous Prouve qu'il a l'énergie nécéssaire dans les temps révolutionnaires.
Je craignais que vos brouillons ne trouvassent un appui dans la France, mais Mr Bois-le-Comte (1) m'a assuré que son gouvernement désirait le maintien de l'ordre et la répression de l'anarcrhie. Ayant exprimé des doutes sur la conduite du consul à Gênes, Mr Favre (2), républicain
ïiser, le parti démocratique y ayant une forte majorité. En 1849 il ^tait aide de camp du roi Charles Albert et il était auprès de lui à Novare. Député au Parlement, il y soutint la politique de Cavour et tu particulier, la guerre de Crimée, pendant laquelle il remplaça Laniarmora au Ministère de la Guerre, charge qu'il occupa jusqu'au 26 Juin 1856. Envoyé ensuite comme ambassadeur à Constantinople, il y signa en 1861 le traité entre la Turquie et le nouveau Royaume d'Italie.
Rattazzi l'appela alors au Ministère des Affaires Etrangères (31 mars à 8 décembre 1862). Député du Collège de Mondovi, puis de celui de Ceva, Durando fut nommé sénateur en 1855.
(1) Ministre de France à Turin.
(2) Léon Favre, frère du célèbre Jules, nommé consul général de France a Gênes, en 1848, puis envoyé en qualité de chargé d'affaires, en Bolivie, 'el, 1819, ses opinions républicaines avancées étant mal vues par le gouvernement sarde. Favre, pendant le siège de Gênes, en avril 1849, s'atttfa la reconnaissance de toute la population, en intervenant, à la tête du Corps consulaire, pour obtenir du général Lamarmora un arrangement qui empêchât l'effusion du sang dans la ville. Il s'employa aussi, avec beaucoup de dévouement, à procurer un asile sur le Tonnerre et autres navires français, qui se trouvaient dans le port de Gênes, à plusieurs familles qui fuyaient la ville (Corriere Mercantile, 18 avril 1849).
Aussi, le 12 avril 1849, la Municipalité de Gênes et les représentants de la Colonie suisse résidants dans cette ville, lui adressèrent des remerciements publics, pour le rôle bienveillant et conciliateur qu'il joua dans ces douloureuses circonstances et pour la protection qu'il accorda à ceux qui lui demandèrent un abri.
un peu coloré, il m'a tranquillisé en me disant que Mr F.
était un honnête homme, incapable d'agir dans un sens contraire aux instructions qu'il a reçues de Mr Bastide (1) et de lui, qui lui enjoignent de s'abstenir de toute menée révolutionnaire.
Les nouvelles de Paris sont belliqueuses. La France ne veut pas que l'Autriche se joue d'elle. Si la réponse que l'on attend journellement de Vienne, n'est pas favorable, l'armée des Alpes passera la frontière. L'expédition de Venise est une preuve que Cavaignac est décidé à ne pas reculer.
Dans peu de jours, nous saurons à quoi nous en tenir.
Si l'Angleterre, ainsi que Bois-le-Comte l'assure, ne s'oppose pas à l'intervention française, je désire la guerre, comme le meilleur, pour ne pas dire le seul moyen, de rétablir l'ordre à l'intérieur.
Je regrette de ne pas pouvoir vous annoncer le plan financier, mais je suis lié par la promesse du secret le plus absolu.
Quant à l'emprunt forcé à 80, on peut en parler comme d'un, bruit, il est bon qu'on s'y accoutume. Il y aura une grande recherche d'argent; si vous avez des fonds disponibles, vous pourrez les employer d'une manière avantageuse et sûre. Plusieurs grands propriétaires m'ont déjà demandé si je pourrais leur procurer des fonds.
Dites-moi si l'affaire des rails continue à marcher, et si vous pouvez m'avancer une partie de la commission qui me revient.
Malgré les embarras financiers, notre usine chimique chemine fort bien. La fabrication est fort active et tout se vend à mesure qu'il y a des marchandises disponibles. Le seul article qui n'aille pas est la stéarine, je crains que nous ne soyons obligés de fabriquer des bougies, ce qui
(1) Ministre des affaires étrangères à Paris.
sera une bonne spéculation, mais qui absorbera des fonds.
Le phosphore se vend couramment. Les Milanais, malgré Radetzky, consomment tout ce que nous avons de disponible.
Notre magnifique moulin à riz va être en activité, il donne des produits superbes.
Adieu, cher ami, je vais passer la journée à Santena.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLIX.
Santena, 9 septembre 1848.
Mon cher, Dans le doute que le Risorgimento ait été informé à temps pour l'imprimer, je vous écris deux mots pour vous Informer que l'Autriche a formellement accepté, le 3 courant, la médiation de la France et de l'Angleterre. J'espère qUe cette nouvelle tranquillisera les esprits et ramènera la Paix à l'intérieur et à l'extérieur.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR,
CLX.
Il septembre 1848.
Mon cher ami, Vous aurez lu dans les journaux, les décrets financiers (lu gouvernement. L'emprunt forcé est tel que je vous l'avais annoncé. Seulement, on a réduit le taux auquel les banquiers et négociants devaient être taxés, et cela parcequ'on a pensé qu'il fallait laisser libres, le plus possible, les capitaux du commerce, afin qu'ils pussent opérer sur la place, de manière à soutenir le cours des nouvelles rentes.
Vous voyez que vous n'avez que 15,000 fr. à payer ; sur cette somme, on vous impute le tiers du premier emprunt, ce qui réduit à moins de 7000 francs le débours que vous I aurez à faire. Cela ne gênera guère vos opérations.
La mesure relative à la Banque est plus hardie, rémission de 20,000,000 de billets en faveur du trésor, le cours ; forcé sont des actes tant soit peu révolutionnaires. Mais
je les crois indispensables. Si l'on n'avait pas mis en circulation des billets, on aurait éprouvé une assez forte gêne.
par suite du défaut de numéraire. L'emprunt nécessite une circulation extraordinaire, il faut faire entrer dans les caisses du Trésor, en 5 mois, 50,000,000. Or, si cette opération avait dû se faire tout en écus, il est évident que le numéraire dont dispose le pays n'y aurait pas suffi, ou du moins, qu'une telle opération aurait apporté une perturbation énorme dans toutes les transactions ordinaires du commerce ou de l'industrie. Il eût été indispensable de se procurer des écus à l'étranger, et on n'aurait pu le faire qu'au prix d'immenses sacrifices.
L'emprunt de la Banque a été combiné avec Bombrini (1), qui, dans cette occasion, a prouvé avoir des vues très larges et très étendues en finances.
Maintenant, les nouveaux titres vont donner lieu à beaucoup d'opérations. C'est ce que je voulais vous dire dans ma dernière lettre. Il serait absurde d'employer ses fonds en emprunts hypothécaires, mais l'on peut acheter des bons d'emprunt à des conditions avantageuses.
Je ne doute pas qu'au moment de verser, les titres ne se négocient à perte, il sera alors avantageux d'en acheter
(1) Charles Bombrini, mort en 1882, directeur de la Banque de Gênes fondée en 1844, fusionnée avec la Banque de Turin en 1849, devint le directeur de la Banque Nationale, qui, depuis 1859, étendit ses opérations dans toute l'Italie, et suivit le sort de l'Unification Nationale (Carlo Bombrini e la Banm Nazionale, Cenni di CARLO BOlIs).
pour les revendre ensuite, avant même d'en avoir effectué le payement total. Si par exemple, on m'offrait le 10 p.
de perte dès à présent, croyez-vous qu'on pût les accepter ?
Cela fait du 5 p. à 90, avec jouissance du 1er septembre, payable, en moyenne, dans le mois de novembre.
C'est de la rente à 69.
L'emprunt de la Banque a une portée politique, il rattache Gênes au Piémont, car, dans le cas d'une séparation, Je Piémont ne rembourserait plus les billets de la Banque.
J'espère que cela fera réfléchir ceux de vos agitateurs qui ont conservé quelque ombre de bon sens.
Vous serez content de Durando, ou je me trompe fort.
Il fait bien de commencer par les moyens de douceur. Il sera d'autant plus justifié à agir avec énergie, à la première accasion.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXI.
15 septembre 1848.
Mon cher ami, J'ai pris une part très active aux mesures financières et j'ai donné ma pleine approbation à l'emprunt fait à la banque. J'avais proposé de consulter le conseil de régence, mais Bombrini, qui connaît son monde, a déclaré que cela ferait manquer l'affaire. Je crois que le dit Bombrini était persuadé que ces messieurs opéreraient pour leur compte, profitant de la connaissance du secret qui leur était confié.
Les négociants de Turin ont plus d'esprit et de patriotisme que les Génois, aucun d'eux ne s'est plaint de la mesure, et cependant vous savez que la plupart des actions sont entre leurs mains.
Je vous garantis, de la manière la plus formelle, qu'il n'est aucunement question d'émission de bons du trésor, ni1 d'un nouvel emprunt, que rien ne justifie. Nous avons cru qu'il fallait pourvoir largement aux besoins du trésor et le mettre en état de parer à toutes les éventualités, afin que les spéculateurs pussent opérer tranquillement à l'égard du nouveau fond.
Soyez persuadé que les écus ne garderont pas la prime qu'ils ont acquise. Une circulation de 20 millions de billets, dans les circonstances actuelles, est dans une proportion si modérée qu'elle ne peut pas amener une dépréciation dans le papier circulant.
Si l'on avait demandé 80 millions à l'emprunt, sans avoir recours à une émission de billets, on aurait produit une grande rareté de numéraire, ce qui eût été nuisible. Les 20 millions que prête la Banque, sont utiles, non seulement parce que ce sont 20 millions de moins que l'on demande au pays, mais encore parce qu'il y a 20 millions mis en circulation.
Je ne sais pas encore si l'emprunt nouveau est coté.
Dix pour cent de prime, c'est l'emprunt à 70, ou pour mieux dire à 69.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXII.
16 septembre 1848.
Mon cher ami, J'ai reçu hier votre lettre du 14, trop tard pour y répondre courrier par courrier, comme vous me le demandiez.
Je ne puis approuver la demande de la Chambre de commerce de Gênes, qui me paraît fondée sur une grande er-
rur économique, c'est-à-dire que la mesure qui donne aux billets un cours forcé fera sortir du pays une grande quantité d'écus. Les écus, le premier moment de panique passé, 116 sortiraient qu'autant que les billets seraient assez nomj reux pour les remplacer dans la circulation. Mais 20 millons de billets ne peuvent suffire qu'à une faible partie les besoins de la circulation, dans un moment surtout, où emprunt forcé déplace une foule de capitaux, donc les ecus ne seront pas chassés du pays.
La loi ne permettant que provisoirement, les coupures de 100 francs, a voulu prévenir l'exportation des écus.
Il est certain que si notre pays avait été doté d'institutions de crédit en rapport avec sa richesse, il y aurait une Circulation de plus de 25 millions de billets, et que, malgré cela, le numéraire n'aurait pas disparu; donc l'émission extraordinaire faite en faveur du gouvernement, ne peut aVoir pour résultat de chasser tous les écus du pays. Soyez certain qu'en définitive, cette émission n'aura fait autre chose que de rendre plus facile le payement de l'emprunt.
Si le gouvernement, revenant sur son premier décret, allait ordonner que le dixième des payements s'effectuât en Cinéraire, il frapperait de discrédit les billets, et augmenterait la panique au lieu de l'apaiser.
Le commerce de Turin est cent fois plus éclairé que celui de Gênes. Il n'a pas eu peur, il n'a ni vendu ses actions de la Banque, ni payé de prime pour les écus. Son temple sera suivi par les Génois. Je puis déjà vous annoncer que des ordres de vente d'actions ont été retirés.
Les agitateurs ont voulu s'emparer de cette mesure pour faire de l'opposition, mais ils la combattent avec de si buvais arguments, que le résultat ne leur sera certainement Pas favorable.
On n'a pas encore fait d'affaires sur le nouvel emprunt.
On parlait de 5 de prime, mais je pense que lorsqu'il foudra verser, il baissera encore.
Si l'on arrive à 10 %, je commencerai à opérer ponfl -votre compte. 1 * L'arrivée du Roi n'a produit aucun effet. On disait que || notre Circolo voulait organiser une démonstration en sOD¡ honneur, mais, en même temps, hostile au ministère. Il n'ar rien fait, car il sent qu'il n'a pas de force morale.' La semaine prochaine, on ouvrira le chemin de fer jusqu * Moncalier pour amuser les badauds.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXIII.
, 18 septembre 1848.
Mon cher ami, Si les Génois sont aussi timides et poltrons en affairé que sur le champ de bataille, je ne sais qu'y faire. Ce n'est pas une raison pour faire une sottise. Lorsque la mesure s'exécutera, lorsque les billets seront répandus dans le pays, ils ne jouiront plus d'aucun prime.
La mesure est essentiellement transitoire, elle a ponT but de faciliter le versement de l'emprunt forcé ; si la paiS se fait, on contractera un emprunt à l'étranger, et la banqne sera immédiatement remboursée.
Je vais passer quelques jours à Leri avec mon père, je crains de ne pas voir M. Cambiaso, que j'aurais eu bieJ1 du plaisir à connaître, d'après ce que vous m'en dites.
Samedi, Casana a acheté de l'emprunt 5 %, mais je croÜ qu'il a fait une boulette, et que l'on en aura à 10%.
Bolmida est de cet avis.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXIV.
24 septembre 1848.
Mon cher ami, J'ai été passer quatre à cinq jours à Leri, avec mon père.
Depuis hier, me revoilà replongé dans le bourbier de la Politique. J'ai trouvé les esprits assez inquiets, la médiatlon avance lentement en besogne, malgré les belles professes de la France et les paroles rassurantes d'Abercromby, et puis pouvons-nous compter sur le gouvernement actuel de Paris, condamné par tous les partis!!
3Iais laissons la politique et parlons affaires.
L'emprunt est offert à 10 %, mais je pense qu'il tombera au-dessous de cette limite. Veuillez, en conséquence, nie mander si je dois exécuter, purement et simplement, otre ordre, ou si vous me laissez libre d'agir comme je Entendrai, le mieux pour vos intérêts.
Vous m'obligeriez infiniment en m'envoyant, à compte de ma part sur le futur bénéfice des rails, 15,000 francs en billets. Je comprends que dans ce moment, il est juste de porter l'intérêt de notre compte courant à 5 Si vous le voulez, nous l'arrêterons au 1er octobre et pour les nouvelles affaires nous adopterons cette nouvelle base.
Je vous écris fort à la hâte et au milieu d'un bruit (ï' enfer.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXV.
25 septembro 1848.
Mon cher ami, Ce que je vous ai écrit hier, est arrivé. Ce matin, on m'& offert 120,000 francs à 12 de perte. J'aurais accepté 60,000 francs si on avait voulu me les donner, mais ou s'est refusé à diviser la somme. Alors j'ai dit que je prendrais le tout à 15 J'attends une réponse. Il me paraît qu'à ce taux l'affaire est bonne. Si je conclus, vous retiendrez ce que vous voudrez et le reste sera en compte à demi. Nous ferons un compte à part, qui portera un in' térêt égal à celui qui ressort du prix d'achat de la rente. A la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXVI.
29 septembre 1848.
Mon cher ami, Je n'ai rien fait quant à l'emprunt. La personne qnÍ cherchait à placer 120,000 fr, la marquise de B., a trouvé, à ce qu'il paraît, de meilleures conditions que celles que je lui offrais.
Des maisons juives ont fait d'assez forts achats, et, hier matin, quelques ordres sont arrivés de Genève, à Long et De Fernex, de sorte qu'on a placé de fortes parties à 68.
Je vous assure que je ne suis pas fâché du résultat négatif de ma négociation, car la question politique s'en1' brouille terriblement. La médiation n'avance pas. La France
recule au lieu d'avancer. Ses agents parlent de modération, de résistance, tout comme ceux de Louis-Philippe ; ils sont curieux à entendre, les fiers républicains qui vous conseillent sérieusement de fermer les cercles, de mettre Gênes en état de siège, et autres mesures de la sorte.
Cela irait fort bien si le gouvernement était fort, si le Roi était de bonne foi, la paix serait assurée. Mais, avec des ministres hésitants, un Roi qui, au fond de l'âme, déSlre recommencer la guerre, je crains que la prudence, Pour ne pas dire la pusillanimité de la France, ne nous amne à faire quelque folie.
A l'ouverture des Chambres, le ministère pourrait bien être renversé, et alors , qu'aurions-nous ? Gioberti et sa ^ueue ! capable de commettre les plus extravagantes choses qu'il soit possible d'imaginer. Ces prévisions sont loin (ï être certaines, mais il suffit qu'elles soient probables pour nous engager à la plus grande prudence.
Quand-même la guerre ne s'en suivrait pas, l'entrée de G. au ministère ferait énormément baisser la rente. Je vois le cours de 60 aussi probable que celui de 70.
Le résultat des élections nous éclairera sur l'avenir. Si l'on nomme des hommes modérés, alors on peut prendre courage, mais si la liste de la Concordia triomphe, il faut s attendre à une grande crise.
J'ai eu à soutenir le feu de vos deux journaux génois.
Ye Pensiero Italiano (1) a été poli, mais Paolo Farina (2) dans le Corriere Mercantile (3), a été d'une incroyable gros-
(1) Journal d'opposition publié à Gènes sous la direction de Niccolo .AcJ':' Davide Morchio, Pellegrini, Celesia, Lazzari, etc.
a w Paolo Farina, avocat génois, député au Parlement, très versé dans les questions de finance et d'économie politique, nommé sénateur ei1 1857, puis préfet à Livourne, mort en 1871. Libéral avancé.
(3) Journal commercial et politique, publié à Gênes sous la direction de Jean Antoine Papa.
sièreté. Je leur ai répondu par un long article ; il me paraît que la question est maintenant suffisamment débattue et que je puis me taire, si l'on m'attaque de nouveau.
Si la paix se fait, je ferai acheter du guano à Liverpool, car il me paraît qu'on ne peut guère compter sur celui de Balduino.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
Le ministère envoie Alberto Ricci, à Paris; il croit par là, se concilier les suffrages de quelques députés génois.
C'est, à mon avis, une faute, mais patience. Dans la position si difficile où nos hommes d'état sont placés, ils sont excusables de ne pas toujours suivre le meilleur parti.
CLXVII.
3 octobre 1848.
Mon cher ami, J'arrive de Santena, où la pluie m'a retenu.
Les élections connues jusqu'ici, sont passables.
Si on s'était entendu, il eût été facile de dégommer Radice (1), mais il n'aurait pas fallu porter Revel.
Adieu, à la hâte.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Evasio Radice, officier dans l'armée sarde, où il parvint au grade de lieutenant-colonel, nommé député du Ve collège de Turin à la 1" législature, puis député de Vercelli, appartenait à la droite libérale.
CLXVIII.
4 octobre 1848.
Mon cher anÛ, Si vous voulez le résumé de la position politique, le voici : La France ne veut pas intervenir et se f. de nous.
L Angleterre, plus éloignée encore que la France, des idées de guerre, nous témoigne néanmoins une plus grande bienveillance et nous prodigue de bonnes parole et de sages conseils. Le ministère et les masses veulent la paix. Le Roi et la partie la plus remuante des classes moyennes voudraient tenter, encore une fois, le sort des armes.
Maintenant qu'arrivera-t-il ? C'est ce que je ne puis prévoir d'une manière certaine. Je crois cependant, que nos Mauvaises têtes ne parviendront pas à allumer une guerre générale, en dépit de toutes les grandes puissances. Il se Peut que le Roi, secondant et secondé par Gioberti, nous fasse commettre quelque acte imprudent, mais la France et l'Angleterre nous tireront par les basques de nos habits et nous forceront à nous tenir tranquilles.
Les élections prouvent qu'en général, la province est très Modérée et à Savigliano et à Fossano, villes qui ne sont Pas sans importance, l'opinion s'est prononcée tout-à-fait en faveur des ministres.
Si le bâtiment de Balduino arrive, ne le perdez pas de ^lle ; pour peu que l'horizon politique s'éclaircisse, je le 1 aiterai volontiers.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXIX.
11 octobre 1848.
Mon cher ami, Hier j'ai été de garde tout le jour; le matin j'ai donné des ordres d'achat à plusieurs courtiers, mais à la Bourse, on n'a rien pu faire. P. a fait le fanfaron, il a étalé des masses de billets, et par suite, la rente a monté.
On va accorder jusqu'au 30 du mois, pour payer et jouir de l'avantage du 20
Je persiste à croire que les démonstrations plus ou moins belliqueuses qu'on va faire, produiront de la baisse ; mais j'avoue pouvoir me tromper. Dans les circonstances actuelles, personne ne peut prévoir l'avenir. Je commencerai toujours par exécuter votre ordre. Veuillez m'envoyer, avant la fin de la semaine, 20,000 francs en billets.
Mes maudits Hollandais n'achèvent jamais notre moulin, de sorte que je n'ai pas pu vendre une graine de riz de cette année et que j'en ai encore beaucoup de l'année dernière.
Alfieri a quitté le ministère. Il représentait l'opinion de la paix à tout prix. Perrone (1) a été nommé premier ministre. Le Roi passe une revue ce matin à la garnison.
J'espère que les soldats d'Aoste continueront à faire la police que négligent les autorités.
Ne regrettez pas Durando. Saint-Martin, qui le remplace, vaut beaucoup mieux que lui.
(1) Le baron Ettore Perrone di S. Martino, lieutenant-général, fut d'abord ministre des affaires étrangères (cabinet Alfieri), puis président du cabinet jusqu'au moment où la majorité démocratique de la Chambre, qui réclamait la reprise des hostilités avec l'Autriche, le força à se ilémettre et à céder la place à Gioberti.
Entre nous, je vous dirai que la Commission de la Chambre chargée de taxer les banquiers, a omis de la note le nom de B., et le considérerait comme à peu près ruiné.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXX.
12 octobre 1848.
Mon cher ami, Gioberti sera probablement élu président de la Chambre, cela fera crier à la guerre; il ne faudrait pas grand'chose pour produire une baisse considérable.
Hier le Roi a passé une revue aux troupes de la garnison. Les Lombards l'ont entouré et lui ont remis une adresse, qu'il a accueillie avec beaucoup de bonté.
Les désordres de Gênes m'affligent; je savais bien que la brigade de la Reine était une des moins bonnes, mais je n'aurais pas supposé qu'elle se fût laissé séduire par ces gueux d'agitateurs.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
I
CLXXI.
14 octobre 1848.
Mon cher ami, Je suis désolé de ne pas avoir exécuté votre ordre, le premier jour que vous me l'avez donné. Pour le moment on ne trouve plus à acheter de l'emprunt à aucun prix.
J'attends la réponse de Yerceil. Toutefois, je persiste dans
mes idées de baisse, car je vois chaque jour, l'horizon se rembrunir. Les événements de Vienne ont donné une grande impulsion aux idées belliqueuses et nous pousseront probablement à quelque résolution extrême. Les députés les plus modérés, réunis hier au soir, ont décidé qu'il fallait engager le ministère à poser le cas de guerre aux puissances médiatrices. D'un autre côté, voyez comment les affaires vont en France. Cavaignac, sur lequel on comptait, est usé. L. Napoléon prouve, chaque jour plus, sa complète.
incapacité.
Le dernier emprunt ne suffira pas aux dépenses de l'année prochaine; on sera obligé d'en ouvrir un autre, mais CEt n'est pas là le plus mauvais de notre position financière.
L'emprunt, jusqu'à présent, a fort peu produit. Six millions, et nous comptions sur quarante ! ! ! Hors de Turin, qui a fourni la moitié de cette somme, on ne paye que fort peu.
Que fera-t-on? Aura-t-on recours aux moyens coercitifs?
mais alors, on risque de bouleverser le pays. Recourrait-on à un emprunt à un cours plus bas que l'emprunt forcé?
mais alors, on commet une injustice envers ceux qui se sont soumis aux prescriptions de la loi. — Tout cela est déplorable. Sans un coup de la Providence, je ne sais trop comment nous nous en tirerons.
J'ai reçu l'échantillon de guano, dès que j'en connaîtrai l'analyse, je vous ferai connaître mes intentions à cet égard.
Quoi qu'il arrive, on mangera toujours du maïs et du riz.
Votre trèfle est de très mauvaise qualité, il est impossibl& de le vendre cette année, où les belles qualités sont à très.
bon marché.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CL XXII.
15 octobre 1848.
Mon cher ami, Hier mon agent de change est venu me dire qu'il avait reçu plusieurs commissions importantes, relativement à l'emprunt, mais qu'on lui avait dit d'attendre, pour traiter définitivement, que le nouveau terme touchât à sa fin.
Je crois, en conséquence, que je pourrai exécuter vos ordres.
Ici nous sommes, de jour en jour, plus belliqueux. Je crois que le ministère sera forcé à dénoncer l'armistice, malgré tout le mouvement que se donne la diplomatie.
Le ministre de France m'a péroré bien pendant deux heures, pour me prouver que le pays devait avoir foi dans son gouvernement. Vous comprenez que je n'ai pas été convaincu, mais quand l'éloquence de M. Bois-le-Comte aurait produit son effet sur moi, je doute qu'il m'eût été possible de faire partager ma conviction par mes collègues de la Chambre.
Le guano de Balduino est de bonne qualité. Tâchez de l'avoir le meilleur marché possible. Offrez 22 et montez jusqu'à 25. Je me remets entièrement à ce que vous ferez.
Il va sans dire qu'on s'engage à ce que tout le chargement corresponde à l'échantillon qu'on m'a envoyé.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXXIII. 18 octobre 1848. Mon cher ami, j Nous vivons dans un temps où l'on ne peut prévoir l'a- venir, même le plus prochain. Les députés de l'opposition, que je m'attendais voir arriver dans des dispositions féroces, s'en vont répétant qu'au fond, ils sont plus modérés qu'on , ne le pense, et qu'ils ne désirent pas tant de renverser le ministère. Les Génois, surtout, sont ceux qui affectent la plus grande modération. Est-ce un jeu? Est-ce que ces messieurs commencent à avoir réellement peur du mouve- ment révolutionnaire ? C'est ce que j'ignore encore. Cepen-
dant leurs sentiments véritables ne tarderont pas à se ma- nifester. Les nouvelles d'Allemagne me paraissent tout-à-fait fa- vorables à notre cause. Depuis la révolution de Vienne, la diplomatie recommence à parler de l'indépendance de l'Italie,
avec un certain sérieux, et il est probable qu'elle agira avec plus de vigueur.
La France a approuvé le renvoi de notre flotte à Venise, et l'Angleterre ne s'y est pas opposée. C'est là un indice de meilleures dispositions.
Somme toute, je ne vois plus aussi en noir qu'il y a quelques jours. Malgré cela, je ne vous pousserai pas à spéculer sur la rente, et je vous conseillerai plutôt la pru- dence. Je n'ai rien trouvé en outre des 10,000 fr. dont je vous ai déjà parlé. Hier, il y avait preneur à 72.
Les fondateurs de la Banque ont été appelés à verser 2500 francs chacun, pour payer le papier qui est fabriqué.
J'ai versé 2500 pour votre compte. Je crois que le moment est venu d'activer cet établissement., Adieu, je vous écris à bâtons rompus, sans trop savoir ce que je dis.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXXIV.
22 octobre 1848.
Mon cher ami, Je ne vous ai pas répondu hier, parce que j'étais dans les douleurs de l'accouchement ; je devais parler à la Chambre sur la grave question du moment (1) et, ma foi, j'avais quelque appréhension. Enfin je m'en suis passablement tiré, et je crois avoir rendu un véritable service au ministère; À vous dire vrai, je trouve l'aspect de la Chambre plus rassurant que je ne l'avais pensé. Les orateurs de l'opposition ont montré assez de modération. L'opposition ne veut pas pousser les choses à l'extrême, elle se contenterait d'un ministère de coalition. Les affaires extérieures doivent s'arranger, car l'empire d'Autriche me paraît perdu sans ressource. L'empereur est forcé de se jeter dans les hras des slaves, et de se séparer de l'Allemagne.
Ne vous inquiétez pas de la question de la Banque, nous ne l'activerons que si nous pouvons la fonder sur des bases convenables.
Je m'en remets entièrement à vous, à l'égard du guano.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXXV.
24 octobre 1848.
Ion cher ami, J'attends le retour de mon secrétaire pour répondre aux lettres de votre maison. Je vous dirai toutefois, que c'est bien 2500 francs que j'ai payés à la Banque pour votre
(1) La dénonciation de l'armistice et la reprise des hostilités avec l'Autriche.
compte, ayant versé 5000 pour nous deux. Vous savez que nous avons la part de S. et que, par conséquent, nous représentons deux parts de fondateurs.
Je vous dis, en toute confidence, que nous avons décidé de n'activer la Banque, qu'autant que nous obtiendrions pour nos billets la même faveur que celle dont jouissent les billets de la Banque de Gênes, ou que nous parviendrions à nous entendre avec celle-ci. Une Commission, composée de Mestrezat, Bolmida et moi, a été chargée de négocier, soit avec le ministre, soit avec la banque de Gênes.
Pour que nos négociations réussissent, le plus grand secret est nécessaire.
Le ministère a obtenu une majorité de 19 voix, mais en déclarant qu'il était prêt à faire la guerre.
Vous me direz, peut-être, que cela ne l'engage pas beaucoup. Je n'en sais rien. Au premier indice sérieux de ln dissolutiou de l'armée de Radetzky, je serai le premier il réclamer la reprise des hostilités. Nous vivons dans un temps où il n'y a que les ignorants et les présomptueux qui peuvent avoir la prétention de connaître et de deviner l'avenir.
Je suis très satisfait du contrat du guano. Vous pouvez vous débarrasser sur Cabella, du soin de soigner les expéditions; toutefois, je crois plus avantageux de traiter moimême, avec les charretiers que j'emploie ordinairement. Pour cela, il faudrait que je susse exactement l'époque où ils pourront commencer à charger.
Gioberti tombe tous les jours. Ce ne sera plus, bientôt, qu'une idole brisée. On s'apercevra alors, qu'elle n'était ,composée que de faux métaux, n'ayant aucune valeur réelle.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXXVI.
30 octobre 1848.
Mon cher ami, Pinelli m'a communiqué, hier au soir, les graves événements (1) qui ont affligé votre ville. La conduite de la garde Nationale lui fait le plus grand honneur. Dieu veuille qu'elle Persévère dans la ferme disposition de réprimer l'esprit d'anarchie et de désordre, qui se développe dans Gênes.
Le ministère me paraît décidé à agir avec vigueur. Il a provoqué une réunion de la Chambre ce matin pour dix heures, et il est probable qu'il propose quelque mesure exceptionnelle.
Je rouvrirai ma lettre pour vous l'annoncer, si cela a lieu.
Mais Pinelli croit, qu'en présence d'une si grande agitation, il devient chaque jour plus difficile de maintenir la tranquillité, en conservant la paix. Quant à lui, il serait ^'avis de tenter le sort des armes.
Sous le point de vue politique, il a sans doute raison, mais je ne sais si cela est possible au point de vue militaire. Ce qu'il y a de certain, c'est que nous touchons à Une crise, et qu'il faudra se décider ou pour la guerre im-
(1) Le général Trotti, arrivant à Gênes, à la tête de la brigade de la Reine, avait été sifflé et peu s'en était fallu qu'une collision sanglante, entre le peuple et la troupe, ne s'ensuivît. — La garde nationale, se sentant soutenue par l'armée, avait repris courage et cherché à rétablir l'ordre, et le soir du 28 octobre, un individu qui affichait tlne proclamation demandant la formation d'une Costituente Italiana, ^yant été arrêté par les gendarmes avec le concours de la garde nationale, celle-ci dut faire usage de ses armes pour garder le prisonnier, qUe le peuple voulait délivrer. Lamarmora (Episodio, p. 10).
médiate, ou pour la paix jusqu'au printemps. Le ministère,
je le crains, n'a pas assez de courage pour adopter fran-
chement l'un ou l'autre de ces deux partis.
11 heures. Le ministère propose une loi sur les Lombards, afin de pouvoir les expulser de Gênes.
Adieu.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXXVII.
Lundi, 7 novembre 1848.
Mon cher Émile, Je suis charmé de ce que vous me dites de l'état des esprits à Gênes, et surtout des bonnes dispositions de De Launay (1) et Saint-Martin. Le danger de la position ne
vient pas maintenant de votre ville, mais de la nature même, des choses. Nous sommes dans une très mauvaise condition politique, qui s'aggrave tous les jours. Le pays ne peut pas demeurer dans la position actuelle, et le ministère ne sait, ou ne peut, s'en tirer. Comment le pourrait-il en effet?
En faisant la paix ? Mais alors il aurait contre lui le Roi d'abord, ensuite la majorité de la Chambre et toute la partie remuante du pays. Évidemment il succomberait. Il est donc forcé de continuer à parler guerre, et, peut-être, sera-t-il entraîné à la faire. Si seulement, il avait un peu de génie, je n'hésiterais pas à lui conseiller de la faire, malgré les chances de revers auxquelles il est exposé. Seulement, je lui conseillerais d'attendre encore quelques jours, afin de réorganiser complètement l'armée.
D'après cet exposé sincère de mes opinions, vous pouvez en déduire des conséquences rigoureuses sur ma manière
(1) Le général De Launay commandait la division militaire de Gênes.
(L'envisager les chances de hausse ou de baisse. Sauf quelque événement imprévu, providentiel, nous serons entraînés à faire un coup hardi, peut-être téméraire, avant la fin de ce mois.
Les dépenses du moment sont effroyables, je doute que l'emprunt nous mène beaucoup au-delà du mois de février, et alors que ferons-nous ? Un nouvel emprunt forcé, sur des bases plus révolutionnaires.
Je suis charmé que le contrat des rails touche à sa fin, cette malheureuse affaire, si mal emmanchée, a fort bien tourné.
Ne reste-t-il pas toujours les plaques tournantes de M. ?
Je ne voudrais pas que ce fût une mauvaise queue, qui ftous donnât du souci.
Mardi matin. La séance de hier a été orageuse (1). Le rapport de la commission infligeant un blâme au ministère, celui-ci a demandé un comité secret. Il aura lieu ce soir.
J'ignore ce qu'il en résultera, mais je crains une modification dans le ministère. Peut-être, cette modification estelle devenue indispensable?
Je vous écrirai deux mots demain. Adieu.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXXVIII.
8 novembre 1848.
Mon cher ami, La Chambre, réunie en comité secret, a délibéré jusqu'à llne heure du matin. Grâce aux subtilités et aux répétitions des avocats, elle n'a pas épuisé les interpellations qu'elle
(1) Le rapport de la Commission nommée par le Parlement pour exalUiner la politique du ministère (rapporteur Buffa), concluait presque Par un acte d'accusation, en déclarant qu'elle n'approuvait ni ses actes, lli sa politique.
avait décidé devoir être adressées au ministère. Seulement elle a rejeté, à une très forte majorité, un ordre du jour motivé, relatif à la médiation, présenté par Brofferio. L'opposition a été très faible, très malhabile. Si elle ne se relève pas dans la séance d'aujourd'hui, elle est eoulée pour quelque temps.
Revel a lu à la Chambre un exposé de la situation des finances, assez confus, assez mal fait, duquel il résulte qu'avec l'emprunt forcé et celui fait à la Banque, nous irons tout au plus, jusqu'à la fin de février ou le commencement de mars. Vous voyez que ce n'est pas encourageant.
L'opposition m'a paru disposée à accepter une transaction, c'est-à-dire un ministère de coalition, mais le cabinet n'en veut pas, pour le moment du moins. La crise actuelle surmontée, une modification dans le sens des opposants modérés pourrait avoir lieu, sans graves inconvénients. Revel se retirerait, c'est le plus odieux à l'opposition. On voudrait le remplacer par un génois, Caveri (1). Le connaissez-vous? et croyez-vous que réellement ce soit une capacité financière?
Il n'en a pas l'air. Mais il se pourrait que l'apparence fût trompeuse.
La Chambre se réunit à 10 heures; j'espère que, dans la journée, nous en finirons. Je compte parler et traiter à fond les questions politiques, qu'en vérité, la plupart des orateurs ne font qu'effleurer.
Adieu.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Antoine Caveri, né à Moneglia en 1811, mort le 22 février 1870.
Un des jurisconsultes les plus distingués de Gênes, professeur et recteur pendant plusieurs années de l'Université de cette ville. Député du collège de Sestri-Levante, pendant les 3 premières législatures, concourut à la compilation du code de commerce. Nommé sénateur en 1860.
CLXXIX.
28 novembre 184.
Mon cher Émile, Cette lettre vous sera remise par M. F. Ferrara (1), dont Je vous ai parlé dans ma lettre à votre maison. S'il en avait besoin, veuillez lui donner une lettre de crédit pour Livourne.
• On m'a parlé d'un projet d'emprunt, présenté au ministère par un génois, agent de la maison B. Il s'agirait de 40 millions nominal, à un prix de revient de 70 à 71.
Le ministère va en avant, tant bien que mal, je crois qu'il arrivera quelque grand événement.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXXX.
Turin, 29 novembre 1848.
Mon cher ami, Bombrini a répondu, au nom du conseil de régence de la banque de Gênes, aux ouvertures que nous lui avions faites Pour amener la fusion des deux établissements. Au milieu
(1) Le professeur François Ferrara, né à Palerme en 1810, réfugié 4 Turin, pour avoir pris part au mouvement sicilien de 1847, fut nommé Professeur d'économie politique à cette Université, puis à celle de Pise, Yant subi à Turin une punition disciplinaire, pour y avoir soutenu la hberté de l'enseignement public (1859). Député du 1er collège de Palerme, ministre des finances en 1867 (ministère Rattazzi), dirige actuellenlent l'école supérieure de commerce à Venise, et a publié diverses Ouvres fort estimées sur les finances et l'économie politique. — Grand alni du comte de Cavour, qui l'estimait beaucoup, quoique ne partageant pas ses opinions.
de phrases assez entortillées, perce le désir d'en venir à un arrangement. Nous avons décidé, hier au soir, de lui répondre d'une manière plus catégorique, en lui indiquant les bases que nous jugeons devoir être adoptées, dans le cas où la fusion aurait lieu.
Si vous avez l'occasion de voir Bombrini, dites-lui confidentiellement, que le conseil de Turin ne serait pas éloigné de l'idée de laisser à Gênes le siège principal de la Banque nationale, et que, dans tous les cas, il est unanime pour vouloir que Bombrini soit le directeur général de la société.
Je crois fermement, que l'union des deux Banque ssera on ne peut plus utile au pays et avantageuse aux actionnaires des deux sociétés. Le local que nous avons loué, étant très vaste, nous pourrons y établir le dépôt des soies, ce qui nous assure un emploi constant de nos fonds.
Je ne doute pas que les versements ne se fassent facilement, attendu que nos marchands de soie ont beaucoup gagné cette année, et qu'ils ont maintenant une opinion très favorable de notre entreprise.
Nigra, qui était très froid, a changé d'opinion, il est un de ceux qui poussent le plus à la prompte activation de la Banque.
Le ministère et tous les financiers sont très portés pour la fusion. Revel m'a assuré qu'il la favoriserait de tout son pouvoir, et le marquis Ricci m'a promis d'écrire à ses amis de Gênes, pour les décider à signer le pacte d'union.
Tâchez, de votre côté, d'influencer Bombrini et les amis que vous avez dans le conseil de régence. Quant aux actionnaires, je ne les crains pas, la majorité des actions étant entre les mains des capitalistes piémontais.
Hier, on nous a annoncé que le Pape s'est sauvé de Rome. Cette nouvelle, fâcheuse d'un côté, aurait peut-être un bon résultat : celui de forcer la France à une intervention armée en Italie. Le ministre de France m'a dit hier, en apprenant cette nouvelle: « Cela ne m'étonne pas, car
* je sais que l'on prépare le château de Fontainebleau * pour le recevoir".
Ici, l'opposition se remU3 beaucoup, mais sans succès.
On commence à être fatigué de sa violence. Si jamais elle Entait d'exciter des désordres, ils seraient promptement réprimés, car l'armée est unanime dans le désir de frapper 8tir les perturbateurs. Si on devait faire agir la troupe, la difficulté serait de l'empêcher de frapper trop fort.
Hier on a proposé l'impôt progressif. J'ai vivement repoussé cette absurde proposition; elle sera, j'espère, rejetée, car les Génois me paraissent disposés à voter contre elle.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXXXI.
3 décembre 184S.
Mon cher ami, Je vous sais bon gré de vos démarches auprès de Bombrini, et j'espère qu'elles nous aideront à fonder une Banque nationale destinée à rendre de grands services au pays.
Quant à l'établissement Rossi, Schiaparelli, je vous ai déjà dit que le fonds social n'est pas en rapport avec le développement des affaires que la maison a pris. La clientèle, que Mr Rossi nous a cédée, s'est considérablement étendue. On voit chaque jour une foule d'ordres, qu'on exécute à des conditions très avantageuses, mais qui exigent des avances de fonds.
Ajoutez à cela la nécessité d'entreprendre la fabrication des bougies stéariques, et vous comprendrez que l'établissement soit très géné. Dans ce moment, comme il ne convient pas de demander du crédit à personne, nous avons
payé presque tout, comptant. Mais j'ai dû avancer 50,000 francs.
Pour parer à l'inconvénient de cétte situation, je cherche à combiner d'augmenter les fonds sociaux, étant convaincu que nous retirerons de nos capitaux au moins le 15 7o.
Les exaltés se démènent comme des diables. Ils sont furieux contre moi, ils voudraient bien m'intimider, mais je vous réponds qu'ils n'y parviendront pas.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
C. DE CAVOUR.
CLXXXII.
5 décembre 1848.
ftfon cher ami, A la suite du vote de la Chambre sur la pétition des étudiants de Turin, le ministère a donné sa démission (1).
Il a parfaitement agi. Attaqué avec une passion acharnée, mollement défendu, il ne pouvait plus faire le bien. C'est un malheur sous un certain rapport, car il serait difficile de trouver une réunion d'hommes aussi honnêtes et aussi courageux, mais d'une autre part, il faut avouer que sous le rapport du talent, il n'était pas à la hauteur des cir-
(1) Séance du 3 novembre, relateurs Mellana — Les étudiants de l'Université de Turin demandaient l'abrogation d'anciens règlements, leur interdisant de se réunir plus de 20 en public, de former entre eux des sociétés littéraires ou politiques, etc. — Après une longue discussion et malgré l'opposition du ministre de l'instruction publique, Boncompagni, la Chambre vota pour la prise en considération de la position des étudian's, et invita le ministre à proposer les réformes à introduire dans les règlements universitaires, pour les mettre en harmonie avec les temps modernes.
constances. Il n'y avait pas un seul homme politique, Pinelli a du cœur, de l'énergie, une activité admirable, mais il est dénué des connaissances nécessaires pour traiter les grandes affaires. Ses collègues n'avaient pas le don de la parole, et étaient, à tout prendre, assez médiocres. Le Roi a chargé l'avocat Gioia (1) de Plaisance de former un nouveau cabinet. S'il y réussit, nous aurons beaucoup gagné, car le ministère sera soutenu par l'ancienne majorité et par la partie modérée de l'opposition, qui se compose de presque tous les députés génois, et la politique ne sera pas altérée.
Si, au contraire, Gioia ne réussit pas, nous aurons un ministère gauche pure, présidé par Gioberti.
Ce ministère fera de grandes sottises, mais il est probable qu'il s'usera dans peu de temps. Ce sera un grand malheur, mais qui aura pour résultat heureux de faire apprécier à leur juste valeur les hommes qui ont acquis Un fâcheux ascendant sur le pays.
Si, comme je l'espère, le parti conservateur demeure compacte et s'organise, il est possible que nous nous tirions encore d'affaire.
Je vous envoie une centaine de copies de la contre-déclaration des députés de la majorité, afin que vous tâchiez de la faire lire à ceux qui ne sont pas tout à fait fous.
Les temps sont bien difficiles, mais il ne faut pas se décourager.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
(1) L'avocat Pierre Gioia, collaborateur du Risorgimento, membre (lu gouvernement provisoire de Plaisance, fut un des délégués qui apportèrent à Turin le vote d'annexion de ce Duché au Piémont. Il succéda en novembre 1850, à Cristoforo MameH, au Ministère de l'Instruction Publique.
CLXXXIII.
8 décembre 1848.
Mon cher ami, A moins que le bon Valério ne mette la main sur tout mon avoir, vous pouvez être certain de ne pas avoir à avancer la somme de 438 (?). D'abord, parcequ'avant l'ouverture de la Banque je vous aurai remboursé la plupart de la somme que je dois au C.te à demi. Les machines du moulin à riz sont achevées, nous les avons essayées.
elles répondent pleinement à nos espérances; le riz qui en sort est beaucoup plus beau que celui produit par nos pistes, et se vend 25 plus cher. Il ne reste plus à mettre en place que le régulateur de la roue hydraulique, ce qui est peu de chose. Dès que les machines travailleront, je pourrai disposer de mon riz et me procurer les fonds dont j'ai besoin pour vous payer.
Ainsi comptez sur mes 100,000 fr. à 20,000 fr. près, qui représentent la quantité de guano qui excède mes prévisions.
A propos de rails, je vous dirai qu'on va ouvrir le chemin jusqu'à Cambiano, c'est-à-dire à 7 milles de Turin, et à la fin du mois, jusqu'à Villanova d'Asti, 11 milles.
Le mouvement des voyageurs à Moncalier dépasse de beaucoup les prévisions des ingénieurs.
Venant à la politique, je vous dirai que je doute fort que Gioia parvienne à composer un ministère, car Gioia n'est pas homme à transiger avec les idées exagérées. Il faudra subir Gioberti, ce que je considère comme un bien,
car il sera impossible de gouverner tant que cet homme ne sera pas démonétisé.
L'esprit de l'armée étant excellent, comme l'est également l'esprit des masses en Piémont, je ne redoute pas excessivement les folies qu'il pourra faire pendant son passage au pouvoir.
A propos de guano, Davidy m'a dit qu'il voulait retenir 1000 kilog. pour H. Ne les lui expédiez pas encore, car les transports sont à un prix fou, le double à peu près des autres années.
Adieu, très cher ami, croyez à mes sentiments dévoués.
C. DE CAVOUR.
CLXXXIV.
14 décembre 1848.
Mon cher ami, Je vous remercie des nouvelles intéressantes que vous In'avez envoyées sur les tristes événements de Gênes (1).
Ces événements ont hâté la solution de la crise ministéiene. D'Azeglio ayant refusé la présidence, il est devenu indispensable d'appeler Gioberti, et de lui abandonner le Pouvoir. C'est une triste nécessité, mais qu'il faut savoir subir avec courage et constance. Peut-être en résultera-t-il Un bien durable. On nomme comme collègues de Gioberti, Rattazzi, Ricci, Désambrois, Buffa, Pareto, Sineo. Pour la guerre, on parle de Chiodo, Rossi et même de Sonnaz,
0) La révolution comprimée, mais non réprimée, menaçait d'éclater avec violence d'un moment à l'autre. Une émeute avait failli éclater :SOns la caserne de l'Annona. Lorenzo Pareto accouru pour la dissiper, à la tête de la Garde nationale, avait été insulté et on avait brisé ;son épée.
votre ancien gouverneur. Il est probable qu'aujourd'hui à la Chambre, nous saurons quelque chose (1).
Le nouveau ministère sera fort embarrassé, surtout pour trouver de l'argent. Je crois qu'il aura recours à un nonvel emprunt forcé. Si Ricci est ministre des finances, il s'opposera à l'émission de billets du gouvernement ayant cours forcé; du moins en quantité telle qu'ils puissent influencer la valeur de la Banque de Gênes. Si Gioberti écarte Ricci, comme trop modéré, alors je ne vous réponds d'aucune extravagance politique ou financière. Le nouvel emprunt se ferait probablement à un cours moins élevé que l'ancien; 75 ou même 70.
Cette mesure serait infiniment préférable à l'émission de billets.
Toutefois, je crois qu'il faudrait demander encore à la Banque de Gênes 5 à 8 millions de billets de petites coupures.
Dites-moi votre avis à cet égard. Lorsque Pinelli espérait encore pouvoir former un ministère conservateur, il parlait d'un certain Viani de Gênes. Dites-moi ce que c'est.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CLXXXV.
15 décembre 1848.
Mon cher ami, Gioberti est au pouvoir! Dieu seul sait ce qui en arrivera. En attendant, nous tâchons d'organiser le parti conservateur. J'espère que nous parviendrons à le constituer
(1) Le nouveau cabinet fut constitué le 16 décembre, et composé de: Gioberti, présidence et affaires étrangères — Sineo, intérieur — Rattazzi, grâce et justice — Cadorna, instruction publique — V. Ricci, finances —Gerbaix de Sonnaz, guerre et marine — Tecchio, travaux publics — Buffa, agriculture et commerce. — Le général Chiodo remplaça Gioberti, le 21 février 1849, à la présidence et aux affaires.
étrangères.
:SUr des bases solides ; mais nous ne pouvons pas nous dissimuler que la position est très grave. On m'a assuré que l'on envoyait à Gênes Josti (1) comme commissaire extraordinaire. C'est un fort honnête homme, mais un fou, capable des plus inouïes extravagances. Je ne crois pas qu'il "transige avec le désordre, mais aussi, je ne vous réponds Pas qu'il ne se mette à organiser sur-le-champ une levée en masse, ou quelque autre sottise de ce genre.
Le seul ministre qui ait le sens commun, c'est Ricci, lnais c'est un homme faible et de mauvaise foi. Je doute fort toutefois, qu'il se prête à des mesures extrêmes.
Je crois qu'on va dissoudre la Chambre. Dans ce cas, Je m'attends, à ce que Gênes nous envoie des Pellegrini, des Celesia, des Morchio (2), en masse.
(1) Jean Josti, député du collège de Mortara.
(2) L'avocat Didaco Pellegrini, un des principaux chefs du mouvement de Gênes en 1849, dut s'enfuir après que la ville eut été prise Par Lamarmora, et mourut à Constantinople le 20 août 1871.
L'avocat Emanuele Celesia, né en 1821 à Finale, orateur, poëte, historien, pédagogue et patriote, prit avec Avezzana, Morchio, Beta Pellegrini, une part active à la révolution de Gênes en 1849. Ses vhants patriotiques et en particulier, celui intitulé « Il fuoco sacro » l'avaient déjà fait connaître lorsqu'en 1846 il organisa avec Lorenzo Pareto, Vincenzo Ricci et Giorgio Doria, la grande procession patriotique à l'occasion du 100e anniversaire de l'expulsion des Autrichiens de Gênes. En 1848 il fit partie des deux députations envoyées de Gênes à Charles Albert, pour protester contre l'armistice Salasco et demander la reprise de la guerre nationale, et il organisa à cette oc.
casion, une compagnie de carabiniers (bersaglieri) volontaires génois.
- Après l'armistice de Novare, Gênes redoutant, comme nous l'avons dit (note 1, Lettre CCIV) d'être occupée par les Autrichiens, se souleva, décidée à lutter jusqu'à la mort, plutôt que de se soumettre à cette humiliation et Celesia participa activement à ce mouvement, tout en déclarant hautement que Gênes resterait indissolublement unie au Piémont. — Après la prise de la ville par Lamarmora, Celesia voulut rejoindre Avezzana et Garibaldi à Rome, mais ne put y parvenir, et dut rentrer à Gênes, où il recommença sa carrière d'avocat et surtout
A propos de Pellegrini, son début n'a pas été heureux.
Quelques mots imprudents sur l'armée, relevés avec bonheur par Pinelli, ont soulevé contre lui une tempête, à
d'homme de lettres. Il écrivit alors l'Histoire de la Révolution de Gênes en 1848-49, puis un nouveau volume de Chants dédié à G. B.
Niccolini et plusieurs autres œuvres dont les plus connues sont Le Storie genovesi del secolo xvirr, La Congiura del conte Fiesco (traduite en anglais et en allemand). L'Histoire de l'Université de Gênes, L'Histoire de la Pédagogie italienne, Les ports et les routes de l'ancienne Ligurie, etc., etc. — Actuellement Celesia jouit à Gênes et dans toute l'Italie, d'une haute et légitime estime, bien justifiée par son patriotisme, ses talents et les services qu'il a rendus au pays. Commandeur des Ordres des Saints-Maurice et Lazare et de la Couronne d'Italie, bibliothécaire et professeur de littérature à l'Université, assesseur municipal à l'instruction publique, conseiller provincial, membre de la Dépuration de Storia Patria, président de la Società di Letture e Conversazioni scientifiche, — il fut pendant longtemps aussi, président de l'Asile des Orphélins, du Circolo Filologico et du Comitato Ligure per l'Educazione del Popolo, dans le sein duquel il eut l'initiative de la fondation du Pio Istituto dei Rachitici. Homme d'une conscience et d'une énergie rares, il s'est acquitté de toutes ces fonctions dont la confiance publique l'a revêtu, avec un zèle, un dévouement et une sagesse, qui certes, si Cavour vivait encore aujourd'hui, lui feraient désirer et non pas redouter, de voir Gênes représentée au Parlement National, par des hommes de la trempe et du caractère de Celesia.
L'avocat David Morchio, né à Gênes en 1798, avait pris part au mouvement constitutionnel d'Espagne en 1820. Républicain convaincu, il fut avec Reta et Avezzana, un des Triumvirs du Gouvernement que Gênes se donna lors de la révolution de 1849. Exclu de l'amnistie accordée par le Roi à la plupart de ceux qui s'étaient compromis dans cette révolte, il fat condamné à mort, par contumace. Il se réfugia à Constantinople, et dut pour payer son voyage, vendre sa bibliothèque,
que ses amis achetèrent. Il reprit, dans l'exil, ses fonctions de jurisconsulte auprès des Tribunaux consulaires, et s'y concilia l'estime de tous ceux qui eurent à faire avec lui. Revenu en Italie, par suite d'une amnistie générale, il se retira à Borzonasca, où il avait été juge, dans sa jeunesse, et y mourut le 2 janvier 1875. La Marmora (Episodio, p. 31) dit de lui, qu'il était un vieux révolutionnaire, s'inspirant de Robespierre et Danton, et féroce au point de plaisanter sur les vie-
laquelle ont participé la plupart des membres de l'opposition.
Je ne crois pas qu'il parvienne jamais à produire grand effet dans la Chambre.
Si les affaires s'arrangent en France, il y aura encore quelques chances de salut ; mais si, ce que je ne crois pas, l'élection de L. B. est le signal de nouveaux désordres, je Ile sais pas prévoir ce qui arrivera chez nous.
Je suis bien aise que les bâtiments de rails arrivent, je voudrais bien qu'ils fussent déjà tous livrés.
Adieu, écrivez-moi, et croyez à ma constante amitié.
C. DE CAVOUR.
CLXXXVI.
Turin, 18 décembre 1848.
Mon cher ami, Je change de rôle à votre égard et je crois maintenant devoir vous rassurer, car si les événements qui se succèdent en Italie paraissent nous pousser au désordre, il est nnpossible de méconnaitre qu'il s'opère dans le reste de l'Europe un retour marqué vers les idées d'ordre et de sagesse. Ce qui se passe en France en est une preuve irrécusable. Ce qui me frappe dans ce pays, ce n'est pas l'immense majorité qu'a réunie L. N., mais l'insignifiante
times qu'il espérait immoler, disant qu'il aurait fait monter le prix du chanvre, à celui de la soie. Tous ceux qui ont connu Morchio, Rendent justice à la droiture de son caractère, et pendant sa dictaturer d'une semaine, il ne fit ni enfermer, ni mourir personne. Son frère, le commandeur et professeur Daniel Morchio, est actuellement un des hommes les plus distingués de Gênes, et c'est en grande partie à son Initiative et à son activité, qu'est dû le monument à Victor Emanuel, ëlevé par souscriptions volontaires, en 1886, sur la Place Corvetto fr Gênes.
minorité des suffrages qui se sont portés sur les représentants de la république rouge, Ledru-Rollin et Raspail.
Il est pour moi évident que l'ordre social est sauvé en France, et par conséquent, en Europe, car les révolutions qui n'ont pas leur point d'appui à Paris, sont des révolutions avortées.
L'arrivée de Gioberti aux affaires peut avoir des conséquences funestes pour le pays, mais du moment que les passions révolutionnaires ne seront plus excitées par l'exemple de la France, aucun bouleversement social n'est à craindre, d'ailleurs Gioberti, énivré de vanité, peut devenir aussi bien un instrument de révolution. Pour cela, il suffira peut-être, que le parti conservateur reste sur la réserve. S'il a la sagesse de le faire, il laissera Gioberti aux prises avec les exaltés, qui se disposent déjà à l'attaquer avec acharnement, ce qui le ramènera à des idées de modération.
Si le Roi se donne la peine de le cajoler, il en fera ce qu'il voudra.
Si Gênes est en proie à l'esprit de désordre, à Turin, au contraire, les éléments d'ordre ont une force irrésistible.
La journée de hier nous en a fourni une preuve. Une grande revue de la Garde nationale a eu lieu ; après avoir assisté à la distribution d'une médaille, elle a défilé sous les fenêtres du Roi. Les agitateurs s'étaient donné un mouvement infini pour faire crier: Vive Gioberti, vive la Constituante! Eh bien; un seul cri a retenti dans tous les rangs, celui de: Vive le Roi!
Lamarmora m'a dit qu'il répondait de l'armée, et soyez sûr qu'on peut compter sur sa parole. Tous les officiers de l'artillerie en disent autant, aussi je vous assure que le Roi n'aurait qu'à lever le doigt pour réprimer toute tentative de désordre.
Au reste, Gioberti le sent, car, dans le programme qu'il a lu samedi à la Chambre, il a exprimé des opinions iden-
tiques à celles que professait Pinelli. La seule différence entre les deux ministères, consiste dans l'emploi fait par Gioberti, de phrases sonores et vides de sens. Tranquillisez-vous donc, mon cher, et si vous voyez l'ordre raffermi eu France, soyez sans inquiétudes sérieuses pour nous.
Les capitalistes de Turin, toutefois, partagent votre opinion. Le nouvel emprunt a baissé singulièrement. Samedi, ()n offrait à 14 0[0 de perte, peut-être ira-t-on plus bas encore. Quant à moi, je crois qu'à 15 0^0, soit à 68, il 11 y aurait pas grand risque à acheter.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXXXVII.
21 décembre 1848.
Mon cher ami, L'absurde proclamation de Buffa (1) a révolté l'armée.
Les officiers de la garnison de Turin ont rédigé une pro-
(1) Domenico Buffa, né à Ovada en 1818, mort en 1858, Député fl'Ovada siégeant au centre gauche. Nommé ministre d'agriculture et commerce dans le ministère demoeratico de 1848, il avait été envoyé à Gênes le 16 décembre, en qualité de commissaire royal, muni de pleins Pouvoirs. A peine installé, il publiait une proclamation contenant les Phrases suivantes: « 1 nuovi ministri, appena giunti al potere, udirono che Genova tumultuava perchè volevasi seguire una politica contraria alla dignità, agli interessi, all'indipendenza della Nazione. Ma ora, uomini nuovi. cose nuove! Il présente ministero vuole l'as-oluta indipendenza d'Italia, la Costituente Italiana, la Monarcliia democraM tica. Io, investito dal Re di tutti i poteri civili e militari spettanti al potere esecutivo, sono venuto a dare una mentita solenne a coloro che dicono la vostra città ainiea delle turbolenze. Pertanto ho ordi.
1iato che le truppe partano dalla città. Quanto ai forti, sarà interrogata la guardia nazionale se vogli.i o possa presidiarli e le saranno 41 consegnati tutti o in parte, a sua scelta. A mantener l'ordine in una città veramente libéra, basta la guardia nazionale n.
testation qui a été signée par plusieurs régiments, et à laquelle adhéreront probablement tous les corps de l'armée.
La brigade de Savoie est plus que toutes les autres brigades dans un état remarquable d'exaspération. On pense que les régiments lombards mêmes enverront leur adhésion.
Que fera le ministère en présence d'un acte de réprobation aussi unanime ? On a peine à comprendre comment il pourra refuser la destitution de M. Buffa. Qu'arrivera-t-il alors?
vraiment on se perd en conjectures.
Ricci m'a répété que jamais il ne consentirait à l'émission du papier-monnaie. Tiendra-t-il parole? Je le crois, parceque le commerce de Gênes ne lui pardonnerait jamais une mesure qui ruinerait la Banque.
Jaillet (1), a répondu hier à M. de Sonnaz (2), que l'armée ne consentirait jamais à se laisser insulter par un ministre Buffa, Buffone!
Les nouvelles de France me tranquillisent au point que je suis sans inquiétudes sur le résultat final de la crise actuelle.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXXXVIII.
Turin, 8 janvier 1849.
Mon cher ami, J'ai à vous entretenir de plusieurs affaires importantes; pour procéder avec ordre, je vais les traiter successivement.
(1) Colonel dans la brigade de Savoie, ami intime de M. É. de la Rue, général au service de la France, après l'annexion de la Savoie.
(2) Le général Hector Gerbaix de Sonnaz, alors ministre de la guerre.
Banque, — Bombrini a été appelé par Ricci, qui voulait le consulter sur les projets financiers du ministère. Ricci 1 a assuré qu'il s'opposerait à l'émission de papier-monnaie, qu'il préférait employer tout autre moyen, avant d'avoir recours à celui-là. Bombrini nous a communiqué la réponse faite par le conseil de régence de la Banque de Gênes à nos propositions. Le conseil accepte les bases que nous avions proposées, seulement il insiste pour que le capital de la Banque de Turin soit fixé momentanément à 2,000,000 et que le versement des deux autres millions, pour compléter son capital, soit renvoyé à une époque indéterminée.
Cette proposition sera sans doute acceptée, elle diminuera de beaucoup les difficultés des versements à opérer et tendra à soutenir le cours de nos actions.
Je crois qu'il en résulte que tous les contrats « à livrer" doivent être réduits de moitié pour le moins, ce qui améliore flotre position.
Jlossi et Schiaparelli. — Ainsi que je vous l'ai mandé, 11 serait impossible de retirer les fonds que nous avons, vous et moi, dans cette entreprise, en compte-courant, sans en amener la liquidation, ou du moins une réduction considérable d'affaires, ce qui serait excessivement fâcheux, Vu que les progrès de l'entreprise dépassent nos préVisions.
La fabrication du phosphore a pris une grande extension.
Il a fallu faire construire un nouveau fourneau, qui nous Permettra d'augmenter d'un tiers nos produits. La fabrication des bougies stéariques est commencée et promet également de larges bénéfices. Enfin, le commerce de la droguerie, que nous a légué M. Rossi, s'étend tous les jours.
Aussi j'ai la ferme conviction que les fonds sociaux rendront au-delà de 10 010.
Mais cela n'empêche pas que les fonds placés en compte Ourant ne soient exposés à de fortes dépréciations, si l'on l'lllet du papier-monnaie.
Vous comprendrez que mon but principal est de mettre les fonds que vous avez engagés dans cette affaire, à l'abri de tout danger. Je crois l'entreprise excellente, mais je ne tiens pas à vous faire partager cette opinion, seulement je pense que vous aurez en moi un débiteur plus sûr, et qui pourra plus vite se libérer, que la maison R. et S.
Je termine cette lettre éternelle en vous manifestant mes craintes sur le résultat probable des élections. Le pays est menacé d'une crise. Vous pouvez être sûr que je ne déserterai pas mon poste et lutterai jusqu'au dernier moment.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CLXXXIX.
, Turin, 17 janvier 1849.
Mon cher Emile, Vous serez étonné de mon silence, mais hélas! il est motivé par une cause bien douloureuse: la maladie de ma tante de Tonnerre (1). Son état est tel que nous ne conservons plus aucun espoir de la sauver.
(1) Madame de Tonnerre. était la fille ainée de M. de Sellon et, par conséquent, la tante maternelle du comte de Cavour. Elle avait épousé, en premières noces, le marquis de Turbie, avec lequel elle fut assez malheureuse et dont elle avait dû se séparer. Elle épousa en secondes noces le duc de Clermont-Tonnerre, et elle trouva dans ce mariage le bonheur qu'une femme peut attendre d'un galant homme, qui l'aime et la respecte (DE LA RIVE, Le Comte de Cavour, p. 4). La révolution de juillet l'amena à se fixer à Turin, qu'elle ne quitta plus depuis 1835 jusqu'à sa mort, qui eut lieu 12 ans après celle de son mari. — Femme d'esprit et de cœur, sa position à Turin était fort considérable et Charles Al' ert la tenait en haute estime. Son affection pour le comte Camille de Cavour, était un des sentiments les pins vifs qu'elle eut jamais éprouvés (DE LA RIVE, 1. c., p. 33).
Nous sommes d'accord sur tous les points relatifs à nos affaires.
Adieu, excusez ma précipitation et croyez-moi votre bien dévoué C. DE CAVOUR.
cxc.
Turin, 22 janvier 1849.
Mon cher ami, Les tristes prévisions que je vous exprimais dans ma dernière lettre, ne se sont que trop vérifiées; ma pauvre tante a succombé à la grave maladie qui l'avait atteinte, sans trop de souffrances. Cette perte est bien cruelle pour nous, car nous aimions ma tante comme une seconde mère.
Je compte aller passer quelques jours à Leri, pour me reposer des chagrins domestiques et des soucis de la politique.
Mon élection est fort compromise. Les juifs ont déserté îfta cause, et le curé d'une des paroisses de la ville a lancé hier une diatribe contre moi.
Si j'échoue, je me consolerai en pensant que, dans les orages révolutionnaires, les bons citoyens sont condamnés a l'impuissance.
Ma tante nous a laissés, mon frère et moi, ses héritiers llniversels, en nous chargeant du payement d'une grande quantité de legs. Quoique ce testament nous soit au fond extrêmement avantageux, il nous oblige, pour le moment, a nous procurer de l'argent.
Adieu, cher ami, croyez a ma bien sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXCI.
Leri, 30 janvier 1S49.
Mon cher ami, Pour éviter de monter la garde aujourd'hui, j'ai prolongé mon séjour ici de 48 heures. Aussi votre lettre du 29 estelle venue me chercher au milieu de mes occupations agricoles.
M. S., chimiste fort habile, ne pense qu'à étendre le cercle de ses affaires, d'une manière quelquefois exagérée. Je lui avais dit avant de partir de Turin, que je donnais mon consentement à ce qu'il achetât pour 10 ou 12 mille francs de graisses, destinées à la fabrication des bougies stéariques, payables à 3 mois, parce que j'étais à peu près certain que dans ce laps de temps, on retirerait abondamment de quoi faire honneur à cet engagement. M. S. aura voulu faire une grande affaire en suif, et je suis charmé que vous l'en ayez empêché. La société peut marcher très bien avec les capitaux qu'elle a ; nous avons peut-être agi un peu légèrement en consentant à l'établissement de la fabrication des bougies stéariques.
Je m'y suis longtemps opposé, j'ai fini par céder parce qu'il m'a été démontré que c'était une conséquence forcée de la fabrication de l'acide stéarique. Cette nouvelle branche d'industrie a absorbé tous les nouveaux capitaux que nous avons versés. Si elle réussit, comme j'ai lieu de le croire, nous l'étenclrons au moyen des bénéfices. Si l'expérience ne répondait pas à nos calculs, alors il faudrait se borner à la fabrication des produits chimiques, et surtout du phosphore, dont les résultats sont infaillibles.
Nous pourrions aussi, au besoin, renoncer au commerce des drogueries que nous a laissé M. R., et qui absorbe
de 80 à 90 mille francs; mais il est non seulement avantageux par lui-même, en outre, il aide singulièrement au débit des produits chimiques.
Cette année, le sulfate de chinine seul, nous a valu un bénéfice net de 3 à 4000 francs.
Ce que vous me dites du retard des navires venant d'Angleterre, m'explique comment une malheureuse meule à riz, que nous attendons depuis deux mois, n'arrive pas.
Je ne vous parle pas politique; depuis huit jours que Je suis ici, je l'ai tout à fait oubliée.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXCII.
9 février 1849.
Mon cher ami, La Marmora rentre au ministère, d'après le conseil de 8es amis et de Pinelli en particulier (1). Perrone sera fait sénateur. Gioberti se sépare tout à fait de Brofferio et des exaltés. Hier il a donné une soirée magnifique. Il y a eu Une grande démonstration contre le circolo.
CAMILLE DE CAVOUR.
OX OIIL 12 février 1849.
Mon cher ami,
Ma tante De Sellon est partie aujourd'hui pour Gênes, aVec ses deux filles cadettes. Elles y arriveront demain et iront descendre à l'hôtel de Londres. N'étant accompagnées
9 (1) La Marmora remplaça De Sonuaz au ministère de la guerre le 2 février, mais céda ce portefeuille, dès le 9 février, au général Chiodo.
par aucun homme, je les recommande vivement à vos soins obligeants. Elles comptent passer quelques jours dans votre ville, si l'émeute ne les en chasse pas.
Ici, nous sommes parfaitement tranquilles. Gioberti s'est déclaré, d'une manière franche et énergique, contre la constituante et la révolution toscane (1), et il a rompu d'une manière éclatante, avec Brofferio et le parti extrême. Il paraît décidé à ne pas reculer, et il peut le faire d'autant mieux que la population de Turin s'est déclarée d'une manière unanime en sa faveur. Le peuple est essentiellement monarchique. Il est charmé par le mot de royauté démocratique, et il serait difficile de lui faire accepter les idées mazziniennes. Quant à Gênes, Gioberti est décidé de la maintenir par la force. Buffa est parti, emportant dans sa poche le décret de l'état de siège. J'espère qu'il saura en faire meilleur usage que Durando.
La Chambre est tout étonnée des tendances conservatrices du ministère. Elle se croyait destinée à jouer de grandes représentations révolutionnaires, et, au lieu de cela, le ministère lui impose des idées d'ordre et de modération.
Je crois la guerre presque inévitable, le mois prochain.
Je n'en suis pas fâché, car elle seule peut nous éviter la crise révolutionnaire qui nous menace. Les deux La Marmora (2), hommes qui m'inspirent la confiance la plus illi-
(1) Guerrazzi, Montanelli, etc., y avaient constitué un gouvernement provisoire et le Grand-Duc s'était enfui à Porto S. Stefano.
(2) Alphonse et Alexandre La Marmora. — Le premier (1804-1878) était capitaine d'artillerie en 1848, se distingua à la bataille de Pastrengo et délivra Charles Albert le 5 août, lorsque sa vie était menacée à Milan, dans le palais Greppi, où la foule exaspérée l'avait assiégé.
Nommé général en octobre 1848, ministre de la guerre (cabinet Perrone, 27 octobre à 16 décembre 1848), chef d'état-major de Chrzanowski, ministre de la guerre pour la deuxième fois, du 2 au 9 février, 1849 (cabinet Gioberti,. Envoyé en Toscane, à la tête d'une divi-ion, pour y réaliser la restauration projetée par Gioberti, il fut soullain
lUitée, sont pleins d'espérance. Si on les laisse faire, je crois Probable que nous délivrions la Lombardie. En tout cas, si nous succombons, ce sera d'une manière glorieuse, et non en tombant dans la boue, comme à Rome et à Florence.
Adieu, cher ami, croyez à mon sincère dévouement.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXCIV.
1er mars 1849.
Mon cher ami, Il y a plusieurs jours que je veux vous écrire, et que Je ne le fais pas, le courage me manquant pour vous entretenir de nos tristes affaires politiques.
La chûte de Gioberti a été un drame honteux. Le Roi
appelé de Sarzane et arriva trop tard pour prendre part à la bataille de Novare. Envoyé à Gênes, qui s'était révoltée (avril 1849), il s'en enlpara, y rétablit l'ordre, et fut ensuite ministre de la guerre jusqu'en ] 860, excepté pendant le temps qu'il passa en Crimée à la tête de la division piémontaise, où la victoire qu'il remporta à Traktir rétablit la réputation de l'armée sarde, compromise à Novare. Président du cabinet, de juillet 1859 à janvier 1860, pendant la retraite momentanée de Cavour, il alla combattre le brigandage à Naples en 1861. Président du cabinet de 1864 à 1866, il conclut en 1866 l'alliance italo-prussienne, §râce à laquelle Venise fut rendue à l'Italie. Il commanda ensuite le département militaire de Milan et fut enfin lieutenant du Roi à Rome en 1870-71. Pendant sa longue et honorable carrière, La Marmora fut en butte à bien des accusations, auxquelles il répondit par la publication de son Episodio del Risorgimenio italiano (Révolution de Gênes e;i 1849) et ses Un po' più di luce et I segreti dello Stato (sur l'alliance italo-prussienne). Il était un des intimes amis du comte de CavOnr. — Alexandre La Marmora, frère d'Alphonse, partagea avec lui l'honneur d'avoir réformé l'armée sarde et prit part avec lui, aux guerres de l'Indépendance. Il fut le créateur du célèbre corps des Bersaglieri, devenu classique en Italie et au dehors, par son courage, sa discipline et son organisation. Il mourut en Crimée, d'une attaque de choléra, le 8 juin 1855.
l'a indignement joué; après lui avoir prodigué les témoi- gnages de confiance et de satisfaction, il l'a sacrifié sans' regret à Valerio et à Sineo (1), et à la folle idée de s'élever sur les ruines des trônes de l'Italie centrale.
Le projet que Gioberti avait conçu (2), pouvait amener une solution favorable de la question italienne.
Notre intervention en Toscane aurait déterminé la France et l'Angleterre à agir en notre faveur, ce qu'elles ne feront pas maintenant.
Le ministère, sans Gioberti, est un troupeau sans berger.
Il n'ose pas céder au parti qui le pousse à la démagogie, car il craint un mouvement à Turin et une démonstration militaire. La nomination du marquis Colli (3), homme éminemment conservateur et énergique, a eu pour but de cal-
—■
(1) Deux des principaux rédacteurs de la Concordia. — Riccardo Sineo, jurisconsulte distingué, nè à Turin en 1805, mort en 1876, concourut puissamment à pousser Charles Albert à accorder le Statuto, et fit partie, avec Cavour, de la Commission chargée d'élaborer la loi électorale. Député au Parlement pendant les 11 premières législatures, Sineo fut ministre de l'intérieur en 1848 (cabinet Gioberti), puis de grâce et justice en 1849. Adversaire du comte de Cavour, il eut presque un duel avec lui, lors de la discussion du traité de commerce avec la France, en 1851. Il combattit l'expédition de Crimée, la cession de Nice et de la Savoie. Son éloquence était assez lourde et ennuyeuse. Il fut nommé sénateur en 1873.
(2) De restaurer le Grand-Duc sur son trône à Florence, par l'armée sarde et de former une confédération constitutionnelle en Italie, sous l'hégémonie du Piémont. Ce projet appuyé par Cavour, avait pour but aussi de prévenir une intervention autrichienne en Toscane, et le général Alphonse Lamarmora était déjà en route pour l'exécuter, lorsqu'une dépêche de Gioberti, qu'il reçut à Sarzane, lui annonça que le gouvernement du Roi avait subitement changé d'idée et que, comme il ne pouvait voir dans ce changement que le résultat d'une intrigue pour le supplanter, il donnait sa démission de ministre et de président du cabinet. (LAMARMORA, Un episodio, ecc., pag. 16, 17 et 18).
(3) Le marquis Victor Colli di Felizzano, major général, nommé ministre des affaires étrangères le 8 mars 1849.
- Iller les esprits, qui commençaient à s'aigrir. Maintenant <lu'arrivera-t-il ? C'est ce que tout le monde se demande, et ce à quoi personne ne répond.
Fera-t-on la guerre? C'était possible avec Gioberti, qui avait regagné la confiance de l'armée, mais avec ceux-ci!
Si on ne fait pas la guerre, comment obtenir une paix qui lle soit pas honteuse? Voilà les terribles problèmes dont ta solution n'avance guère.
Le ministère est aux abois, quant aux fonds. Ricci parle toujours de l'emprunt; mais l'emprunt ne se fera pas, tant qUe ses collègues et lui seront aux affaires. Il paraît bien qu'un projet d'emprunt a été conditionnellement accepté Par une société de capitalistes, mais ceux-ci ne s'étant pas définitivement engagés, poussent le temps avec l'épaule, Pour attendre les événements et profiter de la moindre apparence pacifique.
Leur position est excellente, ils ne veulent conclure que si la crise politique se calme, et alors, certainement, les prix auxquels l'emprunt sera émis, leur assureront un immense bénéfice. Pour peu que l'on comptât sur la paix, nos rentes atteindraient le niveau des rentes françaises.
Ricci a fait faire à la Banque de Turin les propositions les plus avantageuses. Nous nous réunissons aujourd'hui Pour les discuter.
J'ai communiqué à M. Schiaparelli vos observations sur ses bougies stéariques. Il m'a promis d'apporter tous ses 'soins à l'amélioration de la mèche. Dans ce but, il désiTerait avoir sous les yeux un paquet de bougies anglaises, 'qu'on ne trouve pas à Turin. Si vous pouviez lui en envoyer un, vous l'obligeriez beaucoup. On fabrique également, des paquets de 5 et des paquets de 4 bougies, du poids de 1r2 kilogr. Les paquets se vendent 1 fr. 50 cent., avec '6 0x0 d'escompte. Jusqu'à présent la vente a été très active, et quoiqu'on en fabrique de 800 à 1000 paquets par semaine, tout se vend pour ainsi dire d'avance.
La consommation de cet article a augmenté et augmente chaque jour. Cela se conçoit, car les bougies stéariques ont un tel avantage sur les chandelles de suif, qu'on ne peut plus s'en passer, lorsqu'on les a essayées.
La grande fabrique des frère Lanza produit de 800 à
1000 paquets par jour, et elle est sans dépôt. X s'est arrangé, il a consenti à une forte réduction sur son compte; ce qui me confirme dans l'idée que c'est un homme avec lequel il ne faut pas traiter.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
cxcv.
Samedi matin, 3 mars 1849.
Mon cher ami, Je ne vous ai pas répondu hier, me trouvant de garde au palais Carignan, où j'étais, à la lettre, mis à la porte.
Je viens maintenant vous communiquer tout ce que je sais de notre position financière.
Ayant été trouver Ricci avec Mestrezat et Bolmida, pour lui demander d'appuyer nos démarches auprès de la Banque de Gênes pour amener une fusion, le ministre nous a répondu qu'il ne croyait pas la fusion possible, tant que nous ne serions pas constitués ; que, connaissant à fond messieurs les Génois, il était certain qu'ils chercheraient à profiter de leur position pour nous imposer des conditions onéreuses, que nous ne pourrions pas accepter. Il a ajouté que le seul moyen d'atteindre notre but était de nous constituer d'une manière indépendante, et que, dans ce cas, il nou& aurait accordé tous les avantages dont jouissait la Banque de Gênes, pourvu que nous consentions à prêter un égal concours au gouvernement.
Nous avons de suite réuni le conseil, pour lui faire part de cette communication du ministre. Dans cette réunion, le commissaire royal nous a annoncé que le ministre était disposé à faire plus encore pour nous et qu'il désirait avoir lne nouvelle conférence avec les délégués de la Banque.
Etant retournés chez Ricci, il nous a répété ses offres, en joutant que si nous consentions à prêter 20 millions au gouvernement, il aurait consenti à affecter à leur remboursement les produits des droits réunis (1), qui existent dans les provinces du Piémont et qui s'élèvent à plus de 4 millions. Ces droits, étant affiemés à de riches entrepreneurs et garantis par de bonnes hypothèques, constituaient, au dire du ministre, un gage bien préférable à celui que l'on avait accordé à la Banque de Gênes.
Cette proposition était très séduisante. Elle était infiniment avantageuse aux fondateurs de la Banque qui, se trouvant tout à coup placés dans une position meilleure que celle où se trouve la Banque de Gênes, étaient surs Amener une fusion au pair, ce qui aurait assuré un débit avantageux de leurs actions. Aussi le conseil a-t-il été à peu près d'accord de l'accepter, et il a chargé les 3 commissaires de formuler un projet sur les bases de la proposition ministérielle.
Ayant mûrement réfléchi à ce projet, il m'a paru que, s'il était avantageux aux fondateurs de la Banque, il était très nuisible au pays et surtout au commerce; qu'il en serait résulté une émission de 60 millions de billets, ce qui, étant hors de proportion avec les besoins de la circulation, aurait causé une dépréciation considérable sur les billets. En conséquence, j'ai pensé que nous ne devions consentir à cette mesure fâcheuse qu'à la dernière extrémité, qu'il fallait avant, épuiser toutes les ressources ordi-
(I) Appelés aussi foglietta, c'est-à-dire octroi sur les boissons et leur vente en détail, actuellement dazio-consumo.
naires du crédit et ne nous prêter à une nouvelle émission de billets, que lorsque nous verrions que le gouvernement serait réduit dans l'alternative d'avoir recours au papier de la Banque de Turin, ou d'émettre lui-même des bons du trésor, ou de papier-monnaie sous un nom quelconque.
D'après cette conviction, j'ai formulé un projet d'emprunt national, sur les bases suivantes: 1° Le gouvernement serait autorisé à faire une nouvelle émission de rentes 5 p. 010, au cours de 70; 20 Seraient admises à souscrire toutes les personnes qui se chargeraient d'une vente qui ne serait pas moindre de 5000 de valeur nominale; 3° Les payements s'effectueraient en 4 termes; 4° Seraient admis en payement des rentes souscrites jusqu'à la concurrence de 25 p. 010, les bons de l'emprunt volontaire; le 25 p. 010 étant affecté: 10 p. 010 au premier terme; 10 p. 010 au deuxième; 5 p. 010 au troisième; 5° Il serait accordé une prime fixe et invariable aux personnes qui effectueraient les payements en espèces; 6° Le gouvernement chargerait la Banque de la négociation d'un million cinq cent mille francs de rente, moyennant une commission; 7° Le payement du semestre de l'emprunt forcé aurait lieu sans retard.
Enfin, si ce projet n'avait pas réussi, si les souscriptions volontaires n'avaient pas atteint un chiffre suffisant pour faire face aux besoins du moment, le gouvernement aurait transformé l'emprunt volontaire en emprunt forcé, et, dans ce cas, la Banque se serait engagée à consacrer la moitié ou les deux tiers de ses fonds, à l'escompte des titres remis aux contribuables.
J'ai écrit à Ricci pour lui indiquer mes idées. Mestrezat et Bolmida les ont acceptées avec empressement, aujourd'hui
je les soumettrai au conseil de la Banque, qui les approuvera, je pense.
Veuillez me dire, sans détour, votre opinion à cet égard.
J'ai eu beau me creuser la tête, je n'ai rien su trouver de mieux pour sauver le pays d'une crise économique incalculable. Un emprunt dans le pays n'est pas impossible, car les capitaux ne manquent pas. A Turin, tous les marchands (le soie, tous les fabricants, tous les négociants d'objets de consommation, ont énormément gagné cette année. Les propriétaires seuls, ceux surtout des provinces viticoles, sont aux abois.
Malheureusement nos hommes d'État, Ricci compris, sont d'une ignorance complète en fait de finances; toutefois je 116 désespère pas de leur faire entendre raison.
Si mon plan réussissait, toutes les maisons de banque devraient s'y prêter, dans une certaine mesure, quand ce ne serait que pour éviter des mesures qui leur seraient flUinemment préjudiciables.
Veuillez me répondre sur-le-champ, car le temps presse, et il faut se décider à quelque chose, si on ne veut pas voir arriver une catastrophe financière.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CXCVI.
6 mars 1849.
Mon cher ami, Je vous remercie de votre excellente lettre du 4; je vous Assure que je partage en grande partie vos idées. Mais pour les mettre en exécution, il faudrait: 1° Être ministre des finances; 20 Avoir la majorité dans la Chambre.
Or, ces deux conditions indispensables n'existant pas, il faut conseiller le moins mauvais des partis possibles.
Hier nous sommes demeurés en conférence avec Ricci, !
jusqu'à minuit, et nous avons fini par le persuader de re- noncer à son idée d'un prêt à la Banque ou de l'émission de papier-monnaie.
Nous avons conclu que nous formulerions un projet d'emprunt et que nous tâcherions d'organiser la Banque de Turin, de manière à aider cette opération financière sans porter , un trouble grave dans le pays. Je suis bien découragé ; il est dur de travailler pour un Ministère qu'on méprise, mais que faire ? Lui refuser notre concours, c'est trahir le pays.
Nigra se conduit très bien, sous ses dehors un peu trop importants, il a un grand fond de bon sens. Je crois que si on arrivait à organiser un ministère conservateur, il fan- drait le nommer aux finances.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. Je vous tiendrai au courant de tout ce que nous ferons, en vous conjurant de continuer à me donner, sans détours, vos avis.
OX OVII.
8 mars 1849.
Mon cher ami, Après de longues discussions, nous avons arrêté d'accord, Nigra, Bolmida, Mestrezat et moi, un projet d'emprunt, que nous avons remis hier au ministre. En voici les bases principales : 1° Le ministère est autorisé à créer 5,000,000 de rentes ;
2° Ces rentes seront de deux sortes : 2,500,000 de rentes 5 P. 010, en tout semblables aux rentes créées par la loi du 7 septembre, et 50,000 obligations de l'État, de 1000 francs chacune, à 4 p. 0[0, avec un pour cent à répartir en primes, comme pour les obligations de 1834; 3° Les deux sortes de rentes seront émises à un cours n se corresponde exactement ; ainsi, si le 5 p. 010 est enllS à 70, les obligations le seront à 700; 4° Toutes les personnes comprises dans les catégories fixées par la loi du 7 septembre, seront tenues à concourir au présent emprunt; , Devront aussi y concourir les personnes qui, par Exercice d'une profession ou art libéral, ont un revenu supérieur à 2000 francs; , 5° Le payement de l'emprunt aura lieu en 5 termes echélonnés à un mois de distance; 6° Ceux, toutefois, qui voudraient recevoir des obligatlons, devraient payer en 2 termes, c'est-à-dire en 2 mois ; 7° Les bons de l'emprunt volontaire seraient reçus en Payement du second terme des obligations, jusqu'à la concurrence du 25 p. 0[0 de leur valeur; 8° Passé l'époque du payement du premier terme, le gouvernement ne pourrait plus émettre d'obligations; Si les 50,000, autorisées par la loi, n'étaient pas souscrites, celles qui resteraient ne pourraient être émises qu en vertu d'un acte législatif; 9° Le produit de la vente des tabacs est affecté en garantie du payement des obligations.
b' En outre, le conseil de la Banque s'est réuni et a déliere, à l'unanimité, ce qui suit: La Banque est prête à se constituer pourvu: 1° Que, pour le moment, le versement soit limité à 2 minions.
20 Que ses billets aient cours forcé; 3° Que ses émissions ne dépassent pas 6 millions;
4° Que les 213 de ses fonds soient employés à des avances, sur dépôt de titres du nouvel emprunt; 5° Qu'elle soit autorisée à faire des avances aux personnes obligées à concourir à l'emprunt volontaire, pour le montant de leur taxe, contre le dépôt du titre et leur obligation personnelle.
Nous avons l'intime conviction que cet ensemble de mesures doit procurer au trésor les ressources dont il a besoin. Nous ne doutons pas que les 50,000 obligations ne soient souscrites, et qu'une partie des 2,500,000 de rentes ne se placent.
Ce projet a l'inconvénient d'augmenter de 6 millions la quantité de billets ayant cours forcé, mais notez que la Banque de Turin fera les fonds, en grande partie du moins, avec des billets de la Banque de Gênes et ensuite que le payement de l'emprunt fera sortir momentanément de la circulation une grande quantité de billets.
Les plus prudents de nos collègues ont donné leur pleine approbation à ce projet. Le vieux De Fernex lui-même, en était tout satisfait.
Quant à la Banque de Turin, elle est certaine de faire de bonnes affaires. Prêtant, sur dépôt de titres, aux personnes appelées à concourir à l'emprunt forcé, elle ne court aucun danger, et elle est certaine d'employer ses 6 millions à 5 p. 0[0. Aussi, je crois que les actions seront dès l'abord recherchées.
Je vous le répète, l'argent ne manque pas a Turin. Tous nos négociants ont énormément gagné cette année, ceux surtout qui font les soies ou les laines. Stallo, par exemple, a peut-être doublé sa fortune. Il en est de même des fabricants de draps et de coton.
Dites-moi si vous désirez que je cherche à céder de nos actions de la Banque, et dans quelles limites. Je puis me tromper, mais je suis convaincu qu'au bout d'un mois nos actions valent 10 p. 0[0.
Ici, l'on croit à la guerre et moi aussi, et je vous dis que je la désire comme un moyen d'en finir. Si nous avons Un succès, je ne doute pas qu'on fasse la paix. Si nous sommes battus, le Roi abdiquera et nous payerons les frais de la guerre, et tout sera fini. Des deux manières, il nous en coûtera moins que de rester dans l'état où nous sommes.
J'ai pardonné à Buffa toutes ses erreurs passées, en vertu de sa dernière proclamation, que je trouve adorable (1).
Mon cher, après avoir travaillé deux jours à faire des plans de finances, il faut que j'aille manœuvrer deux heures sur la place d'armes; c'est stupide, mais qu'y faire?
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Le 13 février, le ministre Buffa, commissaire royal à Gênes, avait Publié le décret suivant : « Considérant que le Circolo italiano existant dans cette ville, a toujours manifesté des tendances subversives envers la monarchie constitutionnelle et des sentiments de mépris et d'aversion pour la personne du Roi, — que ce Cercle se qualifiant de mandataire du peuple, a offensé la majesté du peuple et des lois, par la violence de ses provocations contre les citoyens du parti opposé et u que, par sa systématique opposition à l'action du gouvernement, il a u troublé la paix publique et excité le désordre, etc., etc. — Le Comu missaire, en vertu des pouvoirs extraordinaires dont il est investi, décrète: 1° Le Cercle est fermé. 2° Il ne pourra plus se réunir, ni dans son local actuel, ni ailleurs, dans la ville. 3° L'autorité de Sûreté publique est chargée de l'exécution de ce Décret. Domenico Buffa ». — Comme ce Cercle était le rendez-vous et le centre d'action des principaux chefs du parti avancé, à Gênes, sa fermeture fut suivie de quelques désordres dans lit ville, et à la séance du Parlement du 15 février suivant, le député Losio interpella le Ministère au sujet de Ce décret de Buffa, qu'il considérait comme contraire à l'article 32 du Satut, garantissant aux citoyens le droit d'association. Après une vive discussion, à laquelle prirent part le ministre de l'intérieur, Sineo, et les députés Brofferio, Rossetti et Cabella, la discussion ayant été déparée close, la Chambre passa à l'ordre du jour.
- CXCVIII.
9 mars 1849.
Mon cher ami, Le ministre a réuni, hier au soir, un assez grand nombre de personnes, pour leur communiquer notre projet. Entre autres, il y avait votre compatriote, l'avocat Cabella (1), et Mr Cotta. Notre plan d'emprunt a été approuvé à l'unanimité. Plusieurs objections ont été faites au projet d'établir la Banque pour prêter sur dépôts de titres. J'ai faiblement défendu cette partie de notre travail, car je ne me soucie nullement que la Banque ne s'établisse, si ce n'est sur l'instance du gouvernement.
Il faut qu'on nous prie, ou bien que nous ne fassions rien, pour le moment.
Colli a quitté le ministère, parcequ'il n'était pas d'accord avec ses trop belliqueux collègues. L'avocat Deferraris, qui le remplace, est certainement un homme d'un grand talent, mais je doute fort qu'il entende grand'chose à la diplomatie.
La guerre paraît donc décidée, mais quand commencerat-elle? c'est ce qui est encore incertain. Quel qu'en soit le résultat final, je suis convaincu qu'il ne nous sera pas plus funeste que la prolongation de l'état actuel.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
(1) L'avocat César Cabella, député du Collège de Voltri, puis du 4" de Gênes, professeur à l'Université de Gênes, nommé sénateur en 1870.
Éminent jurisconsulte il Gênes, où il jouit d'une grande influence et occupa plusieurs postes éminents, mort le 2 avril 1838. — C ibe.la avec Giorgio d'Oria, V. Ricci, Giacomo Balbi, G. B. Cambiaso, Lorenzo Pareto, Michel Federici, G. Canale et l'abbé de S. Matteo, fit partie de la députation envoyée par Gênes, le 5 janvier 1848, pour demander à C. Albert la liberté de la presse et l'institution de la Garde nationale.
CXCIX.
12 mars 18J9.
Mon cher ami, Ricci est un ignorant, qui n'entend goutte en finances.
Après avoir passé huit jours à discuter notre plan, après avoir eu l'air de le comprendre, il a fait rédiger, pendant la nuit, un projet qu'il ne nous a pas communiqué, et s'en est allé, tout triomphant, le présenter au Parlement. Ce projet est tout bonnement absurde, j'ai été le trouver de suite pour le lui dire. Le bonhomme m'a avoué qu'il n'avait pas eu le courage de proposer de suite l'emprunt forcé, qu'il avait peur de la Savoie, des avocats, de qui sais-je encore ? qu'il voulait essayer de l'emprunt volontaire.
Je lui ai dit que l'un ne pouvait réussir qu'à l'aide de l'autre, mais c'était trop tard pour revenir sur ce point.
Alors, je l'ai engagé à remédier aux défauts les plus saillants de la loi, en la modifiant sur les points suivants : 1° en fixant le nombre des obligations à émettre; 20 en prenant l'engagement de ne plus émettre d'obligations, lorsque le présent emprunt serait entièrement souscrit ; 3° à fixer le cours de 700 pour les souscripteurs des 30,000 premières obligations; 4° en déclarant que les bons de l'emprunt volontaire seraient admis, non pas pour le 25 du second terme, mais pour le quart de la somme totale à payer.
Il m'a promis d'amender sa loi de la sorte. Elle pourra avoir une réussite partielle. Si les événements politiques améliorent notre position, je pense que vous devez souscrire pour 60,000 francs, c'est une somme ronde qui fera bon effet, et qui ne dépasse pas de beaucoup celle qui représente le quadruple de votre souscription à l'emprunt volontaire.
Si vous avez des réclamations à faire valoir sur le trésor, des mandats en souffrance, vous pourriez, avant de souscrire, exiger l'expédition de ces mandats et accepter jusqu'à un certain point, des obligations en payement.
La guerre est décidée. Quelles que puissent être les conséquences politiques, elle ne peut qu'améliorer notre position financière. Si nous devons succomber, c'est au premier choc.
Dans ce cas, nous serons forcés de faire la paix, et quelque somme qu'elle nous coûte, elle sera moins ruineuse que l'état actuel. Si nous avons un premier succès, l'issue de la campagne n'est pas douteuse, et vous verrez toute l'Europe s'agiter, de St-Pétersbourg à Madrid, pour nous assurer une paix honorable qui, alors, pourra s'établir sur des bases solides.
J'ai reçu les papiers de votre affaire de Garde nationale (1), je les ai envoyés de suite chez mon avocat, et j'ai pris un rendez-vous avec lui ce matin, pour aviser sur ce qu'il faut faire. Mais je vous avoue que je considère comme impossible d'obtenir un jugement, dans la journée, et quand cela serait, jamais il ne pourrait vous être expédié en temps utile pour empêcher l'exécution de la sentence, qui doit avoir lieu demain.
Je finirai ma lettre chez l'avocat.
L'avocat va s'occuper de suite de votre affaire, et il espère pouvoir vous expédier par la poste l'acte qui constate l'introduction de l'appel; s'il n'était pas prêt pour midi, il vous l'enverrait par la diligence.
Mille amitiés.
C. DE C.
(1) Mr E. de la Riie, en sa qualité de citoyen suisse, demandait à être exempté du service de la Garde nationale, dans laquelle on l'avait incorporé.
cc.
16 mars 1849.
Mon cher ami, J'espère que vous aurez reçu par la diligence, en temps utile, ma lettre et l'acte qui constate l'introduction de l'appel en cassation de la sentence du conseil de discipline.
Il est maintenant urgent que vous adressiez à Mr l'avocat Cassinis (1) votre procuration, qu'il s'est engagé à présenter dans un bref délai.
L'avocat se flatte de gagner votre cause. J'en serais bien aise pour confondre vos insupportables démocrates. J'ai reçu de Londres une note de livres d'agriculture, que le libraire Ridway prétend m'avoir expédiés par votre entremise.
Je me rappelle fort bien que vous m'avez mandé avoir u avis de cette expédition, mais les livres ne me sont Jamais arrivés. Veuillez vérifier s'ils se sont égarés dans quelque coin de vos magasins.
On prétend que l'armistice est dénoncé.
Le Roi est parti cette nuit, accompagné de Sccitti et des deux Robilant (2), cortège fort peu démocratique. La brigade de Savoie est partie ce matin pour Verceil, Jaillet ei1 tête, animée d'un excellent esprit.
(1) L'avocat Jean Baptiste Cassinis, plus tard sénateur et ministre de grâce et justice (1860-61), un des avocats les plus distingués du barreau de Turin. Député de Saluzzola en 1848, puis de Turin, présent de la Chambre pendant la VIII Législature, nommé sénateur en 1865, se suicida le 8 décembre 1866. — Les Codes civil, pénal, de commerce et de procédure civile furent son œuvre. La ville de Turin a élevé un monument sur la place de la Citadelle.
v4) Aides de camp du Roi. Le 12 mars l'armistice avait été dénoncé, (!t les hostilités devaient commencer le 20.
Ce qui embarrasse le plus le Ministère et la Chambre, c'est la question financière, ils ne savent où donner de la tête. Tout le monde crie contre Ricci, dont l'incapacité est reconnue et proclamée par tout le monde. Il sera forcé de sortir du Ministère, je ne sais qui le remplacera. Peut-être le comte Ceppi, ou bien Cabella, ou bien qui sais-je encore ?
Je ne suis pas effrayé de la guerre, autant que la plupart des hommes modérés. Je crois qu'elle présente bien des chances en notre faveur et que le véritable danger consiste dans l'engouement que peut produire un premier succès.
Si nous savons profiter de la première circonstance favorable qui se présentera, pour traiter une paix honorable le pays peut encore sortir de la crise actuelle, avec honneur et profit. • Je vais passer deux jours à Leri. Je serai de retour dimanche pour monter ma garde, n'ayant pas comme vous d'excuses valables pour être dispensé de cet ennuyeux service.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCI.
20 mars 1849.
Mon cher ami, J'ai reçu hier, au corps de garde du palais royal, votre lettre de dimanche. Ce que vous me mandez de B.
ne m'étonne pas. Cet original était venu à Turin, porter un plan de finances à Ricci, qui n'avait pas le sens commun.
L'avocat Cabella, chargé de l'examiner, nous en a parlé, moitié en riant, moitié sérieusement, dans la réunion qui a eu lieu au Ministère. Lorsqu'il eut fini son exposé, je me suis borné à dire, qu'après avoir entendu tant de sot-
tises financières, je n'étais plus étonné que celui qui avait été capable de les imaginer, eût mangé les fonds de ses commanditaires. Ricci n'a pas osé soutenir B , et il n'a Plus été question de ce projet, mais je me suis aperçu que cet homme avait des rapports avec lui.
Vous avez parfaitement bien fait de ne pas vouloir prendre le moindre engagement. Lorsque l'emprunt volontaire sera ouvert, vous ferez bien de souscrire dans les limites que Je vous ai indiquées. Laissez que Ricci tripote avec des aventuriers, son emprunt de 50 millions. Je crois, au reste, qu'il ne continuera pas longtemps à avoir la direction de nos finances, car ses amis mêmes le déclarent de la plus haute incapacité.
Si la loi passe, telle que la Commission l'a proposée, je crois que les obligations se placeront facilement.
La menace de devoir concourir à un emprunt forcé, déterminera tous ceux qui ont de l'argent à souscrire des obligations, et ceux qui n'en ont pas payeront une prime Pour faire souscrire en leur nom.
Ainsi, si je crains d'être taxé pour 50 mille francs dans Emprunt forcé, je payerais volontiers 2 ou 3 pour cent, afin que quelqu'un souscrive des obligations en mon nom.
Cela réduira leur coût à 680 ou 690, prix qui devient avantageux pour la spéculation.
, Je n'ai plus entendu parler de la Banque, toutefois comme Il est prudent de diminuer ses engagements, j'ai invité Salmour à céder la part qu'il s'était réservée, à un de mes amis qui était disposé à la prendre, et qui a les fonds Nécessaires pour effectuer les versements qu'il sera appelé a faire, sans avoir recours à personne.
Tout le monde est dans l'anxiété.
L'heure fatale va sonner. Peu de jours suffiront pour décider de notre sort, et nous placer au premier ou au dernier rang des nations. J'ai bon espoir, car je crois dans
Ja capacité de Chrzanowski (1) et dans le courage des soldats, mais je ne puis me dissimuler que nous ne courions de grands dangers.
Envoyez promener Balduino avec son guano. Pour le moment je ne saurais qu'en faire. Mes amis du Vercellais ne me payent pas celui de l'année dernière, et n'osent acheter celui de cette année, qui m'est resté tout sur le dos ; ce qui ne m'afflige pas excessivement, attendu qu'il .est de qualité vraiment excellente.
Adieu, cher ami, croyez à mes sentiments dévoués.
C. DE CAVOUR.
(1) « Au lieu de confier le commandement de l'armée aux jeunes généraux qui avaient sa confiance, on a nommé général un polonais, connu uniquement par des travaux de cabinet, d'une tournure ridicule et portant un nom (Chrzanowski), que jamais nos soldats n'ont pu apprendre à prononcer » (Lettre du comte Cavour à mad. A. de Circourt — CHIALA, I. Lettre CXVII). Le général Chrzanowski appelé à commander l'armée (parceque, aux yeux de plusieurs, dit le général A. Lamarmera, les généraux piémontais n'étaient pas assez révolutionnaires), était un homme d'un caractère parfaitement honorable, et possédait une grande érudition militaire. Il avait brillamment fait, au service de la Russie, les campagnes de 1828 et 1829 contre les Turcs, et avait rempli d'importantes fonctions dans la guerre de làPologne contre la Russie, en 1830 et 1831. La Marmora estimait qu'il aurait fait un excellent chef d'État-Major, plutôt qu'un général en chef. — Accusé de trahison, à la suite de la déroute de Novare, il dut comparaître devant une Commission militaire, où sa parfaite honorabilité fut pleinement démontrée. Il donna sa démission dans l'automne de 1849 et, quoique pauvre, refusa la pension ou indemnité qu'on lui offrait, avec un désintéressement, d'autant plus noble que les autres généraux étrangers, aux quels on avait offert le commandement de l'armée avant lui, avaient demandé des sommes énormes, pour leurs services (Cf. LAMARMoRA, Un Episodio, p. 65, et Risorgimento, 22 avril 1850).
CCII.
29 mars 1849.
Mon cher ami, Le ministère est formé (1). Demargherita et Gioberti ont Accepté. Le Roi va jurer le Statut. Il renverra ensuite ta Chambre, et fera la paix. Les ministres sont des gens ^6 cœur, et le Roi est un honnête homme. Avec cela, le Pays peut être sauvé.
Mille amitiés.
C. CAVOUR.
CCIII.
Turin, 31 mars 1849.
Mon cher ami, Le ministère s'est constitué sans moi, ce qui vaut mieux Pour tout le monde et pour moi spécialement (2). Je suis très content des individus qui le composent. Ils sont fermes
(1) De Launay Gabriel, président — Pinelli, intérieur — De Lau- iIlay G., affaires étrangères — De Margherita, grâce et justice — Matneli Cristoforo, instruction publique — Nigra Jean, finances — Morozzo ella Rocca, guerre et marine — Galvagno, agriculture et commerce - Gioberti, ministre sans portefeuille.
(2) Les nouveaux ministres, quoique mes bons amis, ne font guère Wûs de cas de moi que les anciens, qui me détestaient. -- Je leur sais gré de me laisser dans un coin; je ne demande pas mieux que de retourner au milieu des champs, reprendre en main la charrue, que j'ai trop longtemps négligée. (Lettre du comte de Cavour au duc de Dino, Alexandre Talleyrand de Périgord, avril 1849).
et modérés, et, avec l'aide de Gioberti, ils parviendront à vaincre les difficultés de la position.
L'armée est entièrement dévouée au Roi et les masses aussi.. Le parti turbulent n'a pas de racines dans le pays.
Ainsi, je considère que l'avenir sera moins mauvais qu'on ne pouvait le juger au premier moment.
L'emprunt volontaire a été publié avant-hier. Hier, on a déjà porté de l'argent aux finances, on en portera plus encore aujourd'hui. Les obligations seront souscrites avant le 15 avril, et peut-être les 10 millions qui doivent participer au tirage extraordinaire de la fin de mai, le serontils dans peu de jours. Je vous engage à souscrire une forte somme, cela ne peut être qu'une bonne affaire, car en définitive, voici notre situation financière:
Anciennes dettes (le perpétuel excepté) 63 millions Emprunt volontaire de 1848 10 » Emprunt forcé de septembre 40 » Emprunt fait à la Banque 20 » Emprunt pour liquider les frais de la guerre. 30 » Emprunt pour renvoyer Radetzky 70 » 253 millions A déduire les dépenses faites et soldées pour le chemin de fer de Gênes 40 » 213 millions
Cette somme, relativement à la population et à la richesse du pays, est moins considérable que la dette de France et celle de Belgique.
Les Chambres vont être dissoutes et le décret de l'état de siège est signé.
Ma grand'mère est très mal (1), je crains que cette foisr elle approche de la fin.
(1) Madame de Cavour née de Sales.
C'est une perte immense pour nous, car elle a conservé, et conserve encore, toutes ses facultés du cœur et de Esprit.
Adieu, mille amitiés.
C. DE OAYOUR.
CCIV.
1er avril 1849.
Mon cher ami, Vos nouvelles de Gênes sont bien intéressantes (1). Les republicains ont cru un moment pouvoir tenter un grand coup, mais ils ne tarderont pas à s'apercevoir que le seul
0) Le 25 mars, le lieutenant général du Roi, le Prince de Carian, après le désastre de Novare et dans la crainte que l'armée autrichienne n'envahît Turin, avait prorogé le Parlement et annoncé qe, si les circonstances l'exigeaient, il le réunirait dans une autre viUe que Turin. — La municipalité de Gênes s'empressa d'offrir au gouvernement de réunir la Chambre dans cette ville, qui, par sa poSltton et ses fortifications, lui offrait un abri assuré et d'où il pourrait COntinuer la guerre à outrance et repousser les clauses de l'armistice, qUe la nation entière considérait comme ignominieuses et inacceptables.
- Les députés de Gènes ne furent pas reçus par le Roi, mais ils euent une audience du ministre Pinelli, auquel ils communiquèrent la pleureuse impression produite par l'armistice et par la prorogation, PUIS la dissolution du Parlement, dans les terribles circonstances où Se trouvait le pays, ainsi que l'ardent désir des populations génoises e De reculer devant aucun sacrifice, plutôt que de se. soumettre à !.utr¡che, La dissolution du Parlement était, en effet, considérée par Sieurs comme un vrai coup d'État et comme Victor-Emanuel, à ielne monté sur le trône, n'était pas encore connu comme le Re Galantt!rno, incapable de manquer à sa parole, les bruits les plus contradic1 ()Irs et les pronostics les plus noirs circulaient au sujet de l'avenir de Ga. liberté et de l'indépendance du Piémont vaincu par l'Autriche. A Teues, en particulier, l'opinion publique était fortement excitée, d'autant
résultat auquel leurs efforts puissent aboutir, serait des désordres matériels passagers. Le gouvernement est décidé à maintenir l'ordre à tout prix, et il peut pour cela compter d'une manière absolue sur l'armée.
pins que le bruit y avait couru que la ville devait être, comme Alexandrie, occupée par l'armée autrichienne, jusqu'à la conclusion de la paix?
et Gênes, qui avait si glorieusement chassé les Autrichiens de ses murs, en 1746, ne pouvait supporter l'idée de les y voir rentrer en maîtreSi en 1849. La municipalité fit distribuer des armes au peuple et aU clergé qui, lui même, s'arma aussi, pour la défense nationale et le salut de la patrie compromis par l'armistice de Novare. Ce fut un moment d'enthousiasme indescriptible. — Italia respira! Genova è un solo uomo, — Genova, la città di Maria Santissima, è pronta a seppellirst sotto le sue rovine, piuttosto che patteggiare col croato — s'écriait la Gazzette de Gênes, et le syndic, Profumo, invoquait le concours de tous les citoyens, pour défendre les fortifications de la ville et s'y faire ensevelir, plutôt que de se rendre à l'ennemi. — Malheureusement les esprits ne tardèrent pas à se monter. — Gênes était la patrie de Mazzini, qui y comptait de nombreux adhérents, en particulier parmi les émigrés politiques, qui s'y étaient réfugiés de toutes les provinces d'Italie; de plus il n'y avait jamais eu une grande sympathie entre les génois et les piémontais, et bientôt, après quelques scènes de désordre dans les rues et sur les places publiques, éclata une véritable révolution. Le 1er avril les insurgés élevèrent des barricades; aidés par la Garde nationale, ils s'emparèrent de la darse et des 15 à 20 mille fusils qu'elle contenait, sommèrent le général commandant la place, De Azarta, de leur consigner le vaste local de Spirito Santo, où il avait concentré la garnison, et, sur son refus, ils l'attaquèrent et le forcèrent, après quelques heures de combat, à signer une capitulation, par laquelle il s'engageait à quitter immédiatement Gênes, avec la gendarmerie et les 4000 soldats qu'il y avait sous ses ordres. Les fortifications de la ville furent occupées par le peuple, qui se déclarait prêt à mourir plutôt que d'y laisser pénétrer « le Croate » — Comme on le voit, si cette Révolution de Gênes fut profondément regrettable, comme tout ce qui aboutit à la guerre civile, elle fut cependant patriotique à son début, puisqu'au fond, elle ne fut que l'expression de l'indignation partagée par une grande partie du Parlement et des communes du Piémont, contre l'armistice de Novare. Ne pas recopnaître cet armistice, ni l'abdication de Charles Albert, qui n'avait point encore
Radetzky a déclaré ne pas pouvoir prendre sur lui, de changer les bases de l'armistice, mais il a conseillé a nos envoyés de se rendre à Vienne, auprès de l'Empereur, en leur faisant comprendre que cette démarche aurait un heureux résultat.
On considère que l'Autriche a renoncé à l'occupation d'Alexandrie. Hâtez-vous de souscrire des obligations, car vous les verrez, dans quelques mois, au pair. Il y a dans le Pays plus d'argent qu'on ne le croit.
Je n'ai pas vu les ministres et ne puis, par conséquent; vous donner aucune nouvelle particulière.
Ma grand'mère est toujours dans le même état.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
L'affaire des rails est-elle finie?
;
ccv.
2 avril 1849.
Mon cher ami, Ce matin, Mr Scaravaglio, que vous connaissez, est venu Ille dire que Mr Nigra lui avait proposé de prêter de 6 à 8 millions aux finances, pour un an, sur dépôt de rentes
été officiellement signée, tenter de rassembler les débris de l'armée (le corps lombard commandé par Fanti et la division Lamarmora étaient encore intacts), continuer la guerre à outrance, en s'entendant avec les gouvernements de Florence, Rome et Venise, réunir le Parlement sarde dans l'enceinte fortifiée de Gênes et faire de cette ville le boulevard de la liberté et de l'indépendance de l'Italie, ce n'était certes pas uri P'a.a antipatriotique, et si le mouvement se fourvoya ensuite et prit Un caractère qu'il ne devait certainement pas avoir à son début, on ne Raurait accepter, sans bénéfice d'inventaire, les violentes accusations qu'on ne lui a pas épargnées, en particulier Lamarmora.
du 19 que possèdent les finances (douaire de Marie-Christine). Il se contenterait d'une avance de 60 francs par inscription de 5 francs.
Il payerait le 5 et de plus, une commission d'un et demi.
Scaravaglio prétend que c'est une affaire superbe, pourvu qu'on pût la combiner avec des maisons étrangères, qui consentiraient à ce qu'on tirât sur elles, à 3 mois. On gagnerait d'après cela, le change, qui est encore très élevé, bien qu'avec une tendance marquée à la baisse.
Il est certain que les affaires s'arrangeant, les billets reviendront au pair et les changes, aussi. De plus, en déposant les titres à la Banque de Gênes, on pourrait avoir de l'argent au 3 t /2 ou au 4 au plus. Ainsi on gagnerait :
Différence sur l'intérêt 1 - D'æ' l" t, At 1 01 Commission 1 4/2 Différence sur le change. 3 5 f 12
J'ai' répondu à Scaravaglio que je vous en écrirai. L'affaire me paraît bien claire, elle ne pourrait être avantageuse qu'autant qu'elle serait traitée de compte à demi avec une maison de Londres, sur laquelle on tirerait à 26,60, dans l'espoir de la rembourser dans trois mois, à 25,60.
Lamarmora (1) a couché jeudi à Casteggio, il sera aujourd'hui ou demain à Gênes. Je ne doute pas que sa présence ne suffise pour rétablir l'ordre. Il a l'énergie né- jcessaire pour y parvenir, quand même les Pellegrini et les Lazotti (2) voudraient pousser les choses à l'extrême.
(1) Le général Alphonse Lamarmora nommé commissaire royal extraordinaire à Gênes, ayant sous ses ordres la 6e division, forte de 7670 hommes et la division d'a'ant-garde, furte de 2875 hommes.
(2) Principaux chefs du mouvement révolutionnaire de Gênes. —
Voir Lettre CLXXXIV.
Belvédere (1) doit vous arriver avant Lamarmora, avec Un très bon régiment. Ici, nous sommes parfaitement tranquilles. Je vous envoie une note de mon libraire de Londres, en vous priant de vérifier si le paquet de livres, dont il Parle, a passé par vos mains.
Mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCVI.
9 avril 1849.
Mon cher ami, Votre lettre de hier ne me paraissait pas fort inquiétante.
Plus tard Scaravaglio m'en a communiqué une autre, qui représente les choses sous un aspect infiniment plus grave, mais je pense que le correspondant de Scaravaglio est un exalté. J'attends avec bien de l'impatience, le courrier de ce matin (2).
Ici, nous sommes excessivement tranquilles; en général, on n'a pas grande foi dans l'énergie des perturbateurs génois.
Dans le doute de savoir si l'avocat Cassinis vous écrit, Je vous transcris la sentence rendue par la Cour de cassation sur sa plaidoirie, elle ne saurait vous être plus favorable.
(1) Colonel du 18e Régiment de ligne, qui n'entra cependant à Gênes, qu'avec Lamarmora. (LAMAUMOUA, Episodio, p. 99).
(2) La révolution continuait, en effet, à Gênes. Les rues étaient barricadées, la division militaire avait dû capituler avec les insurgés et quitter la ville, puis un gouvernement provisoire, ou comité de sûreté Publique, avait été constitué, ayant à sa tête trois triumvirs, Joseph .Avezzana, Constantin Reta et David Morchio, et les choses étaient beaucoup plus graves que M. de Cavour ne le pensait.
« II magistrato di Cassazione annulla la sentenza del Consiglio di disciplina di Genova del 3 marzo, — manda restituirsi la somma depositata a titolo di multa, e dichiara- non essere lungo a procedimento ulteriore ».
Je suis charmé que la Cour ait donné une bonne leçon à vos démocrates du Conseil de discipline.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
Ma grand'mère est toujours dans le même état.
CCVII.
Turin, 10 avril 1849. Mon cher ami, ; Je ne vous écrivais plus depuis quelques jours, de crainte de vous compromettre. Mon nom n'est pas en odeur de sainteté auprès des agitateurs génois, de sorte qu'ils vous auraient su peu de gré d'être en correspondance avec moi.
Grâce au ciel, vous êtes en sûrete (1) maintenant, et n'avez plus rien à craindre, pour vos personnes du moins, des misérables qui ont attiré sur la ville de Gênes de si
grands malheurs.
J'espère que votre appartement, et plus encore votre caisse, n'auront pas à souffrir des suites de la lutte qui
peut encore avoir lieu. Je ne doute pas que Lamarmora
(1) La famille de Mr de la Rüe (ainsi que plusieurs autres de leurs amis), s'était réfugiée à S. Pier d'Arena. Les autres membres de la colonie étrangère à Gênes avaient fait de même, ou bien avaient obtenu d'être reçus à bord des navires étrangers, qui se trouvaient alors dans le port.
ne sache maintenir l'ordre et la discipline et. prévenir tous les désordres qui ne sont pas absolument inévitables, dans des circonstances aussi douloureuses.
Quoique vous ayez de nombreux amis dans l'armée, qui s'empresseront de vous venir en aide, j'ai pensé qu'il pourrit vous être, sinon utile, du moins agréable, d'avoir un mot pour le général en chef. C'est pourquoi je vous envoie deux lignes pour Lamarmora (1), avec lequel je suis très lié. Vous pouvez également vous réclamer de moi auprès de son chef d'état major, Petitti (2), qui est aussi un de llles bons amis.
(1) Voici la lettre que le comte de Cavour adressait au général LaInarmora: « Turin, avril 1849.
Je prends la liberté de t'écrire deux mots, pour te recommander vivement Mr de la Rüe et sa famille, qui se sont réfugiés à S. Pier d'Arena, en attendant que tu aies réduit à la raison les anarchistes qui désolent Gênes. Mr de la Eue, mon intime ami, est le chef d'une des maisons de banque les plus considérables de Gênes et de l'Italie.
Je te serai infiniment reconnaissant de tout ce que tu pourras faire en sa faveur. Je n'ai pas besoin de t'exprimer l'admiration que j'éprouve pour la manière dont tu as conduit les opérations militaires, dont tu as été chargé. Seulement, j'ai senti s'augmenter le regret de Ce que le stupide ministère qui nous a poussés à la guerre, n'ait pas su se servir, comme il aurait fallu le faire, du seul homme capable de diriger.
Adieu, rappele-toi que sur toi repose l'espoir de tous les honnêtes Sens ».
(2) Le comte Agostino Petitti Baglioni di Roreto, chef d'état major de Lamarmora et son secrétaire au ministère de la guerre, de 18491859, concourut largement, avec lui, à la réforme de l'armée piémontaise, Accompagna en Crimée comme chef d'état major, fit ensuite partie de l'ambassade piémontaise au couronnement de l'Empereur de Russie ; prit brillamment part à la guerre de 1859, où il se distingua spécialement à Palestro et Solferino; lieutenant général en 1860, député du Collège de Cherasco, ministre de la guerre en 1862 (cabinet Rattazzi) et en 1864 (2e ministère Lamarmora), nommé sénateur en 1870.
J'ai envoyé, hier, plusieurs fois, faire le tour des auberges, pour vérifier si votre beau-frère était arrivé, mais à neuf heures du soir, je n'avais que des réponses négatives.
Ce matin, je m'en vais faire recommencer mes explorations. Je ferai tout ce qui dépendra de moi pour lui rendre son séjour à Turin le moins désagréable possible.
Le gouvernement montre jusqu'à présent, assez de fermeté; quelques personnes voudraient qu'il eût recours aux coups d'Etat, mais je ne crois pas qu'ils aient raison, pour le moment.
J'irai parler à Nigra (1), afin qu'il prolonge le temps accordé pour les versements de l'emprunt, en faveur de Gênes.
Croyez à ma bien sincère amitié.
C. DE CAVOUR.
CCVIII. 11 avril 1819.
Mon cher mni, Je ne vous ai pas écrit, ayant été de garde au palais du Roi.
Je me félicite de la manière dont les affaires de Gênes ont fini (2). Lamarmora s'est extrêmement bien conduit.
(1) Le commandeur Jean Nigra, ministre des finances.
(2) Le général A. Lamarmora, après avoir bloqué la ville de Gênes, avait réussi, par une habile et vigoureuse attaque, à s'en rendre maître, après l'avoir bombardée pendant plusieurs heures. Malheureusement, ce ne fut pas sans effusion de sang que ce résultat s'obtint, et les souvenirs de ce triste épisode du Risorgimento italien, où la guerre civile vint s'ajouter à tant d'autres désastres, sont parmi les plus douloureux de cette époque. Le gouvernement accorda une amnistie générale à tous ceux qui avaient pris part à l'insurrection, sauf à 12 des plus compromis, qui étaient le général Avezzana, l'avocat David Morchio, l'avocat Ottavio Lazotti, l'avocat Didaco Pellegrini, Costan-
et je ne doute pas qu'il ne finisse par devenir populaire.
Il est destiné à sauver le pays, dans les différentes crises par lesquelles il nous faudra encore passer.
Nigra est un des esprits les plus étroits que je connaisse, et, par malheur, il a choisi pour unique conseiller son neveu, le comte Gallina, qui est un bon caissier, mais un médiocre financier. Je n'ai pas pu lui faire comprendre que les génois, qui ne pouvaient verser par suite des événements, devaient obtenir un délai. Il m'a répondu .que la loi était positive, et qu'il n'avait pas l'autorité de la changer.
Si vous avez versé hier, je crois que vous serez compris dans les premiers 10 millions, car avant-hier, à midi, ayant fait verser 20 mille francs pour mon compte, on m'a assuré que je serais compris dans la classe favorisée.
N'oubliez pas de prendre du 5 %, pour utiliser votre emprunt volontaire ; il suffit de verser une somme égale à celle qui vous est due. Ainsi, si vous avez des bons pour 13 mille francs, en souscrivant pour 26 mille francs, vous aurez du 5 à 72 avec jouissance du 1er janvier.
On paye, à bureau ouvert, les intérêts des rentes de l'emprunt forcé, mais l'émission des titres va lentement.
L'affaire dont Scaravaglio m'avait parlé, m'a toujours paru Un imbroglio. Il comptait bénéficier sur les changes, mais il est évident qu'en tirant 7 à 8 millions de suite, sur Londres et Paris, on les aurait fait tomber, et qu'il n'y aurait plus eu de marge pour l'opération.
Je crois d'ailleurs, que ni lui, ni Nigra n'y pensent plus.
Je m'en vais passer deux ou trois jours à la campagne.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
tiiio Reta, Nicolô Accame, l'orfèvre Ant. Gianué Borziui. le marquis G. B. Cambiaso, l'avocat Frédéric Campanella, G. B. Albertini, orfèvre, et Weber, qui purent prendre le large avant que la ville fût au pouvoir du général Lamarmora.
CCIX.
16 avril 1849.
Mon cher ami, Ma course à Leri n'a pas été longue. A peine étais-je arrivé, que j'ai reçu une lettre pressante du ministère qui me rappelait à Turin. Ces messieurs voudraient que j'allasse à Milan, aider Boncompagni (1) et Dabormida (2). Je ne veux adhérer à leur désir qu'autant que j'aurai la faculté de conduire les négociations à ma guise; ce à quoi ces messieurs ne sont guère disposés à consentir. Dans ce cas, je retournerai à mes champs.
(1) Plénipotentiaire du Piémont, pour le traité de paix avec l'Autriche. Charles Bon-Compagni di Mombello, né en 1804 à Saluggia, s'occupa activement en 1845 de la création des Asili infantili à Turin, et fut chargé de la compilation des Lettres Patentes, par lesquelles le gouvernement régla alors les écoles magistrales du Piémont — Mi- nistre de l'instruction publique dans le 1er cabinet constitutionnel pré- sidé par César Balbo (16 mars à 27 juillet 1848), puis dans celui présidé par Alfieri, il prit une large part aux tentatives faites pour constituer une ligue entre le Piémont, Rome et la Toscane. Après la défaite de Novare, il fut chargé, avec Dabormida, de négocier la paix avec l'Autriche. Député au Parlement pendant plusieurs législatures, - il fut appelé, lors du 2e cabinet d'Azeglio (1852), à diriger le mi-
nistère de l'instruction publique et de grâce et justice; c'est lui qui proposa la fameuse loi sur le mariage civil, que la Chambre approuva, mais que le Sénat repoussa. Il présida la Chambre pendant la 5e législature. En 1857 il fut ministre plénipotentiaire du Piémont en Toscane, et lorsque, après la fuite du grand-duc Léopold II, un gouvernement provisoire y fut constitué et que la Dictature fut offerte à Victor-Emanuel, celui-ci nomma Boncompagni son commissaire extraordinaire, fonctions qu'il remplit ensuite aussi, à Bologne, avec un dévouement et une intelligence remarquables, jusqu'au Plebiscite de l'Italie Centrale, le 5 novembre 1860.
(2) Dabormida, Voir Lettre CCCXCVIII.
Si vous avez versé le 13, vous devez être dans les 10 premiers millions, j'irai en parler à Nigra. J'irai également Parler à Bona pour finir l'affaire des rails. Je suis pressé que ce compte soit liquidé, pour pouvoir terminer avec Grolzio et Rignon.
Dites-moi quel est notre correspondant à Milan. Est-ce Ulrich et Brot, ou Vallabio et Berani?
Adieu, à la hâte, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
ccx.
Turin, 18 avril 1849.
Mon cher ami, Je ne suis pas parti pour Milan, parcequ'un des plénipotentiaires, Boncompagni, est arrivé porteur d'un projet de traité présenté par l'envoyé autrichien, Mr de Bruck, tout-à-fait inacceptable. Les propositions de l'Autriche sont telles que le Roi devrait abdiquer plutôt que d'y souscrire.
Elle ne demande rien moins que 200,000;000 et d'autres conditions presque aussi dures, et certainement plus humiliantes.
C'est là une grave complication, qui peut avoir des conséquences funestes.
Je vous donne ces nouvelles, sous le sceau du secret, car les ministres les tiennent cachées.
Abercromby et Bois-le-Comte ont encouragé le cabinet à la résistance. Mais leur appui sera-t-il bien valide?
Lamarmora ne peut pas traiter Gênes comme Espartero a traité Barcelone, mais soyez certain qu'il ne manquera pas de fermeté.
Adieu, mille amitiés, C. DE CAVOUR.
CCXI.
20 avril 1849.
Mon cher ami, J'ai vu hier l'intendant Bona. Il m'a annoncé vous avoir écrit pour vous expliquer ce qui restait à faire pour terminer le contrat des rails, que nous avons garanti. D'après ce qu'il m'a dit, il me semble que la seule chose essentielle, c'est la livraison de 1000 tonnes de rails par Guest, qui a voulu, encore une fois, éluder les conditions du cahier des charges. Il y a aussi quelques réclamations pour des coussinets cassés, mais cela est peu de chose. En définitive, M. Bona croit que, dans une quinzaine de jours, le compte définitif de Thompson pourra être établi. Le brave intendant n'a nulle envie de nous chicaner, seulement il est bien aise de profiter du délai que le contrat lui accorde, pour retarder les payements.
Lamarmora m'a écrit avoir eu le plaisir de vous voir.
Vos vœux sont satisfaits. La Garde nationale est dissoute (1).
Tenez pour certain que Lamarmora ne commettra ni imprudences , ni faiblesses. Il a, au plus haut degré, le bon sens militaire, qui vaut mieux que l'esprit dans des circonstances difficiles.
Je ne sais rien de nouveau de Milan.
L'opinion générale des hommes modérés est qu'il vaut mieux courir les chances d'une guerre, que de se soumettre à des conditions déshonorantes (2).
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Le 16 avril, sur la proposition du ministre de l'intérieur, Pinellir le Roi avait décrété la dissolution de la Garde nationale de Gênes, jusqu'à la fin de l'état de siège, sous lequel se trouvait alors la ville-
(2) C'était, au fond, l'idée de tous les libéraux d'alors et en particulier de ceux de Gênes.
CCXII.
26 avril 1849.
Mon cher Émile, Nous ne cessons pas d'être dans les tribulations. Ma nièce, Joséphine (1), a été frappée par une fièvre cérébrale, qui l'a mise dans un état très dangereux. Il a fallu lui faire neuf saignées, en quatre jours. Grâce au ciel, elle est mieux, depuis avant hier. L'inflammation est vaincue, mais elle est restée dans un grand état de prostration et de faiblesse.
Si vous écrivez aux Thompson, vous pouvez leur dire que l'intendant Bona et les commissaires se louent extrêmement d'eux. Leurs rails n'ont jamais donné lieu à la moindre discussion. Il n'en est pas tout à fait de même de ceux de Guest. C'est celui-ci qui est en retard de 1000 tonnes, qu'on a dû faire débarquer.
Rignon me demande sans cesse, de terminer l'affaire Gol2io; pour cela, il faudrait que je susse, à quelques centaines de francs près, ce qui peut lui revenir de commission encore. Veuillez me dire quelque chose à cet égard.
L'entrée des Allemands à Alexandrie (2), a fait de la Peine, mais n'a pas causé le moindre désordre. Pour le moment le pays est fatigué et découragé.
Le ministère est au-dessous de sa tâche. Je me tiens aUssi éloigné de lui que possible.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(i) Épouse du marquis Alfieri.
(2) Parmi les conditions de l'armistice, la place d'Alexandrie devait être occupée par una garnison dont la moitié serait autrichienne, jusqu'à la signature définitive du traité de paix.
CCXIII.
(sans date).
Mon cher ami, Je vous remercie du vif intérêt que vous prenez à nos chagrins de famille; grâce au ciel, le mieux se soutient, ,et ma nièce me paraît décidément hors de danger.
Je vous prie de m'assigner la part de Golzio dans le compte des rails, afin que je puisse payer Rignon, qui devient importun.
Lorsque Golzio ne devra plus que deux ou trois mille francs, je verrai de les lui arracher d'une manière ou d'une .autre.
Les 1200 tonnes, que Guest doit fournir en juin, avaient été déjà embarquées, mais les commissaires s'étant aperçus qu'elles n'étaient pas conformes aux conditions passées, les ont fait débarquer.
S. n'a rien à voir avec la Banque de Turin. C'est tout simplement un aventurier, qui est arrivé ici avec un projet de Banque nationale, combiné dans le but unique de se faire nommer directeur. Il a trouvé quelques badauds, qui ont consenti à souscrire à son projet, sans toutefois prendre aucun engagement sérieux.
Le projet communiqué à la Chambre de commerce de Turin, a été l'objet d'un rapport très sévère de M. Cotta, qui, sans être notre ami, est un honnête homme, qui a flétri, comme il le méritait, l'impudent personnage.
Je doute qu'on puisse mettre en activité notre Banque, tant que celle de Gênes n'aura pas repris ses payements en espèces. Si le pays avait l'habitude du papier, il serait possible de le faire, en effectuant tous les payements en Nllets de la Banque de Gênes, mais ce serait là un mauvais
début. Si, toutefois, le gouvernement parvient à conclure un emprunt à l'étranger, les billets tomberont au pair et alors lloùs pourrons marcher. Dans toutes les hypothèses, il faudra encore plusieurs mois, avant que nous puissions marcher.
Je crois que vous avez tort de reprocher au Risorgimento la fermeté de son langage. Nous ne pouvons adhérer aux Amandes exorbitantes de l'Autriche; la France nous entourage dans cette voie de résistance ; il est donc tout naturel que nous ne parlions pas comme de gens qui ont -perdu tout espoir de pouvoir soutenir une lutte. Pour peu -que la France nous vînt en aide, les soldats se battront beaucoup mieux pour l'honneur du Piémont, qu'il ne l'ont fait pour le salut des Lombards.
Lisez les Débats du 26, arrivés ce matin, et vous conyiendrez, j'espère, que nous agissons dans les véritables intérêts du pays.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS J'ai eu hier une longue conférence avec Àzeglio; j'espère avoir réussi à le décider à accepter le Finistère des affaires étrangères.
Que dites-vous du taux auquel l'emprunt de la ville de aris a été soumissionné?
CCXIV.
Turin, 2 mai 1849.
Mon cher ami, J'ai eu une longue conférence avec Nigra. Il m'a dit que Rothschild lui avait fait faire des propositions, mais qu'il "Vait demandé quelle serait l'indemnité de guerre à payer - l'Autriche. Or le ministère ne peut répondre sur ce point,
tant que la paix ne sera pas signée, c'est-à-dire dans quelque temps; en attendant, il voudrait faire un emprunt de 20 à 30 millions, pour faire face aux besoins du moment.
Si M. Odier était disposé à traiter cette affaire, il trouverait, je crois, Nigra assez coulant. Je crois qu'il devrait entrer en négociation et ne s'engager définitivement qu'après qu'on connaîtra le résultat des élections en France.
Si le parti modéré triomphe, les fonds remonteront dans toute l'Europe.
Si M. Odier avait l'intention sincère de traiter cette affaire, je pourrais entrer en correspondance directe avec lui, et lui fournir tous les renseignements qui pourraient l'aider à fixer ses idées d'une manière positive.
A la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
ccxv.
22 mai 1849.
Mon cher ami, J'ai enfin quitté ma retraite, pour rentrer dans le tourbillon de la politique. Dieu ! quelle différence entre le calme de la campagne et l'agitation du bureau d'un journal quotidien !
J'ai vu Pinelli et d'Azeglio. Le premier me paraît tout à fait au-dessous de sa mission. Le second, au contraire, est l'homme qu'il nous faut.
Du reste, notre avenir dépend de celui de l'Europe; toutes les questions politiques disparaissent devant la grande question sociale. Les élections françaises sont un grand avertissement ; les succès nombreux que les socialistes ont obtenus, sont de nature à effrayer, même les plus courageux. Toutefois, j'espère encore que le parti de l'ordre
aura la force de surmonter l'orage, mais il est indispensable qu'on travaille à éclairer les classes inférieures et à Améliorer leur sort, sans quoi une épouvantable catastrophe est inévitable dans un avenir prochain.
L'exécution de Ramorino (1) a eu lieu ce matin. Il est lUort avec un courage remarquable. Il est arrivé sur le champ de Mars, accompagné de deux prêtres, et il a traversé d'un pas ferme, toute la ligne de bataille. Arrivé au lieu où l'exécution devait se faire, il s'est arrêté, a embrassé les prêtres qui l'avaient assisté, s'est avancé à dix Pas du peloton qui devait le fusiller, et il a commandé luilUême le feu.
J'ai écrit à Golzio hier, s'il ne me réponcl pas dans la Journée, j'irai le trouver.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
COXVI.
, Vendredi, 24 mai, 11 heures, 1849.
Mon cher Emile, Golzio vient de m'apporter la réponse; elle est un peu laconique, mais elle me paraît suffisante pour que notre ffaire soit considérée comme tout à fait régulière. Demain, Je vous en expédierai une copie, que je certifierai.
(1) Le général Ramorino fut condamné à mort, non pour crime de trahison, mais pour avoir désobéi au général Chrzanowski, qui lui avait ordonné de détruire le pont de Mezzanacorte, si les autrichiens débouchaient du côté de Pavie, afin de les empêcher de s'emparer de cette ville et pour défendre la position de la Cava, sur la rive gauche du pô. Au lieu de cela, Ramorino passa sur la rive droite du Pô, sans opposer de résistance à l'armée ennemie. Il fut donc condamné à être fusiIIé, non pour avoir trahi, mais pour avoir désobéi et compromis le Sort de l'armée, délit prévu par le code militaire et puni de mort.
^asiarmora, Episodio, etc., p. 63 et 64).
Il m'annonce, en même temps, qu'il va m'envoyer 1000 livres de rente du 19, qu'il me laisse en garantie, pour des traites de la valeur de 15,000 francs, à quinze jours, qu'il va tirer sur vous.
Je crois que vous pouvez, sans inconvénients, faire cette affaire de Banque. Si, par hasard, vous désiriez qu'elle fut pour le compte à demi, je n'aurais nulle répugnance à m'y associer, car le 19 vaudra toujours au-delà de 75.
D'ailleurs, je crois que Golzio est fort au-dessus de ses affaires.
J'ai pris force renseignements, et il ne m'est pas résulté qu'il eut subi des pertes. Au contraire, il a fait, dans ces derniers temps, plusieurs affaires excellentes. Je crois que la source de ses embarras vient de sommes considérables qu'il a dû payer pour la maison de son frère (Golzio Casalegno et Gobbi), qui avait entrepris au-delà de ses forces.
Mais cette maison a dû, elle-même, beaucoup gagner cette année.
Golzio, au reste, a le talent de captiver tous les grands faiseurs, car il vient d'être chargé par une société, à la tête de laquelle est M. Brambilla de Milan et Baratta de notre ville, de soumissionner la plupart des travaux du chemin de fer de Gênes, y compris la galerie des Gioghi.
Le gouvernement donne aux entrepreneurs des bons à 5 p. %, au taux de 75. Ces bons doivent être convertis en cédules au bout d'un certain nombre d'années, j'en ignore le nombre exact, au cours de 90, ou remboursés à ce cours, au choix du gouvernement.
Cette mesure financière est onéreuse, mais c'est le seul moyen d'activer le chemin de fer, qui dépérit, si l'on suspend les travaux.
Le Roi est mieux ce matin, quoique son état soit encore fort grave.
Envoyez-moi votre affaire des tabacs. Si vous désirezr
j'en parlerai au procureur général , afin de donner suite aux poursuites judiciaires.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXVII.
Turin, 27 mai 1849.
Mon cher ami, , La santé du Roi s'est un peu améliorée; le danger s'est Soigné, mais, malheuresement, il commet des imprudences Continuelles; il est difficile de porter sur son état un jugement définitif.
L'état de la France est, en effet, bien grave.
Voici ce que Bixio m'écrit en date du 23: « La nouvelle assemblée sera composée de 250 socialistes ou montagnards, et de 150 légitimistes. La masse ira du côté du plus fort, comme cela est arrivé à la Convention. Nous autres, pauvres girondins, nous ne saurons que mourir avec grâce. Placés entre des imbéciles et des fous, des montagnards ou des J. f. comme nos hypocrites réactionnaires, nous serons annihilés et, en fin de compte, écrasés. Je ne 1116 fais plus aucune illusion, bien que je sois prêt à soupir la lutte jusqu'au bout".
Bixio est un homme froid, qui juge sainement; vous VOyez d'après ce qu'il me mande, que l'avenir n'est pas rose.
Aussi, je crois qu'il faut agir avec la plus grande prudence, jusqu'à ce que l'orage ait éclaté ou soit détourné.
Vous avez bien fait de ne pas vous engager davantage aVec Golzio et Scaravaglio. S'ils font l'affaire du chemin de fer avec Balabio, Bessana, Pescatore et autres, ils se l'elllettront probablement à flot.
Le gouvernement a raison de hâter l'achèvement du chemin de fer; il perd, de trop de manières, à attendre. A en
juger par les recettes du petit tronc déjà ouvert, ce chemin donnera de très beaux résultats. J'avais raison en 1843, de dire à Odier que le tronc de Turin à Alexandrie serait excellent.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXVIII.
31 mai 1819.
Mon cher ami, Mme Davenport (1) est arrivée à Turin, mardi. Hier j'étais de garde, néanmoins je me suis échappé de mon poste, pour aller lui faire une visite; malheureusement elle était sortie et il m'a été impossible de retourner chez elle. J'espère être plus heureux ce matin.
Ma garde m'a empêché également, d'aller chercher Mr Edgard (2) à son hôtel. Exprimez-lui, je vous prie, mes regrets d'avoir si peu profité de son séjour à Turin.
Les nouvelles de France sont meilleures; il paraît que tout le monde, moi le premier, nous nous étions laissés par trop épouvanter par l'annonce du résultat des élections.
La France a voulu se passer la fantaisie d'une minorité socialiste. Je crois qu'en voyant à l'œuvre ces représentants d'un nouveau genre, elle en sera complètement dégoûtée.
D'ailleurs, les nouvelles d'Allemagne sont beaucoup plllS rassurantes.
Reste la question de Rome, dont je ne saurais prévoir la solution. Les légitimistes de l'Assemblée insistent pou:' la restauration du Pape, le président incline vers ce parti?
(1) Voir note à lettre CCXIX.
(2) M. Edgard De la Rüe, neveu de M. Émile.
mais on ne sait comment s'y prendre pour amener ce résultat.
Une Maison respectable de Turin, qui a reçu des finances Une assez grande quantité de rentes du 19, m'a chargé de vous demander si vous consentiriez à avancer des fonds contre dépôt de ces rentes, à raison du cours de 60.
Cette opération ne présente aucun danger, mais j'ignore 81 elle peut entrer dans vos convenances.
La Banque de Turin se trouve avoir à payer tout le Papier de ses billets, plus la gravure commandée à Genève.
Ces dépenses, jointes au payement du loyer et du directeur, exigent un fort débours de la part des pauvres fondateurs.
On nous réclame L. 2500 chacun. Je vais faire verser 5000 Pour votre compte.
Si l'Europe se calme un tant soit peu, je crois que nous Pourrons commencer vers la fin de l'année.
La santé du Roi s'améliore lentement.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXIX.
, 2 juin 1849.
Mon cher Emile, 2 juin 1819.
J'ai reçu les pièces de votre procès avec la douane. Je les ai communiquées à l'avocat Cassinis, qui, après les avoir eXaminées, m'a déclaré n'être pas sans espoir de faire rapPorter la sentence du conseil d'intendance. Il trouve, et ll10i aussi, que votre avocat a trop insisté sur le moyen de la prescription, et qu'il aurait fallu faire valoir davantage les arguments qui pouvaient infirmer les assertions de la douane.
Il faut que vous expédiez sans retard une procuration Qd litem au procureur Cesare Clara.
J'ai vu Mme Davenport et son amie Mme Hoard (1) ; demain elles dînent à la maison. Lundi elles partent pour Genève.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
ccxx.
6 juin 1849.
Mon cher ami, Je vous écris deux mots, avant de monter en voitutf pour aller passer deux jours à Grinzano. Je serai de retonr samedi soir.
Vous pouvez, sans aucun danger, escompter les paghef de Long et de ses filants. Tous, indistinctement, ont pln$ ou moins gagné. Ils sont, par conséquent, dans une bonfle position. Je crois, d'ailleurs, que cette année ne présent pas des chances très défavorables. La récolte ne sera paS
(1) Je vous recommande deux charmantes veuves anglaises, qui vous ont connu à Londres, Me Davenport (dont vous visitâtes la campagne prés de Chester), et Madame Hoard. Elles arriveront demain soir che21 Féder. Nous fumes compagnons d'infortune pendant le bombardement, et avons été à même d'apprécier leur supériorité d'esprit (Lettre de monsieur Émile De la Rüe à monsieur le comte de Cavour, 28 WIlJ 1849). — Madame Caroline Anne Davenport (fille de Richard lltlrt) femme aussi distinguée par sa beauté que par son esprit, épousa, fort jeune, M. Édouard D. Davenport, qui était beaucoup plus âgé qu'elle.
Devenue veuve, elle épousa en secondes noces, en 1852, Édouard J. Lit- tleton lord Hatherthon. — Le général A. Lamarmora l'avait connue à Gênes, en avril 1849, chez M. De la Rüe, et chargeait en 1852 Ie comte de Cavour, lors de son voyage à Londres, de « bien des choseS aimables pour Me Davenport, mariée à je ne me rappelle plus qui. Ce sont des souvenirs du bombardement » (CHIALA, I, pag. 518). - Le comte de Cavour, dans une lettre de Londres, 5 août 1852 (CHIAI<a' I, p. 528). à Lamarmora, lui dit: Je pars pour Fusterley, le cou'»' try-seat de ton amie lady Hatherthon, notre ancienne Me Davenport
très abondante chez nous, il fait trop chaud pour cela. En * rance, elle sera médiocre, et la concurrence de la Chine sera moins redontable.
La consommation augmente et augmentera encore en Amérique, ce qui suffit pour assurer un débouché à toutes nos soies, dans nos bas prix actuels.
., Si cette opération vous convient, je vous demanderai Ü scompter un ou deux paghero de mes amis, Mrs Bollluda, qui ont sur les bras beaucoup de rentes du 19, reçues en payement de fusils.
L'avocat Cassinis vous a écrit directement, au sujet de votre procès, vous pouvez compter sur son zèle et son talent.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXXI.
11 juin 1849.
Mon cher ami, J'ai reçu, à Grinzano, vos lettres pleines de détails intéressants sur les affaires de Rome (1). J'en ai reçu hier, en Vivant, une troisième, dont je vous remercie infiniment.
Ces malheureuses affaires produisent un effet déplorable SUr l'opinion publique. Les journaux retentissent des louanges de Garibaldi et des Triumvirs, et le parti républicain
(l) Le Pape s'était enfui, appelant à son secours la France, et l'AsSemblée romaine avait élu pour Triumvirs et investi de pouvoirs abslus, Mazzini, Saffi et Armellini. Le 24 avril, l'armée française avait débarqué à Civitavecchia et le 26 l'Assemblée confiait aux Triumvirs e Som de sauver la République et de repousser la force par la force.
Garibaldi, à la tête de la Ie brigade romaine, défit l'armée napolitaine 4 Palestrina, et le 3 juin ses soldats soutinrent héroïquement contre 80°0 français, le célèbre assaut de l'église S. Pancrace, du casino Corslni et du « Vascello i.
lève la tête avec une audace extrême. Je crains bien que ces nouvelles ne produisent en France un contre-coup fâcheux.
Il y a eu à Turin une légère tentative d'émeute, orga' nisée par les lombards, mais elle n'a pas eu de suites sé' rieuses. Le terrain ici n'est nullement propice aux désordres de la rue.
A mon arrivée j'ai trouvé un billet de Nigra, qui m'en' gageait à passer au ministère avec Mr Bolmida. Nous nous sommes rendus à son invitation, et avons eu ensemble une longue conférence.
Nigra nous a dit qu'il avait la certitude de pouvoir né' gocier un emprunt suffisant pour subvenir à tous nos besoins, le jour où la paix serait signée, et que, dans soi1 opinion, ce jour n'était pas éloigné ; mais qu'en attendantil avait besoin de ressources immédiates.
Rothschild se refuse à lui fournir, temporairement, l'ai" gent que réclament les services courants ; il se réserve pour le grand emprunt.
Les travaux du chemin de fer étant assurés moyennant le contrat dont je vous ai parlé, qui vient d'être ratifia définitivement, Nigra croit qu'avec 10 millions il peut traverser l'espace de temps qui nous sépare du jour où la paix sera signée.
Après avoir examiné les différents moyens que l'on pouf rait employer pour se procurer les 10 millions en question; nous avons conclu: 1° Que le gouvernement émettrait des bons du trésor à six, neuf et douze mois de date; 2° Que ces bons porteraient un intérêt d'un centiifl0 et demi par jour; 30 Qu'ils seraient reçus dans les caisses du trésor m1 mois à dater de leur émission, à leur valeur capitale, d' à leur échéance, à leur valeur réelle, c'est-à-dire intérêt et capital compris;
4° Qu'ils n'auraient pas cours forcé; 5° Que l'émission et le payement de ces bons seraient confiés à l'administration de la Banque da Turin, laquelle devrait une commission pour sa peine; 6° Que le gouvernement remettrait à l'administration de la Banque, un nantissement des rentes 5 %> au cours (le 60, correspondant à la valeur des bons émis; 7° que l'administration de la Banque serait autorisée, ans l'intérêt des porteurs des bons, de vendre ces rentes, si, à l'échéance, le gouvernement ne lui remettait pas les fonds nécessaires pour le remboursement des bons.
d V us trouverez, peut-être, que notre moyen offre bien es inconvénients. C'est possible, mais nous n'avons pas su en imaginer de meilleur.
Si, comme Nigra le suppose, la paix sera signée avant peu, il ne convient pas de traiter un emprunt dans ce moment. Si Nigra s j trompe et que la paix ne soit pas probable, alors notre système est mauvais, mais tant pis pour ui. Nous ne pouvons raisonner que sur les données politiques qu'il nous fournit.
Nigra aura le moyen d'écouler ses bons, en les donnant ux. entrepreneurs, qui sont pressés de rentrer dans leurs °nds. Bon gré, mal gré, il leur ferait prendre des rentes ; a fortiori, ils prendront des bons à six et neuf mois.
Je vous prie de garder sur tout ceci le silence le plus absolu. Le projet est très avantageux à la Banque, qu'il Inet en relief, tout en lui procurant le moyen d'utiliser, sans risques, son matériel et ses employés.
Ainsi que je le marquais plus haut, le contrat relatif au chemin de fer a été conclu avec une société composée d Brambilla, Scaravaglio, Rosazza, Golzio et d'autres individus encore. La compagnie s'engage à fournir au gouVernement 4 millions en argent, et à exécuter des travaux Pour 10 millions, aux prix fixés par les anciens projets.
Le gouvernement la paye, moyennant des rentes au cours
de 74 112, ou bien en argent, si, avant la fin des travaux, il avait des fonds disponibles. La compagnie s'engage à mettre le chemin en état d'être exploité jusqu'à Novi, la montée de St-Paul exceptée, avant la fin de septembre, et de plus, à exécuter en deux ans la galerie des Gioghi. La compagnie fait une excellente affaire, car elle est certaine de réaliser des bénéfices considérables sur les travaux qu'elle est chargée d'exécuter. Elle a sous traité, je crois, ceux de la galerie, avec de riches entrepreneurs de Yerceil, Mrs Larghi, moyennant 10 p.
de bénéfice. Quoique les clauses de ce contrat paraissent de prime abord, onéreuses au gouvernement, on ne peut le blâmer d'y avoir souscrit, car, avant tout, il faut achever le chemin de fer, qui est pour le pays d'une importance vitale.
Si on va à Novi en septembre, on ne découchera plus pour aller à Gênes, ce qui est déjà un avantage immense.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXXII.
12 juin 1849.
Mon cher ami, J'envoie, à la course, mon secrétaire chez le procureur Trotti, afin qu'il vous expédie le ricorso que vous devez présenter à Gênes.
Cassinis croyait que vous étiez en mesure de le faire.
Je suis fâché du malentendu.
Schiaparelli va vous expédier une caisse de 100 paquets de bougies.
Notre fabrication a été ralentie, par suite de la déterrai' nation que nous avons prise d'agrandir une de nos chambres de plomb. Les demandes de nos produits se sont tellement
Multipliées, qu'il nous a paru indispensable d'augmenter nos moyens de fabrication de l'acide sulphurique, base de toutes les autres branches de notre industrie. Cette seconde chambre sera admirable, mais, en attendant, nous avons peu d'acide et nous fabriquons moins, de sorte que nous sommes toujours dépourvus de produits.
Dans d'autres circonstances, on pourrait considérer nos affaires comme excessivement prospères ; maintenant on ne peut rien dire, quoique notre clientèle soit des plus solides.
L'émeute de samedi n'a été que ridicule. Je considère l'affaire de Rome comme terminée (1).
Adieu, à la hâte.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXXIII.
Turin, 13 juin 1849.
Mon cher ami, Je me suis mal expliqué au sujet de l'intervention de la Banque dans l'opération financière que nous avons commuée avec Nigra. La Banque joue un rôle purement matériel; elle ne contracte aucun engagement, ni avec le gouvernement, ni avec les porteurs de bons royaux. Elle agit, Purement et simplement, comme des trustées, chargés d'assurer l'exécution matérielle du contrat. Si le gouvernement Ue paye pas, et que les rentes ne se vendent pas à 60, tant pis pour les porteurs de bons. Nous avons même, pour Majeure précaution, déclaré que les régents n'agiraient pas al nom de la Banque, mais seulement comme une commisSIOn composée de manière à inspirer une entière confiance au public.
(1) Ledru-Rollin avait échoué à Paris, dans sa tentative de renverser le gouvernement républicain-conservateur de Cavaignac.
Il ne s'ensuit nullement, de ce que les régents surveillent une opération gouvernementale, que la Banque doive se constituer.
Au contraire, je pense comme vous, qu'elle ne doit commencer ses opérations qu'à guerra finita. Aussi, soyez certain, qu'à moins que la paix ne soit signée dans ce mois, la Banque ne fera pas d'appels de fonds, avant la fin de l'année ; et encore, si, à cette époque, les circonstances politiques et financières ne s'améliorent pas, nous resterons dans l'état actuel. Seulement, nous surveillerons l'émission des bons du trésor et nous les rembourserons lorsqu'on nous donnera de l'argent pour le faire. Nous utiliserons nos employés et notre local, et nous retirerons 20 à 25 mille francs, ce qui diminuera d'autant, nos frais de premier établissement.
Je ne suis pas en meilleures conditions financières que vous. Personne ne me paye. Un individu, qui m'avait promis de me payer 75 mille francs échus le 1er mars, m'a donné 3000 et il en est tout fier. On ne me paye pas le guano de l'année passée, et j'en ai pour 35 mille francs sur les bras de celui de cette année. Je dois payer les légataires de Mme de Tonnerre, sans qu'il me soit possible de retirer mes fonds des mains de ses débiteurs. Enfin, j'ai dû aider Rossi et Schiaparelli. Il y a des moments où toutes ces complications me causent de sérieux soucis.
Je ne pense pas que vous ayez besoin de fonds, si la Banque ne se constitue pas. A ce moment, je vous solderai mon compte courant et je vous enverrai des traites de mes acquéreurs de guano, que vous ferez escompter à Gênes.
D'ailleurs, si la Banque se constitue, ce sera une preuve que la condition financière du pays se sera améliorée, etr dans ce cas, nous rentrerons, vous et moi, dans des fonds considérables.
J'ai été hier à l'intendance pour parler au chevalier Bona, mais il était en course sur le chemin de fer. J'y retour-
nerai ce matin, mais je ne pourrai pas vous mander le résultat de notre conversation, attendu qu'à 10 heures et 112 Je dois aller au conseil divisionnaire, qui durera fort tard.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXXIV.
16 juin 1849.
Mon cher ami, Je puis vous annoncer, d'une manière certaine, que l'on commencera la semaine prochaine à distribuer les obliga..
tions du dernier emprunt ; 7000 sont déjà prêtes, et le restant ne se fera pas attendre.
La distribution des titres de l'emprunt forcé se fait avec llne désolante lenteur. Je n'ai pas pu en obtenir un seul des nôtres, et j'attends également ceux que j'ai acquis pour votre compte. Le comte Regis (1), directeur général de la dette publique, m'a assuré que nous les aurions, sans faute, dans le courant du mois d'août.
Le bon Nigra est venu me trouver, pour me parler de ses bons du trésor.
Il m'a dit avoir proposé à la Banque de Gênes de se charger de surveiller la moitié de l'opération, qu'il voudrait Porter à 20 millions. De plus, il m'a beaucoup engagé à Consentir à ce que la Banque annonçât au public qu'elle commencerait ses opérations à une époque déterminée, le Premier octobre, par exemple. Bien entendu que, si, d'ici !a> la paix n'était pas signée, nous prolongerions ce terme Indéfiniment.
(1) Le comte Jean Regis de Savigliano, député de Dogliani à la le législature et à la 4e; nommé sénateur en 1850, puis conseiller d'État, ll10rt en 1870.
J'ai communiqué le désir du ministre à Mestrezat et Bolmida, qui, tous deux, sont d'avis d'y adhérer, en se réservant la faculté expresse de suspendre cette détermination, dans le mois de septembre, si les circonstances politiques d'alors ne se sont pas améliorées.
Le but de Nigra est de donner une consistance à la Banque, et, par là, accroître la valeur morale de ses bons.
Je vous promets que si la paix n'est pas faite, si les fonds ne sont pas à 80, on n'opérera aucun versement. Il s'agit tout bonnement, de jeter de la poudre aux yeux du rispettabile pubblico.
Vous me demandez mon avis sur le sort probable de la guerre de Hongrie (1). Les événements ont trompé mes prévisions, plusieurs fois, à cet égard. Jamais je n'aurais cru les Madgyars capables d'aussi grands efforts. Je suis porté, maintenant, à penser qu'ils ne pourront pas résister aux Russes, et qu'ils seront écrasés, mais je vous avoue que je n'oserais pas hasarder une opération financière sur cette hypothèse.
Y. frères, sont peu de chose, les S. me sont inconnus.
Le papier dont vous me parlez, m'inspirerait une médiocre confiance. sauf pour ce que vaut la signature de cet excellent Long, qui ne peut pas se dépouiller de sa trop grande facilité.
Dabormida, revenu de Milan, croit que les Autrichiens sont tout disposés à signer la paix, à des conditions acceptables.
Je vous écris à la hâte, le conseil divisionnaire me prenant beaucoup de temps.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) L'insurrection hongroise, dirigée par Kossuth et Gorgey, contre l'Autriche et la Russie, avait remporté de remarquables succès à Hatvan, .Szolnok, Komorn, Buda et Hegyez, mais avait été battue à Waizen et Debrecine.
ccxxv.
25 juin 1849.
Mon cher ami, J'ai été, cette semaine, tellement occupé par le conseil divisionnaire, que je n'ai pas eu le temps de vous écrire.
Si la paix se signe, comme je n'en doute pas, il est très probable que la Banque commencera réellement ses opérations le 1er octobre, et que, par conséquent, il faut se préparer à verser la première moitié des actions.
Nigra est un bambin, qui n'a pas encore su mettre en exécution son plan des bons du trésor et, en attendant, il De paye personne.
On a commencé la distribution des nouvelles obligations ; le comte Regis m'a assuré qu'il y en aurait 10,000 la semaine prochaine.
Je vous dirai, en confidence, qu'on m'a offert la mission de Londres. Je ne l'ai pas encore acceptée, parcequ'il me Paraît que je pourrai être plus utile dans le Parlement, qu'en Angleterre. Qu'en pensez-vous?
La prise de Rome (1) abattra vos rouges, lesquels, d'ailleurs, ne me paraissent pas redoutables, tant que Lamarlllora, sera là, avec ses bersaylieri et ses bons Savoyards de Jaillet.
Les rouges, ici, hurlent et se démènent en public, mais au fond, ils sont assez abattus. Le ministère a fait acte de vigueur, en arrêtant et reconduisant aux frontières, un
(1) L'armistice signé par M. De Lesseps, envoyé de France, avec le gouvernement de Rome, fut dénoncé le 2 juin, et le 3 juin l'assaut fut -donné par l'armée française, commandée par le général Oudinot. — Ce ne fut cependant, que le 3 juillet qu'elle occupa définitivement Rome Général G. PEPE, Révolutions et Guerres d'Italie, p. 382 et suiv.).
lombard, nommé Perego (1), qui écrivait des articles incendiaires dans le Messafjffiere.
Les collèges électoraux seront convoqués pour le 15 juillet. Ils n'auront pas frais.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXXVI.
26 juin 1849 Mon cher ami, Je reçois votre lettre de hier, avec l'incluse de Ridway ; je ne pense pas être tenu à payer des livres qui n'ont pas été livrés à leur adresse. Je vous prie toutefois, de me dire ce que je dois faire.
Je vais m'occuper de rechercher toute notre correspon- dance relative à la Banque. Il me paraît que, de mon côté,.
j'ai aussi acheté quelques actions pour le compte à demi. Le conseil provincial finit aujourd'hui, de sorte que j'aurai du loisir pour finir cette affaire.
Ce matin, on est venu me demander de la part d'un in-
dividu, qui fait les affaires d'un grand nombre de capitalistes génois, si je serais disposé à céder 100 actions de la Banque de Turin. J'en ai offert 50, à 5 p. de prime ; je pense que vous ne me désapprouveriez pas si je les cédais à 2 p. %, et peut-être même, au pair. Je désirerais, toutefois, avoir une réponse précise de votre part.
Adieu, à la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Pietro Perego, agitateur lombard, avait fondé à Turin une feuille démocratique « L'Operaio », qui vécut peu de temps. Renvoyé par le gouvernement sarde, à la frontière, il se rendit à Vérone au quartier général autrichien, et devint, dit-on, un espion du général Giulay.
CCXXVII.
Turin, 27 juin 1849.
Mon cher ami, J'ai repassé soigneusement toute notre correspondance, depuis l'approbation de la Banque de Turin, et je n'ai trouvé, relativement à l'achat et à la vente d'actions pour le compte social, que ce qui suit: Ayant quelques fonds disponibles, vous m'obligeriez en M'envoyant le cours des changes.
Les affaires de Rome sont bien ennuyeuses.
Adieu.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXXVIII.
29 juin 1849.
Mon cher ami,
Bombrini est ici depuis deux jours; il a eu plusieurs conférences avec Nigra et avec moi, au sujet de la fusion de nos deux Banques. Il y est tout disposé et paraît ne Pas douter de la réussite de notre projet. Je suis resté à Turin, pour tâcher de combiner un plan avec les deux directions.
Si la fusion a lieu, je considère que les actions des Banques fusionnées vaudront au moins 10 p. %, et probablement 15.
Nous sommes d'accord, avec d'Azeglio, de suspendre toute détermination relativement à l'ambassade de Londres, jus-
qu'après les élections. La perspective de recevoir une visite de Mme De la Riie me disposerait singulièrement à accepter le poste qui m'est offert, si je ne croyais pas de mon devoir d'assister au moins, aux premières luttes parlementaires.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. N'ayant pas le temps de m'occuper des changes et du papier, puis-je remettre, pour votre compte, de l'argent aux Long?
CCXXIX.
16 juillet 1849.
Mon cher ami, Vous verrez par le Risorgimento, que les élections de Turin ont tourné à l'avantage des modérés. J'ai été élu au premier tour de scrutin, à une assez belle majorité. Jusqu'à présent, les nouvelles des provinces sont moins bonnes.
Verceil, Casai, Coni ont nommé des rouges. Il est impossible de prévoir le résultat final. Je crains qu'il ne soit que médiocre.
Vous êtes dans l'erreur, si vous croyez que le RisÓrgimento vous envoie votre copie gratis. L'honnête homme est trop pauvre pour cela.
La Banque de Gênes a adhéré à la fusion. C'est une affaire faite.
J'ai vu Davidy, un instant; j'ai bien regretté de ne pas pouvoir passer plus longtemps avec lui. Il m'a fait espérer que vous viendriez passer quelque temps en Piémont. Je le désire vivement.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
ccxxx.
26 juillet 1849.
Mon cher ami, Tous les matins, je veux vous écrire, et tous les matins, quelque contrariété imprévue m'empêche de le faire.
Je ne vous parle pas du résultat des élections; l'opposition a une forte majorité. Reste à savoir comment elle en usera. Plusieurs personnes prétendent qu'elle sera excessivement modérée. Les articles du Corriere Mercantile me le feraient croire. Si cela est, tant mieux. Dans le cas contraire, un coup d'État deviendrait inévitable. Mais alors, comment résoudre la question financière?
La paix est signée; on l'a expédiée à Vienne, pour obtenir la ratification de l'Empereur. L'indemnité est fixée à 75 millions, payables : 15 millions fin octobre et 60 millions de 2 en 2 mois, à 5 millions par fois, à commencer du 31 décembre; cela n'est pas excessif. Si les Chambres sont raisonnables, tout peut s'arranger encore. Seulement, il est indispensable de changer Nigra; son incapacité grandit tous les jours.
La réunion des actionnaires de la Banque aura lieu de lundi en huit. Le local est très avancé. L'opinion se déclare en faveur de notre entreprise ; sans les préoccupations de la politique, nos actions vaudraient 20 p. 0/0' Voyez pourtant, si, dans la prévision des difficultés qui pourraient surgir par suite d'un coup d'État, il ne serait pas prudent d'en vendre une centaine à 10 p. %• Avec celles que nous avons achetées à prime, nous en avons plus de 300. Au reste, faites ce que vous voulez.
Je vous attends toujours, d'après le dire de Davidy; si vous arrivez avant lundi, je vous ferai assister à la séance royale.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXXXI.
29 juillet 1849.
Mon cher ami, Nigra s'est enfin décidé à émettre des bons du trésor et à émettre un emprunt à 74, payable en trois termes, moitié en argent, moitié en bons.
C'est un ancien projet, que nous avions combiné avec Bolmida, et qu'il aurait fallu exécuter il y a deux mois.
Mr De Bruck a fait offrir, sous main, de prendre des rentes en payement des rentes. C'est une question très délicate.
Je parlerai à Nigra de vos 300,000 francs; seulement j'aurais besoin de savoir si c'est du papier ou de l'argent.
Si l'Autriche recevait des rentes, il est probable qu'elle les déposerait à la Banque de Vienne, et ne les vendrait pas, de quelque temps.
Adieu, je suis très pressé.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXXXII.
Turin, 1er août 1849.
Mon cher ami, Le ratification de Vienne n'est pas encore arrivée, on l'attend demain. La Chambre approuvera la paix et ne deviendra violente que plus tard. Telle est, du moins, l'opinion de ceux qui croient en savoir très long.
Je comprends la mauvaise humeur de la Savoie (1), mais il faut vous dire que le second régiment de la bri-
(1) A cause du petit nombre de décorations et de médailles accordées aux officiers et aux soldats de la brigade de Savoie.
gade, celui que ne commande pas Jaillet, s'est très mal battu à Novare; il a tout bonnement f. le camp.
Il faut bien dire la vérité à tout le monde. Au reste, la revue s'est parfaitement bien passée. Les troupes ont accueilli le Roi avec enthousiasme, et elles ont manifesté, d'une manière non douteuse, leur disposition de le soutenir Envers et contre tous. Cela devrait faire rentrer dans les voies de la modération, nos députés démagogues. Lundi prochain, aura lieu l'assemblée des actionnaires de la Banque de Turin. J'espère qu'elle produira un bon effet, et que flous pourrons vendre une bonne portion de nos actions, avec un bénéfice raisonnable. En attendant, ne laissez pas échapper une occasion favorable, si elle se présente, en ne vous croyant pas obligé d'attendre ma réponse.
Adieu, cher ami, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCXXXIII.
2 août 1849.
Mon cher ami, La réunion d'hier s'est très bien passée. Nigra a lu un discours que je lui avais composé, et que vous lirez demain dans le Risorgimento. Il a proposé ensuite l'adoption des bases du projet de fusion. L'assemblée a accordé une approbation unanime, en conférant au conseil de régence les Pouvoirs les plus étendus pour terminer avec Gênes, et Pour obtenir du Parlement les modifications nécessaires au statut.
Il m'a paru que les actionnaires étaient très-satisfaits.
T'aurais pu vendre à 10 %, j'ai préféré attendre, car, la Paix paraissant près de se conclure, il est probable que flous ferons mieux.
La Chambre a été très sage au sujet de Reta (1). Sauf Brofferio (2), qui fait bande à part, personne n'a parlé en sa faveur. Rattazzi (3), lui-même, a formulé le vote, qui le déclare non admissible.
Nous aurons quelques moments de répit.
Adieu, à la hâte, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
(1) Costantino Reta, ancien directeur du journal le Mondo illustrato, courrier du gouvernement, élu député du collège de Santhià, en 184F.
Le parti ministériel avait voulu le faire exclure de la Chambre, parce qu'il le considérait comme salarié par le gouvernement, puisqu'il était courrier, mais celle-ci (Séance du 6 novembre 1848) valida, avec une assez forte majorité, l'élection de Reta, qui prit, dès-lors, rang dans le parti de l'opposition. Gravement compromis dans les évènements de Gênes, en mars 1855, auxquels il prit une large part, et où il fut un des triumvirs du gouvernement provisoire, Reta avait été condamné à mort, par contumace, et avait dû se réfugier en Suisse.
La validité de son élection par le collège de Santhià, fut donc contestée au Parlement, qui, dans sa séance du 30 juillet, sur la proposition de Rattazzi, vota: 1° que l'élection de C. Reta par le collège de Santhià était valide, — mais 2", que le député Reta ne pouvait être admis à la Chambre, vu la sentence en contumace qui le frappait.
(2) Angelo Brofferio (1802-1816), avocat distingué du barreau de Turin, compromis en 1830 dans une conspiration, passa 6 mois en prison et y écrivit ses célèbres poésies et chansons en dialecte piémontais, — auteur de I Miei Tempi, La Storia del Piernonte, Le Tradizioni italiane e la Storia del Parlamento. — Amant platonique de la République, il fut un ami fidèle de la Monarchie, dit un de ses biographes.
— Orateur des plus brillants, il siégeait à l'extrême gauche de la Chambre, comme député du collège de Caraglio, et s'il ne fut pas le chef de la gauche, comme Rattazzi ou Valerio, il en fut un des plus ardents et féconds défenseurs.
(3) Urbano Rattazzi, né à Alexandrie en 1810, avocat des plus distingués du barreau de Turin, entra au Parlement en 1848, comme député d'Alexandrie, qu'il représenta pendant 11 législatures, c'est-à-dire, jusqu'à sa mort. Il commença sa réputation comme homme politique, lors de la question de la Constituente que la Lombardie réclamait, après les cinq journées de Milan, pour régler son union avec le Piémont, et
CCXXXIV.
Turin, 14 août 1846.
Mon cher ami, Je sors du Conseil des ministres, il a été décidé qu'on présenterait aujourd'hui même, à la Chambre des députés,
Combattit Cavour et Pinelli, qui s'opposaient à cette constituante, dont les turinais craignaient que le résultat ne fût le transport de la caPitale à Milan. Peu après, il fit partie du cabinet Casati, en qualité de ministre de l'instruction publique, puis d'industrie et commerce. Il deVlût ensuite, le chef du parti de l'opposition, et fut appelé à faire Partie du cabinet Gioberti, comme ministre de grâce et justice. En désaccord avec celui-ci, qui voulait que l'armée sarde intervînt en Toscane Pour y rétablir sur son trône le grand-duc Léopold II, Charles-Albert le chargea avec Chiodo, de former un nouveau cabinet, durant lequel 6llt lieu le désastre de Novare, dont on voulut le rendre responsable eii grande partie. Ce cabinet ayant dû se démettre, Rattazzi constitua dans le Parlement, le Centre gatChe, opposé an Centre droit, qui avait Cavour pour chef. Ces deux Centres fusionnèrent en 1852 et forcèrent ce qu'on a appelé le Connubio, qui, ainsi, constituait la majorité.
A la mort de Pinelli, Rattazzi fut appelé à présider la Chambre. En 1854 il devint ministre de grâce et justice (cabinet Cavour), et ce fut lui qui proposa la loi sur les corporations religieuses, qui, malgré la trieuse opposition du parti clérical, fut votée le 29 mai 1855, mais valut à son auteur de nombreux et implacables ennemis, et le força de se démettre. En 1859, après la paix de Villefranche et la démission le Cavour, il fut chargé, avec Lamarmora, de former un nouveau cabinet, sous lequel s'opéra l'annexion de la Toscane, de Bologne et des (luchés de Parme et Modène. — En 1860, Rattazzi combattit la cession de Nice et de la Savoie à la France. - En 1862, il fut de nouveau chargé de former le cabinet, et il s'y rendit de nouveau fort impopulaire, ayant cru devoir s'opposer aux tentatives de Garibaldi (AsproConte, 27 août 1862), et son cabinet tomba le 16 décembre 1862. —
Ull 1867, il fut de nouveau chargé de former un cabinet, sous lequel eut lieu la fatale affaire de Mentana, qui le força de nouveau à se démettre et le fit haïr, à la fois, par les libéraux et par les conservateurs. Il redevint alors un des chefs de l'opposition parlementaire, et Courut à Frosinone le 5 juin 1873.
le traité, avec un projet de loi portant la création des rentes qu'il faudra donner en garantie à l'Autriche.
Mr de Bruck n'a pas voulu accepter en payement, nos rentes à 80. H ne voulait les compter que 75, j'ai été d'avis de refuser cette offre.
Je crois que les chambres sanctionneront la paix, s'il en était autrement on les renverrait chez elles.
Je vous enverrai, aujourd'hui ou demain, de 12 à 15 mille francs, ce qui doit solder mon compte courant.
Je suis, dès à présent, en mesure de payer 30 actions de la Banque, que je compte garder indéfiniment.
Voyez si vous êtes préparé à faire les fonds pour ce que nous garderons à compte à demi, ou si je dois chercher à me procurer une partie des fonds, dans le cas où nous ne vendrions pas la majeure portion de nos actions avant l'époque du premier versement.
Dites-moi si je dois pousser Golzio pour qu'il vous paye, en m'indiquant, au juste, ce qu'il vous doit.
Il serait également temps de pousser le règlement du compte de Thompson et Foreman.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
C. DE CAVOUR.
ccxxxv.
15 août 1849.
Mon cher ami, Le comité secret, qui a eu lieu hier au soir, n'a pas amené de résultats définitifs. Nigra voulait que l'on discu.
tât immédiatement la loi qui autorise le ministre des fi nances à créer 3 millions de rentes, pour les affecter au cautionnement de notre dette vis-à-vis de l'Autriche. La Chambre, après une éternelle discussion sur une question de forme, a renvoyé la discussion à aujourd'hui.
Je crois qu'après maintes chicanes, et quelques phrases amères, elle avalera le traité en guise de pilule. Au reste, comme je vous l'ai marqué, le ministère ne se laissera pas arrêter par une opposition factieuse.
Le marquis Lamarmora, avec le Prince de Carig'nan, vont chercher Charles-Albert (1).
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCXXXVI.
17 août 1849.
Mon cher ami, Il paraît que l'Autriche se contentera de la ratification du Roi, et s'en ira avant même que la chambre ait autorisé l'émission des rentes qu'il faut lui donner en garantie.
Ceci est encore un secret, qu'on cache à la Chambre..
Vous avez très bien fait de m'envoyer du Turin, fin du lllois, car, pour le moment, je suis en fonds.
Bona m'a assuré qu'il allait régler le compte de Thompson. J'en ai dit aussi un mot à Nigra et Galvagno.
Veuillez me dire si G. vous a remis une traite; sans un titre, il me sera fort difficile de me faire payer. Le parti le plus convenable serait de lui écrire pour lui annoncer, qu'ayant à verser à la Banque des sommes très considérables, vous avez fait traite sur lui du 15 au 20 septembre; vous ln' enverrez alors cette traite, que je verrai de me faire payer.
Golzio n'est pas associé de Scaravaglio, il a seulement Une provision sur les contrats et une part dans les béné-
(1) Mort à Oporto, le 28 juillet 1849. Le Sénat lui décréta le titre .le Magnanime dans la séance du 8 août, où sa mort lui fut annoncée.
fices. Dites-moi s'il lui reviendra encore quelque chose sur le contrat des rails?
Faites-moi l'amitié de me coter, de temps en temps, les changes, car il se pourrait que je fusse dans le cas de me procurer une bonne petite partie de Londres bon marché.
Nigra doit lire aujourd'hui l'exposé de notre situation financière, je crains que ce ne soit pas trop gai.
Il n'a rien conclu avec Rothschild.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCXXXYII.
20 août 1849.
Mon cher ami, J'ai reçu ce matin, une lettre de votre maison, contenant une traite sur Golzio, que vous me dites de faire accepter; avant de la lui présenter, je désire savoir si vous lui avez écrit pour lui annoncer que vous alliez tirer sur lui.
Si la victoire décisive remportée par Haynau sur GOrgey, se confirme (1), nos députés ne chicaneront plus tant sur la paix, et nous pourrons espérer une période de tranquillité. Je crains seulement les excentricités financières de la Chambre. Je crains que, sous l'influence des idées du
(1) Le 1er corps de l'armée hongroise, sous les ordres de Dembinski, avait été défait, près de Szôreg, le 5 août, par le général autrichien Haynau. Arthur Gorgey, général en chef des hongrois, crut alors devoir capituler, et se rendit au général russe, Rüdiger, avec toutes ses troupes, le 14 août, près de Vilagos (ARTHUR GÕRGEY, Ma vie et mes œuvres en 1848 et 1849, vol. IV, pag. 195 et 260).
professeur Pescatore (1), elle ne fasse un peu de socialisme.
Au reste, tant que la France se garantira de cette plaie, eUe n'est pas à craindre chez nous.
Pareto (2) n'a pas été inconvenant, en allant s'asseoir au fauteuil de la présidence.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCXXXVIII.
23 août 1849.
Mon cher ami, G. est venu, de lui-même, accepter la traite que vous avez fournie sur lui. Je n'ai pas pu lui refuser de lui rendre ses mandats, ç'eût été un affront qu'il ne mérite Pas, car, au fond, je le crois fort bien dans ses affaires et seulement momentanément gêné.
La Chambre a de la peine à réprimer ses instincts violents; ils percent à chaque instant.
Hier encore, elle a été dégoûtante dans l'affaire de l'archevêque (3), malgré cela, elle ne veut pas renverser le ministère.
(1) Mathieu Pescatore, professeur de procédure civile, puis de philosophie du droit, à l'Université de Turin, député du collège de Pont, lloIIlmé sénateur en 1873. Membre de la gauche, puis du centre gau- che, très-compétent en matière de finances, prit une part active à toutes les questions y relatives. Fut avocat général de la Cour de cassation à Turin, puis à Rome. — Mourut en 1879, entouré de l'estime et de la vénération universelles.
(2) Lorenzo Pareto présida la Chambre des députés pendant la 2e législature, ayant pour vice-présidents: les avocats Benedetto Bunico et Agostino Depretis.
(3) L'archevêque de Turin avait quitté son diocèse, depuis près d'une aUnêe, et s'était retiré en Suisse. Dans la séance du 22 août, le député Siotto-Pintor interpela le ministère à ce sujet, et, après une longue et
Avec vos 20,000 francs, je suis largement en mesure d'effectuer nos versements. Pour le moment, nos actions sont froides. La spéculation se porte de préférence sur les fonds publics, qui sont très recherchés.
Nigra est convaincu que l'Autriche acceptera nos rentes à 30. Le dénouement des affaires de Hongrie pourra l'engager à consentir à notre demande, dans l'espoir que toutes les valeurs montent.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCXXXIX.
24 août 1842.
Mon cher ami, Le retour de la paix a réveillé chez tous mes amis le désir d'avoir du guano, ils me persécutent pour que j'en fasse venir. Voyez, je vous prie, si Balduino est disposé à traiter pour ce qui lui reste.
Je peux en placer, sans difficulté, jusqu'à la concurrence de 100,000 kilogrammes, et même plus. S'il ne vous convient pas d'avancer les fonds, vous pouvez dire à Balduino de tirer à 3 mois sur moi.
La première condition du contrat c'est que le guano soit de condition égale à celle de l'année dernière.
Tâchez de le payer de 25 à 26 francs. Si vous traitez,
vive discussion, la Chambre adopta l'ordre du jour suivant, proposé par le député Brofferio: « La Chambre, en ordonnant qu'une commission soit nommée pour étudier les moyens les plus opportuns et les plus légaux de remédier aux déplorables conditions des diocèses de Turin et d'Asti, tout en se réservant de provoquer d'autres mesures, passe à l'ordre du jour ».
Veuillez donner l'ordre à Cabella d'en expédier immédiate- lllent, 14,000 kilogrammes à l'auberge de la Fontaine d'or 'l'Asti, d'ordre et pour compte de Mr de Casanova, en donnant avis de cette expédition à Mr Policarpe Sicardi, son secrétaire, à Asti pour Castel Alfero.
L'opposition tend à se diviser. Le génois Cabella m'a fait faire des ouvertures, en protestant du désir d'amener llne conciliation entre les partis qui divisent la Chambre.
Croyez-vous que ce soit un homme dans lequel on puisse avoir confiance?
A la hâte, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCXL.
26 août 1849.
Mon cher ami, Mr Balduino fait vendre au détail, son guano, à San Pier Arena, à 28 fr. les 100 kilogr. ; il a tort, en conséquence; de vouloir le même prix pour une vente en gros. Si je le Payais 28 francs, je ne pourrais pas le vendre plus cher, et alors je n'aurais, pour ma part, que des risques à courir.
Veuillez donc insister pour une réduction, qui sera consentie par Balduino; en attendant, je vais faire analyser l'échantillon que vous m'avez envoyé. Au pis aller, je me hornerai à acheter les 14,000 kilogr. dont le placement est sûr et immédiat.
Les régents de la Banque de Gênes mettent une certaine lenteur dans leur correspondance avec nous, cela me fait soupçonner leur bonne foi. Si, par hasard, la négociation qUe nous poursuivons éprouvait des difficultés, nos actions
baisseraient, aussi je vous engage, si vous trouvez 10 p. 11/o, d'en vendre une centaine. Cette vente nous procurera ufl repos d'esprit.
La rente est très recherchée, je ne doute pas qu'on arrive bientôt à 80. Je vous remercie de vos renseignements sur X. Ils concordent avec les miens. C'est un homme avec lequel il faut toujours se tenir sur ses gardes. Au reste, pour le moment, ni lui, ni ses collègues, ne sont dangereu, Pareto, après avoir été un détestable ministre, est un assez bon président.
Adieu, mille amitiés.
C. nE CAVOUR.
CCXLI.
27 août 1819 Mon cher ami, Je serai charmé de voir Mme de la Rue, pendant son séjour à Turin, et de causer un peu avec votre beau-frère.
Je mettrai à sa disposition, un billet pour la Chambre, en lui souhaitant une séance orageuse pour ses menus plaisirs.
Nous irons ensemble faire une course à l'usine, qu'il trouvera en fort bon état. Il pourra avoir l'inventaire, qui est sur le point d'être achevé. Nous avons reçu le projet de Mrs les Génois. Le retard qu'ils nous ont fait subir, provient de quelques articles relatifs à Bombrini.
En définitive, je ne vois pas de difficultés sérieuses. Toutefois je ne regretterai pas les ventes faites à 110 et au-dessus.
Le comte de Pralormo (1) est nommé ambassadeur à Paris, et Brignole-Sale (2), à Vienne.
(1) Le comte François Beraudo di Pralormo.
(2) Le marquis D. Antoine Brignole Sale.
En m'écrivant, ajoutez le glorieux titre de député. Cela m'économise 8 sous de ports de lettre.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXLII.
29 août 1849.
Mon cher Emile. 1 Je viens de conduire Mme De la Rlie chez Mme de Sonllaz (1). Elle n'a pas souffert du voyage, malgré l'accident arrivé à la voiture du courrier, que je vais vous conter.
Votre beau-frère William, qui n'a point souffert non plus, est resté en route, à la garde des bagages.
Voici l'évènement: le postillon d'Anone a bêtement lancé la voiture du courrier sur un garde-fou. La roue de devant s'est brisée, mais la voiture n'a pas versé. Il était 3 heures après minuit lorsque l'accident a eu lieu, de sorte que Mme De la Rüe a du se promener trois heures sur la route, en attendant qu'on fut allé chercher à Asti un moyen de transport. Heureusement, le temps était beau. Enfin, on amena une atroce petite voiture, qui put à grand peine contenir votre femme et sa femme de chambre, sans le luoindre petit bagage. William est resté avec ses malles et ses paquets.
Le courrier n'est plus arrivé à temps à Valdichiesa pour Partir par le premier convoi, il a fallu que Mme De la Rüe attendît encore une heure et plus, le convoi de 10 l/A heures.
Enfin, elle est arrivée à la station, en bon état et bonne humeur. Inquiet du retard du courrier, j'avais été l'attendre
(1) Madame Anna de Sonnaz, née de Vais, amie intime de madame J)e la Riie, épouse du général Alphonse Gerbaix de Sonnaz.
au débarcadère, d'olt je l'ai conduite chez Mme de Sonnaz, qui, de son côté, avait été l'attendre au bureau du courrier.
Mme De la Rue me charge de vous dire que, n'ayant pas eu la moindre peur, ni éprouvé le moindre embarras, elle se sent en état de faire le tour du monde, la première fois que l'envie vous en prendra. Elle vous écrira demain, au long. Aujourd'hui elle a besoin de se reposer.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXLIII.
Août 1849.
Mon cher ami, Le guano de Balduino est très bon; peut-être, celui de l'année dernière était-il plus parfait. Ainsi, s'il n'y a pas moyen de faire mieux, arrêtez-en 100,000 kilogrammes à 28, 6 p. ; s'il voulait accorder 10 p. d'escompte, on pourrait en prendre 200,000.
Votre beau-frère est bien, je viens de passer quelques instants avec lui.
Demain, une affaire urgente me force à me rendre à Leri, je serai de retour mardi.
Adieu, à la hâte.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
CCXLIV.
Août 1849.
Mon cher ami, Je ne change rien à ce que je vous ai écrit, relativement au guano. Balduino verra qu'il n'est pas facile devendre 450 tonnes de ce précieux engrais.
Ponzio Vag'lia, le liquidateur, passe pour un très honnête et très habile homme. Il fait les affaires de plusieurs fa-
milles fort riches, entre autres de la famille de Revel. Je crois que, s'il contracte un engagement, il le remplira ponctuellement. Toutefois, un crédit de 50,000 reposerait surtout sur sa moralité. Si vous aviez des raisons pour croire que l'opération en question, est relative à un des clients de Ponzio, vous pourriez alors y aller avec les yeux fermés.
Le vote d'hier de la Chambre a un peu ébranlé le ministre (1), mais j'espère qu'il se raffermira.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCXLV.
4 septembre 1849.
Mon cher wni, Je réponds deux mots, à la hâte, à votre lettre de hier.
Je consens à payer les sacs à Baldoino, toutes les autres conditions du contrat demeurant les mêmes. De plus, si je Prends 450 tonnes, il me faut au moins quatre mois pour les lever, et encore, passé ce terme, je veux avoir le droit de les garder pendant 2 autres mois, en payant un loyer.
(1) Le professeur Pescatore, dans la séance du 29 août, proposa à la Chambre de nommer, outre les 2 Commissions permanentes de finances et d'agriculture et commerce, une 3e Commission, chargée de régler l'ordre dans lequel les propositions faites à la Chambre, devraient être discutées et de les étudier avant de les convertir en projet. Cette proposition, appuyée par les députés Jacquiez, Chiarle, Cavour, Buniva, etc., fut vivement combattue par le Ministre de l'intérieur, Pinelli, qui s'opposait à ce qu'elle fût même prise en considération; mais la prise en considération fut votée par une forte majorité.
Je me recommande pour les 15,000 kil. de Casanova.
Votre beau-frère arrivera mercredi à Gênes, car j'ai déjà retenu pour son compte la place du coupé de mardi.
Mr Bona m'a dit vous avoir écrit que Thompson pouvait tirer jusqu'à la concurrence de 300,000 francs; seulement, en ayant soin d'échelonner ses traites de 50,000 francs, de 10 en 10, ou de 15 en 15 jours.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCXLVI.
9 septembre 1849.
Mon cher ami, Je ne me suis pas suffisamment expliqué, relativement au guano. Pour me charger de l'énorme quantité de 450 tonnes, je ne consens qu'aux conditions suivantes: 28 francs les 100 kilogr., plus 50 centimes pour les sacs.
10 p. 010 d'escompte.
4 mois pour les lever, et 2 mois en sus, en payant le loyer.
Payable comptant, une fois le compte fait, et dans le cas où le pesage fût reconnu coûteux et difficile, je payerais 50,000 francs en octobre, 50,000 francs en novembre et le solde en février.
Je ne puis rabattre un centime à ces conditions, car 450 tonnes sont un fardeau très lourd, étant d'ailleurs déjà pourvu pour mon compte.
J'aime mieux acheter 100,000 kilogr. à 28 et 6 p.
L'arrestation de Garibaldi (1) a mis eu émoi nos roug'es.
Probablement ils en tireront parti, demain, pour faire du Scandale à la Chambre. Comme vous ne m'en dites rien, J en conclus que l'on ne s'en est pas trop ému à Gênes.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Poursuivi par les Français, les Autrichiens et les soldats du Pape, Garibaldi fuyait vers Venise, qui combattait encore, et s'embarquait, aVec quelques fidèles, sur les bords de l'Adriatique. Surpris par la flotte atltrichienne, il dut retourner à terre, où sa femme, Annita, qui avait "oulu le suivre, ne tardait pas à succomber à la fatigue et mourait dans une misérable cabane près de Ravenne. Après avoir erré pendant.
35 jours dans les Appennins, déguisé en paysan, Garibaldi parvint enfin à gagner Chiavari, où il se croyait en sûreté et où la population l'acCueillait avec enthousiasme; mais il y était, au contraire, arrêté et conduit sous bonne escorte à Gênes. Le 10 septembre, le député de Chia"ari, Sanguinetti, protestait devant le Parlement contre cette arrestation, a.u nom de ses électeurs. Le ministre Pinelli répondait que l'article 35 du Code civil privait de leurs droits les su jets sardes, qui, sans autoIsation du Roi, prenaient du service à l'étranger et que Garibaldi, etant dans ce cas, puisqu'il avait été général au service de la République romaine, avait perdu sa qualité de sujet sarde et ne pouvait évoquer la protection du Statutô, et que, d'ailleurs, son arrestation était.
une mesure de prudence, imposée par les circonstances où se trouvait le pays. Une violente discussion s'en suivit et enfin, sur la proposition du député Tecchio, la Chambre vota l'ordre du jour suivant: « La Chambre, déclarant que l'arrestation du général Garibaldi et l'expulsion du Piémont dont on le menace, sont des actes lésifs des droits consacrés par le Statuto et par les sentiments de la nationalité et de la gloire italienne, passe à l'ordre du jour 51. — Votèrent contre cet ordre du jour, les députés Menabrea, Cavour, Franchi, Despine , Trotti, Balbo, Vincenzo Ricci, Des Martinel, Mongellaz et S. Martino.
CCXLYII.
12 septembre 1849.
Mon cher Émile,
Bombrini est ici, avec Pallavicini et Fantini, pour condure le traité de fusion ; ils m'ont paru animés des intentions les plus conciliantes. Leur arrivée produira un bon effet et fera monter les actions. Vous ferez bien de continuer les ventes jusqu'aux limites par nous fixées.
Adieu, à la hâte.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXLVIII.
13 septembre 1849.
Mon cher ami, Hier nous avons été en conférence pendant huit heures.
avec les délégués de la Banque de Gênes.
Nous ne nous sommes séparés qu'à une heure du matinJe crois que nous sommes d'accord avec eux; mais Bombrini craint ne pas pouvoir faire entendre raison, sur un point ou deux, à ces messieurs de Gênes. Il est probable que les négociations tireront peut-être en longueur, ce qui aurait une influence fâcheuse sur nos actions. Ainsi, continuez à vendre, sans hésitation.
Si vous m'envoyez des fonds pour la semaine prochaine, je ferai votre versement. Les Ricci doivent, il me semble, payer de suite.
, Pareto est allé chez le Roi, protester de son dévouement tt la monarchie et atténuer le mauvais effet produit par 1 ordre du jour de Garibaldi. Je crois que nous allons aller encore quelque temps comme cela.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXLIX.
14 septembre 1849.
Mon cher ami, Après une nouvelle conférence, qui a duré plusieurs heures, nous sommes tombés d'accord avec Bombrini, qui Se flatte de faire entendre raison à ses collègues de Gênes.
De sorte que j'espère que tout ira bien.
Les esprits se calment un peu.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCL.
16 septembre 1849.
Mon cher ami,
Hier on a commencé à verser. Demain je payerai mon action, soit 70,000 francs. Je désirerais pouvoir verser pour tous ceux qui m'ont vendu des actions, dans la semaine Prochaine ; ainsi, tâchez de m'envoyer de l'argent, car une fOis que j'aurai payé 70,000 francs, je serai à sec.
Hier on a fait 111 114, tenez bon à 111; demain je tâcherai d'en vendre 20 à ce taux. Nous ferons en sorte de vendre nos 80 actions dans la semaine. Voulez-vous que je verse vos 4 actions?
Aujourd'hui je donne un grand dîner à la Banque, Nigra n'ayant pas songé à faire la moindre politesse aux députés génois.
Adieu, à la hâte.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. Je viens d'apprendre qu'après le traité que j'ai passé avec Balduino, il a offert du guano à des spéculateurs du Vercellais; cela me paraît directement contraire à nos conventions. Je vous prie instamment de lui faire des remontrances et de lui dire de ma part, qu'il vende tant qu'il veut à Gênes, mais qu'il ne se mêle pas de Verceil. S'il est embarrassé du guano qu'il a encore sur les bras, je l'en débarrasserai plus tard.
CCLI.
20 septembre 1849.
Mon cher aîni,
Dites à Balduino que ce qui est fait est fait, mais qu'à l'avenir, je le prie de ne pas se mêler du Vercellais.
D'Azeglio est revenu des eaux; je pense que nous sortirons de l'état anormal où nous nous trouvons, soit au moyen d'une transaction, soit par un coup d'État.
Bombrini doit être arrivé aujourd'hui à Gênes ; j'espère que le conseil de régence se rendra à ses observations.
Je vous prie de faire remettre la lettre ci-incluse à mon-
sieur Amari (1), qui loge aux Peschiere, et de retirer l'argent Ml vous remettra.
D. Levi est, comme vous le dites, assez léger. La famille Levi était très riche, mais la fortune a été tellement divisée et subdivisée, qu'il est difficile de savoir ce que pèse chaque individu.
Astesana est des meilleurs dans le genre épicier. Il jouit Slu* la place d'un très bon crédit.
Adieu, à la hâte.
Tout à vous CAMILLE DE CAVOUR.
CCLII.
24 septembre 1849.
Mon cher ami,
Azeglio a reparu hier à la Chambre. Les eaux lui ont fait beaucoup de bien. Aujourd'hui nous aurons la lecture du rapport de Ravina (2) sur la paix ; ce sera godiche.
(1) Emerico Amari, né en 1810 à Païenne, mort en 1870, jurisconSUlte distingué, exilé en Piémont en 1849, collabora avec le professeur errara à la Croce di Savoia et publia, en 1857, sa Critica di una s°ienza delle legislazioni comparate. Membre de la députation paler^taine en 1848, et ministre en 1860, lors de la dictature de Garibaldi, député ensuite de Palerme au Parlement italien, puis enfin professeur de Philosophie de l'histoire à l'Institut supérieur de Florence.
t) Amédée Ravina, auteur des Canti italici, compromis dans la réVolution de 1821, dut s'exiler et ne rentra en Piémont qu'en 1848; fut nommé député par le VIe collège de Turin et conseiller d'État en 1849. u Homme très instruit, mais (dit Victor Bersezio) d'un caractère ¡, bizarre, aimant la contradition et les paradoxes ». — La conclusion du rapport était que: « vu la dure et inexorable nécessité qui pèse sur nous et nous presse, la commission propose à la Chambre de dé-
Lundi, très probablement, Nigra ouvrira son nouvel emprunt. Je n'en connais pas encore les conditions.
Je tâcherai que les rédacteurs du Bisorgimento fassent leur profit des observations que vous m'avez adressées sur les comptes rendus des Chambres.
N'ayant pas de sténographes à nos ordres, et devant dépendre, jusqu'à un certain point, de la complaisance du journal officiel, il est difficile de donner, le lendemain, un compte rendu complet.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. Si vous écrivez à votre frère, demandez-lui s'il veut du guano. ,
CCLIII.
26 septembre 1849.
Mon cher Émile, Rothschild est ici depuis deux jours. Il me paraît fort disposé à traiter avec le gouvernement pour l'indemnité due à l'Autriche; je crains toutefois, que Nigra ne sache pas prendre un parti. Je le talonne pour qu'il profite du moment favorable.
Cela n'empêchera pas l'émission de l'emprunt dans le pays, Rothschild ayant fini par y consentir. Votre beau-
« clarer que, précisément à cause de cette nécessité, elle ne refuse pas « son consentement à ce que le présent traité soit mis en exécution "< — Dans la séance suivante (24 septembre), le député Balbo proposa de passer à l'approbation du traité de paix, sans discussion, pour montrer que la Chambre s'y soumettait, mais ne l'approuvait pas; mais sa proposition ne fut pas acceptée.
frère Odier est d'accord avec lui ; R. m'a montré une lettre contenant l'engagement d'Hottingre, G. Odier, Blanc et Mathieu et Pillet Will.
La Chambre des députés fait des folies (1); je doute qu'on puisse venir à bout de s'entendre avec la majorité, d'autant plus que le ministère, de son côté, fait bêtises sur bêtises. Pinelli est d'une maladresse qui dépasse les bornes du croyable.
Adieu, à la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCLIV.
29 septembre 1819.
Mon cher ami, , Je crois que Nigra s'arrangera avec Rothschild dans la Journée de demain, si la Chambre vote aujourd'hui les 15 millions qu'on lui demande (2).
(1) Il s'agissait de la discussion du traité de paix et de l'émission d'un emprunt de 75 millions , demandés par le gouvernement, pour subvenir au payement de l'indemnité de guerre, aux termes du traité (lu 6 août 1849. — La séance du 25 septembre, où ces questions furent Agitées , avait été très orageuse et des paroles assez vives y furent changées entre Cavour et Valerio. L'ordre du jour Mellana, qui séParait la question financière d'avec celle du traité de paix proprement dit, y fut voté, appuyé par le ministre Pinelli, qui, cependant, dans la séance précédente, avait déclaré que, selon lui, ce mode de procéder n'était ni logique, ni rationel.
(2) Lorsque le banquier Jean Nigra eut le courage et l'abnégation d'accepter le ministère des finances, il appela Rothschild à Turin, pour traiter un emprunt avec lui. Celui-ci s'y montrait peu disposé; mais après avoir vu quelle parfaite régularité et quelle économie réglaient les opérations du trésor sarde, il consentit à la demande. Nigra, avec
Rothschild m'a dit qu'il serait charmé de laisser au* banquiers du pays telle somme qui leur serait agréable.
Si vous désirez traiter directement avec lui, vous pouvez lui écrire, sans cela, je pourrai faire souscrire ici, sans que vous paraissez.
Si vous comptez, soit pour votre Maison, soit pour le compte de vos amis, faire une grande opération, vous feriez bien de venir vous entendre avec moi. Diable ! il me paraît que vous pouvez bien prendre quelques jours de vacances, maintenant que Davidin et votre beau-frère sont à Gênes.
J'ai vu Mr Goldsmith de Francfort, qui m'a dit vous avoir laissé un ordre d'un million. Cela vaut la peine d'une course de trois jours.
Je ne conçois pas trop comment la crise politique terminera. Je crois que Pinelli s'en ira (1). Croyez que ce n'est pas un mal, car Pinelli manque absolument du tact et de l'adresse nécessaires pour faire marcher la machine parlementaire. Il a du courage, mais il l'emploie hors de propos, pour faire de la fermeté à faux et puis pour céder mal à propos.
Si vous voulez que nous fassions quelque chose à compte à demi en rentes, je suis à vos ordres.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
un désintéressement qui l'honore, ne voulut pas que ses frères, qui étaient banquiers à Turin, fussent les agents de Rothschild dans cette circonstance, et il l'adressa au banquier Bolmida, qui dut à cette circonstance une grande partie de sa fortune (CHIALA, I, p. 564). — Massimo d'Azeglio raconte que, se trouvant sans fonds au trésor, Nigra prit un jour 400 mille francs chez ses frères, paya toutes les échéances et sauva la situation.
(1) Le 20 octobre il fut, en effet, remplacé au ministère de l'intérieur par l'avocat Philippe Galvagno.
CCLY.
30 septembre 1849.
Mon cher Emile, La Chambre a renvoyé à aujourd'hui le vote des millions. Nigra obtiendra à peu près ce qu'il veut (1).
Je dîne avec Rothschild chez Nigra; je vous manderai demain, le résultat de cette réunion.
Je vous renouvelle l'instance de venir à Turin nous entendre sur les affaires de l'emprunt; votre présence ici pourra être avantageuse. D'ailleurs, il faut que vous veniez chercher votre femme.
Bombrini est ici; la fusion est opérée et il me paraît plus en train que nous, de la mettre en exécution.
Adieu, j'espère que je puis vous dire au revoir.
C. DE CAVOUR.
CCLVI.
4 octobre 1849, Mon cher ami, Je ne doute pas que Rothschild ne me donne tout ce que je lui demanderai. Je crois cependant plus convenable d'attendre que l'affaire soit terminée. Au fond, il a grande envie de traiter avec le pays ; il m'a plusieurs fois répété
(1) Le ministère demandait que la Chambre augmentât de L. 900,000 la rente de L. 2,500,000, qu'il avait été autorisé à émettre, mais la Chambre ne lui accorda que L. 600,000.
qu'il considérait le Piémont comme bien plus solide que l'Autriche.
Je n'ai qu'une minute pour fermer ma lettre et l'envoyer à la poste.
Adieu, à la hâte, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCLVII.
5 octobre 1849.
Mon cher anîi, Je suis furieux. J'ai tout lieu de croire que Nigra se soit laissé mettre dedans par.ce vieux madré de Rothschild.
Il avait été convenu entre nous, que Rothschild laisserait aux places de Turin et de Gênes, une somme en rapport avec les moyens dont elles peuvent actuellement disposer. J'avais parlé de 12 millions, en disant à Nigra de céder 2 millions et de tenir bon à 10. De cette façon, tout le monde aurait été satisfait ; nous aurions eu nos 600,000 francs, Parodi et Leonino (1), chacun un million.
Il était de plus convenu entre Rothschild et Bolmida, que l'opération de Turin et celle de Paris auraient été combinées de manière à ce que les rentes coûtassent également à Rothschild et aux banquiers du pays.
Dimanche soir j'étais convaincu que Nigra resterait fidèle au projet que nous avions concerté, mais, hier matin, il a eu une longue conférence avec Rothschild, et il paraît avoir consenti à réduire de beaucoup la part destinée aux banquiers du pays.
Le soir j'ai été chez Rothschild lui demander, de votre part, 600,000 francs, ou plutôt lui annoncer que vous sous-
(1) Banquiers à Gênes.
cririez pour cette somme. Le vieux juif m'a répondu en souriant, que vous ferez très bien et qu'il vous convenait plus de prendre des rentes payables à Turin et à Gênes, que des rentes payables à Paris. J'ai cru que tout allait à merveille, lorsque, plus tard, Bombrini -m'a appris la reculade de Nigra. Cela étant, je ne puis plus rien demander à Rothschild, car cela me rendrait complice d'une opération que je crois contraire aux intérêts du pays.
Je n'accepterai pas des rentes de lui, s'il n'en donne pas à toutes les Maisons de la place.
Toutefois, je pense que vous n'y perdrez pas grand'chose, si vous vous mettez en mesure de souscrire à Gênes, dès le premier jour que l'emprunt sera publié. Tenez vos fonds prêts et faites-les porter au trésor le matin même où les souscriptions seront ouvertes.
Les banquiers de Turin, comptant sur l'appui de Rothschild, n'ont pas beaucoup d'argent en caisse. Ils sont en partie épuisés par les achats qu'ils ont faits ces jours-ci.
Ils ont beaucoup de papier en caisse, mais ils ne peuvent le faire que très difficilement, de sorte que je doute qu'ils Puissent profiter des premiers moments.
D'après les dispositions de Rothschild, voulant porter la Majeure partie de l'opération à Paris, je suis convaincu que le papier sur France baissera considérablement. Aussi, Je vous engage à vous défaire de celui que vous avez, le Plus tôt que vous pourrez.
Vu le pli qu'a pris cette affaire, je ne veux plus m'en mêler. Aussi, je renonce à toute idée de compte à demi.
Hier on m'a offert 110 314 de vingt actions. Ignorant si vous ne les aviez pas vendues, je les ai gardées.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
P/S. Envoyez-moi votre Turin par William; je souscrirai pour votre compte, ou vous ferai passer les fonds. Seule-
ment, je ne veux plus rien traiter directement avec Roth' schild, s'il se conduit mal avec notre place.
La Banque escompte 300,000 francs par jour.
CCLYIII.
Turin, G octobre 1849.
Mon cher ami, J'ai reçu hier la lettre de votre maison avec des remises sur Turin, pour 139 m. et quelques francs. Je m'en vais les envoyer à la Banque ce matin, mais je doute qu'elle puisse les escompter, car les bordereaux pleuvent de tous les côtés. Hier Mrs Barbaroux y en ont présenté un de 400,000 francs, Mestrezat un de 100,000.
Ce que j'avais prévu est arrivé, on ne trouve plus à faire du papier. On offrait hier, le Paris à 101, je ne sais pas ce qu'il vaudra ce matin. Je crois que la Banque pourra escompter beaucoup la semaine prochaine, mais serons-nous encore à temps? Aussi, je vous conseille de souscrire le plus que vous pourrez à Gênes.
Hier, les fonds sont venus en grande baisse. Si ce mouvement continuait, je ne sais s'il conviendrait de s'engager trop dans l'emprunt.
Je vous dirai mon opinion après le courrier et après avoir causé à fond avec Mr Granet.
Les bons du trésor étaient demandés hier à 98. Je ne crois pas qu'ils haussent beaucoup, nous serons à temps de les acheter la semaine prochaine.
Je dois me justifier à vos yeux, du reproche d'avoir été mis dedans par Rothschild. C'est Nigra qui a traité sans moi, et qui ne m'a appelé qu'au moment de la signature du traité. J'ose me flatter que si j'avais été à sa place,
j'aurais obtenu de meilleures conditions. J'avais combiné 1111 plan pour qu'on pût se passer de Rothschild, je m'en suis servi pour le contraindre à rabattre quelques-unes de ses prétentions, mais je n'ai pas pu faire varier les bases dll contrat, qui avaient été définitivement arrêtées.
Le grand tort de Nigra vient de ce qu'il n'a pas assez de confiance dans les maisons du pays.
Je ne compte pas prendre du nouvel emprunt ; pour ma Peine, nous diviserons une des commissions que vous aurez exécutées.
Ce matin Mr Landaur est venu m'offrir, de la part de Rothschild, de prendre ce que je voudrais chez lui, au prix coûtant. Comme vous l'imaginez, j'ai refusé; cette offre 111 a mis à même de juger de la manière dont on traite les affaires dans la plupart des cabinets de l'Europe.
J'ai reçu votre lettre d'hier, j'expliquerai à William, ce qllc, je considère comme l'avenir probable de nos finances.
Adieu, à la hâte.
CAMILLE DE CAVOUR.
Votre femme m'a paru assez bien.
Elle ne pense pas le moins du monde à aller à Gênes.
CCLIX.
8 octobre 1849.
Mon cher ami, Samedi, à 4 heures, l'emprunt était couvert. Hier les finances ont été assiégées de monde, qui voulaient, à toute force, qu'on reçût leur argent. Si la souscription avait continué, Turin seul prenait les 9 millions et probablement beaucoup plus.
On jette les hauts cris contre Nigra. Le pauvre diable était de la meilleure foi du monde lorsqu'il croyait cou' tenter le pays avec 8 millions. La preuve est que sa maison?
qui avait des ordres très considérables, et qui, samedi, a retiré de la Banque 200,000 francs, n'a pas envoyé souscrire avant-hier, de sorte qu'elle est dans le nombre des désappointés.
J'ai la conviction que, si l'on avait ouvert l'emprunt le premier du mois, et admis en payement, comme je le proposais, le papier sur Londres et sur Paris, on aurait pu se passer de Rothschild.
Un de mes amis a reçu ce matin un ordre de Londres, qui était accompagné de l'autorisation de tirer 25,000 L. st.
Je ferai escompter successivement à la Banque, tout le Turin que vous m'avez envoyé, et je vous ferai passer les fonds. Ce matin j'ai pris 12,000 francs de Paris à 101 l/v il vous servira à payer vos morues.
Je vous engage, si vous avez des fonds, à acheter des bons du trésor, pour les garder en caisse; vous me les enverrez en m'autorisant à tirer sur vous, et je les enverrai à la Banque comme 3e signature.
Je ne vois pas en rose l'avenir, toutefois il ne me paraîtrait pas raisonnable de lâcher toutes vos rentes, sauf que vous puissiez le faire avec bénéfice.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCLX.
Turin, le 12 octobre 1849.
Mon cher ami,
L'affaire en bons du trésor n'offre pas les inconvénients que vous me signalez; en les achetant et les déposant à
la Banque, nous souscrivons des billets payables du 15 au 20 janvier.
Les bons sont payables le 31 janvier, en conséquence, le 20 janvier, ou nous avons des fonds pour les retirer, ou nous tirons l'un ou l'autre à quinze jours de date, traite qui exclut toute idée de circulation.
Nous allons bientôt aller à la rencontre de la grande Salma (1). Le temps est à la pluie, et nous serons crottés.
9 est la dernière niche du grand apôtre de l'indépendance Malienne (2).
Mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
(1) Le corps du Roi Charles Albert, rapporté d'Oporto, pour être enseveli dans la basilique de Superga, arriva à Turin le ]2 octobre, et Y fut solennellement reçu par les autorités et toute la population. Les rUes étaient garnies de draperies noires et les femmes vêtues en deuil.
Le char funèbre était suivi du cheval de bataille du Roi et d'une fOllle de citoyens en deuil. La garde nationale et les troupes faisaient aile au cortège, et l'on peut bien dire que la nation entière portait le deuil de l'illustre et infortuné monarque. Quand le cortège fut arrivé SUr la place de St-Jean, les matelots du Monzambano, qui avaient acCOmpagné le corps du Roi jusqu'à Turin, le remirent aux gardes-ducorps, qui le transportèrent dans l'église de St-Jean, où était préparée la. chapelle ardente, et où il demeura déposé 3 jours, pendant lesquels *a foule ne cessa de remplir la basilique. Le dimanche matin (14 octobre), le corps fut transporté à Superga, suivi d'une foule immense 'et couvert d'innombrables couronnes de fleurs.
(2) u Je ne sache pas que Cavour ait jamais eu au cœur, haine bien Vlve, ni surtout bien tenace, sauf, peut-être, à l'endroit da feld-maréchal lIaYllau, sur qui il n'entendait pas raison. Mais, s'il y a quelqu'un qU'il n'ait pas aimé, ce quelqu'un fut, à coup sûr, le roi Charles-Albert II. (DE L.\ RIVE, 1. c., p. 47). Cavour l'appelait, en avril 1849: Cet homme fatal, qui était destiné à ruiner son pays, dans toutes les hypothèses (Lettre à Mr Tallegrand de Pêrigord, avril 1849, CarALA, V, pag. 195), et dans une lettre à Madame Anastasie de Circ°Urt, à peu près sous la même date, il va jusqu'à dire que « CharlesAlbert a trahi le parti modéré (CHIALA, 1. c.). Pourquoi cette an-
CCLXI.
Leri, 23 octobre 1849.
Mon cher ami, J'ai reçu, ici, la lettre de votre maison, du 21. Tosco (1) a reçu les bons, que vous m'adressiez par Mr de Romilly (2), et le bon sur Barbaroux. En arrivant à Turin, je tâcherai de vous faire avoir les cédules que vous désirez.
Il est entendu que vous payerez Balduino, et que je vous enverrai la contre-valeur, en Paris long, sauf quelques sommes que je dois encaisser à Gênes, par suite des expéditions de riz que j'ai faites à Cabella.
Il est très difficile de vendre des rentes conditionnelle-
tipathie de Cavour pour Charles-Albert? A quelle cause faut-il l'attribuer? — Bien des hypothèses ont été émises à ce sujet, et je ne me permets pas de me prononcer en faveur de l'une plutôt que de l'autre.
Quelle qu'ait été la conduite politique de Charles-Albert avant 1848, nous ne pouvons cependant pas oublier qu'il a été le premier roi constitutionnel du Piémont, qu'il a exposé sa vie pour son pays, et que c'est de lui que date le grand mouvement, auquel l'Italie a dû son unité et sa liberté. — Malgré les erreurs qu'il a pu commettre, sa mémoire sera donc toujours vénérée, et le titre de Magnanimo, que lui décerna le Parlement, ne sera désavoué par aucun italien. — Du reste, il était difficile qu'entre Charles-Albert, toujours hésitant, timoré et soupçonneux, et Cavour, résolu, homme d'action et plein de confiance dans l'avenir de son œuvre, il pût y avoir de la sympathie.
(1) Martin Tosco, surnommé Grand Martin, maître d'hôtel du comte de Cavonr.
(2) Probablement le bibliotécaire du Trinity College de Cambridge.
La famille Romilly, d'origine française, avait émigré à Genève, puis en Angleterre, après la révocation de l'édit de Nantes.
toent. Cependant, je tâcherai de le faire, si vous ne pouvez Pas me transmettre d'ordres définitifs.
Vous aurez approuvé la nomination de Sainte Rose (1).
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCLXII.
Turin, 29 octobre 1849.
Mon cher ami, , Je suis arrivé hier au soir. Je viens d'écrire longuement a votre maison, en lui envoyant le compte des opérations de la Banque. Je m'en vais trouver le directeur, pour me faire délivrer les certificats d'inscription, afin que vous Prissiez, de votre côté, me donner note des opérations que vous avez faites.
Impossible d'avoir du Paris, j'ai, en conséquence, arrêté 53,000 francs sur Gênes, au pair, à 10 jours. C'est la llloins mauvaise des remises.
La rente est faible. Si vous voulez que je me charge de vendre votre 31, il faut me l'envoyer, en me fixant une limite. Il ne convient pas de l'offrir, mais d'attendre qu'on vienne la chercher.
L'emprunt volontaire à raison de 84 3/A à 85.
Si H. se plaint de G., nous pouvons, à plus forte raison, tlous plaindre de lui et des G., qui se sont très mal confits envers nous, et n'ont pas agi loyalement. Je ne me chargerai pas de parler en sa faveur, car ces gens-là nous ont fait beaucoup de tort.
Adieu, à la hâte.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Le comte Pierre Derossi di Santa Rosa, ami intime du comte de (avour, nommé ministre d'agriculture et commerce (Cf. Lettre CL VI), e 20 octobre 1849, en remplacement de Galvagno.
CCLXIII.
31 octobre 1849.
Mon cher ami, Tous les transferts des actions de la Banque sont opérés, j'espère vous expédier, aujourd'hui, ou demain au plus tard les certificats d'inscription, qui sont les seuls titres que l'on délivre aux actionnaires.
Notre malheureux ministère est dans un état de crise perpétuelle. Maintenant, c'est le tour du ministre de la guerre, Baya (1), qui ne s'entend pas avec Azeglio, il va se retirer, et il sera remplacé, à ce qu'on m'assure, par Al. Lamarmora, ce qui fera jeter les hauts cris à la gauche.
Dites à Davidin que j'irai ce matin, porter à Mr Nigra la requête de Mr Merello, son protégé.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCLXIV.
3 novembre 1849.
Mon cher ami, La crise est finie, Baya s'est retiré et Lamarmora le remplace. Paléocapa (2) a les travaux publics, c'est un
(1) Le général Eusebio Bava. Le Risorgimento du 3 novembre, attribue la retraite de Bava à un dissentiment entre lui et la Commission chargée de réorganiser l'armée, et non à des divergences politiques entre lui et d'Azeglio.
(2) L'ingénieur Pierre Paleocapa, né à Bergame en 1789, fit, comme lieutenant du génie, la campagne de 1813, et remplit à Venise, jusqu'en 1848, plusieurs importantes fonctions dans le génie civil. Il prit part aux mouvements de cette époque, concourut à l'union de Venise avec le
homme excellent, à ce qu'assurent tous ceux qui le connaissent et en particulier Sainte Rose.
Le ministère sera plus fort; s'il est aussi plus habile, tout cheminera bien. Ce qui m'inquiète, c'est bien plus la France que nous. Les lettres que je reçois de Paris, sont plutôt alarmées.
8.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCLXV.
6 novembre 1849.
Mon cher ami, Bombrini, qui part après demain, vous portera les titres (les 11,000 L. de rente achetées pour notre compte. Pour vendre les rentes du mois d'avril, il faut attendre que la Panique produite par la révolution ministérielle qui a eu lieu à Paris, se soit calmée.
Piémont, et porta à Turin le résultat du plébiscite qui consacrait cette Union. En 1849 il se réfugia à Turin, et fut chargé du ministère des travaux publics, de 1845-1857, c'est-à-dire, jusqu'au moment où il perdit Presque complètement la vue. Député au Parlement, il y représenta Successivement, les collèges de Borgo S. Donino, San Quirico et Vafallo. — Pendant qu'il fut ministre, il introduisit d'importantes réformes i\ns l'administration des travaux publics, créa plusieurs lignes de chemins de fer, et en entreprit plusieurs autres, parmi lesquelles celle 11 Mont-Cenis. En 1855 il représenta l'Italie au Congrès de Paris pour le percement de l'isthme de Suez, et, eu 1866, il fut nommé président (je la Commission des ports et canaux d'Italie, à laquelle, malgré sa cécité, il rendit de grands services. — Il mourut à Turin, le 13 féVrier 1869. — Un monument lui a été élevé dans cette ville, et, à Suez, on a donné son nom à une place, en souvenir du rôle important qU'il joua au congrès de Paris en 1855.
Je ne suis pas aussi satisfait que vous, de la retrait de Bava, bien que je n'approuvasse pas sa réforme deS Bersaglieri.
Je suis moins réprimant que vous.
J'ai dû travailler comme un nègre, pour faire passer ai1 ministère notre pacte de fusion.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCLXVI.
9 novembre 1849.
Mon cher ami, Une suite de malentendus et de contretemps ont empêché Bombrini d'emporter vos cédules. J'étais furieux, mais en fin, il a bien fallu se résigner. J'ai voulu éviter le danger de la route, et je l'ai aggravé; quoiqu'il en soit, vous leS recevrez demain, par la poste.
Ayant expédié Tosco à Leri, je ne vous enverrai qu'à son retour, la note détaillée des traites que j'ai escomptées pour votre compte.
Adieu, à la hâte.
C. DE CAVOUR.
CCLXVII.
10 novembre 1849.
Mon cher ami, J'avais déjà expédié ma lettre à votre maison, lorsqu'on est venu me proposer d'acheter votre 31, à 86 7«î le pris est bon, puisque le 49 est offert à 85, mais je n'ai pHS
pu faire de réponse précise et l'agent de change n'a pas voulu demeurer engagé jusqu'à lundi; toutefois, il m'a promis de faire ce qu'il pourrait pour tenir en suspens son client.
La rente, avril 49, est offerte à 43 3/if on trouve du 48 à 84, enfin il y a un remous général.
On est inquiet des nouvelles de Paris, et, en effet, elles ne sont point rassurantes.
Adieu, cher ami, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. On m'a dit que l'un de vos clients de Novi avait manqué, et que vous étiez compromis pour une forte somme, j'espère que cela n'est pas vrai.
CCLXVIII.
13 novembre 1849.
Mon cher ami,
Aujourd'hui commence la discussion du traité de paix.
Le parti Buffa, qui s'est séparé de Valerio, offre un ordre du jour passable (1). Le ministère est disposé à l'accepter.
On ne peut pas, néanmoins, garantir la tournure que prendra la discussion.
Je suis persuadé que l'emprunt de la ville jouira de plus de faveur que celui du gouvernement.
(1) Voici l'ordre du jour présenté à la séance du 13 novembre, par le député Buffa : vu que le traité stipulé à Milan, le 6 août 1849, a été ratifié le 17 du même mois; vu la loi du 27 septembre 1849, qui autorise le gouvernement à payer à l'Autriche l'indemnité de guerre fixée par les articles additionels du traité, la Chambre: l" Considère le traité comme un fait accompli ; 2° elle pourvoira par des loix spéciales, pour ce qui la concerne, à l'exécution du traité.
Cependant il ne faut pas s'engager légèrement, car Nigra est dans l'embarras plus que jamais.
Adieu, à la hâte, je vous quitte pour aller à la Chambre.
Tout à vous CAMILLE DE CAVOUR.
CCLXIX.
17 novembre 1849.
Mon cher ami, Impossible de trouver du papier pour vous envoyer. Le Londres a disparu, on demande 103 du Paris. Je ne sais comment vous faire passer les fonds que j'ai retirés de la vente de vos cédules 1831.
Veuillez me dire si je dois vous faire un retour en billets de Banque, soit par la poste, soit au moyen de Jaillet, qui part dans cinq ou six jours.
Je n'ai pas encore trouvé l'amateur de vos rentes du mois d'avril, je ne crois pas qu'il faille leur casser le cou.
Vous aurez vu par les journaux le vote déplorable de la Chambre (1).
J'ignore encore le parti que prendra le ministère, qui, en tout ceci, a été d'une faiblesse déplorable. Peut-être saurai-je quelque chose avant de finir ma lettre, et je vous le manderai.
Je vais demain à Leri, où l'on m'attend depuis huit jours, pour terminer un contrat de la plus haute importance.
(1) Le 16 novembre, le Centre gauche, par l'organe du député Cadorna, proposa à la Chambre de pourvoir à la sûreté des émigrés lombards et vénitiens, avant d'approuver le traité. Le Ministère s'opposa à cette proposition, mais la gauche et le centre gauche coalisés réussirent à la faire adopter, avec une majorité de 7 voix.
Ecrivez à Mr Renaldi ce que vous voulez qu'il fasse des fonds que j'ai à vous.
Je fermerai ma lettre à la Chambre.
2 heures.
Le ministère a décidé la dissolution de la Chambre (1).
CAMILLE DE CAVOUR.
CCLXX.
Leri, 19 novembre 1819.
Mon cher ami, Je suis parti hier, tellement à la hâte, que je n'ai pas eu le temps de vous écrire un mot. J'ai arrangé, avant mon départ, que Mr Renaldi vous enverrait un bon sur la Banque, pour le montant de la rente du 31 que j'ai vendue.
Vous aurez approuvé le décret de dissolution. Je crois qu'avec un peu d'habileté et de fermeté, on aurait pu l'éviter, ]nais, au point où les choses en étaient venues, on ne pouvait plus reculer. Le ministère veut tenter une dernière bataille électorale. S'il la perd, c'en est fait du régime constitutionnel régulier.
Nous serons ballottés entre les coups d'État et les mouvements républicains. Je compte retourner à Turin dans le courant de la semaine.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
(1) A la suite de la votation de l'ordre du jour Cadorna, le gouvernement prorogea la Chambre au 19 novembre. Le 20 elle fût dissoute et parut la célèbre proclamation de Moncalieri.
CCLXXI.
Turin, 26 novembre 1849.
Mon cher Émile, Me voici de retour, pour ne plus bouger jusqu'au moment des élections. Le ministère deploie une grande énergie.
Galvagno (1) vaut 10 Pinelli. J'espère que le résultat répondra aux efforts que l'on va faire. Au reste, il n'y a plus moyen de reculer.
Je vous parlerai demain affaires. Le vol commis à la poste est déplorable, mais je ne crois pas que ce soit un motif pour discontinuer l'envoi des billets par lettres chargées: au contraire, je pense que c'est une raison de majeure sécurité.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
(1) L'avocat Jean Philippe Galvagno, ministre de l'intérieur, député du III collège de Turin, avait fait partie du ministère De Sonnaz (mars à mai 1849), en qualité de ministre d'agriculture et commerce, puis du ministère D'Azeglio, avec le même portefeuille ; fut ministre de l'intérieur depuis octobre 1849 à février 1852, et de grâce et justice jusqu'en mai 1852. Collègue et ami de D'Azeglio, il eut sa part dans le fameux programme de Moncalieri, qui pacifia le pays et y rendit possible l'application du gouvernement constitutionnel. — Nommé ensuite Syndic de Turin, il dut, à la suite de revers de fortune, reprendre sa profession d'avocat, où il se distingua par son honnêteté et sa droiture.
Nommé sénateur en 1860, il mourut à Turin le 27 mars 1874.
CCLXXII.
28 novembre 1849.
Mon cher ami, Il est entendu que je payerai le solde des actions de la Banque, pour votre compte. Si, par hasard, les rentrées sur lesquelles je calcule, me manquaient, je vous en préviendrais à temps, ou je ferais traite sur vous, à un mois.
J'ai déjà reçu près de 350,000 kilogr. de guano Balduino.
Je pense que dans le courant de décembre, je recevrai les 100,000 kilogr. qui forment le complément de ce qu'il m'a vendu. De la sorte, je n'aurai pas a lui payer de loyer de magasin.
Si vous voulez expédier du guano à Hippolyte, faites-le dans le mois de décembre. Je le lui ferai payer 27,50 francs les 100 kilogr., ce qui me paraît bien raisonnable.
Le ministère fait tout ce qui dépend de lui, pour amener de bonnes élections.
Mais, il faut bien le dire, le parti modéré est d'une déplorable nonchalance.
Mamiani (1) se pose en modéré, presque en ministériel.
(1) Le comte Terenzio Mamiani della Rovere, né à Pesaro en 1800.
Philosophe et poète, prit part au mouvement de 1831 contre le gouvernement de Grégoire XVI, à la suite de quoi il dut se réfugier a Paris, où il publia plusieurs ouvrages de philosophie. Il rentra en 1848 à Rome, Où il fut nommé ministre de l'intérieur (cabinet du cardinal Orioli). Au milieu des événements qui suivirent la fuite de Pie IX à Gaète, il accepta le ministère des affaires étrangères, puis il fit partie de la Constituante 4e Rome. Le pouvoir temporel ayant été rétabli, Mamiani se réfugia à Gênes et, en 1856, il fut nommé député du V collège de cette ville. Il soutint vivement la politique de Cavour, qui, en 1860, l'appela au ministère de l'instruction publique. En 1861 il fut nommé ministre plénipotentiaire d'Italie en Grèce; en 1864, sénateur du royaume; en 1865, ministre d'Italie en Suisse.
Son inimitié personnelle avec Mazzini, est une semi-garantie de la sincérité de son opinion.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCLXXIII.
? décembre 1849.
Mon cher ami, Je suis accablé de besogne et, pour surcroît de guignon, je vais aller monter la garde.
Je répondrai dimanche aux lettres de votre maison, tandis que le sort de la nation se décidera dans l'urne électorale.
Le ministère espère beaucoup, quant à moi, j'espère un peu, je vous tiendrai au courant des nouvelles politiques de Turin.
Ecrivez-moi, de votre côté, et croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCLXXIV.
9 décembre 1849.
Mon cher ami, Je n'ai pas vendu vos rentes à 83,50, parceque j'ai su par Mr Landaur, agent de Rotschild, que celui-ci avait consenti à avancer au trésor 11 millions, en compte courant, pour éviter une nouvelle émission à la fin de l'année.
Je crois avoir agi dans votre intérêt, toutefois, si vous regrettez ma désobéissance, je prendrai vos rentes à 83,50, quitte à ne pas vous les payer tout de suite. Il fait un temps atroce, il pleut à verse depuis deux jours, ce qui
empêchera un grand nombre d'électeurs de se rendre au scrutin. C'est un malheur, mais, d'un autre côté, cela peut fournir au ministère un excellent prétexte pour modifier la loi électorale.
Dites-moi ce que c'est que des Mrs Gamba, Sconio et Millo (1), qui veulent fonder une compagnie des Indes, ce qui me paraît une idée un peu bouffonne par le temps qui court.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCLXXV.
Turin, 11 décembre 1849.
Mon cher ami, J'ai fini, ce matin, l'affaire de vos rentes, je les ai toutes vendues à Mrs Soldati, à 84, payables lundi prochain.
Si vous n'avez pas besoin de fonds, je garderai une partie du produit, pour faire le second versement de nos actions.
Le trésor est en bonne position. Nigra a ici, 4 à 5 millions en caisse, mais il éprouve une répugnance incroyable à payer. Dites-moi si les traites de Thompson ont été payées <'t si, en conséquence, notre affaire des rails peut être considérée comme liquidée.
Ce matin, on me parlait de 99 l/A pour les bons. Je verrai si je peux en obtenir à ce taux, pour le compte à demi.
Je pense que les bons seront payés, ou tout au moins échangés contre des rentes au cours.
(1) Grande maison de commerce à Gênes. Mr Millo est actuellement Président de la Chambre de commerce de Gênes.
Les élections de nos provinces sont assez bonnes. Si celles de Gênes et des Rivières ne sont pas détestables, on pourra marcher, mais avec une modification ministérielle, non dans le sens de la gauche, mais de manière à donner au cabinet plus d'homogénéité.
Demargherita (1) s'est coulé dans l'opinion publique, par sa conduite privée.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
cCLXXVI.
16 décembre 1849.
Mon cher ami, Les élections des provinces de terre ferme sont toutes connues, elles sont, en grande majorité, conservatrices. Les plus sanguine assurent que les 2/3, au moins, seront ministériels. Cela est probable, car il y a toujours dans les assemblées, une partie flottante, qui se rallie au parti le plus fort. Nous en avons fait, dans les dernières législatures, la triste expérience.
La sortie de Demargherita est chose certaine, j'aurais désiré qu'on eût également mis Mameli (2) à la porte, mais ses collègues n'ont pas eu le courage de le faire. On parle, pour le remplacer, de l'avocat Noellis, qui a eu l'honneur
(1) L'avocat baron Louis de Margherita, ministre de grâce et justice.
(2) Le chevalier avocat Cristoforo Mameli, ministre de l'instruction publique. Né en Sardaigne en 1795, député du III collège de Cagliari, siégeait à la dioite. Fatigué des luttes parlementaires, il donna sa dimission en 1850, et fut nommé conseiller d'État. Très versé dans le droit canonique et catholique fervent, il protesta toujours contre les lois hostiles au clergé. Mort à Rome le 18 octobre 1872.
d'une triple élection (1), et de Gioia (2). J'ignore lequel des deux sera préféré (3).
La hausse des fonds ne m'inspire pas une grande confiance. L'état de la France ne me paraît pas encore bien rassurant. Je ne sais, mais je vois la marée du socialisme monter d'une manière irrésistible.
Je doute fort qu'en Angleterre, on baisse maintenant le prix de l'or. Notez d'abord, que cela ne peut avoir lieu qu'au moyen d'une loi, car c'est la loi qui a imposé à la Banque l'obligation d'acheter l'or au prix actuel.
Si, toutefois, l'affluence de l'or augmentait, il faudrait bien songer à baisser son prix relativement à l'argent. Alors, certainement, le change sur Londres baisserait, puisqu'en définitive, ce change s'établit (entre certaines limites), d'après le prix comparatif des deux métaux précieux.
Pour alimenter notre nouveau moulin à riz, qui marche fort bien, et pour profiter du bas prix de nos marchés, j'ai fait de grands achats de riz, ce qui m'a mis à sec. Si vous avez besoin de vos fonds, vous pourriez tirer sur moi, mais je pense que vous n'êtes pas pressé de rentrer dans les avances de la portion du guano que je vous dois encore.
Adieu, cher ami, croyez à mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. Un courrier, expédié de Lyon à l'agent de Rothschild, porte les fonds, sur cette place, à 86, ce qui les fera monter à 88 ici, demain, lorsque ce fait sera connu.
(1) L'avocat Prospero Perpetuo Novelli, nommé député par le IV collège de Turin, le II collège d'Alexandrie et celui de Felizzano, pour lequel il opta, mais il dut bientôt renoncer à son mandat, ayant, peu après, été nommé Préfet du Collège des Provinces.
(2) Voir lett-e CLXXXII.
(3) Ni l'un ni l'autre, car Gioia n'entra au Ministère que le 10 novembre 1850, et ce fut le comte Siccardi qui remplaça le baron De Hargherita.
CCLXXVII.
Turin, 18 décembre 1849.
Mon cher ami, Le comte Siccardi (1) remplace De Margherita. Mr Siccardi, aujourd'hui avocat général, est un homme d'un talent éminent. Si le courage ne lui fait pas défaut, ce sera le membre le plus important du ministère.
Il y aura une promotion de sénateurs
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCLXXVIII.
20 décembre 1819.
Mon cher ami,
Nigra compte, à l'ouverture du Parlement, demander l'autorisation de contracter dans le courant de l'année 1850, un emprunt de 4 millions de rentes. Je ne doute pas que les Chambres n'accèdent à cette demande.
Le pauvre Bisorgimento a mangé ses fonds, comme tous les autres journaux. La Concordia n'a plus que des dettes, et l'Opinione vit des subsides des riches lombards, qui en ont fait leur organe.
J'espère que le parti conservateur de Turin et de Gênes ne laissera pas tomber le seul journal qui ait toujours soutenu en Italie les principes libéraux modérés. S'il était égoïste à ce point, il faudrait désespérer de l'avenir constitutionnel du pays.
(1) Le comte Giuseppe Siccardi, dont le nom est resté justement célèbre, à cause de la fameuse loi sur l'abolition du For ecclesiastique,.
qu'il proposa au Parlement.
Je ne crois pas que les changes se relèvent de si tôt.
Au contraire, je pense qu'ils baisseront encore, au commencement de l'année prochaine, car, d'ordinaire, les demandes de Paris baissent sur notre place, à cette époque.
Adieu, votre dévoué.
C. DE CAVOUR.
CCLXXIX.
, 27 décembre 1849.
Mon cher Emile, Une personne, qui m'a été vivement recommandée, monsieur G. (nom illisible), qui a étudié les mathématiques et les sciences mécaniques, désirerait être admise à travailler comme ingénieur volontaire dans les usines de Mr Taylor.
C'est un jeune homme appartenant à une famille fort riche ,Bt qui n'a d'autre but que celui de s'instruire.
Si vous pouviez l'aider à obtenir de Mr Taylor ce qu'il désire, je vous en serais fort obligé.
Mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCLXXX.
29 décembre 1849.
Mon cher ami, Je ne peux pas trouver du Turin ou du Gênes long, Pour vous couvrir. Ainsi, si vous aimez mieux tirer sur moi, à trois mois, vous êtes le maître.
Quant à moi, je trouve un ample emploi de mes fonds, dans l'achat des riz nécessaires pour alimenter l'usine du parc. La Société qui l'a construite, et dont je fais partie, a dépensé, comme cela arrive toujours, tous ses fonds en bâtisses et en machines, et elle s'est trouvée sans capitaux
circulants. Or, comme elle fait un travail excessivement profitable, j'ai fait un compte à demi avec elle, et je lui fournis à peu près 600 sacs de riz par semaine. Jusqu'à présent, l'affaire paraît fort avantageuse, seulement, elle exige beaucoup de fonds.
Le Risorgimento a mangé tout son capital, il a perdu 80,000 francs, en deux ans. Au reste, il en est arrivé de même à la Concordia et à Y Opinione.
Ainsi, je m'en vais vous débiter du dernier versement de vos deux actions et de celles de Ricci et Cevasco.
Quant à la nouvelle, société, je ne vous condamne à prendre qu'une seule action, ce qui vous coûtera 50 francs et vous vaudra un exemplaire du journal.
Nigra nous a annoncé hier que le budget de 1849 présentait un déficit de 101,000,000 et celui de 50. 80,000,000 181,000,000
et qu'il allait demander l'autorisation d'émettre le million de rentes. En présence de cette nécessité, la hausse me paraît exagérée. Gardez vos actions de Turin, elles valent mieux que le Risorgimento, vous les vendrez, avant six mois, 1400.
Adieu, à la hâte. 0. DE CAVOUR.
Nous allons nommer: Pinelli (1), président; Demarchi (2) et Palluel (3), vice-présidents de la Chambre.
(1) Pier Dionigi Pinelli, ministre de l'intérieur en 1848 (ministère 1 Alfieri), député du collège de Cuorgnè.
(2) Demarchi Gaetano, député du collège de Mongrande, avait déjà été vice-président de la Chambre, à la le législature.
(3) Palluel Ferdinand, député du Collège d'Albertville en Savoie, avait été questeur lors de la Ie législature. !
CCLXXXI.
11 janvier 1817.
Mon cher ami, J'ai reçu hier la lettre de votre maison, au moment où je revenais de la Chambro. J'ai eu, à peine, le temps de la lire et de vous expédier des traites, que j'avais négociées avec mon ami M. Adriani, en rentrant, ainsi qu'une traite de 35 mille francs, que m'a remise un de mes correspondants du Vercellais. Au moyen de ces remises, mon compte serait non-seulement soldé, mais je resterais en avance de 30,000 francs à peu près.
Je vous serais obligé de me remettre cette somme, soit en Turin, ou Gênes, escomptable à la Banque, soit en billets; ayant du 20 au 25, à solder d'assez fortes parties de riz, achetées pour le moulin du parc.
Cette diable d'affaire Balduino me gêne un peu, car elle me cause un déboursé de plus de 120,000 francs, somme considérable pour moi, malgré les bénéfices réalisés cette année.
Nigra est en correspondance suivie avec Rothschild, je tâcherai qu'il ne se laisse pas mettre dedans
La majorité de la Chambre demeure compacte. Les violents discours de Josti et de Lanza ont produit un bon effet sur elle (1). J'espère qu'elle se dessinera d'une ma-
(1) Dans la séance du 9 janvier le député Josti protesta devant Dieu, l'Italie, l'Histoire et le Monde entier, contre le Traité de paix du 6 août 1849, et contre les ministres, qui forcèrent le pays à en subir les désastreuses conditions, tandis que l'armée sarde, même après Novare, aurait pu encore combattre et vaincre. — Le député Lanza parla à peu près dans le même sens. La loi fut votée par 112 voix contre 17.
nière plus nette que par le passé, dans le vote de la loi électorale qui se discute aujourd'hui.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCLXXXII.
12 janvier 1850.
Mon cher ami, A peine j'avais pris le papier d'Adriani, que je regrettais de l'avoir fait. C'est heureux que nous nous en soyons tirés à si bon compte. Nigra m'a assuré qu'il payerait à leur échéance, les bons du trésor, à bureau ouvert. Vous pouvez, en conséquence, compter sur ceux que vous avez en portefeuille, comme sur des billets de Banque.
Si vous trouviez à acheter au pair, vous feriez une bonne affaire.
Je talonnerai Bona et, au besoin, étant son voisin, je lui donnerai des pinçons.
La gauche, sauf Rattazzi, a été pitoyable dans la discussion de la loi électorale (1). Le second jour, je me suis abstenu de prendre part au débat, car c'était trop misérable.
Hier, Galvagno a donné une soirée, à laquelle il avait invité tous les députés (2). L'opposition n'y est pas venue.
Brofferio seul s'y est rendu pour se moquer avec nous, de ses chers collègues.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Il s'agissait de modifier la loi électorale, en divisant les collèges électoraux, en autant de sections qu'ils comptaient de mandements, afin
de faciliter le vote aux élécteurs. — La loi fut vôtée le Il janvier par 87 voix, contre 43.
(2) Cette soirée fut vivement critiquée par la Gauche (La Coneordia), qui trouvait que le pays n'était pas eu circonstances telles, que ses ministres donnassent des fêtes.
ccLXxxm.
17 janvier 1850.
Mon cher ami, Je vous transmets la réponse de Bona aux Thompson, qui confirme pleinement ce que je vous ai mandé. Bona m'a expliqué le tour que les G. ont voulu lui jouer, d'après lequel il ne serait plus tenu à rien. Mais il m'a assuré qu'avant le mois de mars, il ferait venir les 1000 tonnes en question.
Je suis rapporteur de la loi sur l'emprunt des 4 millions (1). J'ai un travail à faire pour le traité de commerce avec la France, de sorte que je n'ai pas un moment à moi.
Pour comble de malheur mon secrétaire est malade.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCLXXXIV.
Turin, 21 janvier 1850.
Mon cher ami, Vous lirez, ce matin, mon rapport sur rémission de 4 millions de rentes, dans le Risorgimento, vous en saurez après, autant que moi (2).
(t) Projet de loi présenté par le ministre Nigra, pour donner faculté aU gouvernement d'émettre un emprunt de francs 6,000,000 de rente pour couvrir l'énorme déficit causé par les guerres de 1848 et 1849. L'opposition se divisa en deux partis, l'un voulait repousser la loi, l'autre 11e voulait accorder que 3 millions, mais le ministère obtint 6 millions.
(2) « Parceque vous êtes rapporteur de la loi des 4 millions, je me trouve naturellement privé de rien savoir, parceque, en législateur honnête, vous redoublez de reserve » (Lettre de Mr de la Riie au comte de Cavour, 19 janvier 1850).
Avigdor (1) est arrivé, je doute qu'il parvienne à rien faire avec le gouvernement; il est trop hâbleur, comme vous le dites, c'est un genre qui ne réussit pas chez nous.
Je n'ai pas besoin d'argent; lorsque je serai à sec, je vous enverrai du Turin de nos marchands de riz.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCLXXXV.
26 janvier 1850.
Mon cher ami, Nigra m'a donné l'assurance la plus formelle que les bons seraient payés à leur échéance ; seulement, il pensait que les premiers ne l'étaient que dès le 25. En conséquence, il veut faire commencer les payements le lr février.
Il m'a assuré ne pas pouvoir autoriser leur payement à Gênes, ce qui entraînerait des difficultés de comptabilité extraordinaire. Mais il m'a dit à l'oreille, qu'il prendrait les bons qui sont échus et ceux dont l'échéance serait prochaine, en payement de la première portion de l'emprunt, et.
dans ce cas, on pourrait les verser à Gênes, comme à Turin.
G. et M. m'écrivent qu'ils ne sont pas encore d'accord avec R , mais il me parait que ces messieurs finiront par s'entendre.
La souscription nationale dépassera, j'espère, 20 millions.
Seulement elle restera ouverte peu de jours, ainsi je vous conseille de vous préparer dès à présent..
Adieu, à la hâte.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Le comte Henry Avigdor, député du collège de Gavi à la iv et v législature (1849-1857).
CCLXXXVI.
29 janvier 1850.
Mon cher Émile, Je prends la liberté de recommander à votre aimable obligeance, Monsieur et Madame de Atzél, hongrois distingués, qui vont se rendre à Gênes. Je vous serai infiniment
obligé de ce que vous pourrez faire pour leur rendre agréable le séjour de votre ville.
Cette lettre devant vous arriver moins rapidement que celles que je vous écris par la poste, je n'ajoute aucune Nouvelle politique, et je me borne à vous renouveler l'exPression de ma vieille amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCLXXXVII.
30 janvier 1850.
Mon cher ami, Puisque vous n'avez pas voulu me croire, vous en serez (quitte) pour payer à la Banque quelques jours d'intérêts, Ce qui, d'ailleurs, ne diminuera pas de beaucoup votre bénéfice sur les bons (1).
Nigra m'a encore répété, hier, que les bons échéants en février seront reçus, sans distinction, en payement de l'emprunt. Cela l'arrange pour ne pas être obligé de les rem-
(1) « Pour ne pas courir le risque, au dernier moment, que l'ordre de Prendre en payement des Bons du Trésor, ne fût pas exactement parVeûu à notre trésorerie, je me suis entendu avec la Banque, qui prend "les bons comme du papier sur Turin à 3 1[î °/0 l'an ». (Lettre de 3Ir de la Rüe au comte Cavour, 28 janvier 1850).
bourser à la spicciolata avec des billets de 100 francs et des pièces de 3 francs.
Au reste, on n'exigera probablement que le tiers comptant; mais j'espère que l'on cherchera à faire payer les facilitations que le ministère accordera pour les payements.
A la demande de mon ami Bolmida, j'ai remis une lettre de recommandation à des hongrois très distingués; veuillez les accueillir avec votre obligeance accoutumée.
Nous allons remettre sur le tapis le chemin de Savigliano; veuillez me dire votre intention à ce sujet. Je crois que, comme spéculation, ce n'est pas une mauvaise affaire, et que les actions se placeront sans difficulté.
A. est un animal, un vrai faiseur d'embarras. Ne vous mêlez avec lui que comme banquier ; mais laissez-lui faire ses tripotages tout seul.
Mon père vous prie de lui procurer, si l'occasion se présente, un petit tonneau de Marsala du meilleur qu'il soit possible de trouver.
Si, par hasard, on trouvait à Gênes du rhum de première qualité, mon père en désirerait également une douzaine de bouteilles.
A propos de liqueurs, n'avez-vous jamais entendu parler de deux caisses qui sont parties d'Amsterdam, il y a trois mois, à votre adresse, pour moi?
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCLXXXVIII.
14 février 1850.
Mon cher aiîîi, Je ne vous ai pas écrit parceque j'ai eu immensément à faire cette semaine. Je suis de service à la Banque, où il y a eu un travail énorme. J'ai été assez heureux pour
pouvoir donner de l'argent à tous ceux qui en ont demandé, grâce à un petit million que je me suis procuré. Mais ce n'a pas été sans peine.
La souscription ira à 40 millions. Nigra en donnera 30.
Telle est du moins mon opinion.
Farina nous excède avec ses interpellations (1), mais je crois que nous en viendrons à bout.
La semaine prochaine, je vous enverrai une partie de vos certificats; je ne puis vous les envoyer tous, parceque je n'ai pas encore pu libérer les actions inscrites au nom de Salmour.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCLXXXIX.
20 avril 1850.
Mon cher ami, Une nouvelle indisposition, qui m'a valu deux saignées, est cause que je n'ai pas pu répondre de suite à votre dernière lettre.
L'affaire du vin de Marsala est arrangée à ma pleine satisfaction.
Je vous remercie de l'intérêt que vous avez pris à mon affaire avec Avigdor (2). Je ne suis pas un batailleur, mais
(1) Au sujet de l'approbation du bilan, que le Parlement discutait alors.
(2) Le député de Nice, Jules Avigdor, avait fondé à Turin, le journal La Voix de l'Italie. Dans un article sur la question des impôts, il y avait attaqué le journal Le Risorgimento en termes qui mettaient en doute l'honneur et la délicatesse de ses rédacteurs et particulièrement, dn comte de Cavour. Un duel s'ensuivit entre celui-ci et le député Avigdor (M. CASTELLI, Le comte di Cavour, p. 25-32).
il y a de telles provocations, qui, même lorsqu'elles partent de très bas, ne peuvent pas rester impunies. Vous avez lu les discussions de la Chambre et les articles du Risorgimento, et je ne pense pas que vous y ayez trouvé rien qui justifie l'injustifiable article de La voix de l'Italie. Au reste, je crois qu'à l'heure qu'il est, le public apprécie Avigdor à sa juste valeur, que vous et moi connaissons depuis longtemps.
Je serai charmé de voir Madame de la Rüe et de lui offrir mes services. Si elle le désire, je tâcherai de lui donner le spectacle d'une joute parlementaire avec Brofferio.
Comment voulez-vous que la discussion du budget chemine, avec des ministres aussi peu habiles que ceux que nous avons? Nigra, à la lettre, n'entend rien à l'administration financière. Il est matériellement impossible qu'il se tire du pétrain, où il est tombé.
Je suis parfaitement de votre avis à l'égard de l'income tax (1). Le seul moyen d'éviter les folies du socialisme c'est de se montrer juste et généreux envers les classes inférieures, ainsi que le font les anglais. L'égoïsme et l'ignorance des classes riches, en France, sont les causes principales de l'état déplorable de ce malheureux pays.
J'ai peu de foi dans nos fonds. Dans quelques jours Nigra demandera l'autorisation d'émettre la dernière portion de l'emprunt qu'il a annoncé l'hiver dernier. Cela produira, je crains, un très mauvais effet. Ce n'est pas que l'argent manque, il est au contraire très abondant, ainsi que le prouve l'ardeur avec laquelle on se porte vers les entreprises particulières. Vous aurez su que le bail des moulins de la ville a échappé à la compagnie Custo, qui croyait
(1) u Je m'attends à ce qu'on en viendra à l'income fax. With the free Trade principles, you must come to that, sooner or later. Better perhaps, do it at ones » (Lettre de Mr de la Rüe au comte Cavour, 18 avril 1850).
tenir l'affaire dans son sac. Cette compagnie, maintenant, songe à établir une concurrence, à peu de distance de Turin.
Savigliano va bien. Il est probable que la concession aura lieu dans le courant de la session.
Je ne saurais vous faire faire une offre pour votre intérêt dans l'affaire Rossi et Schiaparelli pour un tiers, car il faudrait les mettre au fait de toutes choses, ce qui n'est guère convenable.
Il est probable que cette année, l'inventaire présente de 20 à 26 mille francs de bénéfices. Mais, par le temps qui court, les entreprises industrielles sont difficiles à réaliser.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
ccxc.
Turin, 28 avril 1850.
Mon cher ami, Ayant eu à écrire à David}', je ne vous ai , pas répondu de suite. D'ailleurs, je savais qu'il n'y avait pas péril dans la demeure, par rapport à nos rentes.
Nigra sera forcé de réclamer la faculté de contracter un nouvel emprunt, avant que la session ne finisse, c'est-à-dire dans le mois prochain.
Il prétend avoir de quoi aller jusqu'à la fin d'août, et même la fin de septembre. J'en doute fort ; ce dont je suis certain, c'est que Nigra ne sait rien lui-même de positif.
Ce qui m'effraye, c'est le peu d'habileté du ministre et la mauvaise disposition de la Chambre, à l'égard des nouveaux impôts. Comme membre de la commission des finances, j'ai pu me convaincre que beaucoup de députés de la majorité sont d'avis de renvoyer la discussion des nouveaux
impôts après celle du budget, c'est-à-dire aux calendes grecques. Si cela avait lieu, je crains que notre crédit aurait à en souffrir considérablement.
Vous concevez que ce que je vous dis ne repose que sur des appréciations vagues. Je ne voudrais pas que vous opé- riez sur ces notions.
Quant à convertir vos rentes en obligations, je ne vois guère quel profit vous pouvez y trouver. Vous perdez sur l'intérêt, cela est certain. Est-il probable que vous vous rattrapiez sur le capital?
Il y a déjà un écart de 10 p. entre ces deux fonds.
Si le ministre, profitant de la faveur dont jouissent les obligations, s'avisait d'en émettre pour 15 ou 20 millions, il est probable que le taux des deux fonds serait plus en rapport avec leur valeur réelle.
Quant à l'affaire R. S. je vous payerai au bout de 3 ans, mais, en attendant, l'intérêt courrait à raison de 120.
Je voudrais, vous payer fin juin la moitié du compte à 6 p. et l'autre moitié à la fin de l'année, en vous autorisant, dans le cas où vous auriez besoin d'argent, à tirer sur moi à 3 mois.
Adieu, je vous quitte pour aller me quereller avec Farina, à la commission de finance.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
CCXCI.
Turin, 2 mai 1850.
Mon cher ami, Je n'ai pas grand'chose à ajouter aux renseignements financiers que je vous ai donnés dans ma dernière lettre.
Nigra n'a pas encore fixé le jour où il présentera sa de-
mande pour le nouvel emprunt. Le brave homme est fidèle au système d'attendre le dernier moment pour agir.
Il a imaginé de créer 18,000 obligations pour rembourser la Banque, mais je doute que ce projet puisse recevoir son exécution dans la présente session.
Dans le cas de remboursement, je serais d'avis d'augmenter le capital de la Banque et de le porter à 10 millions, afin de pouvoir maintenir la circulation à 30 millions, au moins. Cette mesure pourra, de prime abord, paraître nuisible à la Banque; mais, en définitive, je crois qu'elle lui sera très avantageuse, en lui permettant de ne pas res- treindre ses opérations, qui tendent chaque jour à s'étendre dans un cercle plus large.
Mr Papa m'a présenté Mr Rubattino (1), qui sollicite
(1) Raffaele Rubattino (1809-1881), fonda à Gênes, en 1840, une So.
ciété de Navigation et d'Assurances maritimes, au capital de francs 330,000, divisé en 33 actions, et substitua les navires à vapeur à ceux à voiles. Ce capital fut porté en 1841, à francs 1,450,000, et ses navires faisaient un service régulier de Gênes à Naples, en touchant les ports intermédiaires. En 1850, il obtint du gouvernement une subvention et entreprit un service régulier de messageries entre Gênes et la Sardaigne, et la Société porta alors son capital à francs 1,600,000, divisé en 400 actions de francs 4000. — Le Cagliari, qui transporta, en 1857, l'expédition Pisacane et fut capturé par les vaisseaux napolitains, appartenait à la Société Rubattino, de même que le Lombardes et le Piemonte , qui, en 1860, transportèrent Garibaldi et ses mille légionnaires en Sicile. - En 1865, Rubattino, ayant racheté toutes les actions de sa Société, augmenta encore sa flotte et établit un service entre Gênes, Alexandrie, Bombay, Tunis, Malte et Tripoli, Il acheta alors la baie d'Assab, pour y établir une colonie italienne et une station navale, et le chemin de fer de la Golette à Tunis, qui donna lieu aux incidents que tout le monde connait. — En 1880, il transforma la Société Rubattino en Société en commandite, au capital de 20 niillions, divisé en 40 mille actions de francs 500, et il fusionna sa Compagnie avec celle de Florio de Palerme , qui devint ainsi la Società Generale di Navigazione Italiana , possédant une vraie flotte de navires à vapeur, faisant le service entre Gênes et les principaux ports de
du gouvernement, la concession du service postal de la Sardaigne.
Je suis d'opinion que ce service doit être concédé à l'industrie privée; je désirerais savoir si Rubattino et la Compagnie qu'il représente, sont dans le cas de le faire d'une manière convenable.
La Banque reçoit des masses de papiers de C. et S. en liquidation. Croyez-vous qu'il y ait là dessous quelque mic-mac ?
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXcII.
Turin, 7 mai 1850.
Mon cher ami, Je vous remercie des renseignements que vous me donnez sur Rubattino. Malgré l'avis de l'amiral, je persiste à croire qu'il est essentiel au développement de la prospérité de la Sardaigne, de laisser à l'industrie privée le soin de maintenir des communications régulières entre elle et le continent. Les officiers de la marine royale ont horreur des marchandises et ne les reçoivent à bord, qu'à leur corps défendant. Cela seul suffit pour leur enlever un service dont le but principal doit être de favoriser l'échange des produits des deux pays.
Nigra présentera sa loi sur l'emprunt, dans le courant de la semaine. Grâce au ciel, je serai dispensé de la rude
l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique. — Rubattino ne fut pas seulement un habile administrateur, il fut aussi un vrai philantrope et un patriote libéral. Il fut nommé en 1876 député du 3e collège de Gênes et fit partie du Conseil municipal de cette ville, depuis 1860 jusqu'à sa mort, qui fut pour Gênes, un véritable deuil public.
et ingrate mission de défendre la politique malhabile du ministère; car celui-ci, pour neutraliser l'effet produit par l'arrestation de l'archevêque (1), doit demander aujourd'hui l'autorisation de me poursuivre devant les tribunaux, à cause de mon duel avec Avigdor (2).
Cela me paraît, de sa part, le comble de la stupidité; mais enfin, je ne dois, en aucune manière, m'opposer à ce que la justice ait son cours. Seulement, je suis décidé à ne plus me présenter à la Chambre pendant le cours de cette session, et même, à m'absenter de Turin, jusqu'au jour de mon jugement.
Avigdor, pour éviter l'ennui du procès, est parti pour l'Angleterre; de sorte que je reste seul à porter le poids Ides poursuites du fisc.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Le 4 mai, sur un mandat de l'autorité judiciaire, monseigneur Louis Fransoni, archevêque de Turin, avait été arrêté et enfermé dans la citadelle, pour avoir: 1° adressé aux prêtres de son .diocèse, une circulaire les excitant à resister aux lois de l'État, et les menaçant de punitions financières et spirituelles, s'ils s'y soumettaient ; 2° d'avoir refusé de comparaître devant les tribunaux compétents, pour y répondre <le ce délit. — Cette arrestation souleva une vraie tempête dans le parti clérical (le journal L'Armonia en tête), qui fit de Fransoni un véritable martyr, ce qui n'empêcha pas que, le 23 mai, il fût condamné par le Magistrato d'appello de Turin, à un mois de prison et fr. 500 d'amende, le jury l'ayant, à l'unanimité, déclaré coupable d'offense à la loi par sa circulaire à son clergé, du 18 avril.
(2) Le ministère public et l'avocat général fiscal, par l'organe du garde-des-sceaux, demandèrent à la Chambre de pouvoir poursuivre Cavour et Avigdor, à cause de leur duel. Une commission fut nommée pour étudier la question, et, sur sa proposition, la Chambre repoussa la demande du fisc.
CCXCIII.
17 mai 1850.
Mon cher ami, J'ai reçu à Leri votre lettre du 10 et celle que votremaison m'écrivait à la même date.
Le ministre doit présenter aujourd'hui le projet de la loi de Savigliano. Il croit qu'il ne rencontrera pas de sérieuses difficultés (1).
Il fait, depuis hier, un temps déplorable ; on le considère comme très nuisible à la récolte des cocons. Je crois de même, que les blés commencent à souffrir.
Adieu, à la hâte. Je n'ai pas encore vu nos hommes politiques.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXCIV.
19 mai 1850.
Mon cher ami, La Chambre a envoyé promener le ministère public et a refusé l'autorisation de me faire un procès. Les seuls membres qui ont voté contre moi, sont ceux de l'extrême droite.
(1) Le projet de loi et le chapitre des charges pour la concession du chemin de fer Turin-Savigliano à la Société qui s'était constituée pour le construire et l'exploiter, avec un capital de 7 millions et demi, fut, en effet, présenté le 17 mai au Parlement, mais n'y fut voté que plus tard.
La discussion des lois de finance marche mieux que je n'avais osé l'espérer. Il est possible qu'un certain nombre en soit voté avant la prorogation du Parlement.
Nigra renvoie d'un jour à l'autre, sa demande d'un nouvel emprunt. Il est, pourtant, bien près de ses écus, car il n'a plus à disposer que de 7 à 8 millions sur la rente de 4 millions, et notez qu'il n'a pas remboursé à la Banque de Gênes les 2 millions qui sont échus au mois d'avril.
Malgré cela, le bon ministre est d'une sérénité admirable.
Davidy m'a écrit que vous travaillez avec Mestrezat; je vous conseille de cultiver cette relation, c'est la meilleure que vous puissiez avoir à Turin.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
ccxcv.
26 mai 1850.
Mon cher ami, Nous sommes dans une cruelle anxiété. Mon père est revenu de la campagne, avec une attaque de goutte ; d'abord, nous avons cru que ce n'était rien de sérieux, mais, depuis trois jours, le mal a fait de grands progrès. Hier au soir, son état était inquiétant ; néanmoins la nuit a été passable et ce matin le médecin l'a trouvé mieux. Si la goutte pouvait se manifester dans quelque partie extérieure du corps, il serait sauvé.
Je n'ai plus été à la Chambre, de sorte que je ne sais aucune nouvelle. Je ne regrette pas les débats parlementaires, car, en vérité, la Chambre, et nous autres ministériels en particulier, nous ne brillons que par notre médiocrité.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
cCXCVI.
30 mai 1850.
Mon cher a1Ji Je vous remercie de l'intérêt que vous prenez à l'état de mon père. Depuis dimanche, le mieux qui s'était manifesté, s'est maintenu. Ce matin, cependant, il a eu une forte attaque de nerfs ; mais, comme elle n'a pas eu de suites fâcheuses et qu'au contraire, elle a aidé l'action des remèdes qui lui avaient été administrés, le médecin ne la considère pas comme défavorable.
Je crois que le danger est éloigné, pour le moment; mais il est à craindre que sa santé ne soit fortement ébranlée.
Les trois caisses de liqueurs d'Amsterdam me sont, en effet, destinées. J'en attends encore d'autres, dont voici le connaissement. Ne croyez pas que j'aie l'intention de me brûler le sang en les buvant. Je les ai fait venir pour le club, où l'on fait un large usage de l'eau de feu.
Le temps continue à être défavorable à la récolte des soies. Je suis persuadé qu'elle sera médiocre. Les soies ont beaucoup haussé et, probablement, elles hausseront encore.
Il y a longtemps que je vous ai dit que X était un bonhomme. Je crois qu'il radote un petit peu. Ne rompez pas avec lui, car il est trop honnête et loyal pour mériter un pareil traitement, mais limitez vos affaires et rapportezles sur Mestrezat et J. De Fernex. Choisissez le premier pour les grandes, et le second pour les petites. Mestrezat est maintenant un premier crédit sur notre place, et je crois qu'il le mérite, plus par son intelligence, sa régularité et sa probité, que par une très grande fortune.
Z. est un usurier, mais un usurier fort habile, qui sait dénicher des affaires souvent très bonnes. Il y a beaucoup gagné et, pour peu qu'il continue sur le train où il y va, il sera bientôt une première ligne.
Je n'ai pas de Turin long en portefeuille, mais il peut m'en arriver d'un moment à l'autre, de mes marchands de riz. Si vous m'envoyez votre Turin, je vous en créditerai au pair, valeur à l'échéance.
Nigra présentera lundi la demande de l'emprunt. Il demandera, en même temps, l'autorisation d'émettre des bons du trésor, sans fixer ni l'échéance, ni le taux de l'intérêt.
Il se peut que cela l'aide à aller de l'avant. Cependant, si la hausse continue, comme tout le fait présager, il fera bien de profiter du moment pour en finir avec l'emprunt.
Le Roi a un succès complet en Savoie (1). Je ne sais s'il en sera de même lorsqu'il ira à Gênes.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CcXCVII.
23 juin 1850.
Mon cher ami, Je vous remercie des choses bonnes et affectueuses que vous me dites au sujet de la mort de mon père (2) ; j'étais certain de votre sympatie, car votre amitié est du très petit
(1) Le Roi avait fait un voyage en Savoie, où la population l'avait accueilli avec enthousiasme.
(2) Le marquis Michel Benso de Cavour, mort à Turin le 15 juin 1850; ancien chambellan du prince Borghese, gouverneur général du Piémont, sous le premier Empire et jouissant d'une grande influence à ta Cour de Turin. Il fut pendant plusieurs années « Vicaire » de Turin, charge correspondante à celle de Préfet de police et qui, sous le gouvernement absolu de ce temps, pouvait donner lieu à toute espèce l'actes arbitraires, car tout ce qui se rapportait à la police, à l'édilité, aUx taxes, aux mœurs, etc., relevait du « Vicario ». — L'opinion publique était peu favorable au marquis de Cavour et le comte Camille eut beaucoup de peine à prouver à ses concitoyens, qu'il ne partageait Nullement les idées politiques de son père.
nombre de choses sur lesquelles je compte en ce monde. Vous deviez vous apercevoir, par mes lettres, que depuis longtemps la maladie de mon père nous inspirait de vives inquiétudes. Il a été, dès le moment où il s'est couché, en grave danger. Il a constamment souffert cruellement, mais sa patience et sa résignation étaient telles, que souvent nous nous faisions illusion.
Je m'en vais passer quelques jours à la campagne, pour me mettre à l'abri de mes amis politiques, qui ne voudraient pas me laisser un moment de repos.
Si vous avez à m'écrire, adressez-moi votre lettre à Tronzano.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
eux cVIIL
4 juillet 1850.
Mon cher ami, J'ai reçu à Leri vos deux dernières lettres.
J'ai dû revenir à la hâte, pour assister à la discussion de la loi pour l'emprunt, qui devait commencer jeudi et .que la bêtise de Nigra a fait renvoyer à lundi.
Je ne doute pas que le projet de la commission ne passe, à une grande majorité. Ce vote obtenu, le ministère renverra la Chambre, ou, pour mieux dire, celle-ci s'en ira; car, avec la chaleur qu'il fait, il n'y a plus moyen d'y tenir.
Je m'occuperai des propositions de Guest (1). C'est vous qui les adresserez à la Compagnie; il est inutile d'en parler à G.
(1) Fournisseur des rails pour la ligne de Savigliano.
Rien ne sera décidé à cet égard, jusqu'à l'arrivée de l'ingénieur qui sera nommé. Il est probable que le choix de la Compagnie tombera sur un ingénieur français, vivement recommandé par Mr Ad. d'Eichthal (1), homme qui m'inspire une grande confiance.
Je ne sais pas encore ce que je ferai après la session.
Je crains bien de ne pouvoir m'éloigner de Turin, car il faut, malgré moi, que je fasse marcher Savigliano. Je ne sais pas encore quel parti mon frère voudra prendre; il est probable que, pour le moment, nous demeurerons ensemble. Mon père a légué Santena à mon frère et Truffarello à moi. Du reste, il nous a laissé à chacun hériter par portions égales. Je crois que nous demeurerons indivis, À. moins qu'il ne survienne des événements qui ne modifient notre position réciproque.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCXCIX.
f Turin, 91 juillet 1850.
Mon cher ami, Je vous félicité d'être sorti des ennuis d'une liquidation (2), qui a dû, à certains égards, vous être pénible. Je ûe doute pas que la nouvelle barque dont vous tenez seul le gouvernail, ne vous conduise en peu d'années, à une petite Californie.
(I) Banquier à Paris, cousin de Mr de la Rüe. L'ingénieur qu'il Proposait, était Mr Barrault, ancien ingénieur de la Compagnie de Lyon.
(2) Mr David Julien de la Riie s'étant ritiré des affaires, Mr Éiidle de la Riie restait seul chef de la maison de Banque De la Rue frères, qui prit alors le nom de De la Riie et C.
Le Sénat ayant passé la loi de Savigliano, sans modifications, les fondateurs de la société se sont mis en train d'organiser l'administration, pour pousser la besogne le plus possible. J'ai été chargé de faire venir un ingénieur de France, et, grâce à Mr d'Eichthal, j'espère avoir trouvé notre homme. Maintenant nous allons ouvrir les souscriptions pour placer les 3000 actions que le gouvernement a voulu qu'on laissât à la disposition du public. Je suis certain que les souscriptions s'élèveront au double et peut être au triple de la somme disponible, cela fera un très bon effet et donnera immédiatement une impulsion aux actions. Pour y contribuer de notre part, permettez-moi de souscrire en votre nom, pour 200 actions, qui représentent l'intérêt que je vous ai cédé dans cette affaire. Il demeure bien entendu que.
dans le cas où vous devriez subir une réduction dans votre demande, je parferai avec mes propres actions, le chiffre que vous désirez avoir.
En souscrivant on paye le 10 p. °/0, et un autre dixième dans le mois d'août.
Il n'y a pas de doutes que Savigliano ne donne lieu a de grandes affaires, car on devient chez nous très joueurs.
Nos banquiers ont pris goût aux spéculations de bourse et, jusqu'à présent, cela leur a assez bien réussi. Les dernières oscillations des actions de la Banque ont fait gagner assez d'argent à nos plus fins matois. X., entr'autres, a tondu deux ou trois Génois et, en particulier, un certain Y., d'importance. La baisse était absurde. En effet, le dividende du semestre est de 58 francs par action ; mais, à ce chiffre il faut ajouter 105 mille francs mis en réserve, et 106 mille francs de réescomptes, ce qui porte le bénéfice du semestre à plus de 600,000 francs, touts frais déduits. Les résultats de ce semestre seront plus brillants encore, soit à cause des réescomptes, soit à cause de l'élévation du taux de l'escompte.
Je ne sais trop s'il sera possible de trouver du Turin
ou du Gênes long à 5 p. 010, car l'époque de l'achat des cocons est passée, toutefois, si vous m'envoyez du Turin ou du Gênes dont l'échéance ne soit pas trop rapprochée, il est probable que d'ici à la fin du mois, je pourrai nous couvrir avantageusement. Veuillez seulement faire attention à ce que les remises soient régulièrement timbrées, car la Banque est à cet égard, très sévère. J'ai encore en portefeuille une ou deux de vos anciennes remises, que je n'ai pas pu pour ce motif, faire escompter.
Nigra triomphe dans sa nullité, il nous a pris en défiance Revel et moi, et il s'imagine, de la meilleure foi du monde, qu'il en sait cent fois plus que nous. C'est une chose véritablement comique.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
ccc.
11 juillet 1850.
Mon cher ami, J'ai trouvé une quarantaine de mille francs, de Turin à 3 mois, d'un filateur de soie, qui est passàble et qui d'ailleurs, doit avoir gagné assez d'argent ces trois dernières années. Vous pouvez par conséquent, m'envoyer au delà de 40 mille francs, si vous désirez que nous poussions nos affaires plus loin.
Nous avons préféré un ingénieur français, à un anglais, par la raison bien simple que les anglais sont des bourreaux d'argent et encore nous n'aurions pu avoir d'hommes passables qu'à des prix fous.
J'attends toujours une réponse définitive de d'Eichthal.
Quant à Davidin, je ne sais plus ce qu'il est devenu.
J'ignore complètement les projets de Nigra. Le cher homme lne boude. Si les choses s'arrangent en France, nos fonds
ne baisseront point, car je crois qu'il y a en Europe pléthore de capitaux. Le résultat du dernier trimestre en Angleterre, prouve combien rapidement les capitaux s'accumulent. Notez que jusqu'à présent, l'Europe n'a pas encore ressenti l'influence de la Californie; ce ne sera probablement, que l'année prochaine que l'or de cette contrée commencera à affluer dans le vieux monde. Si, comme plusieurs journaux l'annoncent, la récolte des blés est mauvaise en Amérique, vous verrez un grand mouvement de métaux précieux avoir lieu. Si ces prévisions se réalisent avant la fin du 51, le 3 p. Il /o anglais sera au pair, et tous les autres fonds européens suivront un mouvement ascensionnel.
Dites-moi quelque chose sur les blés à Gênes. Quel est le prix actuel des belles qualités Pologne? Il se pourrait qu'il y eût quelque chose à faire, en cas d'une baisse au dessous de francs 20.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCI.
15 juillet 1850.
Mon cher ami, Je vous envoie ce matin 39,000 de Prandi du Mondovi.
habile fileur, qui fait des organsins qui ont une grande réputation. J'espère accrocher encore une dixaine de mille francs, dans le courant de la semaine.
Le Turin que vous m'offrez, est trop long. Il y aurait un bien faible bénéfice à le changer contre du papier à 3 mois.
Je vous remercie beaucoup des offres que vous me faites au sujet de Savigliano (1), j'en profiterai probablement,
(1) « Je ne sais pas si ma caisse pourra vous être utile pour l'affaire de Savigliano, mais elle est à votre disposition n. (Lettre de Mr E. de la Rue au comte de Cavonr, 12 juillet 18iO.
car j'ai une excellente idée de cette affaire, attendu que nos faiseurs ont la tête montée à ce sujet.
Le blé Pologne à 22, est beaucoup trop cher pour spéculer.
Ici, les nouveaux blés sont à vils prix, je crois qu'on pourrait en acheter sans crainte. Si vous le voulez, nous pourrions refaire une seconde affaire avec Pichiura de Chivasso, homme d'une grande intelligence et honnêteté. Il faut acheter de 3,12 à 3,15, la minette. À ce prix, il n'y a rien à craindre.
Le moulin de Collegno, qui sera en activité au mois de novembre, sera forcé de nous racheter avec un large bénéfice.
H. a gagné de l'argent et passe pour habile; mais il est très joueur.
La Banque a souvent refusé son papier, parcequ'il sentait trop la circulation.
Les frères V. sont d'honnêtes gens, fort intelligents, mais qui n'ont pas beaucoup de fortune. Ils méritent un petit crédit, mais il faut les surveiller.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCII.
Turin, 28 juillet 1850.
Mon cher ami,
Une course de quelques jours à Grinzane m'a empêché de répondre plus tôt à votre lettre du 22.
Je vous envoie 55,000 de mes marchands de riz, la grande baisse nous a fait juger opportun de pousser un peu les achats.
Mestrezat m'a dit que le Londres était difficile à faire, je lui ai dit de ne pas se presser, n'ayant besoin de fonds (-lUe vers le 15, époque à laquelle il me faudra verser les deux premier dixièmes des mes actions de Savigliano.
Je pense que votre maison est chargée de faire les fonds des 50 actions que j'ai cédées à D. en son particulier.
Notre minette équivaut à 23 litres à peu près. On compte 6 minettes pour 7 doubles décalitres. Les nouvelles mesures ne soulèvent pas de grandes oppositions.
Il nous est déjà arrivé de Paris notre sous-ingénieur, Mr de Blonay (1), qui m'a été excessivement recommandé par Davidin et par Mr d'Eichthal, il a une figure qui pré- vient tout à fait en sa faveur. Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCIII.
7 août 1850.
Mon cher ami, Vous aurez appris par les journaux, la mort de mon pauvre ami Sainte Rose (2), et les circonstances douloureuses qui l'ont accompagnée.
(1) L'ingénieur De Blonay, de Vevey: « C'est un jeune homme plein d'ardeur, mon parent, que je puis vous recommander. Il à été employé utilement par des entrepreneurs au souterrain du Blaisy (o più vero nome).
Pour vous donner une idée de son ardeur, il fait, en ce moment, le Chauffeur, pour passer mécanicien de lre classe, ce qui lui donne la chance d'être employé au matériel de quelque gare, comme directeur.
Je suis sûr que ce serait une valuable acquisition ». (Lettre de MrDavidy de la Riie au comte de Cavour. Paris, 10 juin 1850).
(2) Pierre de Saint-Rose, ministre d'agriculture, industrie et commerce, qui avait beaucoup contribué à l'adoption de la loi Siccardi, abolissant le For écclesiastique, était ainsi devenu le sujet des invectives de ceux qui considéraient cette loi comme un sacrilége contre les prérogatives de l'Eglise. Sur le point de mourir, il demanda les consolations de la religion, que le clergé lui refusa, à moins qu'il ne consentît à rétracter formellement ses opinions et ses actes, comme ministre et comme
L'aveuglement et la haine de notre archevêque et de ses aides, sont inconcevables. Il faut avoir vu ce que j'ai vu et ce que j'ai entendu, pour croire que pareilles choses soient Possibles au dixneuvième siècle.
Grâce au ciel et à la fermeté déployée par le gouvernement, il n'y a pas eu de grands scandales dans les rues.
fais il a fallu faire partir le curé de St-Charles et ses Moines, ainsi que l'archevêque. Sans cela, on n'aurait pas pu contenir l'indignation populaire.
Vous devez comprendre combien cette perte m'a été sensible, Sainte Rose étant un de mes plus anciens et meilleurs amis.
Je compte partir dimanche ou lundi, pour aller faire un tour industriel, c'est à dire pour visiter les principales fabriques du pays. Je ne serai pas longtemps absent. Huit à dix jours, au plus.
Je vous envoie 30 mille francs de Turin long; si vous lh' envoyez pareille somme en Turin court, j'en aurai l'emploi.
Bona m'a promis de faire partir dans peu de jours, l'ingénieur Sommeiller (1), pour aller recevoir les rails de Guest.
député. Il s'y refusa noblement, et mourut sans recevoir les sacrements de l'Église, préférant en être privé plutôt que de faire un acte contraire à sa conscience. L'archevêque de Turin refusa de lui accorder la sépulture êcclesiastique, puis fut forcé d'y consentir, et la Population entière y prit part, indignée de l'intolérance du clergé. —
Une émeute s'en suivit et les pères Servites du couvent de St-Charles, d.ollt faisait partie le curé Pittavino, qui refusa les sacrements à Sainte Rose, furent renvoyés de Turin, et l'archevêque, arrêté.
(1) Le célèbre ingeuieur Germain Sommeiller, qui, avec l'ingenieur ^everino Grattoni et Sébastien Grandis, accomplit le percement du fameux tunnel du Mont-Cénis, né en 1815, à St-Jeoire (Savoie). La 1re idée de ce tunnel est due à Médail de Bardonêche, qui, fit en 1832, "Q projet sur ce sujet. Le ministre Des Ambrois de Nevache et le colonel Menabrea, la reprirent et le célèbre ingénieur belge Mauss, lui flQnna un corps par les études qu'il en fit, en 1845, et la machine perforatrice qu'il avait inventée et que Sommeiller et Grandis perfection-
S'il ne l'a pas fait plus tôt, la faute en est à X., qui a remué ciel et terre pour qu'on reçût d'abord les 3000 tonnes qu'il a traitées pour son compte avec Mrs T. et sur lesquelles il gagne 60,000 francs.
Le tour n'étant pas fort honnête, il ne devrait plus avoir part aux bénéfices du premier contrat.
Dans quelques jours nous expédierons à Gênes notre ingénieur, pour visiter les rails de Guest.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCIV.
24 août 1850.
Mon cher ami, Je suis de retour, depuis hier, d'une course dans le Biellais et sur les bords du Lac Majeur (1), faite dans le but de visiter les principaux établissements industriels. J'ai
nèrent. En 1848, Mauss présenta son projet qne Menabrea, Paleocapit et Cavour appuyèrent chaudement. En 1857, le percement du tunnel fut décrété et en 1871, il était accompli. Sommeiller inventa, pour l'exé- cuter, le compresseur à colonne et à trombe et la perforatrice. Le tunnel mesure 12 kilom. de longueur; 4000 ouvriers y furent occupés simultanément et il coûta environ 100 millions. Un monument élevé à Turin, » ait Génie de la Science" consacre le souvenir des 3 ingénieurs qui dirigèrent cette œuvre colossale. — Sommeiller représenta le collège du Taninges (Savoie) à la V législature du Parlement subalpin et lorsqu'en 1860, la Savoie fut annexée à la France, il opta pour l'Italie.
Il fut ensuite député d'Aoste et de Suse. Il collabora aussi aux études du célèbre chemin de fer américain, qui unit l'Océan Atlantique au Pacifiaue. Il mourut en 1871.
(1) En compagnie du comte Henry Martini, exilé lombard, et de l'avocat sicilien Philippe Cordova, un des collaborateurs du Risorgimento. A Stresa, Rosmini les reçut chez lui. avec Manzoni, dont Cavour fit alors la connaissance et qui, après cette entrevue, disait de lui à son ami Berchet: « Ce petit homme (omino) promet joliment n. (MAssARr, Il Conte di Cavour, pag. 91).
été fort content de ce que j'ai vu, et je rapporte la conviction qu'une forte réduction des droits n'ébranlera nullement la plupart de nos manufactures. Les Biellais ont d'immenses capitaux, une prodigieuse activité et beaucoup intelligence; avec ces qualités, je ne vois pas pourquoi ils ne pourraient pas lutter avec les étrangers.
Il n'a pas été question de mon entrée au ministère, sinon dans les cafés et sous les arcades de la rue du Pô. Les ministres actuels ne se soucient nullement, à l'exception de Lamarmora, de m'avoir pour collègue.
Savigliano a baissé, par la raison toute simple que la Manière dont les actions livrées au public ont été distribuées, a fait qu'elles sont tombées entre les mains d'un tas de mauvais spéculateurs qui n'avaient d'autre but que de réaliser un bénéfice quelconque. Je crois qu'elles reprendront, on a fait 5 p. 010 de prime.
Je dois verser 36,000 le 30 de ce mois, pour les actions du Moulin de Collegno. Si vous pouvez m'envoyer d'ici là 40 à 50 mille francs, vous m'obligerez.
Je n'ai pas foi dans la réussite de la mission de Pinelli (1) et le ministère non plus.
J'irai demain, voir Mr votre beau-père et lui demander si je puis lui être de quelque utilité.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Envoyé à Rome pour essayer d'amener le Pape à consentir à un concordat et à l'abolition du For écclesiastique en Piémont; mission qui 11 eut aucun succès, de même que celle du comte Siccardi, envoyé peu aPrès, dans le même but, à Rome.
cccv.
26 août 1850.
Mon cher ami, J'ai eu hier, le plaisir de voir Mr et Mme Granet. Quoique faibles l'un et l'autre, leur santé m'a paru moins ébranlée que votre lettre aurait pu me le faire craindre. Leur intention est d'aller d'abord à Yiù, ensuite au Lac Majeur. Je crois qu'ils ont raison, car l'air de Vià est encore très convenable, il n'y fait pas encore froid, tandis que le climat d'Arone est bon pendant toute l'automne.
J'ai pris la liberté de remettre une lettre pour votre maison, à Mr L. Badino, riche négociant vercellais, qui a un fils à Gênes, qui débute dans le commerce. Si vous pouvez lui accorder ce que je vous demande, je vous en serai re.connaissant.
X. n'a pas envie que la société achête les rails de Guest, l'Intendant et lui, ont dit à plusieurs de mes collègues qu'il n'y en avait plus que quelques centaines de tonnes, les autres ayant été vendues aux entrepreneurs de la galerie des Gioghi. Là dessus, il a été décidé que notre ingénieur n'irait à Gênes qu'a son retour de Paris. Je n'ai pas mis beaucoup d'insistance dans cette affaire, de peur qu'on ne crût qu'il s'agissait d'un intérêt personnel.
Les bruits relatifs à un changement de ministère n'ont pas de fondement. Azeglio et ses collègues se présenteront aux chambres et, très probablement, ils auront la majorité, comme par le passé.
Puisque Mr Goldsmith désire avoir le cours des fonds de Gênes, soyez assez bon pour adresser deux ou trois fois par semaine, votre listino au directeur du Risorgimento.
Vous arrive-t-il quelques fois de recevoir des cargaisons de morues avariées, que vous vendez à vil prix?
Les blés sont en voie de hausse, chez nous, cependant le mouvement n'est pas encore bien décidé.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCVI.
28 août 1850.
Mon cher ami, Je pars ce soir pour le conseil provincial de Verceil, après {tyoir assisté à celui de Turin. Vous voyez que je remplis scrupuleusement mes devoirs de citoyen.
Je serai de retour la semaine prochaine; écrivez-moi néanmoins, à Turin.
Si la rente ne monte pas, la faute en est à Nigra, qui, devant 21 millions à Rothschild, ne sait pas se décider à traiter le nouvel emprunt.
Vous comprenez que tant que le Baron ne l'aura pas entre les mains, il empêchera la hausse. Il faut être aussi peu malin que l'est Nigra, pour ne pas comprendre cela.
Ne croyez pas aux bruits de modification ministérielle, ils n'ont aucun fondement.
Si vous voulez spéculer, achetez des actions de la Banque, au-dessous de 1600, elles ne resteront pas long-temps dans ces cours.
X. et Y. ne valent à peu près rien par eux-mêmes; ce sont de simples agents de Z. et, comme celui-ci est un véritable fripon, il peut les sacrifier d'un moment à l'autre, si c'est son intérêt. Ils font, d'ailleurs, des affaires hors de toute proportion avec leurs moyens pécuniaires.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCVII.
10 septembre- 1'850.
Mon cher ami, Vous devez me croire mort, sinon enterré; il n'en n'est rien cependant, je suis encore plein de vie, seulement je sors d'un accès d'apathie complète, qui a duré pendant plusieurs jours et qui m'a retenu à Leri, plus que je ne l'avais d'abord calculé.
Que voulez-vous, il y a des moments oit l'âme s'affaisse sous le poids des petites contrariétés, qui s'accumulent d'une manière fatigante, sur les hommes qui ont embrassé la vie politique. Cela arrive surtout lorsqu'il n'y a pas de mo-
biles pressants qui nous poussent à agir.
Enfin, j'ai secoué ma paresse et suis revenu reprendre mon poste à Turin. Je n'ai jamais eu le projet d'aller à Gênes; sauf le plaisir de vous voir, rien ne m'appelle dans cette ville. Une courS3 à Gênes, dans ce moment, serait mal interprétée.
Ma position vis-à-vis du ministère, m'impose une prudence et une réserve extrêmes. Je ne puis, ni ne veux, me prêter aux vues de l'opposition ; d'autre part, je dois conserver une entière indépendance.
Je n'ai pas vu, et ne verrai probablement pas, Nigra.
J'ignore ses projets. Il se vante d'avoir préparé un plan de finances complet; tant mieux. Je désire, de tout mon cœur, de pouvoir lui prêter mon entier appui.
Je vous serais infiniment obligé de me procurer, dès que l'occasion s'en présentera, une ou deux balles de café, de qualité analogue à celle que vous m'avez maintes fois expédiée.
Je ne vous parle pas politique, car je ne sais rien de particulier, et que vous ne puissiez apprendre par les journaux. Tous les jours davantage, je me sens dégoûté de la France. Je commence presque à lui préférer l'Autriche.
J'éprouve surtout, une aversion croissante pour le parti légitimiste; je serais fort embarrassé si je devais choisir entre lui et les rouges.
Adieu, à la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCVIII.
18 septembre 1850.
Mon cher ami, J'ai fait une course jusqu'à Savigliano, pour examiner en détail les travaux de la ligne, et me mettre en mesure de prendre part, avec connaissance de cause, à l'administration de cette affaire.
La baisse des actions est causée par l'empressement des souscripteurs des 3000 actions, à vendre, et, aussi, peutêtre, à cause de l'impopularité de X.
Nous remédierons à cette cause, en nous occupant de l'affaire, Bolmida et moi.
Nigra était décidé, il y a huit jours, à conclure avec Rothschild ; j'ignore s'il l'a fait, mais j'en doute fort ; c'est déplorable.
La rente est soutenue, parcequ'en général, on a confiance dans nos fonds et que l'argent est probablement abondant.
Je ne sais si c'est X qui achète ; en tout cas, ne lui faites qu'un crédit très limité. C'est un joueur, qui a gagné assez d'argent, mais qui peut, d'un moment à l'autre, le reperdre avec ce qu'il n'a pas.
Les actions de la Banque sont faibles, parceque nos plu s habiles faiseurs se sont retirés du marché. Si elles baissent au dessous de 1600, je crois qu'ils recommenceront à spéculer.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCIX.
21 septembre 1850.
Mon cher ajiti, Je sue, sang et eau, pour organiser Savigliano. Il y a une foule de petites susceptibilités, qu'on a la plus grande peine du monde à mettre d'accord. J'espère que nous en viendrons à bout, mais ce ne sera pas sans avoir acquis des droits à de nombreuses indulgences.
Demain il me faut aller à la hâte à Verceil, pour assister à la commission des rizières, et empêcher qu'on ne mette de trop fortes entraves à la culture du riz. Je ne serai de retour que la semaine prochaine. Soyez assez bon pour envoyer, avant samedi, à Mr Tosco, le bon sur la Banque, de 50,000 francs que vous me destinez.
Les ministres sont inconcevables. Ils s'en vont disant à tort et à travers, que je dois entrer au ministère, et à moi ils ne me font pas la moindre ouverture. Il faut que ces Messieurs me supposent le plus grand de tous les benets, ou, ce qui est probable, qu'ils soient eux-mêmes les plus fiéfés animaux de la terre.
On m'a annoncé comme certaine l'arrivée a Turin du grand baron. Nigra en est excessivement vexé. Je ne conçois pas pourquoi, car Rothschild, se donnant la peine de venir ici, ne s'en ira pas sans avoir conclu son emprunt, dût-il le payer 1 p. 0 plus cher.
Pour le moment, il n'y aura pas de souscription pour les gens du pays. En effet, le moment serait mal choisi pour cette opération financière.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
cccx.
24 septembre 1850.
Mon cher and, J'ai le regret de vous annoncer que je n'ai pu parvenir à mettre d'accord notre ingénieur avec le comité. Mr Barrault a des formes excessivement âpres et manque absolument de tact. Le comité est amoureux de ses pouvoirs. Les esprits se sont aigris, et mes efforts pour amener une conciliation ont été vains.
J'ai donné ma démission de membre du comité. Il est probable que, pour sortir d'embarras, on mettra la ligner en adjudication. Ce sera fàcheux au point de vue de l'art, mais avantageux pour les actionnaires qui voudront réaliser.
Du jour où l'on sera certain que la ligne ne coûte pas plus de 6 à 7 millions, les actions vaudront de 10 à 20 p. de prime.
Adieu, je vais monter en voiture pour aller à Verceil.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXI.
6 octobre 1850.
Mon cher ami, J'avais prolongé mon absence de Turin, afin de ne pas me trouver avec Rothschild. Il me paraissait peu convenable, dans ma position exceptionnelle, de me mêler offi-
cieusement de la négociation de l'emprunt. Je pense que vous approuverez ma conduite.
Pendant que j'étais à Leri, attendant le départ de Rothschild, j'ai reçu une lettre d'Azeglio, qui me pressait de venir lui parler, me donnant à entendre qu'il s'agissait d'une proposition ministérielle. Là dessus, je suis parti et je suis ici, depuis hier au soir.
Vous écrivant ce matin, à la lumière, je ne puis encore rien vous dire de l'emprunt, ni du résultat de mi conférence avec Azeglio. Je vous assure que je suis dans les dispositions d'esprit les plus conciliantes. Je regarde que d'entrer dans le ministère, dans ce moment, est pour moi un grand malheur. Je m'userai inutilement. D'ailleurs, je crois, comme vous l'indiquez, que la plupart des ministres ont la plus grande répugnance à me voir aller m'asseoir à côté d'eux. Aussi, la coupe du pouvoir, loin de me paraître énivrante, me fait l'effet d'être empoisonnée.
Je me trouve aussi dans quelque embarras momentanés, d'argent. Grâce à Savigliano, pour lequel j'ai déboursé 100,000 francs, et la Société des riz qui m'absorbe 200,000 francs, je serais gêné si, étant au ministère, je ne pouvais faire escompter ici, ou à Gênes, par votre entremise, des traites de mes marchands de riz, pour une centaine de mille francs.
A la fin de l'année, la Société des riz finit, et alors je rentrerai dans la plus grande partie de mes fonds, et serai fort à mon aise. Mais, pour marcher jusqu'à la fin de janvier, si la ressource de la Banque me manque, j'aurai besoin de votre appui. Pouvez-vous me prêter sans vous gêner ? Il est possible, même probable, que je n'aie besoin que de 40 ou 50 mille francs; mais, si les rentrées que j'attends n'arrivaient pas, si les riz continuaient à se mal vendre, je pourrais avoir besoin de près de 100,000 francs.
Je finirai ma lettre en revenant de chez Azeglio.
Il est deux heures; je n'ai que le temps de vous dire
que sur beaucoup de points nous sommes près de nous ntendre, mais qu'il y a encore des difficultés à vaincre. On veut me charger de la marine, à laquelle je n'entends goutte, on veut m'adosser un poids au-dessus de mes forces.
Adieu, à vous de cœur.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXII.
8 octobre 1850.
Mon cher aiiii, Après trois jours de pénibles hésitations, j'ai fini par céder et accepter le ministère. J'ai cédé surtout, aux désirs du Roi, et, plus encore, aux instances de Lamarmora. D'A -
^eg-lio a été assez bien, ainsi que Galvagno. Jusqu'ici, je n'ai pas vu Nigra; je veux qu'il soit bien établi que la responsabilité de l'emprunt pèse sur lui seul.
Je suis dans le plus grand embarras pour le premier officier (1). D'Azeglio voudrait Persano (2) ; mais tous ceux qui le connaissent, s'accordent à dire qu'il est trop impétueux pour une place de ce genre. Pelletta (3) est un ancien ami, que j'ai toujours fort affectionné, mais il est lié au prince de Carignan, dont il faut se garder plus que de toute autre chose. D'ailleurs, il est, sur plusieurs questions relatives à la marine marchande, dans des opinions un peu rétrogrades.
(1) C'est-à-dire le secrétaire général de marine, agriculture et commerce Cdénartftmftnt de la marine).
'--r--- -------- -- -- ---- ----, (2) Le comte Charles Pellion de Persano, alors capitaine de vaisseau.
(3) Le chevalier Emilio Pelletta di Cortanzone , alors capitaine de Aisseau de Ie classe et directeur de l'Arsenal royal maritime.
Se — BERT. Lettres de C. Carour.
Lamarmora me parle d'un marquis Serra (1), qu'il dit excessivement capable. Le connaissez-vous et pouvez-vous me procurer à son sujet, des informations précises ? Il m'importerait surtout de savoir comment sa nomination serait goûtée par le corps ; car, avant tout, il ne faut pas débuter par un acte impopulaire. Je vous prie de me parler, à cet égard, avec la plus entière franchise et d'user della massima circospezione.
Adieu, à la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXIII.
13 octobre 1850.
Mon cher ami, Je vous remercie de tous les renseignements que vous m'avez donnés. D'après ce que j'ai recueilli de toutes parts, je crois que je choisirai pour premier officier Serra-Cassano.
Je regrette excessivement de ne pas pouvoir donner cette place à mon ami Pelletta. Mais, lorsque vous saurez ce que je vous dirai à ce sujet, vous me donnerez raison.
Le ministère a reçu des offres d'une Société représentée par Mr Figoli Carlo (2), pour l'établissement d'un service
régulier de bateaux à vapeur, entre Gênes et la Sardaigne.
Veuillez me dire ce que c'est (3).
(1) Le marquis François Serra di Cassano, capitaine de vaisseau.
(2) Charles Figoli, de Gênes, se consacra de bonne heure aux affaires et fonda dans cette ville une grande Société de navigation. Les électeurs de Novi le nommèrent député à la VIIe législature, où il siégea parmi les libéraux de la droite. Il fut nommé sénateur en 1872.
(3) Il était question d'établir un service régulier de 3 vapeurs, qui auraient fait 72 voyages par an, entre Gênes et la Sardaigne. Ces navires auraient été fournis par une Compagnie dont Mr Figoli était le représentant à Gênes (Lettre de la Riie à Cavour, 25 octobre 1850).
Il faut, mon cher, qu'en cessant d'être mon correspondant d'affaires, vous continuiez à être mon confident. Je lle connais personne à Gênes, et, quand-même je connaîtrais toute la ville, je n'aurais en personne, autant de confiance qu'en vous.
Ce que vous me dites sur mes affaires, est parfaitement Juste. Je m'en vais tout liquider, mais, pour cela, il me faut du temps et votre aide.
Vous allez voir arriver Pinelli, si déjà il n'est entre vos niurs.
Je ne saurais assez vous dire combien le Roi m'a bien accueilli.
Si je puis vous être bon à quelque chose, ici ou à Gênes, rappelez-vous bien, que, pour vous, je ne suis, ni plus ni 1110ins, que votre ami Camille.
Tout ce qui est affaire, veuillez l'écrire à Mr Tosco (1).
Si vous adoptez, dans votre correspondance avec lui, la lallue italienne, vous lui rendriez un grand service.
Ecrivez-lui: À Mr Martino Tosco — Casa Cavour Torino.
Adieu.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXIV.
28 novembre 1850.
Mon cher ami, J'ai été fâché de ne pas pouvoir suivre vos conseils sur le choix du premier officier de la marine, malgré que je fusse convaincu qu'ils étaient conformes aux vœux de la Majorité des officiers. Des raisons très graves m'ont em-
(1) Secrétaire du comte de Cavour.
pêché de choisir Mr Ricci (1). Si vous désirez les connaître, adressez-vous à Pelletta ; il vous dira que j'ai bien fait.
Mr Serra n'est pas un aigle, mais il a toute la capacité qu'il faut, pour bien remplir le poste auquel il est appelé.
Je ne veux pas annuler le pouvoir du commandant en chef, et tout concentrer à Turin. C'est ce qui serait arrivé avec Ricci, et c'est ce qui aurait eu de funestes conséquences.
Au reste, j'ai fait pour le mieux, sans prévention, ni passion ; car je ne connaissais pas même l'existence de Ricci et de Serra.
Nigra est malade, saigné trois fois et menacé d'une quatrième opération; c'est fâcheux, au moment de l'ouverture du Parlement.
Adieu, vous pouvez vous imaginer tout ce que j'ai à faire.
Votre ami CAMILLE DE CAVOUR.
PS. Je serai charmé de vous voir à votre passage; je travaille à la maison jusqu'à 9 heures, à 9 heures je vais au ministère jusqu'à 3 heures, et à 3 heures il y a le conseil jusqu'à 5.
Le meilleur moyen de me voir, est de venir dîner avec moi. Adieu.
(1) Le marquis Giovanni Ricci, capitaine de frégate, ministre de If, marine, du 8 décembre 1862 au 22 janvier 1863 (Cabinet Farini). Cf" l vour le tenait en très haute estime pour son caractère et ses capacités- — « Le marquis Di Negro est certainement, après Ricci, le plus c&'
pable et le plus estimé de nos officiers n. (Lettre de Cavour au Boh
14 décembre 1860).
cccxv.
12 décembre 1850.
Mon cher ami, Je vous remercie de vos lettres; je fais examiner l'affaire des conserves, que vous me recommandez.
D'Eichthal m'écrit une lettre fort intéressante, sur la dépréciation de l'or. Il croit les craintes, à cet égard, fort exagérées, sauf le cas où le gouvernement français démonétiserait ce métal.
J'écris aujourd'hui, à notre ministre à Paris, de s'informer des intentions de Mr Fould à cet égard.
L'affaire de Savigliano recevra une solution à l'assemblée générale, qui aura lieu le 5.
Veuillez dire à Bombrini que je l'engage à demeurer Neutre. Je ne lui demande pas de se prononcer contre Bolmida, mais seulement de ne pas appuyer le nom de G. qui nous a été si funeste dans cette affaire.
Les dames de la Reine ont conspiré, ces jours derniers, Pour le rétablissement des pages (1). Heureusement que le Roi a déjoué l'intrigue, et sauvé la Cour, du ridicule énorme que cette résurrection d'une institution surannée aurait jeté sur elle.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(I) Bien malgré lui, le comte de Cavour avait aussi été page du Prince de Carignau, dans sa jeunesse, et il avait toujours conservé une Profonde aversion pour cette institution , qu'il considérait comme une flontesticité humiliante pour les jeunes gens de familles nobles qui étaient appelés à en remplir les fonctions.
CCCXVI.
Turin, 22 décembre 1850.
Mon cher ami, Je prends une part bien vive au malheur qui vient de vous frapper (1).
Quoique la nouvelle vous en soit arrivée inopinément, vous deviez, hélas! vous y attendre, car vous aviez laissé Mr votre père dans un état qui ne laissait plus d'espoir.
Mr votre père sera regretté de tous ceux qui ont eu l'avantage de le connaître. En mon particulier, je ne puis oublier toutes les bontés qu'il a eues pour moi, toutes les fois que j'ai eu le plaisir de le rencontrer.
Je suis, en effet, fort occupé, même trop, pour pouvoir bien faire tout ce que j'ai entrepris. Si je ne réussis pas, ce ne sera pas faute de bonne volonté. Jusqu'à présent, j'ai trouvé une grande condescendance dans mes collègues, et beaucoup de sympathie dans la Chambre. Cela durera-t-il?
Ce ne serait pas sage de l'espérer pour longtemps.
Je me considérerai, toutefois, comme fort heureux, si je parviens à aider le pays à faire quelques pas dans la voie qui doit le sortir de la position financière difficile, où il se trouve.
Encouragez Mr Taylor à venir me voir. J'ai besoin de causer avec lui, au sujet de la Darse. Mais persuadez-lui de m'apporter des calculs exacts, et non des données hypothétiques.
J'attends l'amiral, qui doit venir à Turin, j'ai grand besoin de lui parler. Pendant son absence, Pelletta aura le commandement, je ne suis pas fâché de voir ce qu'il fera.
(1) La mort de Mr Jean de la Rue, père de Mr Emile, mort à Genève, à l'âge de 89 ans.
J'ai reçu un rapport fort grave sur Mr X., qui revient de Montevideo. On prétend que cet officier s'est laissé outrager publiquement, sans demander raison, et que, par suite, il passe pour un lâche. Pourriez-vous me fournir quelques renseignements sur son compte? Connaissez-vous à Gênes, des personnes ayant des correspondants à Montevideo, sur lesquels on puisse compter? Dans ce cas, tâchez de savoir d'eux, s'il est vrai que, dans les premiers jours de septembre, Mr P. a été rossé par les parents d'une femme qu'il avait outragée.
La commission nommée par le gouvernement français pour examiner la question de l'or, est divisée. Mr Thiers est pour la démonétisation immédiate, mais, jusqu'à présent, la majorité ne partage pas son opinion.
Les dernières nouvelles de Californie portent que l'exploitation de mines de mercure commençait à donner de grands résultats. Si cette nouvelle se confirme, si le prix de ce métal baisse considérablement, la production de l'argent augmentera rapidement, et la proportion ancienne entre la valeur des deux métaux, tendra à se rétablir.
Dans ce cas, ce sera la valeur des métaux précieux qui baissera, au grand profit des gouvernements qui ont de grandes dettes. Mais ce ne sera pas de sitôt.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXVpis.
24 décembre 1850.
Mon cher ami, Il m'est venu une idée, que je vous communique de la manière la plus confidentielle. Le Parlement a autorisé le ministre des finances à émettre 18 mille obligations, pour rembourser la Banque. Cette condition, toutefois, n'est pas
tellement vitale qu'il soit impossible d'en disposer autrement, sauf à obtenir un bill d'indemnité.
J'ai pensé qu'on pourrait, peut-être, aliéner ces obligations à des maisons d'Allemagne, sur les places de Frankfort et de Vienne, où ce genre de titres est, dit-on, assez recherché.
Les preneurs se chargeraient de payer ce qui reste dû à l'Autriche, à Vienne même, ce qui pourrait leur procurer un fort bénéfice sur le change.
Si vous croyez que cette idée soit réalisable, communiquez-la, comme venant de vous, à vos amis Goldsmith et Sina. C'est une affaire qui devrait leur aller. Je crois qu'ils seraient bien aises de jouer un petit tour à Rothschild, et, moi, je serai charmé de faire une niche à ce juif qui nous jugule.
Si ces messieurs nous font une offre convenable, Nigra l'acceptera, soyez en certain, car lui aussi commence à être fatigué du grand Baron.
D'Auvare est ici, je l'ai trouvé moins ahuri que je ne le craignais.
Adieu, à la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXVII.
Turin, janvier 1851.
Mon cher ami, Vous pouvez accorder à l'avocat Sella, chef de la maison Sella et C., un crédit illimité. Je vous réponds qu'il a une fortune de 2 à 3 millions et, son frère et associé, J. B.
Sella (1), en a une plus considérable encore. Cependant, comme il y a beaucoup de Sella, faites attention que votre
(1) Jean Baptiste Sella, grand industriel à Biella. Député de Broglio, sénateur en 1853, oncle de Quintino Sella, ministre des finances, en 1852, 1865 et 1869.
correspondant soit celui dont je vous parle. L. A. Sella vient d'acheter une maison à Turin, et il ne veut pas vendre les nombreux titres de rente qu'il possède. Je suis étonné qu'il ait besoin d'argent, car, l'autre jour, un de ses fermiers, qui lui paye 20 mille francs par an, étant venu à Turin, pour lui demander un délai de quelques jours, pour le payement du loyer de l'année dernière, il lui a répondu de le payer quand il le voudrait, n'ayant pas besoin de fonds.
JIais, l'avocat est un original, et il est possible qu'il ait en vue quelque grande spéculation. Ce qu'il y a de certain c'est que la Banque place le crédit des Sella et Comp. au même niveau que celui des Nigra, des Barbaroux et des Cotta.
Nigra m'a fait voir toute sa correspondance avec X , de laquelle il résulte évidemment, qu'il a été mis dedans, de la manière la plus indigne.
Si les mines de mercure donnent autant qu'on l'espère, la production de l'argent augmentera énormément, et alors ce seront les métaux précieux qui baisseront de valeur. Si la production de l'or se maintient à 250,000,000, et que celle de l'argent s'élève à une somme plus forte, alors nous verrons, dans peu d'années, le prix de toutes choses augmenter considérablement.
Nous avons eu une lutte parlementaire très vive, au ujet du budget de la justice (1). Le pauvre Siccardi, accoutumé à triompher, sans peine, des vieux Codini, s'est laissé complètement abattre par les attaques passionnées de la gauche. Je suis venu hier à la rescousse, et j'ai lieu de croire que l'honneur de la journée est resté au ministère.
Le discours de la Reine d'Angleterre fera mention du traité de commerce avec la Sardaigne.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Le budget portait à 6,600,000 francs ce chapitre, qui comprenait, outre les frais de justice, ceux du culte.
CC CX VIII.
27 janvier 1851.
Mon cher ami, 27 janvier 1851. J'ai reçu votre note en faveur de l'avocat Morchio (1), je la transmettrai à Nigra, avec recommandation, sachant fort bien qu'il est moins sanguinaire que son fils, le féroce triumvir.. Je vous remercie de ce que vous me dites sur le traité avec la France. Vous verrez dans peu de jours, de bien autres discussions, relatives à deux traités qui vont être conclus avec la Belgique et l'Angleterre (2), et qui consacrent le principe de la liberté de commerce. Ces traités, dont on ne se doute pas, et dont un est cependant déjà signé, seront un grand événement économique. Ils donneront lieu à des débats excessivement animés, et, peut-être, ils feront naître contre moi, qui en suis l'auteur, des oppositions acharnées.
N'importe, je suis décidé à les affronter pour pousser le
pays dans la seule voie qui puisse le sauver.
Il y a conflit entre les deux conseils de Régence de Gênes et de Turin, à l'égard du dividende. Les génois se conduisent, à mon avis, en véritables Robert-Macaire. Ils ne veulent pas porter au compte profits et pertes, la perte sur l'or, qu'ils ont laissé accumuler dans leurs caves. Ils prétendent que l'or remontera, qu'une perte non réalisée est une perte imaginaire, et mille autres sornettes pareilles.
X. se conduit ignoblement. Il est venu à Turin, en .cachette, et il est parvenu à mettre dedans le brave Nigra,
(1) Père de l'avocat David Morchio, compromis dans les affaires de rlrênes, en avril 1849. Monsieur Morchio était l'avocat habituel de la naison De la Rue et C.
(2) Traités de commerce et de navigation.
qui, jusqu'alors, avait une foi entière dans sa délicatesse.
Cette scission me fait désespérer de pouvoir donner à la Banque nationale un développement en rapport avec les besoins du pays.
Turin est, on ne peut plus, animé. Les bals se succèdent sans interruption. Cela calme un peu l'irritation réactionnaire de certains salons. Les esprits les plus chagrins sont forcés d'avouer que jamais notre ville n'a joui d'une plus grande prospérité.
La Chambre des députés devient assez raisonnable. Enfin, les apparences sont favorables, et l'on peut dire que le Piémont est, pour le moment, le pays de l'Europe, où l'esprit révolutionnaire est le moins actif et le moins dangereux.
Ne vous laissez pas prendre aux raisonnements du gouvernement français, et tenez pour certain que la valeur de l'or, relativement à l'argent, et la valeur intrinsèque de ces deux métaux, baisseront plus rapidement que l'on ne l'imagine. Les dernières nouvelles d'Amérique ne me laissent aucun doute à cet égard.
L'argent hausse progressivement, à New-York ; en douze mois, il a gagné 3 p. %, sans que ce mouvement s'arrête.
Comme la valeur relative de ces deux métaux ne peut varier d'un pays à l'autre, que dans d'étroites limites, il est évident qu'en Europe, un changement analogue à ceux réalisés en Amérique, doit se produire.
L'effet de la Californie commence seulement à se faire sentir. Si les mines continuent en 1851, à être aussi productives qu'en 1850, la livre sterling tombera à 24.50.
Adieu, mille amitiés, continuez à m'écrire et à me faire savoir ce qu'on dit à Gênes de la marche du gouvernement.
Votre dévoué CAMILLE DE CA YOUR.
CCCXIX.
Turin, 4 février 1851.
Mon cher ami, Je vérifie l'affaire de A. Celui-ci est un frère de X., chef et seul associé de la maison J. Il est sorti de la maison depuis dix ans, et a acheté un grand domaine. Il est un peu benet, et n'a aucun talent, ni aptitude pour les affaires, aussi, a-t-il perdu assez d'argent. Dernièrement, il s'est mis dans la tête de monter une fabrique de draps à N., dans le voisinage des magnifiques établissements de Sella frères et Sella et Comp. N'ayant pas la capacité nécessaire pour diriger une fabrique, je ne doute pas qu'il ne fasse de mauvaises affaires et qu'il ne finisse par se ruiner.
Le danger, cependant, est encore très loin, car, malgré sa bêtise, il n'a pas réussi à manger la fortune que son père lui a laissée.
Quant aux deux maisons X. et Y., je vous répète que vous pouvez les mettre sur la même ligne que Nigra et Barbaroux. X., chef de la maison X., est un des hommes les plus distingués du pays, il a gagné énormément d'argent et, dans ce moment, je crois qu'il a au moins 1,300,000 de fortune. Je regrette, en conséquence, que vous ayez fait quelques difficultés à lui fournir des florins. Il paraît que vous leur avez écrit une lettre qui les a vivement blessés.
Quant à la maison Y , qui a pour chef l'avocat Y., celui dont on ne voit jamais le blanc des yeux, c'est le plus riche des deux, elle est archimillionnaire, et, quoique l'avocat soit un original, son originalité ne l'a jamais porté à faire de mauvaises affaires.
Je vous écris, pendant que Sineo prononce un des discours les plus ennuyeux qu'il ait jamais prononcés (1).
Adieu et bonsoir.
Votre dévoué ami CAMILLE DE CAVOUR.
cccxx.
22 février 1851.
Mon cher ami, Je m'empresse de vous faire part du mariage de ma nièce Joséphine avec Charles Alfieri, le fils unique de mon ami César Alfieri, l'ancien ministre.
Ce mariage, qui, au premier abord, paraît être une affaire de convenance, a été, au contraire, le résultat d'une inclination réciproque, car les grands parents des époux n'ont pris aucune initiative et ne sont entrés en pourparler que lorsque le mariage était combiné entre les jeunes personnes.
Je vous prie de communiquer cette heureuse nouvelle à Davidy, à qui je dois deux réponses, desquelles je m'acquitterai très prochainement. Adieu.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Sur la validité de l'élection comme député de la Spezia, du marquis Giuseppe Ricci.
CCCXXI.
7 mars 1851.
Mon cher ami, Je dois vous rassurer sur le fait de la note de l'Autriche, dont vous me parlez (1). Rien de pareil n'existe. Il est vrai, toutefois, que cette puissance tient, depuis quelque temps, à la France, un langage qui peut faire soupçonner des intentions passablement hostiles à notre égard. La France à manifesté, à ce sujet, des idées suffisamment positives, pour croire que l'orage qui nous menaçait soit conjuré.
Nigra patauge, je ne sais trop comment l'en empêcher.
Je ne puis prendre sur moi la responsabilité d'une opération qu'il a fort embrouillée et que je ne serais pas le maître de diriger d'une manière absolue. Je le regrette profondément ; mais, comme je ne vois d'autre remède au mal, qu'une crise ministérielle, je considère qu'il serait plus fâcheux que les inconvénients de l'état actuel des choses.
J'espère que Savigliano va se redresser. Il faudra encore un peu de patience, car le moment actuel n'est pas favorable à l'esprit de spéculation.
Ce diable de Persano, en a fait des siennes. Au lieu d'envoyer un rapport à l'amiral, comme c'était son devoir,
(1) u La nouvelle courait à la Bourse, aujourd'hui, que le ministère a reçu une note violente de l'Autriche, menaçant de faire avancer ses troupes; que la Chambre, dans une séance secrète, a assigné 2 '/2 millions à d'Azeglio, pour qu'il fasse marcher des forces à la frontière, et qu'on appellera deux contingents sous les armes n. (Lettre de Mr de la Rue au comte de Cavour, 5 mars 1851).
il lui a adressé une lettre insolente, ce qui me force, à mon grand regret, à le mettre sous un conseil de guerre (1).
Je vous serai obligé de me dire l'effet que cette mesure produira à Gênes, lorsqu'elle sera connue. Je suis certain que le bon d'Auvare (2) en est tout ahuri.
Les fabricants de draps, de coton et de fer, sont furieux contre moi. Ils font le diable pour faire rejeter le traité avec la Belgique, et, comme ils ont trouvé dans Revel un auxiliaire puissant, ils me donneront certainement du fil à retordre.
Mais je suis prêt au combat.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) L'amiral comte Charles Pellion de Persano, alors capitaine de frégate. Quatre mois auparavant, sortant de Gênes, sur la frégate Le Grovernolo, il avait échoué, par suite d'une manœuvre mal exécutée, mais, peu de jours après, il entrait, sans pilote, dans la Tamise, excitant l'admiration de la marine Anglaise. Ayant trouvé à Londres, une lettre du commandant général de la marine Sarde, qui lui demandait un rapport sur l'accident de Gênes et lui reprochait de ne pas l'avoir encore fait, Persano répondit par une lettre offensante, à la suite de laquelle il fut rappelé à Turin, condamné aux arrêts et soumis à un conseil de guerre, qui l'absout pour insubordination, mais ne le réintégra pas dans le commandement de son navire.
(2) Philippe A. Corporandi d'Auvare, contre-amiral de la flotte sarde, chargé du commandement de la marine. Né à la Croix (Nice) en 1806, fit la campagne de Tripoli, en 1825, avec le grade de sous-lieutenant de vaisseau, celle de 1848, contre l'Autriche, avec le grade de capitaine de vaisseau, — nommé contr'amiral, en mai 1845, et commandant général de la marine royale, la même année, prit sa retraite en 1859, avec lA ornrlp do vif»P-simirsil
CCCXXII.
22 mars 1851.
Mon cher ami, Veuillez me répondre, poste courante, pour m'informer sur la moralité d'un polonais, W., qui est venu me communiquer de grands projets financiers.
Il est porteur de lettres de recommandation de plusieurs personnes honorables de Gênes, qui parlent de lui comme d'un homme jouissant d'un discret crédit.
La politique intérieure va son train. Si ce n'était la question financière, je serais tranquille, mais celle-là me donne de grands soucis. Nigra est d'une incapacité effrayante.
Ma nièce se marie jeudi prochain et part immédiatement pour Paris.
Dites-moi, je vous prie, ce que valent les actions du Gaz et si on peut facilement les vendre.
Je suis accablé d'affaires. Il faut préparer la loi de douane, qui sera le complément des traités. Ceux-ci seront vivement attaqués par Revel, par Sella et par Brofferio, mais il paraît qu'une grande majorité leur est acquise.
La vie de ministre est bien rude. — Je pense que Persano va arriver et que son procès sera vite expédié L'affaire de la Banque traîne (1) au Conseil d'État. Spinota, qui devait l'examiner et faire un rapport, est saigné six fois. C'est déplorable.
Adieu, croyez à ma bien vive amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) La fusion des Banques de Gênes et de Turin, pour former la Banque Nationale.
CCCXXIII.
8 avril 1851.
Mon cher Émile, Nigra s'est retiré, et j'ai dû prendre sa place. Il laisse la position compromise, mais, certes, non désespérée (1).
M'en tirerai-je? Je l'ignore. J'apporte, beaucoup de bonne volonté et d'énergie. Cela suffira-t-il ? L'avenir en décidera.
Plus mal que cela allait, cela n'ira pas.
Si vous aviez 48 heures à perdre, et que vous puissiez me les sacrifier, j'aurais le plus grand plaisir à causer
(1) Lorsque le comte de Cavour prit la direction des finances, son premier soin fut d'établir l'état dans lequel son prédécesseur, Mr Nigra, avait laissé l'administration financière du pays, et de faire un plan pour parer aux besoins du présent et de l'avenir. Dans ce but, il fit arrêter immédiatement les comptes au 1er aviil 1851, et, le 8 mai, il put déjà faire aux Chambres l'exposé complet de la situation financière du pays; d'après lequel il résultait un budget pour 1851, présentant un déficit de 68,000,000 et que pour arriver à la fin de l'année, il fallait: 1° Émettre 18,000 obligations de 1000 fr. pour payer à la Banque l&s avances qu'elle avait faites à l'État et faire cesser le cours forcé de ses billets; 2" Rembourser à Mrs M. de Rosthschild, leur créance de 25,000,000, et 3° Opérer la vente des 2 millions de rentes, complément des 6 millions eréés par la loi du 12 juillet 1850 et demeurés libres dans les mains du ministre des finances. Mr de Cavour, persuadé que pour se tirer d'affaire, il fallait avant tout sortir de la dépendance de M. M. de Rothchild, refusa les avances qu'ils lui offraient et se décida : lU À faire face aux dépenses courantes extraordinaires, au moyen de l'émission de bons du Trésor (autorisée en 1850 et dont Mr Nigra n'avait pas fait Usage) et d'avances temporaires de la Banque Nationale. 2° À émettre, au moyen d'une souscription publique, les 18,000 obligations, dont le produit était destiné à solder le compte de la Banque et à faire cesser le cours forcé de ses billets. 3° À contracter en Angleterre, un emprunt de 3,600,000 livres sterlings, soit francs 75,000,000, garanti sur 27 — BERT. Lettres de C. Cavour.
avec vous et à vous consulter sur plusieurs points intéressants (1).
Mais je ne veux pas être indiscret, en insistant pour que vous fassiez une course à Turin.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXXIV.
avril 1851.
Mon cher Émile, Je vous prie de passer au Conseil des ministres, (aux affaires étrangères), et de m'y faire appeller. J'ai ouvert la lettre de Mr Charles Hambro, et j'ai besoin de causer, sans délai, avec vous.
A la hâte.
CAMILLE DE CAVOUR.
les chemins de fer de l'État (Emprunt Anglo-Sarde). — Ces mesures eurent un succès complet et, en particulier, celle de l'émission des bons du Trésor, dont le ministre négocia dans le courant de juin, pour environ 7 millions, qui lui permirent de payer l'avant-dernier terme de l'indemnité de guerre due à l'Autriche, échu en mai, et qu'on n'avait pas pu payer plus tôt, faute de fonds. La souscription ouverte pour l'émission de ces 18,000 obligations, s'éleva bien vite, à 33,000,000, c'està-dire à peu près au double des rentes à distribuer, résultat d'autant plus remarquable que le taux d'émission avait été fixé à 90 francs et que la rente 5 /0 n'était alors côtée, à Paris et Turin, qu'à 80 et 82.
(1) En particulier sur l'emprunt de 75,000,000 de francs représentant un capital nominal de 3,600,000 livres sterlings, avec hypothèque sur les chemins de fer de Turin-Gênes et du Lac Majeur, à négocier en Angleterre, opération à laquelle Mr de la Riie prit une part fort active, étant en relations assez intimes avec Mr E. Hambro.
cccxxv.
18 mai 1851.
Mon cher ami, J'ai retenu l'obligation Danoise (1) Dans la semaine, je présenterai le projet de loi pour l'emprunt.
Adieu, je suis accablé.
Tout à vous CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXXVI.
20 mai 1851.
Mon cher ami, Je vous envoie deux lettres d'H.
Je doute que je puisse obtenir, de sitôt, le vote nécessaire pour la négociation de l'emprunt (2).
Vous avez le temps, par conséquent, de vous décider pour le voyage de Londres.
(1) u La bonne réussite des emprunts du Danemark et de la Norvège a augmenté l'innuence que la maison Hambro exerce sur le marché de Londres et sur ceux du nord de l'Europe n. (Lettre du comte de Cavour à Mr de Revel, juin 1851). Mrss J. Hambro et C. étaient les banquiers de la Cour de Danemark.
(2) La discussion commença à la Chambre, le 14 juin.
J'enverrai à Mr H. le rapport Menabrea (1).
Les affaires de Nice sont plus ridicules que graves (2).
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXXVII.
30 mai 1851.
Mon cher Émile, Je vous envoie la lettre, ci jointe, de Mr H.
Je dois vous prévenir que votre ami, Mr Lombard (3), m'ayant écrit pour me proposer un projet d'emprunt d'après les principes américains de convertibilité, je l'ai prié de venir à Turin, et que nous avons ensemble arrêté des bases que je me suis empressé de transmettre sur le champ à Mr H. pour qu'il voulût bien me dire ce qu'il en pense.
Si vous pouviez faire une course à Turin, je vous les
(1) Sur le chemin de fer du Mont-Ceuis. Le général Louis Frédéric Ménabrea, de Chambéry, actuellement ambassadeur d'Italie à Paris, fut un des élèves les plus distingués du célèbre professeur Plana et remplit pendant longtemps les fonctions de professeur de mécanique et de constructions à l'Académie Militaire de Turin. Député du collège de S. Jean de Maurienne, il collabora à La Concordia, et se distingua à la Chambre, par sa connaissance des affaires militaires et des travaux publics. En 1859 il dirigea l'assaut de Peschiera et combattit vaillamment à Palestro et Solferino. En 1860 il dirigea le génie à Ancône. Ministre de la marine en 1862, des travaux publics en 1864, présida le cabinet en 1867, ambassadeur à Londres en 1867. Il eut une large part dans la décision du Parlement pour les travaux du Mont-Cenis.
(2) À l'occasion de la nouvelle loi douanière, la question de l'abolition du port-franc de Nice avait été discutée au Parlement, et une vive agitation s'était manifestée dans cette ville, pour protester contre cette abolition.
(3) Mr Lombard, de la maison Lombard-Odier de Genève.
expliquerai en détail, c'est nouveau, mais cela peut être séduisant. Tel est, du moins, l'avis de Mr Lombard, qui me fait l'effet d'un homme fort capable.
Vous avez vu avec quelle facilité la loi des obligations a passé. Celle de la Banque (1) rencontrera de plus.grandes difficultés ; toutefois, je crois qu'elle sera adoptée, la commission nommée par la Chambre ne contient qu'un seul membre, Farina (2), qui lui soit tout à fait hostile.
La grande difficulté du moment, c'est le traité avec la France (3), je ne sais pas encore si nous parviendrons à la vaincre.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXXVIII.
2 juin 1851.
Mon cher ami, Je vous envoie la lettre, ci-jointe, d'H.; je garde son plan. Le temps presse, je pense que vous feriez bien de venir causer quelques instants avec moi.
Recevez mes amitiés, à la hâte.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Le comte de Cavour avait proposé un projet de loi qui doublait le capital de la Banque Nationale, le portant de 8 millions, à 16 millions, afin de la mettre ainsi en état de pouvoir efficacement aider le gouvernement dans des moments difficiles. Cette loi ayant rencontré une vive opposition, le comte de Cavour la retira, pour le moment.
(2) Paul Farina, député de Gênes.
(d) Le traité de commerce et navigation.
CCCXXIX.
3 juin 1851.
J'ai une lettre d'A. que je vous transmets, en vous renouvelant la prière de venir, sur le champ, à Turin.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
cccxxx.
6 juin 1851.
Mon cher ami, Mr de Revel accepte (1); il partira aussitôt après le vôte de la Chambre des députés. Je ne doute pas que son nom n'exerce une excellente influence en Angleterre, où son frère (2) a résidé longtemps.
Croyez-vous qu'il serait possible de se procurer quelques millions de Paris et de Londres, et à quelles conditions?
Ce serait pour payer l'Autriche. Répondez-moi de suite.
La discussion de l'emprunt aura lieu mercredi ou jeudi.
Revel partira probablement dimanche.
(1) Le comte Octave de Revel accepta de partir pour l'Angleterre, revêtu de la qualité de Commissaire royal, muni de pleins pouvoirs, pour y négocier la grande opération financière, à laquelle Cavour tenait particulièrement, « afin de nous affranchir de la dépendance de Rothschild, devenue, depuis quelque temps, si funeste à notre pays. »
(Lettre de Cavour au comte Revel, juin 1851, CHIALA, I, p. 447).
(2) Le chevalier Adrien de Revel.
Les obligations (1) s'émettront samedi prochain; le prix d'émission sera de 900.
Adieu, à la hâte.
CAMILLE DE CAVOUR.
Tachez de souscrire au moins pour deux millions.
CCCXXXI.
8 juin 1851.
Mon cher ami, Je vous attends mardi matin; nous causerons de toutes nos affaires, et je vous mettrai en rapport avec Revel.
Adieu, à la hâte.
CAMILLE DE CAYOUR.
CCCXXXII.
30 juin 1851.
Mon cher ami, Je suis désolé que Mr H. persiste à vouloir ouvrir la souscription à 84. Je le suis plus encore, de ce qu'on attribue, en grande partie, cette fâcheuse détermination à l'influence que vous éxercez sur Mr H.
Vraiment, après nous avoir bercé de 90, quand nos fonds étaient à 80, venir éxiger 84, lorsqu'ils sont à 84,50, c'est inconcevable. Si j'étais à Londres, je romprais, plutôt que de souscrire à de pareilles conditions.
(1) Les 18,000 obligations destinées à rembourser la Banque, de ses avances, et à faire cesser le cours forcé de ses billets.
Je vous parle en toute franchise. Je ne puis pas m'expliquer la manière de procéder de Mr H. Si, en effet, l'emprunt se fait à 84, je le réaliserai, mais j'en serai hautement mécontent (1).
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCUXXXIII.
9 juillet 1851.
Mon cher ami, Je vous demande pardon de ma boutade. Je vous-ai écrit dans un moment de découragement. Maintenant que le succès a dépassé mon attente, il ne me reste plus qu'à vous remercier de toutes les peines que vous vous êtes données (2).
Je vous prie d'adresser mes félicitations à Mr Hambro, en lui témoignant combien j'apprécie l'exquise délicatesse, dont il a fait preuve pendant toute cette négociation.
Croyez, mon cher, à ma sincère affection.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) « Je partage vos perplexités et vos angoisses. Le retard que la discussion de la loi a subi, nous a été fatal. Il est certain que si nous avions pu conclure, il y a 10 jours, le taux d'émission aurait pu être fixé à 86 ou 87. L'action des banquiers de Paris nous a été nuisible.
(Lettre du comte de Cavour à Mr de Revel, 30 juin 1851). Ce taux était cependant bien élevé, puisque le 5 Rothschild ne dépassait naq alnrs ft 1 fr»nr».a
(2) u Je ne saurais assez vous dire quelle vive satisfaction j'ai éprouvée en apprenant la conclusion de l'emprunt. Je vous avoue avoir été, pendant quelques jours, en proie à la plus vive anxiété.
En définitive, le prix de 85 me parait hautement satisfaisant, je ne pense pas qu'on pût espérer mieux, vu l'état de notre crédit sur les marchés du Continent". (Lettre à Mr de Revel, 5 juillet 1851).
CCCXXXIV.
Turin, 15 juillet 1851.
Mon cher ami, Nous venons de passer de bien mauvais quarts d'heures; j'espère néanmoins, que le moment difficile est passé. Le coup était bien monté (1), si les baissiers avaient pu empêcher le versement, nous étions flambés. Rothschild fait la sainte Nitouche, et parle de venir au secours de notre rente, en faisant acheter. Il finira par contribuer à la hausse.
Au reste, je sais que la bonne réussite de l'affaire est due à la manière dont Mr Hambro s'est conduit, je vous prie de le remercier de ma part, et de lui adresser mes compliments bien sincères (2).
Puisque vous êtes à Londres, vous devriez vous occuper de l'affaire de la Darse. Malgré le froid accueil que le projet de la Spezia (3) a reçu, je suis décidé à le repré-
(1) « Rothschild a tout vendu, il ne lui reste plus aucune de nos rentes entre les mains ». (Lettre à Mr de Revel, 6 juillet 1851). « L'emprunt a fini à temps, car il me parait que nos ennemis étaient sur le point d'émouvrir l'opinion publique contre nous. Le baron James avait annoncé que nous échouerions ; il s'était même permis un jeu de mots sur notre compte, en disant que : l'emprunt était ouvert, mais non couvert ». (Id., 9 juillet 1851).
(2) Soit à cause de l'élévation du cours, soit à cause de l'opposition organisée par Rothschild, la souscription ne fut pas couverte et n'atteignit que 2,200,000 liv. st. Ce résultat, fâcheux au point de vue moral, tourna à l'avantage du trésor, en laissant à sa disposition, des rentes, dont il n'avait pas besoin pour le moment, et qu'il put aliener, peu à peu, plus tard, à des cours beaucoup plus élevés que le prix d'émission.
(3) Le transport de l'arsenal et de la marine militaire, de Gènes à la Spezia.
senter à la session prochaine, et j'espère le faire approu- ver. Mais, pour cela, il faudrait que j'eusse la certitude de pouvoir vendre la Darse. Tachez d'en parler à quelques grands industriels. Je sais que Mrs Anderson, les entrepreneurs du Palais de Cristal, avaient manifesté le désir de faire quelque chose en Piémont.
Le dock de Génes serait une entreprise digne d'eux. Le digne Thompson pourrait vous aider, car il a, m'assure-ton, un grand crédit à la Bourse de Londres.
Occupez vous de cette affaire, allez visiter les docks de Liverpool et ceux de Birkenhead, et, en revenant à Gênes, avec l'appui de quelques solides John Bull, mettez-vous à la tête d'une société, vous y gagnerez beaucoup d'argent et vous immortaliserez votre nom.
La session est finie. Tout est passé, sauf la Banque, qui est venue trop tard. Ce sera pour cet hiver.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
cccxxxv.
28 juillet 1851.
Mon cher ami, La nouvelle de la mort de Mr G. Oclier (1), m'a profondément affligé. Mr Odier était un ancien ami de mon père, et il a toujours été plein de bonté pour moi. Dans les dernières circonstances, il a rendu de véritables services à notre pays. C'est une perte pour nous, une perte pour Paris, qui ne compte guère d'hommes aussi distingués et animés de sentiments aussi élevés que Mr votre beau-frère.
(1) Mr Gabriel Odier, banquier à Paris, beau-frère de Mr Émile de la Eue.
Je vous prie d'exprimer à Madame Odier mes profonds regrets et ma bien vive sympathie pour son malheur.
- Je comprends que vous prolongiez votre séjour à Paris, dans cette circonstance, et que vous restiez quelque temps auprès de votre sœur, à qui vous devez être d'un grand secours.
Mr Hambro vous croit de retour, car il vous a adressé deux lettres à mon adresse.
D'après votre autorisation, je les ai ouvertes. Ce Monsieur Hambro est le phénix des banquiers, c'est un homme excellent; je comprends qu'il ait fait la conquête de Revel.
Je l'aime comme un ami. Par égard pour Revel, je ne lui ai pas encore écrit directement, mais je vais le faire pour lui exprimer toute ma reconnaissance et ma satisfaction pour la manière dont il a conduit nos affaires.
Pensez à l'affaire des Docks, nous la traiterons à votre retour.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXXXVI.
3 août 1851.
Ion cher ami, J'ai reçu la lettre que vous m'avez adressée en arrivant à Gênes, je vous remercie des renseignements que vous me donnez sur les changes.
Demain, l'inspection du trésor vous expédiera le Naples, le Messine, le Palerme et une partie de Livourne, et je vous écrirai d'office.
Vous m'obligerez en continuant à aider Rossi et Schiaparelli, que je continue à garantir.
L'affaire que vous m'avez recommandée, en particulier,
avant de partir, était faite depuis longtemps, ce qui prouve toute la sollicitude du ministère.
La souscription a dépassé le pair, j'écris à Mr Hambro pour lui en faire compliment.
Je viens de rabattre 400,000 sur l'offre que m'a faite Rothschild pour des tabacs.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXXXVII.
7 août 1851..
Mon cher ami, Pour vous témoigner ma satisfaction de votre manière d'opérer, je vous envoie ce qui me reste du Livourne, avec près de 200,000 francs de Marseille.
Je crois, en effet, qu'il convient de se hâter de négocier le papier à l'étranger, car, plus nous approcherons du moment auquel la Banque reprendra ses payements en numéraire, plus il y a de chances de voir baisser les changes.
Je suis la victime de Mr Haslewood (1), depuis hier. Je serais charmé de causer avec lui, s'il parlait moins vite, et s'il comprenait quelques mots de français. Je m'use à rechercher dans ma tête toutes mes vieilles phrases anglaises. Je crois avoir fait sa conquête en lui témoignant mon enthousiasme pour le guano. C'est son côté sensible.
Je lui ai promis que vous feriez des affaires en guano; quoique cela sente mauvais, cela peut rendre beaucoup.
(1) Mr Édouard Haslewood, banquier à Londres, recommandé à Mrde Cavour par le comte de Revel. « Mr Haslewood est ici, depuis deux jours. Je fais ce qui dépend de moi, pour faire honneur à votre recommandation, et j'espère que, malgré l'horrible anglais que je suis forcé de bredouiller pour me faire comprendre de lui, il ne sera pas mécontent de l'accueil qu'il aura reçu au ministère » (Lettre de Mr de Cavour à Mr de Revel, 8 août 1851).
Dimanche, il viendra dîner a Santene et lundi il repart pour Gênes, où il n'arrivera probablement que mardi, car il veut faire une partie de la route à pied. Maus l'accompagnera.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXXXVIII.
26 août 1851.
Mon cher ami, Je vous remercie de votre lettre du 25. Je m'empresse de vous annoncer que j'arriverai à Gênes, lundi soir, et que j'irai débarquer chez Feder, qui m'a promis de me préparer Un petit appartement. Le Roi arriverà le 5 (1). Vous Voyez par là, qu'il est de toute nécessité que vous différiez votre départ pour Londres, de quelque temps.
Il paraît que le Municipio se décide à penser au Dock, ce qui m'irait à merveille.
Je vous prie de m'envoyer le compte détaillé des différentes opérations que vous faites pour les finances, dès qu'elles sont terminées.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Victor Emmanuel n'était plus revenu à Gênes, depuis la révolution d'avril 1849. — Le ministère crut bien de lui conseiller d'y faire une visite. — Cavour et d'Azeglio l'y accompagnèrent. L'accueil qu'ils y furent, fut plutôt froid et le Roi et ses ministres durent en être Péniblement impressionés. « Je crois que, sans se faire illusion, on Peut considérer le voyage du Roi comme ayant produit un effet utile ».
(Lettre du comte de Cavour à Mr de Revel, 10 septembre 1851).
CCCXXXIX. I Gènes, 3 septembre 1851.
Je vous prie de venir me trouver, car je ne puis bouger, et je voudrais combiner avec vous la lettre pour Hambro.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXL.
Turin, 2 octobre 1851.
Mon cher ami, J'ai reçu votre bonne lettre du 29 (1). Je vous en remercie, ainsi que des nouvelles politiques, qui me font l'effet de ce que j'ai reçu de plus raisonnable, depuis longtemps.
Je prends mon parti de la baisse, n'ayant pas besoin de vendre, pour le moment. Allez, au plus tôt, à Londres, ranimer Hambro : à votre retour à Paris, vous m'écrirez pour me dire si vous croyez qu'on puisse combiner quelque opération pour faire remonter les fonds. Il faudrait faire agir par des gens sûrs, qui ne nous vendissent pas à Rothschild.
Je pense que si on faisait acheter, au comptant, une centaine de mille livres de rentes, par plusieurs maisons, à l'insu les unes des autres, cela produirait un excellent effet.
Il est bon, toutefois, d'attendre la fin d'octobre ; au retour de l'assemblée, les craintes du coup d'état disparaîtront.
Votre féroce beau-frère (2) m'écrit qu'il a besoin de faire escompter les traites que je lui ai remises. Dites-lui de
(1) Mr de la Riie était alors à Paris.
(2) Mr William Granet, beau-frère de Mr de la Rüe.
n'en rien faire. J'ai payé 10,000 francs pour vos actions de Savigliano, et je tâcherai de vous verser encore, une 40,000 avant la fin de l'année.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXLI.
6 octobre 1851.
Mon cher ami, Je suis désolé que vous ayez cherché à mettre dedans, ces pauvres finances (1). Il faut avoir l'âme bien dure pour ne pas avoir compassion de l'état misérable dans lequel elles se trouvent. Enfin, comme le résultat définitif sera Une recette extraordinaire pour le trésor, je suis tout disposé à vous accorder l'absolution, moyennant une bonne pénitence pécuniaire. Je vous engage à écrire à votre beaufrère, d'aller trouver le directeur des douanes, qui sera fort accommodant sur tout, sauf la question fiscale. Je vous envoie force Livourne pour vous dédommager de l'amende lue vous allez payer. J'ai écrit une longue lettre à Hambro pour lui demander son avis sur une opération relative au 5 p. Rothschild. Allez lui donner courage.
Je vous prie, étant en Angleterre, de me traiter et de terminer l'affaire guano. Si Haslewood ne peut me procurer directement, de cet engrais, soit du Pérou, soit de Messieurs A. Gibbs et Comp., faites-m'en acheter, de 100 à 150 tonnes, Par votre neveu, de toute première qualité, et voyez qu'on nie l'expédie à Gênes, sans délais.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) J'ignore à quoi cette lettre fait allusion. Probablement, à quelque :llvoi, fait de Londres, à Mr de la Rue, et dont le contenu n'avait pas eté régulièrement déclaré à la douane.
CCCXLII.
17 octobre 1851.
Mon cher ami, Votre lettre du 14 courant est venue me trouver dans mon lit, où je suis retenu depuis 8 jours, par une maladie inflammatoire. Veuillez l'écrire à Mr H., en attendant que je lui réponde, en détail, sur les 400 mille livres. Je n'ai aucune difficulté à les lui laisser entre les mains jusqu'à ce que j'en aie besoin, ce qui ne peut avoir lieu que fin janvier. Seulement, je suis fort agité à cause de la tournure des événements politiques. Si la baisse se déclare après décembre, que ferons-nous ? Cela me donne la fièvre, rien que d'y penser.
Vous ne me dites pas un mot du guano, cependant il faut en finir; en conséquence, otez tout ordre à Haslewood, et écrivez, tout bêtement, à votre neveu, de m'acheter au mieux, 100 tonnes à peu près, de guano de l'île de Chincha.
de première qualité, et de me les expédier à Gênes, à votre adresse.
J'ai envoyé 20000 francs à votre beau-frère, j'espère lui envoyer bientôt, pareille somme.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
fJerivez-moi les impressions de la Bourse.
CCCXLIII.
7 novembre 1851.
Mon cher ami, Je vous remercie des excellentes lettres que vous m'adressez ; si je n'y réponds pas, c'est que je suis, à la lettre, accablé d'affaires. Que mon silence ne vous décourage pas, je vous en prie.
Haslewood m'annonce avoir payé le guano de Messieurs Gibbs, L. st. 1409, qu'il a retirées de Mr Hambro. J'espère qu'il m'enverra un compte précis.
Je désirerais bien connaître l'époque précise de l'arrivée du guano à Gênes, pour pouvoir prendre mes mesures pour le faire conduire, à peu de frais, à Leri. Tachez de m'éclairer à cet égard.
La session va s'ouvrir dans quelques jours. Je crains qu'elle ne soit passablement orageuse.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXLIY.
lrr février 1852.
Mon cher ami, Je réponds à votre lettre du 27, je regrette de ne pas l'avoir fait plus tôt. Tenez-vous aux instructions de Hambro.
Après une fièvre de hausse, nous avons subi un accès furieux de baisse. Cet accès passera et nos fonds, comme les français, reprendront leur équilibre entre 90 et 95. Je ne suis pas pressé d'argent, et j'aime mieux attendre, que 28 — BXÎBT. Lettres de C. Cavour.
de forcer les cours. J'avais cru convenable d'accepter une offre définitive de Rothschild, pour vendre, à prix fait, les 2 millions de rente 5 p. qui nous restent, mais, puisque cette offre n'a pas été ratifiée, j'aime mieux courir la chance de l'avenir. S'il n'y a pas de guerre, la rente haussera et beaucoup. Si, au contraire, la guerre éclate, je serai justifié si des mesures extraordinaires deviennent nécessaires.
Revel a agi d'une manière indigne et perfide. — Ma conduite à son égard me donnait droit à attendre d'autres procédés. Mais, dans ce moment, le parti réactionnaire se croit tout permis pour remercier le ministère.
Croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXLV.
21 mai 1852.
Mon cher ami, Si j'ai quitté le ministère, j'ai eu de graves raisons pour le faire (1). Ma position n'était plus tenable. Je ne pou'
(1) A l'occasion du connubio, c.-à.-d. de l'évolution qui avait amené le Centre gauche, dirigé par Rattazzi, à fusionner avec le Centre, et à laquelle le comte Cavour avait largement contribué, quelque mécontentement s'était déjà manifesté chez quelques membres du cabinet.
Ce mécontentement s'accentua plus encore, lorsque Rattazzi, avec l'appui de Cavour, fut nommé président de la Chambre, tandis que ses collègues du ministère auraient désiré que Boncompagni fût nommé à cette charge. Après une discussion très vive, à ce sujet, entre Cavour et son collègue Galvagno, ministre de l'intérieur (22 mai 1852), le premier donna sa dimission, et tous les autres ministres en firent autant.
Le même jour, d'Azeglio fut chargé par le Roi de former un nouveau cabinet, dont Cavour et Farini seraient exclus. — D'Azeglio accepta à contre-cœur ce mandat, persuadé que, si, avec Cavour, le ministère avait eu beaucoup de peine à se soutenir, sans Cavour, il était nll
vais pas continuer a porter, seul, le fardeau des travaux Parlementaires, en laissant Azeglio faire avec la diplomatie, Une politique contraire à celle que je m'efforçais de faire triompher à la Chambre.
Azeglio est souffrant et affaibli; le moral se ressent de son état physique. Il ne pouvait plus se trainer après moi.
ttn beau jour, la corde s'est rompue. Maintenant, il faut subir le ministère qu'à grand peine, il est parvenu à reconstituer. C'est une nécessité comprise par tout le monde.
La crise passée, Azeglio devra se retirer, car il a perdu tout Prestige à la Chambre, et, alors, le choix devra tomber sur Revel ou sur moi. Je vous remercie de ce que vous me dites d'aimable, je le mets sur le compte de notre ancienne amitié.
J'ai écrit une longue lettre confidentielle à Hambro, pour le rassurer.
Je viens d'acheter mon guano pour l'année prochaine.
Je pense que je puis compter sur vous pour le payer, car vous devez, comme tous les banquiers du monde, ne plus savoir que faire de votre argent.
Dites-moi à quel prix se vendent les actions du gaz, car J aurais bien envie de m'en défaire. Demain, je pars pour Leri, écrivez-moi à Turin.
Adieu, croyez à ma bien sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
nistère condamné d'avance. Le nouveau cabinet fut composé de: Azeglio, président — Pernati di Momo, intérieur — Dabormida, extérieur — Boncompagni, grace et justice et instruction publique — amarmora, guerre — Cibrario, agriculture, commerce et finances — Paleocapa, travaux publics. — Ce cabinet, qui fut le 2e présidé par Azeglio, demeura au pouvoir jusqu'au 4 novembre 1852, où Cavour ut chargé de former un nouveau ministère (1er cabinet Cavour).
CCCXLYI.
Turin, 17 juin 1852.
Mon cher Émile, Je vous annonce mon prochain départ pour Londres et Paris. Je passerai par le Rhin et la Belgique, et ce ne sera qu'à mon retour que je visiterai la France. Je laisse les affaires et la politique dont je suis très fatigué.
Annoncez, je vous prie, mon arrivée à Hambro, qui me recevra bien, j'espère, quoique je ne sois plus ministre.
Thiers (1) est ici, j'ai beaucoup causé avec lui, il nous porte aux nues. Quand même ce serait de la blague, cela fait toujours plaisir à entendre.
Vous m'obligeriez beaucoup, en envoyant à Fosco un bon de L. 10,000 sur la Banque, j'ai besoin de cette somme jusqu'au premier juillet.
Adieu, je vous écrirai encore un mot, avant de monter en voiture.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Mr Thiers, exilé de la France après le coup d'État du 2 déceni- bre, était venu passer quelques jours à Turin. Voyant la prudence avec laquelle Cavour se conduisait après sa sortie du ministère, et l'appui qu'il donnait au nouveau cabinet, au lieu de le combattre, comme oU
s'y attendait peut-être, l'illustre homme d'État français aurait dit: ,,011 peut tout espérer d'un pays où les hommes les plus influents quittent le pouvoir, pour appuyer avec leurs amis, le gouvernement qui s'est séparé d'eux ». — (Correspondance inédite de M. A. Castelli avec M. ffIinghetti, citée par CHIALA, I, p. 262).
Dans une lettre, en date du 27 juin, à une dame lombarde, demen- rant à Paris, Mr Thiers disait, entre autres éloges sur le Piémont, soll esprit et ses institutions : « J'y ai vu un pays sage, un gouvernement excellent et une armée admirable ».
CCCXLVII.
28 juin 1852.
Mon cher ami, Je comptais partir aujourd'hui, la discussion de la loi sur la Banque me retient encore (1), je ne partirai que demain. Je ne regrette pas ce retard, car, par l'amendement que j'ai proposé, j'ai amené la Banque, par l'organe de BOlmida, à porter son capital, dans le courant de l'année prochaine, à 24 millions.
Je n'ai pas insisté pour qu'il fût de 32, de suite ; car je Pense que 24 millions suffisent pour un assez grand nombre d'années.
Quant à Savigliano, je vous conseille de ne pas vendre, du moins avant que la ligne ne soit ouverte jusqu'à cette Ville, ce qui aura lieu dans trois ou quatre mois, au plus.
Les rails sont posés jusqu'à Carmagnole; dans le courant de la semaine prochaine ils atteindront peut-être Raconis.
Il est probable qu'alors, on commence à ouvrir cette preInière section de la route, qui sera très productive, grâce a la concession de l'usage, presque gratuit, du tronc de Truffarello à Turin.
Les actions, à mon avis, devront alors dépasser le pair.
Malgré toutes les fautes qui ont été faites, on n'a pas jeté de l'argent et aucun événement imprévu n'est venu dé-
(1) Avant de partir, le comte de Cavour prit encore une part active la discussion des lois proposées par le cabinet dont il avait fait partie, e'est-à-dire, des lois concernant la concession de la ligne de Turin à ovare, les modifications aux tarifs douaniers, et la faculté accordée a la Banque Nationale, de porter son cnpital de 16 à 24 millions.
ranger les calculs primitifs. C'est là une circonstance rare jusqu'ici, dans les entreprises industrielles.
Écrivez-moi à Londres, chez Mrs Heath, chez lesquels.
si vous me le permettez, je prendrai .les fonds dont j'ai besoin.
J'ai vu hier le Roi, qui m'a remis la croix du mérite civil (1), ce qui prouve que nous ne sommes pas brouillés, comme on voudrait le faire croire.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXLVIII.
Londres, 10 juillet 1852.
Mon cher ami, J'ai reçu ici, en arrivant, la lettre que vous m'avez écrite le 2 courant. Je vous remercie des ordres que vous avez transmis à Mr Heath. Je crains bien, d'être obligé d'en faire un large usage, car, en Angleterre, les guinées coulent des mains, comme de l'eau.
N'étant à Londres que depuis deux jours, je n'ai guère eu le temps de voir les hommes politiques. J'ai couru, avant hier, à Oxford, pour assister à la nomination des candidats à la députation de l'Université, et hier j'ai assisté à la proclamation des députés de Westminster. J'ai vu, en consé-
(1) Le Roi et les nouveaux ministres, comprenant combien il était important pour eux de se maintenir en bons termes avec le comte Cavour, décidèrent, de commun accord, de lui décerner la croix Iln mérite civil et de le charger officieusement de s'occuper à l'aris et à Londres, des négociations relatives à l'indemnite requise par le prince Florestan de Monaco, pour la cession de ses terres de Roquebrune et Menton, qui, en 1848, s'étaient révoltées contre son autorité, pour s'unir au Piémont.
quence, plus de mob que d'intelligences. Les quelques individus que j'ai rencontrés, appartenant tous au parti lihéral, se montrent très satisfaits. Je crois qu'ils éxagèrent leur satisfaction. Jusqu'ici, ce qu'on peut dire c'est que le ministère a gagné quelques voix, mais qu'il espérait en gagner davantage, que ces succès ne suffisent pas pour le constituer en majorité.
Ce qui réjouit le plus les wighs, ce n'est pas le peu de pertes jusqu'ici essuyées, c'est surtout, la défaite des Peelites.
On peut dire que les Peelites, comme parti, vont disparaître de la scène, et c'est là ce qui plait si fort aux amis (te lord John Russel, qui redoutent sir James Graham autant que lord Derby.
Je n'ai pas eu encore le temps de voir ni Mr Heath, Ni Mr Hambro. J'irai demain les chercher à la Cité.
La faiblesse des actions de la Banque ne m'étonne pas.
Les spéculateurs ne comptaient que sur 8 millions, à payer, et sur l'émission de 8000 titres. Au lieu de cela, ils doivent payer 16 millions et il y aura 24,000 nouveaux titres. À
Ihon avis, je crois que les nouveaux titres débuteront par te cours de 1200, ce qui porte à 1800 les titres actuels.
Il y aura ensuite, une forte hausse.
Grâce au ciel, je n'ai plus lu de journaux piémontais, depuis dix jours. Cela me repose singulièrement l'esprit.
Si vous m'écrivez, veuillez m'adresser votre lettre: 1, Begent Street.
Votre dévoué ami f^iWTXTTi Tv-n P J. r ATTD
CCCXLIX.
Paris, 13 septembre 185?.
Mon cher ami, Je ne vous ai plus écrit de Londres, car je n'avais pas de nouvelles politiques à vous mander. La position des partis, en Angleterre, n'a pas changé, à mon avis. Le ministère est faible, mais la Chambre l'est encore davantage.
La position que la fraction catholique irlandaise a prise, me paraît imposer au parti libéral l'obligation de l'exclure de ses rangs. Si, au contraire, il consentait à une coalition avec lui, il serait perdu dans l'opinion publique. Il n'y a de salut pour l'Angleterre, que dans l'union des nuances modérées des deux grands partis qui divisent le pays. Maintenant que la grande question du free-trade est settlc, cette union ne me paraît pas impossible. D'Israeli s'y prêterait très volontiers, et lord Derby l'acceptera, s'il ne voit pas d'autre chance de se tirer d'embarras. Elle s'accomplira sous les auspices du marquis de Lansdowne, si elle doit avoir lieu. Je le désire ardemment.
Maintenant, que vous dirai-je de la France? Peu de choses, sinon que le gouvernement actuel est accepté par les masses et subi, avec une parfaite résignation, par les gens raisonnables de tous les partis. Les hautes classes de la société ne l'aiment pas, mais personne ne songe à le renverser, aussi, je crois qu'il a toutes les chances de durer longtemps. S'il tombe, ce ne sera que par sa propre faute, mais s'il se conduit avec modération et prudence, nous aurons le règne d'Auguste, après la licence des Gracques et la gloire de César.
En dehors de la politique, tout marche à merveille. Le commerce, l'industrie, les grandes entreprises ont pris un
essor prodigieux. Les capitaux regorgent; il en sort de tous les côtés.
Cependant, je ne jurerais pas qu'on n'abuse de la prospérité actuelle et qu'on ne pousse les choses trop loin.
.Jusqu'à présent, on n'a pas dépassé le but, mais, si l'on continue de la sorte, il y aura un temps d'arrêt et, peut-être même, une reculade. Nous devons profiter de l'entrain pour pousser nos affaires. Quel dommage que la question des docks n'ait pas reçu encore de solution ! Si la ville de Gênes refusait de s'en charger, on trouverait à Paris, à le placer sans difficulté.
Je rapporte de l'Angleterre, la conviction intime que le dock est la plus belle affaire qu'on puisse faire chez nous.
Il faut vraiment, avoir autant de préjugés qu'en ont les génois, pour en douter un instant. Je ne sais plus trop ce qui se passe chez nous. On m'écrit seulement, vaguement, (lu'Azeglio est très en train, et qu'il fait arranger son appartement à Turin, pour donner des bals. Tant mieux ! Si le ministère ne marche pas, au moins il dansera.
L'honnête Hambro a bien voulu se charger d'expédier à Gênes, à votre adresse, 4 caisses remplies de livres et autres objets que j'ai achetés à Londres. Comme il s'est également chargé de payer mes achats, je l'ai engagé à se rembourser sur vous. Les débours doivent s'élever à 200 livres sterlings à peu près.
Quant à mes caisses, vous m'obligerez en les faisant filer sur la douane de Turin. J'ai écrit au comte de Castelbourg (1), pour que la douane ne fît pas de difficultés.
J'ai aussi pris de l'argent chez Mrs Blanc Mathieu et Comp. Ils se rembourseront chez vous. Je me ruine, mais patience, on ne va pas tous les jours en Angleterre.
(1) Le comte Camillo Bongiovanni di Castelborgo, secrétaire chef de division au ministère des finances, puis directeur général des douanes (gabelle) et conseiller d'État.
Adieu, mon cher ami, répondez-moi ici, j'y serai jusqu'à la fin du mois.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCL.
Paris, 19 septembre 1852.
Mon cher Émile, Je regrette bien, que vous ayez choisi, pour être à Turin, une époque pendant laquelle je suis absent. J'espère, toutefois, vous y retrouver encore, à mon retour, qui aura lieu dans la première quinzaine d'octobre.
La prospérité financière est immense. La France serait bien riche, si elle était sage et plus éclairée.
Le gouvernement, sans aller au libre échange, fera, à ce qu'il paraît, quelques pas dans la voie des réformes commerciales.
Faites-moi l'amitié de vous informer à Gênes, s'il est vrai qu'on y attend deux navires chargés de guano venant du Pérou. J'aurais besoin d'avoir des notions précises à cet égard, avant de quitter Paris.
Adieu, mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCCLI.
8 décembre 1852 (1).
Mon cher ami, Je vous remercie de la communication de la lettre de Hambro. Je lui avais écrit au long, la veille du jour où
(1) Le roi Victor Emmanuel, persuadé, comme Louis Philippe, qu'il ne faut pas avoir de querelles avec le clergé, n'avait consenti à introduire dans le discours de la couronne, du 4 mars 1852, la promesse d'une loi sur le mariage civil, que si cette loi n'offensait pas les principes catholiques. Le 19 septembre, le Pape, dans une lettre sévère, l'accusait de vouloir ainsi, introduire le concubinage dans ses États, et l'ancien précepteur du Roi, Monseigneur Charvaz, archevêque de Gênes, ayant écrit à Victor Emmanuel dans le même sens, celui-ci déclara, en plein conseil des ministres , le 21 octobre, que jamais il ne signerait cette loi. — Le lendemain, D'Azeglioet ses collègues donnaient leur démission, et, le 24, le Roi chargeait Cavour de former un nouveau cabinet, à condition qu'il réglerait, d'accord avec la Cour de Rome, les questions ecclésiastiques et en particulier, celle du mariage civil. —
Cavour, naturellement, déclara au Roi qu'il ne pouvait accepter cette condition et lui conseilla de s'adresser au comte Balbo. Celui-ci accepta la mission de former un nouveau cabinet, mais il ne put y réussir, 'Car tous refusèrent d'y entrer dans ces conditions, comprenant le triste rôle qu'ils joueraient au Parlement, en s'y présentant avec un programme semblable. — Le Roi, convaincu, enfin, de l'impossibilité de céder aux prétentions de la Cour de Rome , dut de nouveau , assez malgré lui, appeler Cavour à former le nouveau cabinet, insistant cependant, pour que Cibrario (ministre des finances dans le précédent cabinet) en fît partie, acte qui cachait une certaine défiance envers Cavour, mais auquel celui-ci consentit, pour tirer le Roi de la mauvaise situation où il s'était placé. — Le nouveau cabinet (1er cabinet Cavour, 4 novembre 1852 à 1er mai 1855) fut composî de: Cavour, présidence et finances; San Martino, intérieur; Cibrario, instruction publique; Dabormida, extérieur; Boncompagni, grâce et justice; Lamarmora, guerre et marine; Paleocapa, travaux publics. — On a, à juste titre, appelé ce cabinet il gran Ministero, parceque c'est sous sa direction que s'accomplirent l'expédition de Crimée, la guerre de la Lombardie et les principaux événements qui amenèrent l'Unité italienne.
je l'ai reçue. Si, comme on le dit, D'Israeli réduit les consolidés , peut-être le nouvel emprunt pourra se faire en Angleterre, à des conditions avantageuses (1).
La Banque me donne bien des soucis. Elle s'est mise dans une position difficile; maintenant, pour en sortir, elle est forcée à des mesures fâcheuses, quoique indispensables.
Il est de l'intérêt du commerce de l'aider, aussi je vous recommande de lui venir en aide, si vous le pouvez.
Je suis accablé d'affaires. Cependant, je dois dire que jusqu'à présent, je trouve dans tous les partis une condescendance qui rend ma tâche moins difficile.
J'attends une députation du municipio de Gênes, qui vient traiter la question du dock.
Ce pauvre municipio a fait une triste figure avec sa pétition contre les gabelles (2).
Il est impossible de voir une pièce plus ridicule.
Je vous envoie la lettre d'Hambro.
Croyez à mes sentiments dévoués.
C. DE CAVOUR.
CCCLII.
10 décembre 1852.
Mon cher ami, Comme vous devez croire, je ne veux pas même recevoir officiellement, les propositions du municipio. Si ses députés viennent à Turin, je le leur déclarerai nettement.
(1) Le 2 décembre 1852, le comte de Cavour avait présenté à la Chambre un projet de loi pour l'aliénation de 2 millions de rente de la Dette publique, afin d'être à même de couvrir le déficit prévu pour l'exercice 1853, ainsi que le déficit déjà, reconnu, pour l'exercice 1852.
/,..,. T '1"
yz) jua taxe sur les Doissons et sur leur aeDit au aetau.
Je pense donc, que le moment est venu pour la Compagnie qui veut acheter la darse, de se présenter (1). Cela est d'autant plus urgent, que d'autres propositions m'ont déjà été faites.
Hâtez-vous donc, je vous en prie, car, vraiment, avec toutes nos hésitations, nous commençons à être ridicules, ainsi que je l'ai dit sous une autre forme, dans la lettre que votre brave syndic a fait publier sur Yltalia e Popolo.
J'ai eu la debonnaireté de consentir à souscrire une moitié d'action (L. 2500), dans la Société qui s'est formée à Gênes, pour soutenir l'institut des Peschiere. Sa directrice, madame Rebizzo (2), m'écrit qu'il faut que je me fasse représenter pour souscrire l'acte social; vous m'obligerez infiniment en vous chargeant de ce soin. Veuillez, après vous
(1) « La Compagnie en question, s occupe à se constituer. Ses membres actuels sont: la maison Serra (Dominique, Orso et Jean Charles) sous le nom d'un seul d'entre eux; le marquis (igi Pallavicini (celui qui était à l'ambassade de Londres); les maisons François Oneto et A. Croce, et nous. — B. Parodi s'est reservé de nous dire demain, s'il accepte ou non, mais nous n'en doutons pas » (Lettre de M. É. de la Rile an comte de Cavour, 12 décembre 1852).
(2) Madame Bianca Rebizzo (née le 21 octobre 1800 à Milan, morte le 27 octobre 1869 à Gênes), femme des plus distinguées par ses sentiments, son instruction et son caractère, amie intime de R. Rubattino, de Lorenzo Pareto, de l'archevêque de Gênes, monseigneur Charvaz, de Domenico Buffa, Daniele Manin, Paleocapa, Aporti, etc. Après s'être beaucoup occupée des Asili infantili, qui venaient de s'ouvrir à Gênes, pour les enfants du peuple, elle avait fondé, dans le splendide palais Pallavicini. dit « delle Peschiere », à Gênes, une école, ou Collegio italiano p ,ur l'éducation des jeunes filles de condition aisée, et avait fait appel au concours de ses amis, pour couvrir les frais de cet établissement, en le constituant sous forme de société civile. Ce collège avait pour but de former des donne italiane, instruites plus que les femmes ne l'étaient généralement alors en Italie, capables de bien élever leurs enfants et de diriger leur ménage (A. Cnucco, Llicordi e Pensieri di Bianca licbizzo, Genova, 1875).
être mis au fait de l'affaire, faire rédiger la procuration par brevet, que je devrai préalablement vous envoyer.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLIII.
26 décembre 1852.
Mon cher ami, Mr Palmer (1) s'est adressé à moi, pour que j'intervienne dans son procès avec l'administration des chemins de fer.
Quoique cette affaire soit étrangère à mes attributions, me rappelant l'intérêt que vous portez à monsieur Palmer, j'ai consenti à m'en occuper. J'ai interpelé, successivement, messieurs Paleocapa et Bona, qui m'ont fourni des renseignements et des explications, qui m'ont convaincu que l'administration ne peut pas suspendre, ne fusse que d'une minute, l'exécution de la sentence, qui ordonne la remise de l'établissement de San Pier d'Arena.
Les conséquences d'un retard quelconque, pourraient être excessivement graves.
Cette remise, d'ailleurs, ne porte aucune atteinte aux droits de Mr Palmer.
Les raisons qui décident l'administration à persister dans le parti pris, sont exposées dans la note confidentielle, cijointe, de Mr Bona, que je vous transmets, en vous autorisant à en donner lecture à Mr Palmer.
J'ajouterai que j'ai su que l'administration avait lieu de se plaindre de la conduite de Mr Taylor, dans ces der-
(1) Industriel anglais, qui avait, avec Mr Prandi, eu la concession de l'usine métallurgique du gouvernement, à S. Pier d'Arena.
niers temps. Les dernières fournitures étaient détestables et ont dû être, en grande partie, refusées.
Je n'accuse pas Mr Palmer d'indélicatesse; mais, après toutes les pertes, tous les sacrifices que ce malheureux établissement de S. Pier d'Arena a imposés au trésor, l'administration a le droit et le devoir de se montrer sévère vis-à-vis de Mr Taylor.
Après avoir fait de la lettre de Mr Bona l'usage que vous jugerez convenable, je vous prie de me la renvoyel' J'ai vu avec plaisir, votre beau-frère partir pour l'Angleterre; j'espère qu'il ramenera Mr Randell (1), qui rendra un jugement sans appel.
J'écris à Hambro, pour avoir son avis définitif sur l'emprunt. J'espère que votre beau-frère me rapportera une réponse satisfaisante.
Croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Célèbre ingénieur anglais, président de la Société des Ingénieurs d'Angleterre. Plusieurs projets avaient été présentés pour la création de docks à Gênes, et Mr Randell avait été invité à venir étudier sur place, lequel serait le meilleur à adopter. — « Pour sortir d'embarras et être certain de bien choisir, le Gouvernement a décidé de recourir à un ingénieur étranger, de premier ordre, qui fût en état de porter Un jugement sûr et définitif sur tous ces projets et, au besoin, en conseiller un nouveau. Son choix ne pouvait être douteux; comme il s'agit de constructions maritimes, il devait d'abord songer à Mr Randell, qui, sous ce rapport, tient le premier rang en Angleterre et sur le continent ». (Lettre du comte de Cavour à Mr W. Brockedon, 20 décembre 1852).
CCCLIV.
24 décembre 1852.
Mon cher ami, Je vous remercie d'avoir tranquillisé Mr Palmer et de lui avoir fait prendre bravement son parti. Au fond, je crois qu'il avait tort.
Croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLV.
1er janvier 1853.
Mon cher ami, J'ai reçu le bon de L. 12,000 sur la Banque. Je l'enverrai encaisser au retour de Tosco, qui est, depuis huit jours, à Alexandrie, pour faire accepter un remplaçant, que j'ai eu la bonhomie de promettre à mon agent favori, pour son fils.
Mes débiteurs ont été plus exacts que je ne l'aurais cru.
de sorte que j'ai pu fournir les 20,000 francs qu'on m'avait demandés, sans le bon.
J'espère que Randell viendra bientôt, et que l'affaire du dock recevra, enfin, une solution.
Je vous souhaite une bonne année, pleine d'excellentes affaires et de gros bénéfices.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLVI.
Turin, 12 février 1853.
Mon cher ami, J'ai donné l'ordre pour qu'on vous expédiât les 16 dessins de notre chemin de fer, que le brave Hambro a fait lithographier à Londres. J'espère que vous en serez content.
Les connaisseurs déclarent que c'est un travail fort remarquable. Hambro ne m'ayant pas fait savoir ce qu'il a payé au lithographe, je n'en ai pas encore fixé le prix.
Lorsque je le saurai, je vous débiterai de leur valeur.
À propos de chemin de fer, vous vous rejouirez, comme moi, de voir la route ouverte jusqu'à Busalla (1). La course de Gênes n'est plus rien, puisqu'on peut la faire entre le déjeûner et le dîner. Je pense avec plaisir, que si j'avais besoin de causer avec vous, le voyage de Turin ne vous incommoderait pas trop.
Vous avez raison de dire que les événements politiques contrarient singulièrement la négociation de l'emprunt.
Lorsque j'ai demandé aux Chambres l'autorisation de le contracter, le 3 p. français était à 86 et notre Hambro au pair. Maintenant, le 3 p. o est tombé de 7 francs à 79, et l'Anglo Sarde est au diable, et, aussi, Hambro, qui paraissait sûr de son fait à 70, parle maintenant, avec hésitation, de 65.
J'espère obtenir mieux de Rothschild, ou de Fould. Les derniers évènements de Milan (2), loin de faire du tort à
(1) À 23 kilom. de Gênes, à l'embouchure du grand Tunnel des Giovi.
(2) Le 6 février 1853, avait eu lieu la fameuse tentative Mazzinienne de révolte contre l'Autriche, et le 13 février, le gouvernement autrichien lança un décret de séquestre sur les biens possédés en Lombardie et Denise, par les émigrés qui avaient été naturalisés citoyens Sardes.
29 — BERT. Lettres de C. Cavour.
notre crédit, me paraîssent devoir lui être favorables, une fois qu'ils seront connus et appréciés. En effet, ils ont démontré, d'une manière évidente, que le parti révolutionnaire était impuissant, non pas à troubler le pays, mais à y produire le moindre trouble. Jamais Turin n'a été si calme que ces jours derniers, et je crois qu'il en a été de même à Gênes, vos réfugiés se sont tenus tranquilles et Buffa (1), qui avait pris toutes ses mesures, n'a pas eu à employer la moindre force pour les empêcher de faire des démonstrations.
Je vous prie d'insister sur ces faits, auprès de vos correspondants de Paris et surtout, auprès de Mrs Blanc et Mathieu, qui, soit dit en confidence, sont associés avec Fould.
Croyez à mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
cac LVII.
16 février 1853.
Mon cher ami, Je vous envoie, ci-joint, une lettre importante pour Monsieur F. d'A. de Naples. Je vous prie de l'envoyer à un de vos correspondants de cette ville, pour qu'il la fasse parvenir à son adresse. Je vous garantis qu'elle ne renferme rien de compromettant.
L'emprunt n'est pas conclu ; si la loi avait été votée lorsque Rothschild était ici, peut-être l'affaire serait faite à des conditions avantageuses. Je ne sais dans quelles dispositions il sera à son retour. S'il ne me donne pas au delà et beaucoup, de 65, j'aurai recours à Hambro. Quoique, dans ce
(1) Alors intendant général à Gênes.
moment, ces pauvres Anglo-Sardes fassent assez triste figure, Hambro m'écrit toujours, qu'il pourrait les faire monter, mais qu'il s'en abstient, je ne comprends pas trop pourquoi.
La Banque ayant baissé le taux de l'intérêt sur les prêts sur dépôts de rente, cela produira peut-être, un bon effet sur nos cours.
Croyez-vous que des achats au comptant, pour un ou deux millions, feraient un effet sensible ? Répondez-moi par le retour du courrier.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLYIII.
27 février 1853.
11Ion cher ami, Je vous remercie de la communication de la lettre d'Hambro; elle a confirmé l'opinion que j'ai depuis longtemps conçue, de la loyauté et de la délicatesse de son caractère, seulement, je regrette qu'il ait moins de courage.
Vous voyez qu'il hésite sur le prix de 68. Or, je suis à peu près certain que Rothschild me donnera mieux. Il y a d'ailleurs, une circonstance qui me porte à préférer un trois pour cent continental, à un 3 p. °/0 anglais. Si nous devons convertir notre 5, ce ne peut être qu'en fonds payables à Turin et à Paris. Rothschild (le jeune) est arrivé. Je l'ai Vu, mais nous n'avons pas encore entamé de négociation.
J'attends une réponse de Fould. En attendant, nous avons à peu près convenu avec Lafitte, la concession du chemin de la Savoie. Vous voyez que les affaires ne manquent pas.
L'horizon politique s'était, ces jours-ci, un peu obscurci.
J'espère qu'il se réclaircira. Les puissances étrangères sont fort aimables à notre égard. Même l'Autriche ! Cela durera-t-il ?
Veuillez me dire votre opinion sur P., son beau frère me le recommande beaucoup, pour que je le fasse directeur d'une nouvelle Banque, que j'ai l'intention de fonder en Sardaigne.
Laissez le sucre, et riez au nez de tous ceux qui vous diront que je prends la moindre part à une affaire quelconque (1).
Mille amitiés.
CAMILLE nE CAVOUR.
Avez-vous reçu les dessins du chemin de fer?
CCCLIX.
2 mars 1853.
Mon cher ami, Malgré le séquestre (2), Rothschild a tenu bon, et l'emprunt est fait à 70, 2 p. de commission. Je ne pense pas qu'il fût possible de faire mieux. Si vous faites l'équa-
(1) « On vient de m'offrir de m'intéresser dans une raffinerie de sucre, en me disant que vous y prendriez aussi un intérêt, mais qu'on ne pouvait pas me le garantir. J'ai répondu qu'on ferait mieux de garantir tout le contraire". (Lettre de Mr de la Rue au comte de Cavour, 18 février 1853).
(2) L'Autriche avait mis sous séquestre les biens des émigrés Lombards réfugiés en Piémont et y naturalisés (13 février 1853), violant ainsi les promesses qu'elle avait faites lors de la négociation du traité de paix de Milan, qui assurait l'amnistie des émigrés de 1849, et le traité de commerce de 1851, qui garantissait aux sujets sardes la libre possession de leurs biens situés sur le territoire Lombard-Vénitien. À
la suite de ce séquestre, le Gouvernement sarde protesta énergiquement en face de l'Europe entière, contre la conduite de l'Autriche et rappela de Vienne son ministre Mr de Revel.
tion du 3 et du 5, vous reconnaîtrez que la rivalité de Fould nous a valu quelques millions.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLX.
0 mars 1853.
Mon cher ami, La conclusion de l'emprunt a produit un excellent effet.
La hausse s'est prononcée avec une grande vigueur, et, ce qui vaut mieux, c'est qu'elle paraît produite, moins par la spéculation, que par l'argent sorti tout-à-coup des caisses.
L'Hambro fait une beaucoup moins mauvaise figure.
Je ne pense pas que vous deviez être inquiet au sujet de X., seulement, vous devez comme par le passé, le considérer comme fort honnête, médiocrement riche et d'une habileté moyenne. Mestrezat vaut, sous tous les rapports, beaucoup mieux.
La direction de Savigliano est absurde. Guidée par des intrigants et des avocats, elle a voulu faire capituler les entrepreneurs, à force de procès et de chicanes. Elle n'y a pas réussi. Enfin, elle s'est résignée, et hier une transaction finale a été signée avec les Pickering (1). La route sera ouverte dans le courant de la semaine, ou dimanche prochain, au plus tard.
Si vous vendez vos Savigliano, achetez des actions de Suse. Vous pouvez être certain que si la ligne de Savoie est concédée, ces actions monteront rapidement.
Ce chemin s'exécute rapidement ; il sera ouvert avant la fin de l'année.
Adieu, mille amitiés. CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Entrepreneurs Anglais, qui construisirent les lignes de Savigliano et de Pignerol.
CCCLXI.
16 avril 1853.
Mon cher mni, Mon ami Farini (1) est venu m'annoncer que ]a personne sur laquelle il avait tiré une traite de 10,000 livres toscanes, et que je vous ai remise, a été éxpulsée d'Italie, pour cause politique, et que, par conséquent, cette traite ne sera pas payée à son échéance, qui aura lieu à la fin du mois. Je vous prie, en conséquence, de la retirer de la circulation, si vous êtes encore à temps pour le faire, et, en cas contraire, de la faire payer, sans protêt et avec le moins de frais possible.
Dès qu'elle sera entre vos mains, vous me la renverrez avec le compte de vos frais.
Pardon de l'ennui. Croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Le médecin Louis Charles Farini, né à Russi (Ravenne) en 1812, dut prendre le chemin de l'exil à cause de ses opinions libérales. Après avoir été Mazzinien et Carbonaro, il revint à des idées plus modérées et put rentrer dans sa patrie. Au commencement du règne de Pie IX, il fut chargé de la direction de la santé publique à Rome, pendant le ministère de Pellegrino Rossi. Après la fuite de Pie IX et les événements qui la suivirent, il dut se réfugier à Turin, où il écrivit son Histoire des États Romains de 1814 à 1850, et son Histoire d'Italie.
Naturalisé piémontais , il fut député au Parlement par le collège de Varazze, puis par ceux de Cigliano et de Chieti. Il fut ministre de l'instruction publique en 1852 (1er cabinet d'Azeglio), commissaire royal en 1859, à Modène, à Bologne et à Florence, où il présida les plébiscites qui unirent ces provinces au Piémont. En 1860, Cavour l'appela au ministère des affaires étrangères et, après l'annexion des provinces napolitaines, il y fut envoyé en qualité de lieutenant du Roi. En novembre 1862, il fut chargé de former un nouveau cabinet, qu'il présida jusqu'en mars 1863, époque où sa santé le força à se retirer des affaires.
Il mourut à Quarto, près de Gênes, le 1er août 1866. Le Parlement lui avait voté en 1865, une pension de 25,000 francs , en témoignage de reconnaissance pour les services qu'il avait rendus à la patrie.
CCCLXII.
24 avril 1853.
Mon cher ami, Je vous remercie de l'obligeance que vous avez mise, à arranger l'affaire Farini.
Devant faire de nombreuses remises à Hambro, je vous prie de me dire si votre maison peut et veut se charger de livrer au trésor, de 40 à 60 mille livres sterlings, d'ici au 15 mai, et à quelles conditions. Ayant déjà pourvu au payement du dividende, je préférerais du papier long.
Je soumettrai, dans la semaine, au Parlement, un projet de loi pour confier à la Banque le service de la trésorerie générale, et un autre pour établir une Banque en Sardaigne.
Bombrini deviendra Direttore Capo, ce sera un grand personnage. A Gênes, on criera un peu, à cause de la concentration à Turin, de la direction supérieure ; mais, c'est là une conséquence nécessaire des nouvelles fonctions de la Banque.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLXIII.
27 avril 1853.
Mon cher ami, Rothschild m'envoie du Londres, de Paris, à 24,87 1x2, 114 de commission, ce qui le fait revenir à peu près à 24,95, net de frais. C'est le prix que je vous offre et que je ne saurais dépasser.
Je vous ai écrit par le télégraphe.
Tout à vous CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLXIV.
21 mai 1853.
Mon cher ami, Voyant que notre 5 p. demeure stationnaire aux environs du pair, je serais tenté de faire un effort pour l'aider à franchir les colonnes d'Hercule. D'après des renseignements précis, puisés à des sources certaines, j'ai lieu de croire que les titres sont assez rares et que c'est la spéculation, plutôt que le besoin d'argent, qui tient la rente basse. On m'assure qu'en faisant acheter simultanément, à Gênes, Turin et Paris, une centaine de mille livres, on enleverait la rente.
Avant de me décider à tenter, sous ma responsabilité, une opération aussi délicate, j'ai voulu vous consulter, et vous demander, en même temps, à quelles conditions votre maison se chargerait d'acheter des rentes pour le compte du trésor. Il ne s'agirait que d'opérations au comptant.
Répondez-moi, poste courante, afin que, cas échéant, je puisse vous donner des ordres par le télégraphe de lundi.
Les actions de Savigliano font fureur. Les recettes dépassent les prévisions des plus sanguine. Pour peu que donnent les marchandises, on arrivera, probablement, dans le mois de juin, à 3000 francs par jour.
On a organisé une Société des courses. La souscription est de 100 francs. Vous devriez bien en être. On fera courir à Turin, Alexandrie et Mortare ; vous voyez que les courses seront à la porte de Gênes. Le Roi y prend un vif intérêt.
La politique va bien. L'Autriche se radoucit. Je ne doute pas que, d'une manière ou de l'autre, l'affaire du séquestre ne finisse par s'arranger.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLXV.
25 mai 1853.
Mon cher ami, Je vous remercie des renseignements que votre lettre du 22 renferme. Quoique vous évaluiez à un chiffre plus élevé que je ne l'aurais calculé, la rente qu'il faudrait acheter pour la pousser à la hausse, j'aurais commencé à opérer, si les nouvelles d'Orient ne m'eussent pas effrayé.
Je ne crois pas, qu'en définitive, elles annoncent des complications sérieuses ; mais elles sont assez graves pour effrayer les spéculateurs et agir sur les fonds.
La spéculation est à la baisse, dans ce sens qu'elle vend des rentes, pour acheter des actions. Savigliano continue à Monter. Le mouvement continuera, ou s'arrêtera, suivant que le service des marchandises rendra plus ou moins.
Suse monte, de son côté. Dans quelques jours, ce sera ta tour de Novare. Le comptoir d'escompte, prêtant sur dépôt de titres, aide le mouvement.
Vous ne m'avez plus parlé de mes actions du gaz. Croyezvous qu'il faille attendre après le dividende? La Société du gaz hydrogène est autorisée.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLXVI.
19 juin 1853.
Mon cher ami, Je n'attends plus rien de Londres, si ce n'est des dessins du chemin de fer. Comme je ne suis pas pressé de les avoir, luterpelez Hambro, avant de m'envoyer la caisse que vous avez reçue.
Allez-y sûrement, avec le crédit mobilier.
Les affaires d'Orient sont venues bien mal à propos. Si jelles s'arrangent, la hausse sera énorme.
La session va finir. Il en est temps, je n'en peux plus.
Adieu.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLXYII.
24 juin 1853.
Mon cher ami, Mon frère n'est d'aucune Compagnie de fonciers. Je crois .celle de Bombrini la meilleure de toutes, mais je vous préviens que je donnerai la préférence à celle qui fera les conditions les plus favorables aux emprunteurs (1).
Si l'Orient se pacifie, nous irons loin, car le mouvement est donné; il ne s'agit plus que de le régler.
Que vous écrit-on de la récolte de Naples, de la Romagne et de l'Orient? Si le temps ne change pas, nous sommes bien menacés. Adieu.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Mr Bombrini avait offert à Mr de la Rüe d'entrer dans la fondation d'une Banque Foncière, de la création de laquelle il s'occupait alors. Avant d'accepter, Mr de la Riie désirait savoir s'il était vrai, jcomme le bruit en courait, que le frère du comte de Cavour s'occupait de la fondation d'une institution de ce genre, à Turin (Lettre de Mr De la Rue au comte de Cavour, 22 juin 1853).
CCCLXVIII.
3 septembre 1853.
Mon cher ami, Je reçois de Gênes, les notions les plus contradictoires sur le commerce des blés. Les uns m'annoncent une hausse effrayante, tandis que d'autres m'assurent que la baisse est certaine à l'arrivée de la flotte des navires chargés de blé, qui est partie de la mer Noire. Je crois qu'il y a exagération des deux côtés. Les besoins étant réels, il est imPossible que le blé tombe à bas prix. D'un autre côté, les besoins ayant été prévus en temps opportun, je pense que le commerce pourra y satisfaire, sans qu'il y ait disette nulle part.
Les marchands de blé, de Gênes, poussent à la suppression des droits. En mon particulier, je suis convaincu que cette mesure n'aurait d'autre effet que d'augmenter les bénéfices de ces messieurs, qui sont déjà énormes.
Je vous prie de me donner votre opinion sur les deux points que je viens d'indiquer: l'avenir du commerce des blés et les effets probables de la suppression des droits d'entrée (1).
Randell m'envoie les projets du Dock, qu'il nous avait promis pour le mois d'août. Je crains qu'en travaillant Pour le gouvernement, il ne pense aussi à lui, en prépa-
(1) « En résumant les pour et les contre une suppression du droit d'entrée, j'opinerais, financièrement, pour non, et, politiquement, pour , oui, car, d'un côté, l'État y perdrait environ un million (en 6 mois), mais, i!'un autre côté, il enlèverait tout prétexte d'agitation et aurait fait, adnainistrativement, tout ce qu'il pouvait pour les prévenir n. (Lettre de Mr de la Rue au comte de Cavour, 5 septembre 1853).
rant une Société pour soumissionner l'entreprise dont il s'occupe. Ce n'est pas que j'eusse du regret de voir Randell à la tête de la Compagnie qui exécutera les Docks de Gênes, mais je voudrais seulement que cette Compagnie cherchât à obtenir la concession, en posant cartes sur table, Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLXIX.
25 octobre 1853.
Mon cher ami, Je vous remercie de votre bonne lettre. Je n'ai jamais douté de votre amitié, mais je suis toujours heureux d'en recevoir de nouvelles preuves.
L'attaque a été habilement dirigée (1). On espérait agir sur mes nerfs et sur l'opinion du Roi. On a échoué dans l'une et l'autre tentative. Toutefois, comme on a débité une foule de bruits calomnieux dans les masses, mes amis politiques et personnels ont presque exigé que j'intentasse un procès en diffamation, à La Maga (2), qui, dans le nu-
(1) Les ennemis du comte de Cavour (parmi lesquels quelques journaux), faisaient, depuis longtemps, courir le bruit qu'il profitait de sa position pour accaparer et monopoliser, à son profit individuel, le commerce des blés. Le 18 octobre, une foule d'émeutiers, irrités de la chèreté du pain, chercha à envahir son palais, à Turin, et à y commettre des dégâts, que la gendarmerie parvint à prévenir (M. A. CASTELLI, Riqordi, p. 32, 33 et 34).
(2) La Maga, journal politique, avec caricatures, un des organes de l'opposition à Gênes. Le N° du 21 octobre 1853 , après s'être longuement étendu sur les désordres survenus à Turin, le 18, à cause du prix élevé du pain, et avoir accusé le ministère de sucer le sang du peuple et de vouloir le faire mourir de faim, ajoutait, comme Ultime
ttréro ci-joint, m'accuse d'avoir acheté tout le blé que produit le Piémont. Comme, ici, je n'agis pas comme ministre, toais seulement comme homme privé, je vous envoie ma requête, en vous priant de la faire présenter au Procureur du Roi par un procureur, que je vous laisse libre de choisir.
Je vous prie de donner au procureur, pour instruction, de ne pas réclamer qu'on procède par citation directe, afin de donner à La Maga le temps de réunir les preuves des faits calomnieux qu'elle m'impute.
J'ai chargé de la poursuite, les avocats Cassinis (1) et Tecchio (2). Ces messieurs voudraient que je leur adjoignisse un avocat génois, pour la forme. Ils me conseillent Un certain Orsini (3). Donnez-moi un conseil à ce sujet.
Un de mes collègues de la Chambre, le député Cadorna (4), va partir pour le Hanovre, pour y chercher Un ingénieur des mines, capable de transformer en or, les rochers du Mont-Rose. Il désirerait une lettre de recom-
Notizie di Torino: « L'irritazione d.ei Torinesi era al colmo per rnmori corsi nei giorni precedenti, di speculazioni e raggiri poco onorevoli pel Presidente del Consiglio Si attribuisce all'ostinazione del ministro e al suo spirito speculatore, l'attuale rincarimento del pane, e l'irrita2ione del popolo si rivolge tutta contro di lui. — Poco tempo innanzi, 1° stesso ministro Cavour, in un villaggio, nelle vicinanze di Asti, dove si era recato a diporto, aveva corso rischio di essere accoppato da una 41ano di contadini avvedulisi che un di lui agente incettava tutte le granae-lie del mercato. A stento srli riusci di fue-e-ire in vettura II.
(l) L'avocat G. B. Cassinis. — Voir Lettre CC.
(2) L'avocat Sébastien Tecchio de Vicence, illustre jurisconsulte et Ardent patriote, député au Parlement en 1848, ministre des travaux Publics en 1849, président de la Chambre à la 8e législature, puis président de la Cour d'appel de Venise, sénateur en 1866, ministre de grâce et justice en 1867 (cabinet Rattazzi), président du Sénat en 1880.
(3) L'avocat Tito Orsini, actuellement sénateur du royaume et une des sommités du barreau de Gênes. La Maga choisit pour la défendre, les députés avocats Angelo Brofferio et Cesare Cabella de Gênes.
V.4) Carlo Cadorna, député de rallanza.
mandation pour ce pays. Voyez si vous m'en pouvez procurer une, par le successeur de Mr Pauli (1).
Le cahier des charges du Dock est fini, ou à peu près.
Si vous avez un moment de loisir, venez à Turin ; je vou& le communiquerai, ainsi que les dessins de Randell.
Adieu, mon cher ami, croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLXX.
30 octobre 1853.
Mon cher ami, Je reçois, avec plaisir, l'avis que le Prieur des procureurs (2) a eu le courage de présenter ma requête contre la Maga.
Veuillez prier, de ma part, Mr Orsini, de se joindre à Tecchio et Cassinis, pour défendre ma cause.
Je vous prie de vous arranger de manière à dîner avec moi, mardi, jour de la Toussaint.
J'attends Frère-Orban (3), mon ancien collègue de Bel-
(1) Ancien consul de Hanovre, à Gênes. Son successeur était monsieur Georges De la Rüe. cousin de Mr. Emile.
(2) Le procureur (avoué) Barthélémy Miroli, prieur du collège des procureurs de Gênes. « Mon substitut-procureur se serait chargé très volontiers, de présenter votre requête, si son principal n'avait eu peur de La Maga ». (Lettre de Mr É. de la Rüe au comte de Cavour, 25 octobre 1853).
(3) L'ex-ministre belge, Frère-Orban, était tenu en haute estime par le comte de Cavour, dont il appréciait aussi vivement le sens politique et l'énergie. Ces deux hommes combattaient, en effet, chacun dans sa patrie, pour la même cause et devaient naturellement, s'entendre cordialement. (Il Conte di Cavour par MASSARI, pag. 96).
gique. Je vous ferai, à cette occasion, connaître Rattazzi, qui est, à mon avis, l'homme le plus capable de la Chambre.A la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLXXI.
15 novembre 1853.
Mon cher ami, Je vous prie de dire à notre honnête procureur, qu'il Ul' adresse directement les communications qu'il recevra.
Les affaires d'Orient se compliquent (1); si jamais la guerre générale éclate, nous aurons une fameuse besogne sur les bras. J'espère encore, toutefois, que le moment de dégaîner ne viendra pas de sitôt.
Je. pense que votre beau-frère, en revenant de Londres, passera par Turin et viendra me voir.
(1) La guerre entre la Russie et la Turquie menaçait déjà de devenir, comme elle le devint en effet, une guerre entre la Russie et les deux: Principales puissances de l'Occident, et, dès cette époque, le comte de Cavour commença à s'occuper des moyens de rendre cet état de choses favorable à ses projets pour le Piémont. Le capitaine d'état major, Joseph Govone, fut envoyé sur le Danube pour y suivre les opérations militaires, il assista au siège de Silistrie et plus tard, à la fameuse charge de la cavalerie anglaise à Balaclava. Les rapports qu'il envoyait à son gouvernement étaient si bien conçus et rédigés, que l'emPereur Napoléon III, voulut en prendre connaissance. Depuis 1848, les relations étaient rompues entre la Russie et le Piémont, en sorte que' celui-ci pouvait se considérer comme tout à fait libre vis-à-vis d'elle, aussi, dès les premiers mois de 1854, Cavour avait déjà conçu l'idée d'associer un corps de troupes piémontaises à celles que la France et l'Angleterre envoyèrent en Orient, et de conquérir ainsi, en Europe, Une position qui donnât le droit au Piémont de faire prévaloir sa politique. (MASSART, Il Conte Cavour, p. 101).
Rothschild voudrait me-jteirer avec son Londres; ditesmoi à quelles conditions vous vous engageriez à me fournir 30,000 livres sterlings, dans le courant de la semaine prochaine.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLXX1I.
2 décembre 1853.
Mon cher ami, J'aurais besoin de 12,000 livres sterlings, le plus-tôt possible ; veuillez me dire à quel prix vous pourriez les fournir au trésor.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. Gênes doit être fière du résultat de ses élections.
Je lui en fais mon compliment (1).
(1) Les seuls faits fâcheux, ce sont les élections de Gênes. Non que les représentants nommés par les rouges de cette ville, soient des adversaires bien redoutables, mais, parceque leur nomination est un indice du mauvais esprit qui régne dans cette ville. Cet esprit mauvais n'est ni révolutionnaire, ni républicain. C'est, tout simplement, un esprit de muuicipalisme, étroit, mesquin et jaloux. Les Génois ont élu Cabella.
Àsproni, etc., non pas à cause de leurs opinions avancées, mais pour faire une niche aux Piémontais (N. BHNCHI. Politique du comte de Cavour, p. 22. Lettre du comte de Cavour au marquis E. d'Azeglio).
— Les 7 députés élus à Gênes, étaient : Ricci, Casareto, Asproni, Cabella, Polleri, Sauli et L. Pareto.
CCCLXXIII.
Turin, 11 janvier 1854.
Mon cher ami, J'ai été charmé de voir votre beau-frère, et d'apprendre que vous persistiez dans votre projet d'exécuter le Dock.
Malgré les difficultés financières, je suis persuadé que cette entreprise trouvera faveur à Gênes, auprès des capitalistes grands et petits. Son caractère éminemment municipal la fera gouter des Génois. D'ailleurs, l'entreprise n'a presque rien d'aléatoire; elle offre un placement aussi certain qu'un prêt hypothécaire.
La place est en grand désarroi. Les joueurs tombent les Uns après les autres, comme des capucins de cartes. Je crois, toutefois, que le mal ne s'étendra pas bien loin, et qu'aucune maison de commerce n'est sérieusement compromise.
Les bruits qu'on a fait courir sur M. sont sans fondements.
Je vous prie de me dire si je puis disposer de votre maison pour payer le guano, qu'à la barbe de la Maga, je viens d'acheter de Balduino; il s'agit de 80,000 francs à peu près, que je vous rembouserai avant Pâques.
L'horizon politique est bien trouble, toutefois je suis loin encore de croire la guerre certaine.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLXXIV.
11 février 1854.
Mon cher ami, Je suis charmé que la Maga ait appelé du jugement par défaut, qui l'a frappée (1). Ce débat, qui aura lieu à la fin du mois, sera une dernière fête que nous procurerons aux Génois.
Je crois, comme vous, que les blés ont atteint le point culminant et qu'ils vont descendre. C'est pour moi un grand soulagement; j'espère que les Génois ne répéteront pas les folies de 47, et que nous n'aurons pas des imitateurs de Custo (2) de triste mémoire.
J'aurais besoin de 10 à 12 mille livres sterlings, dans le mois. Pouvez-vous me faire une offre avantageuse?
La position est critique, toutefois, je ne crois pas la guerre générale. La position que l'Autriche et la Prusse ont prise, est de nature à l'éviter. C'est un bien pour l'Europe, quoique cela ne soit pas sans danger pour nous.
Rien ne presse pour le Dock ; nous en causerons à notre aise, pendant mon séjour à Gênes, avec vos associés.
Croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Le 2 janvier 1854, ]e gérant de La lllaga, Carpi, avait été condamné, en contumace, par la section correctionnelle du tribunal de lre instance de Gênes, à 6 mois de prison et L. 1000 d'amende, en vertu de l'art. '27 de la loi sur la presse.
(2) Alessandro Cnsto, négociant en grains.
CCCLXXV.
18 février 1854.
Mon cher ami, Votre Londres est trop cher. J'ai écrit à Rothschild de m'en envoyer de Paris. J'ai écrit à Randell, et je lui enverrai les dessins qu'il me demande.
Les députés de Gênes mettent en avant le Dock du Mandraccio. Ils sont absurdes.
J'arriverai (1) demain au soir, avec mon neveu Aynard; je vais loger au palais, mais je ne sais où loger mon compagnon; soyez assez bon pour lui procurer une chambre dans un hôtel quelconque.
Si vous voyez Orso Serra, ou Cusani, veuillez leur dire que je les prie d'inviter Aynard à leur bal.
Ces maudites fêtes m'ont donné autant de mal et plus encore, que la question d'Orient. Pasqua (2), d'un côté, Ellena (3), de l'autre, paraissent jouer à qui fera le plus de sottises.
Au revoir, demain au soir, au débotté. Mille amitiés.
C. DE CAVOUR.
CCCLXXVI.
(Gênes) 24 février 1854.
Mon cher ami, J'ai formé dix fois, le projet d'aller vous serrer la main et vous exprimer la part que je prends au nouveau mal-
(1) Pour la fête de l'inauguration du chemin de fer Turin-Gênes.
(2) Préfet du palais.
(3) Le syndic de Gênes, Domenico Ellena, député de Gênes, puis Préfet et enfin sénateur.
heur qui vient de vous frapper (1). Mais, j'en ai toujours été empêché par une multitude d'affaires qui ne me laissent pas un instant de repos.
Je verrai volontiers vos collègues (2), demain matin (samedi), à 9 heures.
Croyez à ma sincère amitié.
C. DE CAVOUR.
CCCLXXVII.
3 mars 1854.
Mon cher ami, J'avais appris, avec la plus vive satisfaction, que vous aviez été nommé régent de la Banque; maintenant, Bombrini m'écrit que vous ne voulez pas accepter, ce qui m'afflige extrêmement. Je viens, en conséquence, vous prier de ne pas persister dans votre refus, et de prêter votre concours à un établissement qui, plus que jamais, a besoin d'être dirigé par des personnes délicates et capables. Votre refus serait mal interprété, et ferait du tort, à l'étranger, où votre maison jouit d'une réputation séculaire.
J'espère que vous cèderez à mes instances et que vous me donnerez, en acceptant la place de régent, une nouvelle preuve de votre vieille et bonne amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) La mort de Madame Granet, belle-mère de Mr de la Rüe.
(2) La Société pour la construction du Dock.
CCCLXXVIII.
5 mars 1854.
Mon cher ami, J'apprécie les graves motifs qui vous inspirent une répugnance presqu'invincible, à accepter la place de régent.
Mais, permettez-moi de vous faire observer que, précisément, c'est parceque le Conseil a besoin d'être réformé, que je désire vivement, que vous en fassiez partie.
A la première élection, nous y infuserons du sang nouveau. D'ailleurs, vous pouvez être certain que votre action serait, dès à présent, secondée par le Conseil de Turin et, au besoin, par le ministère. Si les gens capables et honorés se refusent à entrer dans le conseil, comment parviendronsnous à le réformer? et, si nous ne le réformons pas, que deviendra la Banque?
C'est un véritable sacrifice pour vous que d'accepter le poste où la confiance des actionnaires vous appelle, mais, ce sacrifice, l'intérêt du pays et du commerce le réclame.
Les temps deviennent difficiles, si les bons quittent le timon des affaires, que deviendrons-nous?
L'idée d'Hambro (1) n'est pas applicable, pour le moment.
Je ne conçois rien à son silence, car je sais que mon paquet lui a été remis, il y a deux ou trois jours.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Les lettres de Mr de la Rüe au comte de Cavour, en 1854, n'ayant Pas été trouvées, il est impossible de dire quelle était cette idée de }Ir Hambro.
CCCLXXIX.
14 mars 1854.
Mon cher ami, Je viens de consacrer deux heures à la lecture des pièces relatives au Dock, que j'ai reçues de Londres et de Gênes.
La question de la position à faire à l'ingénieur, si cet ingénieur est Randell, ne me parait pas devoir présenter la moindre difficulté. Pour mon compte, je serais prêt à signer l'article tel que Randell le propose. Je ne crois pas que Paleocapa ait, à cet égard, une autre opinion que moi.
Toutefois, comme il ne peut se prononcer, avant d'avoir lu les différentes lettres et rapports de Randell, je ne pourrai faire, à lui et à vous, une réponse officielle, si ce n'est dans quelques jours. Ce retard vient de ce que Paleocapa ne connaissant pas l'anglais, je dois faire traduire les pièces en question.
Je ne crois pas utile de faire démentir sur les journaux.
le bruit que l'on a fait courir sur le cours forcé. Je préfère le démentir moi-même, à la Chambre, à l'occasion de l'emprunt.
Yous avez tout le temps de passer votre contrat pour le crédit foncier.
Croyez à ma sincère amitié.
C. CAVOUR.
Je vous enverrai la copie du rapport de Randell.
CCCLXXX.
5 avril 1854.
Mon cher ami, Je vous prie de rassurer pleinement Hambro. Ce matin Inême, j'ai combiné avec Bombrini le moyen de faire, à Londres, les fonds pour le payement. Il n'est nullement en avance, il a accepté des traîtes d'Heine, pour tabac, qui n'écheoient qu'au mois de mai.
Veuillez insinuer à Hambro, que, s'il craint d'accepter des traites pour le trésor sans être couvert, je pourrai fort bien me passer de lui. Rothschild, de Londres, ne demande pas mieux.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
C. CAVOUR.
CCCLXXXI.
21 avril 1854.
Mon cher ami, Vous serez, j'en suis certain, bien aise d'apprendre que la souscription (1) a réussi, malgré les prédictions des pessimistes. Il y a eu foule, soit à Turin, soit dans les provinces piémontaises. On compte un très petit nombre de gros preneurs, mais, la masse a suppléé à la qualité. Il a fallu envoyer de nouvelles déclarations dans plus de 10 chefs-lieux de provinces. Alexandrie, Novare, Casai et Verceil en ont fait une immense consommation. Ce qui
(1) La souscription pour le nouvel emprunt de 35 millions.
vient de se passer prouve qu'il y a un bien plus grand nombre de petits capitalistes, qu'on ne le croit généralement, et ensuite cela prouve aussi, que la classe moyenne a pleine confiance dans le gouvernement. Les deux premiers jours, Gênes avait été bien tiède. Les souscriptions reçues à la Banque, étaient inférieures à celles reçues à Yerceil ! ! !
- Mais, hier, Gênes a réparé ses torts.
J'ai reçu une lettre particulière d'Hambro, qui répare un peu celle de sa maison. Je lui réponds amicalement. Il m'en coûte de me brouiller avec lui, car, au fond, je le crois assez bonhomme.
J'ai demandé à Rothschild 70,000 livres sterlings, pour le semestre. J'ai besoin encore de 10,000 livres sterlings. Pouvez-vous me les envoyer, de suite, et à quelles conditions?
Ce qui vaut mieux encore que la souscription, c'est la pluie, qui tombe, en petite quantité, il est vrai, mais sans discontinuer, depuis hier au soir. Si elle continue pendant vingt-quatre heures, les récoltes sont assurées. C'est un grand soulagement. Car, à vrai dire, j'envisageais avec terreur, la perspective d'une mauvaise récolte. Vous verrez que la confiance va renaître et que tout haussera.
Les Codini sont furieux; ils avaient prédit que l'emprunt ne se ferait pas, et que la sécheresse durerait jusqu'à la Saint-Jean.
Adieu, mille amitiés.
C. CAVOUR.
CCCLXXXII.
27 avril 1854.
Mon cher ami, J'attends votre Londres, que je vous ferai payer sans délais. Donnez-le-moi le meilleur marché possible.
J'ai envoyé hier 70,000 livres sterlings à Hambro. J'ai besoin de lui remettre encore 20,000 livres, d'ici au 15 mai.
Vous pouvez compter sur cette somme, à me fournir peu <fl peu.
J'ai retiré le crédit ouvert aux chemins de fer. Rothschild a été enchanté de se charger de nos affaires.
La politique ne se débrouillé guère. Heureusement, la pluie est venue à temps, nous préserver de calamités pires que celles que pouvaient nous causer des boulets.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLXXXIII.
3 mai 1854.
Mon cher ami, Grâce à vos 20,000 livres sterl. et aux 70,000 de Rothschild, le bon homme Hambro sera rassuré. Pour vous prouver combien ses éxigences étaient absurdes, je me bornerai à vous dire qu'il vient de m'envoyer le compte du semestre !l décembre 1853, d'après lequel il résulte n'avoir payé que (>2,000 livres sterlings. Je n'ai pas voulu me brouiller avec lui, car cela aurait fait du tort à notre crédit à la Bourse de Londres.
J'ai reçu hier, les dernières notes de souscriptions provenant de la Sardaigne. Le résultat définitif est: 6100 souscriptions pour 1,503,000 rentes. Là dessus il a été décidé que les souscripteurs des 3 premiers jours recevraient leurs rentes tout entières, ce qui emporte 1,120,000, et que les souscripteurs des 2 derniers jours recevraient tous 50 livres de rentes ; ce qui m'oblige à prendre de 30 a 40 mille livres sur les rentes laissées à Rothschild.
La rente monte à Paris, sans que je comprenne trop Pourquoi.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLXXXIY.
14 mai 1854.
Mon cher ami, Je vous autorise à payer les 1250 L. que Madame Rebizzo réclame de mon patriotisme.
Il fait un temps admirable, si nous étions en meilleure odeur dans les sacristies, on dirait que la Providence est décidément pour le Statut.
Je vous quitte
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCLXXXV.
21 juin 1854.
Mon cher ami, Les intentions du gouvernement, par rapport au Dock, ne sont nullement altérées. Il compte, comme je vous l'ai répété plusieurs fois, présenter, aux débuts de la session prochaine, un projet de loi pour être autorisé à vendre la darse et à transporter l'arsenal à la Spezia.
C'est-ce que j'ai répondu au bon Giorgio, toutes les fois qu'il m'a interrogé à cet égard. Il m'a demandé si je l'autorisais à faire connaître cette réponse. Je lui ai dit que nous n'avions aucun secret, et que, par conséquent, il pouvait donner à nos intentions la plus grande publicité.
Je m'en vais faire écrire à Ricci, pour qu'il finisse le travail que Randell lui a demandé.
Sarti a présenté un nouveau projet, mais il faudrait 60 millions pour l'exécuter.
Il fait un temps des plus vexants. Il pleut presque tous les jours. Cela retarde la récolte, qui est magnifique, et nous laisse sans blé.
Croyez à mes sentiments affectueux.
C. CAVOUR.
CCCLXXXVI.
16 août 1854.
Mon cher ami, J'ai reçu votre lettre du 14, et j'ai pris note des 25 livres sterlings qu'Hambro a payées pour mon compte, et dont vous m'avez débité en L. 510.
Si vous avez du Londres, ou si vous pouvez vous en procurer, je serais dans le cas d'en prendre. Je veux en ramasser, dès à présent, pour ne pas laisser dans l'inquiétude ce bonhomme de Hambro
Le choléra ne se développe pas à Turin, quoiqu'on signale quelques cas isolés. Ce fléau dérange furieusement tous mes calculs.
Adieu.
Votre dévoué C. CAVOUR.
CCCLXXXVII.
19 août 1854.
Mon cher ami, Votre Londres est trop cher. J'en ai pris ici, à 24.80.
Je consentirais bien, à vous payer 5 cent. de plus, mais 15, c'est trop. J'espère que la sécurité renaissant, le papier reparaîtra, et que je pourrai obtenir de meilleures conditions.
Le choléra n'augmente pas à Turin, il se borne a faire quelques victimes ça et là. La manufacture de tabac, du Parc, est la seule localité qu'on puisse dire un peu maltraitée. L'affaire des religieuses (1) a mis en émoi toutes les béates et les cagots. Édouard Lamarmora (2) renvoie de chez lui le ministre, son frère, pour mettre dans son appartement les capucines.
Cela amuse singulièrement le public.
Adieu.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR..
CCCLXXXVIII.
Leri, 26 septembre 1854.
Mon cher ami, Je suis venu passer à Leri mes vacances, loin de la politique et des affaires. Ce repos d'esprit m'a tout à fait réussi, et je me sens retrempé et prêt à reprendre avec courage le lourd fardeau du ministère.
Le choléra m'a poursuivi, sans m'atteindre. Les environs de Leri sont infectés, mais, chose étrange, jamais les rizières n'on été aussi salubres que cette année.
Un de mes amis m'ayant prié de lui prêter, sur le champ, 10,000 livres, que je n'ai pas sous la main, vous m'obligerez beaucoup, en envoyant, avant samedi, cette somme à Tosco.
Je vous la rendrai bientôt, car la récolte du riz est fort belle, et se vendra fort bien.
Les prix se soutiennent d'une façon désespérante. On a fait beaucoup de blé, on récolte du maïs et des châtai-
(1) La suppression des ordres monastiques.
(2) Ancien maître des cérémonies (bacchetta nera) de Charles-Albert-
gnes en abondance, et, malgré cela, tout est terriblement cher, c'est désespérant. J'espère que cela ne durera pas.
Adieu, mille amitiés.
C. CAVOUR.
CCCLXXXIX.
Turin, t" octobre 1854.
Mon cher ami, Me voici de retour, à mon poste, attelé de nouveau au char de l'État, qu'il faut traîner sur une route remplie d'ornières et bordée de précipices. La hausse du prix du blé et des autres céréales commence à me préoccuper extrêmement. Malheureusement, ce mouvement est général.
Malgré les excellentes récoltes de blé et de riz, et les récoltes passables de maïs et de châtaignes, nous sommes encore forcés de recourir aux céréales étrangères, pour satisfaire à tous nos besoins. Le Piémont ne peut pas nourrir à lui seul, la Ligurie. Il s'en suit que nos prix se règlent sur ceux de l'étranger. Il importe, par conséquent, de connaître l'état des marchés des autres pays. Vous me rendriez Un véritable service, en recueillant, par le moyen de vos nombreux correspondants, des données à cet égard. Interrogez aussi, je vous prie, les plus honnêtes granatini de Gênes. Je vois qu'ils tirent quelques chargements d'Algérie et de l'Espagne, mais, jusqu'à présent, c'est peu de chose, en comparaison des besoins de Gênes et des autres provinces du littoral.
Adieu, mille amitiés.
C. CAVOUR.
cccxc.
2 octobre 1854.
Mon cher ami, Veuillez me faire savoir à quelles conditions vous vous engageriez à me fournir, d'ici au 15 octobre, 20,000 livres sterlings.
C. CAVOUR.
CCCXCI.
10 octobre 1854.
Mon cher ami, Je suis désolé d'un quipro quo, commis par un copiste du ministre. Accoutumé à expédier à l'Intendance de Turin, l'ordre de payement des traites sur Londres, il n'a pas fait attention que le papier que vous me remettiez, devait être payé à Gênes. S'il s'était agi de sommes plus considérables, j'aurais transmis, hier, par le télégraphe, l'ordre de vous payer, à l'intendant.
Je tacherai d'empêcher que pareilles bévues se répètent.
Je vous remercie des intéressantes notions sur les blés, que vous me mandez. J'espère que la hausse s'arrêtera.
Depuis hier, le temps est à la pluie, ce qui permettra de faire de magnifiques semailles.
Adieu, mille amitiés.
C. CAVOUR.
Mon cuisinier, atteint par le choléra, est mourant.
CCCXCII.
24 octobre 1854.
Mon cher ami, Merci des renseignements sur la question des céréales, que vous avez bien voulu me fournir; je les ai trouvés du plus haut intérêt. En général, vos correspondants paraissent fort bien renseignés; les faits qu'ils énoncent, concordent entr'eux; ils diffèrent, néanmoins, beaucoup, dans leurs conjectures. Cela ne m'étonne pas, car le prix des blés dépend autant des besoins réels que de l'opinion, et l'opinion ne peut se prévoir.
Je vois, avec plaisir, arriver à Gênes, quelques cargaisons.
Je pense qu'ils ne nous faut pas une très grande quantité de blés, pour satisfaire à nos besoins. La récolte a été meilleure qu'on ne le dit, et les semailles viennent de s'achever dans les circonstances les plus favorables.
J'ai réfléchi à ce que vous m'avez répété, à plusieurs reprises, sur l'opportunité de fournir aux porteurs d'Hambro le moyen de se procurer des titres nominatifs, pour éviter des pertes analogues à celles que Rorà vient de subir. Je serais assez disposé à faire quelque chose. Si vous avez un plan à me suggérer, je vous en serai reconnaissant.
Je ne vous parle pas politique, car je ne saurais que vous dire. Sébastopol nous tient le bec dans l'eau.
Adieu, mille amitiés.
C. CAVOUR.
CCCXCIII.
Turin, 10 novembre 1834.
Mon cher ami, Yoiiz pouvez répondre à Mr Levat, que le ministère n'a.
ni le pouvoir, ni le désir d'empêcher la distillation des orges, des seigles, et autres céréales, ni de s'opposer à ce que l'on exporte les alcools, qui en résulteront.
Le ministère croit que le seul remède à la cherté des céréales soit la liberté de commerce; et il est à peu près certain que la majorité des membres du Parlement partagent cette opinion.
La seconde question que vous adresse Mr Levât, est plus délicate. L'administration admet le principe des drawback, mais elle en subordonne l'application à la possibilité de prévenir la fraude. Je ne sais pas si cela sera possible pour le produit de la distillation des mélasses, car, comment distinguer l'alcool qu'on en retire, de celui produit par la distillation des céréales, de l'asphodèle, etc.? Quoiqu'il en soit, vous pouvez dire à Mr Levat que, s'il me propose un moyen facile pour garantir l'administration contre la fraude, il obtiendra la restitution des droits. Vous lui observerez, d'ailleurs, que les mélasses ne sont soumises qu'a un droit assez faible : 6 francs les 100 kil. Dites à Mr Levât, que je viens de signer un décret pour autoriser l'établissement d'une Banque de dépôt, d'escompte et de circulation en Sardaigne, destinée à rendre de grands services à l'industrie et au commerce de cette île. Que, par conséquent, la compagnie des salines est intéressée à sa réussite ; ce qui me fait désirer qu'elle prenne part à la souscription des actions qui va s'ouvrir dans les principales villes de la Sardaigne.
On exagère beaucoup les besoins des finances. Si j'avais pu réaliser toutes les ressources portées au budget, les actions de Suse et de Novare, les terrains de la citadèle de Turin, etc.: s'il n'y avait pas des lenteurs et des retards dans le payement des impôts, je crois qu'on pourrait nouer les deux bouts de 1855, sans emprunt, malgré les sacrifices que le choléra, la guerre et la disette nous imposent.
Dans les circonstances actuelles, quelques millions seront nécessaires, mais en quantité beaucoup moindre de ce que vous me mandez.
Croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. Pouvez-vous me dire ce qu'il faudrait payer pour envoyer charger une cargaison complète de farines, à la Nouvelle-Orléans ?
CCCXCIV.
17 novembre 1854.
Mon cher ami, N'observant pas toujours, comme je devrais le faire, les préceptes de notre sainte Mère l'Église, je suis heureux de trouver une occasion de pratiquer, dans toute son étendue, Un des préceptes qui nous est le plus recommandé par l'évangile: le pardon des injures.
Mon ami (! !) Carpi, l'ex-gérant de La Maga, m'écrit qu'il est réduit à la misère et abandonné par les gueux qui se sont servis de lui comme d'un instrument aveugle de leurs iniquités. Il me demande un emploi. Vous comprenez que je ne saurais le lui accorder ; car il serait trop plaisant que la gérance de La Maga fut le chemin des places et des faveurs du gouvernement. Mais, en vue de sa femme et de
ses enfants, je ne puis donner qu'une petite aumône ; je vous prie, en conséquence, de remettre à Carpi, de ma part, s'il se présente à vous, 40 francs.
La politique s'embrouille furieusement. Je persiste, toutefois, à espérer dans l'avenir. L'hiver sera rude pour tout le monde, mais surtout pour le ministère. J'ai écrit à Heine (1), l'ami d'Hambro, de nous acheter 10,000 barils de farine, pour assurer le service des vivres defarmée, pendant le printemps.
Du reste, je ne consentirai à aucune mesure qui puisse gêner en rien les principes de liberté commerciale que j'ai soutenus toute ma vie. Dites-le bien haut, afin que les négociants en blé puissent, en toute sûreté, se livrer à leurs spéculations, qui seules peuvent nous préserver de la famine.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
cccxcv.
1 décembre 1854.
Mon cher ami, Pelletta craint qu'un navire de la portée du Des Geneys (2), n'ait de la difficulté à passer la barre du Missisipi ; en effet, jusqu'à présent, il n'est arrivé à Gênes, de la Nouvelle-Orléans, que des navires de 5 à 600 tonneaux. Ne voulant pas courir le risque de faire faire à notre vaisseau
(1) Commerçant, à la Nouvelle-Orléans.
(2) Le Des Geneys, frégate de la flotte sarde, armée de 50 canons construite à Gênes en 1827, portant d'abord le nom de Haute-Combe, qu'elle changea en 1839, contre celui de l'amiral sarde Des Geneys.
(RANDACCIO, Storia della marineria italiana, pag. 33 et 37).
un voyage inutile, j'écris à Heine de m'expédier les farines qu'il doit acheter, par des bâtiments marchands. Mais, pour utiliser le Des Geneys, j'ai pensé de l'envoyer charger à New-York. Nous payerons, sur cette place, les farines un peu plus cher, mais peu importe le prix ; l'essentiel est de n'en pas manquer.
Je viens, en conséquence, vous prier de me dire si vous pouvez m'indiquer une maison de toute confiance, à NewYork, que je puisse charger de l'achat de six à huit mille barils de farine. Dans le cas affirmatif, vous m'obligeriez en m'envoyant une lettre pour cette maison, que j'unirais à celle que je lui adresserai, en lui donnant un ordre positif d'achat.
Si vous n'avez aucune maison qui vous inspire pleine confiance, alors j'écrirai à Hambro, en lui laissant le soin de cette affaire.
Veuillez, je vous prie, me répondre par le retour du courrier.
Vous aurez lu notre loi sur les moines et les établissements ecclésiastiques (1). Je pense qu'elle sera blâmée également par les deux partis extrêmes.
Adieu.
Votre dévoue CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Le 28 novembre, le garde des sceaux, Urbain Rattazzi, avait présenté au Parlement le projet de loi pour l'abolition des Ordres Monastiques et des Communautés religieuses.
CCCXCVI.
19 décembre 1854.
Mon cher ami, Je vous prie de m'envoyer, si vous les avez en portefeuille, de 10 à 15 mille francs sur Paris, à un ou deux mois de date.
Dans quelques jours, je vous enverrai la situation du trésor, vous verrez que notre position n'est pas désespérée.
Je vois avec plaisir, qu'on continue à importer des blés à Gênes. Aussi les prix sont plus faibles. Dieu veuille que la hausse ne reprenne pas, car les prêtres me rendent responsable des hauts prix des céréales.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
A quelles conditions pouvez-vous remettre aux finances 5000 livres sterlings ?
CCCXCVII.
Turin, 22 décembre 1854.
Mon cher ami, Je vous remercie du Lyon, qui me va tout-à-fait.
Votre Londres est trop cher. Ici, je l'obtiens à 90, ou 92 */*, au plus. Je veux bien vous le payer 95, mais je ne puis aller au delà.
Comme j'ai constamment besoin de cette devise, veuillez, toutes les fois que vous en aurez en portefeuille, me le faire savoir.
En attendant la discussion des couvents, qui sera passablement animée (1), nous sommes embourbés dans une lutte scientifique, et la Chambre est transformée en une espèce d'Académie mathématique (2). Cela n'est pas amusant, mais cela fait honneur à notre sang-froid.
J'ai écrit à Iselin (3). Remerciez Hypte de sa recommandation.
Les Genevois devraient, eux aussi, faire venir des farines d'Amérique, car ils pourraient bien se trouver dans l'embarras ce printemps, ce qui aurait de facheuses conséquences en Savoie.
Dites-moi si Rochette (4) était marié.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXCVIII.
16 janvier 1855.
Mon cher ami, Les journaux vous auront appris, qu'après de longues discussions, le gouvernement du Roi s'est décidé à signer un traité d'alliance offensive et défensive avec la France et l'Angleterre (5). Partisan décidé de cette grave mesure, que mon
(l) La discussion commença le 9 ianvier 1855.
1-1 --- -- - --- (2) Il s'agissait de la nouvelle loi pour régulariser le cadastre, et de la méthode à suivre pour rendre ses résultats mathématiquement exacts.
(3) Mrss A. Iselin et C. a New-York, chargés d'acheter et d'expédier des farines au gouvernement sarde.
(4) Officier de marine, commandant du Port de Gênes, mort du choléra à Gênes, avec sa femme, en 1855.
(5) Le traité d'alliance du Piémont avec la France et l'Angleterre fut signé le 10 janvier 1855. Il semblerait que déjà au mois de janvier 1854, le comte de Cavour aurait eu l'idée de cette alliance et en aurait parlé au Roi, à qui elle souriait aussi. Le 10 avril 1855, était
collègue Dabormida (1) n'approuvait pas, j'ai dû en assumer toute la responsabilité, en prenant le portefeuille des affaires étrangères. Je ne me dissimule pas les conséquences que cette mesure peut avoir, mais, à mon avis, nous n'avions que le choix des inconvénients.
L'Angleterre nous prête 1,000,000 de livres sterlings,
signée à Londres, la convention entre la France et l'Angleterre, et, peu de jours après, le ministre d'Angleterre à Turin, sir James Hudson, engageait officieusement le gouvernement sarde à prendre part à la guerre. La position que prendrait l'Autriche était un point essentiel, dont le cabinet sarde devait tenir compte et ce ne fut que lorsqu'elle se fut décidée (2 décembre) à entrer dans l'alliance, que celui-ci (4 décembre) répondit affirmativement à la demande officielle de la France et de l'Angleterre, à condition: lOQue le Piémont prendrait part aux négociations pour la paix; 2° Qu'on prendrait en considération l'état de l'Italie, une fois la paix signée, et 3° que la France et l'Angleterre interposeraient leurs bons offices pour que l'Autriche enlevât le séquestre sur les biens des émigrés lombardo-vénitiens, naturalisés piémontais.
Cette dernière condition étant considérée par les plénipotentiaires comme une question intérieure dans laquelle ils ne pouvaient intervenir officiellement, fut supprimée et les autres furent plutôt sous-entendues que clairement formulées, en sorte que Kossuth avait raison de dire que « au fond, le Piémont avait dû conclure, sans conditions ni garanties, son alliance avec les Puissances occidentales «. Mais audaces fortuna juvat, et l'avenir donna raison à l'audace de Cavour, dans cette circonstance, comme dans bien d'autres.
(1) Le chevalier Giuseppe Dabormida, alors ministre des affaires étrangères (du 24 mai 1852 au 10 janvier 1855), né en 1799, mort en 1865, major-général dans l'armée sarde, député du Collège d'Avigliana à la lre législature, ministre de la guerre et de la marine (cabinets Alfieri et Perrone) en 1848, ministre des affaires étrangères en 1852 (2e cabinet d'Azeglio), donna sa démission parceque le traité conclu par le Piémont avec la France et l'Angleterre, ne contenait (comme nous l'avons dit, note 5), aucun article qui défendît les droits des émigrés Lombards, dont l'Autriche avait confisqué les biens. Il fut de nouveau ministre des affaires étrangères en 1859 (1er cabinet Lamarmora).
Il avait été, avec Boncompagni, un des plénipotentiaires du Piémont pour le traité de paix avec l'Autriche, en 1849 (Voir lettre CCIX).
à 3 i /3, et, si la guerre se prolonge plus d'une année, une seconde somme d'égale valeur.
Maintenant il faut songer à se procurer des fonds à Constantinople. Veuillez me dire quel serait, à votre avis, le moyen le plus économique pour le faire.
Je suppose qu'à Gênes on est contraire au traité. J'en suis bien aise, car l'expérience du passé me porte à ne reconnaître comme bonne une mesure, qu'autant que les Génois la combattent.
J'irai assister à l'embarquement des troupes.
Vous m'obligerez beaucoup, en m'envoyant 15,000 francs sur Paris.
Adieu, à la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCXCIX.
29 janvier 1855.
Mon cher ami, Le traité avec les puissances occidentales, me procure autant de livres sterlings que j'en ai besoin et même plus.
J'ai, par conséquent, cessé de faire des remises à Londres.
Je ne dois rien à Hambro, au contraire, j'ai quelques fonds chez lui. Et, quant à Rothschild, il faut lui rendre cette justice qu'il ne demande jamais de l'argent. C'est son meilleur côté.
La discussion du traité aura lieu vendredi ; j'espère que la Chambre le votera samedi. Je compte sur une majorité de 30 voix. Les centres le votent en masse, ainsi que plusieurs membres de la gauche, même la plus avancée. La droite seule le combat à outrance (1).
(1) La discussion commença le 3 février, et, après de vifs débats, la loi fut votée le 10. Sur 161 votants, elle obtint 101 votes favorables au traité d'alliance, contre 60 contraires et 1 abstention (Menabrea).
Je désirerais connaître l'opinion d' Hambro sur notre traité. Faitez-moi l'amitié de la lui demander.
Le passage des Français ne me paraît pas avoir donné lieu à des inconvénients. C'est un souci de moins.
Adieu.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
Dites-moi s'il n'y a plus rien à espérer du gaz.
cccc.
Turin, 3 juin 1855.
Mon cher ami, Je vous remercie de la part que vous avez prise à l'heureuse solution de l'affaire des couvents. J'espère que vous approuvez la reconstitution du ministère (1). Délivré des
(1) Le ministère s'était reconstitué comme suit, le 4 mai 1855: Cavour. présidence — Rattazzi, intérieur — Cibrario, affaires étrangères — De Foresta, grâce et justice — Lanza, instruction publique — Cavour, finances — Durando, guerre et marine — Paleocapa, travaux publics. L'ancien ministère s'était démis, parceque Monseigneur de Calabiana, sénateur du royaume, avait, dans la séance du 26 avril, offert au gouvernement la somme de L. 928,412 au nom de l'épiscopat sarde, pour les Congrue o Supplemento di congrue (honoraires du clergé) supprimées dans le budget de 1855, à condition que le gouvernement retirât la loi sur les couvents, et que le Roi penchait pour accepter cette offre. La démission fut acceptée par le Roi, malgré les conseils de d'Azeglio. Le ministère ne put être reconstitué sur des bases solides, qu'après la promulgation de la loi votée le 2 mars par la Chambre et le 3 par le Sénat, sur les couvents. « Rattazzi et moi, nous succombions sous le poids excessif du fardeau que nous portions depuis 6 mois". (Lettre du comte de Cavour au général A. Lamarmora, 31 mai 1855).
affaires étrangères, sans cesser toutefois de diriger l'ensemble de la politique, je pourrai, sans m'éreinter tout à fait, consacrer toutes mes forces aux affaires financières, qui, en définitive, sont les plus importantes.
Vous avez vu par ma réponse à Revel, que je ne songe pas à faire un emprunt, pour le moment. Toutefois, si la guerre se prolonge, si on continue à la faire en Crimée, où tout coûte énormément; si la récolte est mauvaise; si la maladie du raisin se renouvelle; si, enfin, tous les éléments conjurent contre nous, il est bien possible que nous soyons forcés, cet automne, de recourir encore à un emprunt.
Dans ce cas, soyez certain que je tiendrai grand compte des offres du bon Hambro, vis-à-vis de qui, je n'ai nullement gardé rancune. Vous voyez que je me suis constamment servi de lui pour nos affaires en Amérique. J'ai donné à Iselin rembours sur lui, ainsi cela lui prouve que je le traite aussi bien que Rothschild.
Il a raison de blâmer, après coup, mon emprunt trois Pour cent. Mais il oublie qu'il a été fait à une époque, où personne ne songeait à la guerre; à laquelle Mr Gladstone voulait réduire l'intérêt des consolidés, et où il était convenable de préparer, chez nous, le terrain pour la conversion de notre cinq pour cent.
Quant au revenu de nos chemins de fer, je crois qu'on peut calculer, une fois la ligne d'Arone ouverte, ce qui aura lieu dimanche prochain, sur un revenu brut de 11,000,000 et un net de 5,800,000; le revenu augmentera, j'en suis certain, soit par la force même des choses, soit Par l'ouverture du chemin de fer de la Savoie et des chemins de fer suisses. Au bout de trois ans, nous aurons Une recette de 15,000,000, soyez en certain. Cela étant, nous aurions de la marge pour garantir une nouvelle émission (le l'emprunt Hambro.
Je pense qu'Hambro est abonné à la Gazette piémontaise, qui donne chaque mois le tableau détaillé du produit
des chemins de fer. S'il ne recevait pas ce journal, vous devriez lui envoyer, au moins, les numéros qui contiennent des données statistiques intéressantes, soit sur les chemins de fer, soit sur d'autres branches des revenus publics.
Je recevrai Dellepiane (1), lorsqu'il se présentera. Si vous avez des nouvelles de Crimée, communiquez-les- moi, je vous en prie. Votre dévoué C. CAVOUR.
!
CCCCI.
15 juin 1855.
Mon cher ami, Une course à Leri m'a empêché de répondre à votre lettre du 5 courant.
A mon retour, j'ai donné l'ordre qu'on fît une copie du dessin de la machine pour la meule verticale (2). Dès qu'il sera fait, je vous l'enverrai.
Je verrai avec plaisir votre ami Mr Gordon (3). Dieu veuille qu'il nous apporte de meilleures nouvelles du choléra, qui sévit cruellement parmi nos soldats.
Après demain, aura lieu l'inauguration du chemin de fer jusqu'à Arona. Il y aura, je pense, de belles fêtes, vous devriez y venir. C'est un résultat important pour le pays.
Les récoltes s'étaient énormément améliorées par suite
(1) Mr Dellepiane, courtier en blés à Gênes.
(2) Une meule verticale pour le riz, pour laquelle Mess. Eisen et van Linden d'Anvers, avaient pris un brevet en Piémont.
(3) Sir Henry Gordon, capitaine anglais, frère du général Charles Gordon.
du beau temps, mais, voici bientôt cinq jours qu'il pleut de rechef, ce qui risque de les compromettre.
Adieu, mille amitiés.
C. CAYOUR.
•
CCCCII.
Turin, 27 juillet 1855.
Messieurs De la Bue et C., Gênes, En réponse à la lettre que vous m'avez adressée pour îïie proposer la vente de deux bâteaux à vapeur, je me borne à vous faire savoir que, puisque ces bâteaux sont en Angleterre, leurs propriétaires peuvent s'adresser à Mr le capitaine Ricci, qui se trouve dans ce pays, avec les pleins pouvoirs du ministre de la marine (1).
Je vous serai reconnaissant de vendre mes actions du gaz, en même temps que les vôtres.
Recevez mes compliments empressés.
C. CAVOUR.
CCCCIII.
Turin, 27 juillet 1855.
Mon cher ami, Je vous remercie des deux lettres très intéressantes que vous m'avez écrites le 17 et le 20 de ce mois, ainsi que
(1) Le gouvernement sarde acheta alors, en Angleterre, trois vapeurs (le la marine marchande, qu'il appela Dora, Tanaro et Varo, et il en loua deux de la compagnie Rubattino, le Lombardo et la Sardegna (HANDACCIO, Le Marinerie militari italiane, pag. 163).
de ce que vous avez fait à l'égard du chemin de fer Victor Emmanuel (1).
Puisque vous voulez bien continuer cette négociation?
je vous serai fort obligé de vous rendre à l'Assemblée générale qui aura lieu à Chambéry. Vis-à-vis des Savoyards, vous aurez soin de ne pas laisser soupçonver que le gouvernement veuille céder sur la question de Culoz. Il faut que l'initiative de la concession vienne de la Société, et qu'elle soit appuyée par les Savoyards, et spécialement par ceux de Chambéry.
A Odier même, vous ne parlerez que comme si vous vous étiez formé une opinion d'après ce que vous m'avez entendu dire.
Quant au fond, je crois indispensable la fusion des deux compagnies, et, ensuite, la concession immédiate de la jonction à Culoz, avec l'assurance que le gouvernement français concèdera Saint-Génis dans un temps donné, ou dans de certaines circonstances.
Il faut agir avec la plus grande prudence, car Paleocapa tient beaucoup plus que moi, à Saint-Genis, et ce ne sera pas sans peine que je pourrai l'amener à accepter une transaction.
Lafitte, à ce qu'on m'assure, est hostile au projet de fusion, par rivalité avec Bartholony; tenez-vous envers lui sur la plus grande réserve.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués. C. DE CAVOUR.
(1) Mr de la Rüe avait été chargé par le comte de Cavour, de voir, à Paris les directeurs du Chemin de fer de la Savoie et de tâcher de les amener à s'engager à construire la ligne Saint-Genix-Lyon, pour satisfaire le vœu de la Savoie, et à fusionner avec la Compagnie I Bartholony.
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)
CCCCIV.
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24 août 1855.
Mon cher ami, Je vais tâcher de faire recueillir les documents relatifs a nos chemins de fer, que Hambro vous a demandés (1).
Si l'occasion se présente de faire un emprunt à l'étranger, Je serai charmé de recevoir les offres d'Hambro, auquel je suis resté très attaché, malgré ses petites manies. Vous Pouvez lui en donner l'assurance formelle.
Ce que vous me dites de la demande de crédit que le chemin de fer de Cuneo a faite à Hambro, m'étonne fort, car ce chemin étant administré par Bolmida, ne devrait Pas être embarrassé pour se procurer des fonds, s'il en avait besoin. En effet, Bolmida a encaissé ces jours, 2,000,000 Pour compte de Rothschild, avec ordre de lui envoyer du Turin long. Quoiqu'il en soit, Hambro peut faire crédit à Cuneo, non seulement de 10 mille, mais de 100 mille livres sterlings, car ce chemin donne de très beaux produits, qui f augmenteront encore dans de très fortes proportions. Les actionnaires retireront, cette année, le 7 p. °/0 pour le moins, et je ne serais pas étonné que, dans deux ans, ils retirassent le 10 p.
Quant à M , c'est un honnête et gentil garçon, qui, après avoir gagné beaucoup d'argent, s'est trop engoué de la ligne de Coni, dont il était directeur, et s'est, en conséquence, forcé les poches d'actions de cette ligne, au delà de ce que ses moyens lui auraient dû conseiller de faire,
(1) Mr Hambro paraît disposé à vous proposer de faire un second emprullt sur hypothèque des chemins de fer (Lettre de Mr de la Rite (lU comte de Gavour, 21 août 1855).
Malgré la baisse des actions, il est encore sur le bon; si elles remontent, comme il le pense, il sera riche, si elles restent au cours actuel, il sera pelé. Mais, même dans cette hypothèse, il mériterait un certain crédit, vu qu'il travaille maintenant, avec beaucoup de prudence. Cette année d'ailleurs, comme tous les marchands de soie, il doit gagner de l'argent.
Adieu, écrivez-moi de Paris.
Votre dévoué C. DE CAVOUR.
Vous trouverez Bolmida à Paris, il vous mettra à part de ses projets de crédit mobilier.
ccccv.
Turin, 16 octobre 1855.
Mon cher ami, Dans la négociation de notre convention avec l'Angleterre, il avait été convenu que les payements de l'emprunt que cette puissance consentait à nous faire, commenceraient à l'époque de la déclaration de guerre. Un changement de rédaction, fait à Londres, sans mauvaise volonté, a été cause que cette époque a été fixée après l'approbation de la convention par le Parlement. J'ai consenti à ce changement, parceque Hudson m'assurait que l'acte en question passerait sans difficultés. Malheureusement, une foule de petites contrariétés ont retardé l'échange des ratifications, et l'acte qui les sanctionnait, par suite de l'interruption des séances du parlement, à cause des vacances de Pâques, n'a passé que le premier mai. Il s'en suit qu'au lieu de recevoir 500,000 livres sterlings le premier février, je ne les recevrai que le premier mai.
Ce retard me contrariant beaucoup, j'ai réclamé auprès du gouvernement anglais, qui s'est empressé de me répondre
1 qu'il était prêt à présenter au Parlement une loi pour s faire changer, selon mes désirs, les époques de payement de notre emprunt, si je n'aimais mieux laisser les choses belles qu'elles étaient, en recevant en payement, dans le mois de janvier, des traites payables le premier mai. Cette seconde alternative me paraît infiniment plus convenable, mais, comme j'ai besoin d'argent en décembre, si je l'accepte, il me faudrait pouvoir compter sur le concours d'une Maison de Londres pour une anticipation de fonds.
Je suis persuadé que les Rothschild de Londres, que j'ai trouvés toujours très coulants, seraient très disposés à prendre des arrangements à cet égard, mais j'ai pensé que cette opération pouvait être faite, plus avantageusement pour le trésor, par Hambro, avec votre concours.
Je vais vous faire connaître mon idée, afin que vous la communiquiez à Hambro, si vous le jugez convenable.
Hambro s'engagerait à accepter des traites que vous titriez sur lui à l'ordre du trésor sarde, payables du 1er au 15 février, et le trésor s'engagerait à couvrir Hambro, avant leur échéance, au moyen des traites payables au premier mai, faites en sa faveur par le ministre des finances d'Angleterre.
Cette opération, qui ne présente pas le plus petit danger et n'éxige pas le moindre débours, peut vous procurer un j assez joli bénéfice.
Si vous croyez qu'Hambro accepte, moyennant une commission de banque, écrivez-lui sur le champ. Vous pouvez ajouter qu'Azeglio (1), au besoin, lui fournira tous les renseignements qu'il pourra désirer sur cette affaire.
Comme il est nécessaire que je prenne mes mesures pour assurer le service du trésor, sans délai, vous m'obligerez eu ne perdant pas une minute pour écrire à Hambro.
Croyez à ma sincère amitié.
C. DE CAVOUR.
(1) Ambassadeur du royaume de Sardaigne à Londres.
CCCCVI.
Turin, 25 octobre 1855.
Mon cher ami, J'ai reçu, hier au soir, très tard, la dépêche suivante, d'Azeglio : « Arrangé l'affaire Hambro. Gouvernement anglais a effets date 1er novembre six mois".
Je pense que cela veut dire qu'Hainbro, pour accepter des traites, aura demandé d'avoir entre les mains les pagherb du gouvernement anglais, et que celui-ci y aura consenti. Au reste, les lettres d'Hambro et d'Azeglio, qui ne peuvent se faire attendre, nous expliqueront ce que cette dépêche a d'obscur.
Bolmida a prolongé son séjour à Paris, pour voir fonctionner le métier électrique. Le télégraphe nous ayant appris, hier, qu'il fonctionnait avec succès, je pense qu'il va se mettre en route.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCVII.
Tnrin, 29 octobre 1855.
Mon cher ami, Je viens de recevoir une longue lettre du brave Hambro, qui me rend compte des arrangements qu'il a pris avec
Azeglio. D'après ce qu'il me dit, tout serait convenu, sur les bases suivantes: 1°) Azeglio remettrait à Hambro, après les avoir en- dossées, les traites au premier mai qu'il retirera du chan- celier de l'échiquier;
2°) Vous tirerez sur Hambro, à l'ordre du trésor, des traites à trois mois, dont l'échéance sera réglée du 1" février au premier mars; 3°) Hambro sera autorisé à se couvrir de ses avances, en négociant au mieux, toutes les fois qu'il sera à découvert, les traites sur le trésor anglais.
Reste à fixer la commission. Ne devant faire aucune avance, et ayant entre les mains des contre-valeurs qui équivalent à du numéraire, elle doit nécessairement être modique. S'il en était autrement, mes ennemis, et j'en ai beaucoup, me critiqueraient amèrement.
Je vous prie, par conséquent, de vous contenter de */s, sacrifiez * /8 sur l'autel de la patrie.
Ce n'est pas la somme qui est importante, c'est l'effet moral. Je suis persuadé qu'Hambro ne vous désavouera pas.
Dès que je saurai votre réponse, j'écrirai à votre maison et à Hambro, une lettre qui réglera l'affaire d'une manière définitive.
J'espère que la Banque n'aura pas fait de nouvelles sottises, et qu'elle continue à donner des pièces de 20 fr.
à tous ceux qui en demandent. De votre côté, je vous supplie d'user de toute votre influence pour faciliter les opérations. Notre crédit est intimément lié à celui de la Banque. Le commerce de Turin, surtout, ne peut pas se passer de son appui. Si celui-ci venait à lui manquer, il s'en suivrait des conséquences déplorables.
Le départ du Roi (1) est fixé, d'une manière définitive, pour le 20 du mois prochain. Il s'embarquera à Gênes.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
C. CAVOUR.
(1) Le ministère est depuis longtemps convaincu que pour faire sortir le Roi de l'état d'abattement, où l'ont plongé les malheurs qui l'ont accablé, il serait utile de le décider à faire un voyage en France et en Angleterre » (Lettre du comte de Cavour au marquis E. d'Azeglio, 33 — BERr. Lettres de C. Cavour.
CCCCVIII.
31 oetobre 1855.
Mon cher ami, Je n'ai aucune difficulté à attendre que vous ayez reçu la réponse définitive d'Hambro, pour vous écrire, ainsi qu'à lui, les lettres que nous aurons entendues.
Pour éviter toute méprise, il serait peut-être utile que vous vinssiez faire une course à Turin. Pour être sûr de me trouver, venez dîner avec nous.
Adieu, à la hâte.
Tout à vous C. CAVOUR.
CCCCIX.
Turin, 2 novembre 1855.
Mon cher ami, La Banque s'est décidée à changer les billets en or, et ne reviendra plus sur cette décision. Il ne faut, cependant, pas se dissimuler que cette mesure, qui aurait dû être adoptée il y'a six mois, ne la place maintenant dans une
arnbassadeur à Londres, 3 juin 1855 — N. BIANCHI, Politique dit comte Cavour, pag. 76 et 77). La mort (12 janvier 1855) de la reine Marie Thérèse, mère de Victor-Emmanuel, celle de la reine Marie-Adélaïde, son épouse (21 janvier) et celle du duc de Gênés, son frère (12 février 1855), survenues à si peu d'intervalle l'une de l'autre, avaient plongé le Roi dans un douloureux abattement. Le parti rétrograde voyait dans ce double deuil un châtiment de Dieu, pour les lois impies (couvents, etc.) que le Roi avait signées.
Position difficile. Le gouvernement doit l'aider à surmonter la crise qui la menace.
Bombrini est venu me parler; j'ai eu avec lui une entrevue à laquelle a assisté Bolmida, arrivé dans la journée, de Paris. Il est maintenant, indispensable que nous causions ensemble. Si vous pouviez venir lundi, je vous en serais reconnaissant, arrangez-vous pour avoir le temps de voir Bolmida.
Bolmida revient peu édifié du personnel de la Bourse de Paris. Il ne me paraît pas inquiet sur la position de cette place, il a surtout une confiance illimitée dans les ressources du Grand Baron.
Dimanche je vais à Pallanza.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
C. CAVOUR.
ccccx.
9 novembre 1855.
Mon cher ami, Je ne connais guère les propositions d'Hambro. Il ne peut me convenir de faire escompter des traites à 3 '/* Pour ne tirer que le 5. D'ailleurs, pour le moment, l'essentiel est d'aider la Banque à sortir de l'embarras, où l'a placée l'impéritie des ses administrateurs à Gênes.
Bombrini a été, dans cette circonstance, au-dessous de sa réputation.
Demain je vous adresserai la lettre officielle qui doit établir les bases de notre opération. Sauf un avis contraire, par le télégraphe, j'en adresserai une toute pareille à Hambro.
Vous m'avez mal compris, si vous avez cru que je vous ai dit que je n'aurais pas recours à l'emprunt. Au con-
traire, je ne vous ai pas dissimulé que, la guerre continuant, un emprunt était inévitable. Sachant la lenteur des Chambres, je proposerai l'emprunt au début de la session, pour le faire ce printemps.
J'ai demandé des renseignements sur les farines à Ricci, mais il ne compte rien faire sur cet article.
J'ai pris, toutefois, bonne note de ce qu'il vous écrit à ce suj et.
Adieu.
Votre dévoué C. DE CAVOUR.
CCCCXI.
13 novembre 1855.
Mon cher ami, Si vous pouvez vous abstenir de faira de l'opposition aux propositions relatives à l'établissement d'une succursale en Sardaigne, qui seront soumises à l'Assemblée générale, vous m'obligerez beaucoup. Je ne puis ici entrer en discussion sur leur mérite ; je me borne à vous observer que cet établissement doit être très utile au pays et à la Banque. La Sardaigne, quoiqu'on en dise, est en voie de progrès. Depuis quelques années elle a absorbé beaucoup de numéraire.
Avec un établissement de crédit, ce numéraire sera de nouveau mis en circulation. J'ai eu toutes les peines du monde à faire pénétrer ces vérités dans le cerveau épais des régents génois. S'ils ont consenti à ce que je leur demandais, c'est uniquement pour ne pas me fâcher. Maintenant, si vous parliez dans un sens contraire, ils pourraient croire que je ne tiens pas autant que je le leur ai dit, à la suc- cursale de Cagliari.
Si l'assemblée accepte et sanctionne mon projet, je mettrai sur le tapis la cession de la monnaie à la Banque, et
la refonte du billion; mesures, à mon avis, de la plus haute importance, et qui doivent assurer la prospérité de cette institution.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
C. DE CAVOUR.
CCCCXII.
15 novembre 1855.
Mon cher ami, Je vous remercie du sacrifice que vous avez fait, en vous abstenant de proposer des amendements à la Banque de Sardaigne. Les billets de 30 francs sont un non-sens, ceux de 20 francs sont limités à une somme insignifiante.
J'attends Bombrini, pour tacher de le persuader d'adhérer à la proposition du Conseil de Turin, de ne plus donner des mutte (1). J'espère le convaincre.
Le change a beaucoup diminué à Turin. Avant la fin de l'année, on rapportera à la Banque les 20 francs qu'on en a retirés.
Vos observations sur l'emprunt seraient sans réplique, si l'emprunt pouvait se faire du soir au lendemain. Mais, avec deux Chambres, il faut compter sur un délai de deux et même trois mois, pour faire passer la loi d'emprunt. La dernière fois, les lenteurs du Sénat nous ont coûté plusieurs Inillions.
Je pars mardi prochain (2); si vous avez quelque chose
(1) Anciennes pièces de 8 sous (40 centimes) en usage dans les États sardes
(2) Pour Paris et Londres, où il allait accompagner le Roi en qualité de ministre.
à me mander, écrivez-moi à Paris, sous le couvert de l'am- bassadeur de Sardaigne.
Adieu, j'emporte les dessins, dont vous voulez faire présent à votre sœur. Envoyez-moi son adresse, je me rappelle la rue, mais j'ai oublié le numéro.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXIII.
18 novembre 1855. Mon cher ami, Je viens vous dire encore adieu, avant de partir. Après mon départ, vous correspondrez avec Santa Rosa (1). Vous pouvez vous adresser à lui, confidentiellement, comme à moi.
Bombrini m'a paru convaincu de la nécessité de suivre mes conseils, soit par rapport au billon, soit pour ce qui regarde la monnaie. Aidez-le à travailler l'opinion à Gênes dans ce sens.
Ayant opéré une rentrée, sur laquelle je ne comptais pas du tout, je me trouve en fonds et n'aurai pas besoin de recourir à votre obligeance pendant mon absence. Ce sera pour une autre occasion.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Le comte Teodoro Derossi di Santa Rosa, alors directeur général du trésor.
CCCCXIV.
Turin, 17 décembre 1855.
Mon cher ami, Je n'ai pas encore eu le temps de vous remercier de la lettre que vous m'avez adressée, à mon retour de Paris.
Les résultats du voyage que nous avons achevé, sont favorables, sous tous les rapports. Le moins essentiel, à mes yeux, n'est pas celui d'avoir convaincu le Roi du cas qu'on faisait de sa personne, en France et en Angleterre, malgré les efforts de nos rétrogrades pour le déconsidérer. Ce voyage a raffermi le système constitutionnel; il équivaut à dix ans de vie.
J'ai vu le bon Hambro, et nous nous sommes traités comme de vieux amis. Il m'a parlé fort convenablement de Rothschild, avec lequel j'ai eu le plaisir de faire deux fois le trajet de Paris à la mer.
J'ai beaucoup vu Perreire. C'est un homme étonnamment habile. Il a plus d'esprit que tous les banquiers de Paris KHinis. Je pense que son action chez nous, peut être utile ; il s'agit seulement de savoir la dominer.
Je suis certain qu'il ferait notre Dock, qu'il canaliserait le Pô et coloniserait la Sardaigne. Bolmida hésite un peu, Par suite des liens qui l'attachent à Rothschild. En atten- • flant, j'ai fini avec Lafitte. Il fera le chemin jusqu'à Mo(lane, d'un côté, Culoz et Annecy, de l'autre. La Savoie devrait être contente ; mais cela ne l'empêche pas de crier contre moi.
J'espère que ces messieurs de la Banque reconnaissent que j'avais raison de les forcer à adopter les payements en or. Ils seront maintenant disposés à se charger de la mon-
naie. Il faut toujours que je les force à faire de bonnes affaires.
Je crois pouvoir vous annoncer que vous aurez Jaillet à Gênes, au premier janvier.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXV.
24 décembre 1855.
Mon cher ami, Je viens réclamer de votre amitié un service en faveur d'un établissement, qui, malgré bien de fautes, a cependant rendu des services à la Sardaigne. Il s'agit de la Société Victor Emmanuel, qui a desséché l'étang de Santury en Sardaigne. Cette Société, après avoir absorbé de grands capitaux, a emprunté, en 1851, 500,000 au marquis Pallavicini, avec lequel, je crois, vous êtes très lié.
Il paraît que, malgré cet emprunt et de nouveaux versements faits par les actionnaires, la Société est encore dans une position embarrassée, et ne peut satisfaire à ses engagements envers le marquis C. Pallavicini. Celui-ci, voulant user de son droit, a déclaré vouloir recourir aux tribunaux, ce qui serait la ruine de la Société.
Dans cet état de choses, un capitaliste, homme d'affaires en même temps, que j'ai connu avantageusement, Mr Perret de Lyon, s'est adressé à moi et m'a écrit la lettre ci-jointe, afin que je m'intéressasse à la Société et lui obtinse un sursis de Mr Pallavicini. Je n'ai aucun titre pour me mêler de ses affaires particulières, mais je pense qu'il ne trouvera pas mauvais que, par votre entremise, je le prie d'adopter le parti suivant, qui ne compromettrait pas ses intérêts et
sauverait, peut-être, la Compagnie: ce serait d'accorder à celle-ci un délai d'un mois, à condition que dans l'intervalle, Ml' Perret se rendra à Gênes pour traiter avec lui. D'après ce que j'ai appris sur le compte de ce dernier, je crois que s'il se mêle de cette affaire, c'est qu'il a les moyens de la mener à bien.
Dans le cas où la Société, malgré les efforts de Mr Perret, serait forcée de liquider, alors elle pourrait charger de ce soin la Société que Bolmida et vous êtes en train de fonder pour coloniser la Sardaigne sur une grande échelle.
Je pense qu'on est très anxieux à Gênes, de savoir comment tourneront les nouvelles négociations. Je n'en sais pas plus que le public. A Paris, on ne parle que de paix, tandis qu'à Londres on est plus belliqueux que jamais.
Pendant votre absence, votre maison m'avait parlé de la possibilité de vendre nos actions du gaz; il paraît que cette chance heureuse s'est évanouie, car je n'en ai plus entendu parler.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXVI.
25 décembre 1855.
Mon cher ami, Je vous ai écrit, de mon côté, au sujet de la Société V. E.
en Sardaigne. Ne faites rien et conseillez au marquis Gigi Pallavicini de ne rien faire, sans l'intervention personnelle de Mr Perret.
Bolmida a envoyé un ultimatum à Rothschild; demain la réponse doit arriver.
Adieu.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXVI1.
, 21 janvier 1856.
Mon cher Entile, La maison F. Rignon et Comp. (1), qui a rendu d'immenses services à l'industrie séricole, s'est décidée à envoyer un de ses agents à Brussa, pour y exploiter une filature du gouvernement turc. Elle m'a prié de lui faire ouvrir un crédit à Constantinople, par une maison de Gênes qui lui gardât un secret absolu.
Je n'ai pas cru devoir lui refuser ce service, et, par conséquent, je leur remets cette lettre pour vous, en vous priant de leur ouvrir, sous ma responsabilité, un crédit de 25,000 francs, dans la personne de Mr Louis Canfari, leur mandataire.
Les Rignon sont des plus habiles et des plus honorables industriels du pays. Ils ont déjà gagné, et sont en train de gagner beaucoup d'argent. Je suis certain que vous n'aurez qu'à vous louer de vos rapports d'affaires avec eux.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXVIII.
27 janvier 1856.
Mon cher ami, Je vous remercie de ce que vous ferez pour Mrs Rignon, qui, par leur zèle, leur activité et leur intelligence, ont bien mérité du pays. Cette maison, sans être encore très riche, est en voie de s'enrichir, car elle est parvenue à accréditer ses produits sur le marché de Londres, d'une
(1) Banquiers et négociants de soie, à Turin.
manière toute particulière. En effet, ses marques obtiennent couramment 3 à 4 francs par R., de plus que les marques des autres mouliniers. Cette année cette maison gagne beaucoup. Elle jouit d'un crédit considérable. Lorsqu'elle a tiré sur ses correspondants de Londres et de Lyon, elle place facilement des sommes considérables. Bolmida leur prend, sans hésiter, jusqu'à 400 mille. Les finances en font autant.
A l'époque de la récolte, j'ai même été jusqu'à 600 mille francs.
Quant à G., ce n'est rien, financièrement parlant. Ce sont des habiles mouliniers qui travaillent avec les fonds des Rignon. Ils ne sont pas établis depuis longtemps, pour avoir gagné des sommes considérables.
Tosco ira, la semaine prochaine, pour acheter ma provision de guano et en soigner l'expédition. Je le recommande à vos bontés.
La Chambre de commerce de Gênes se plaint amèrement de ce que les banquiers ne veulent pas aller à la Bourse qu'on vient d'ouvrir (1). Pourquoi cette opposition à une mesure qui me paraît éminemment utile ? Je vous prie de tâcher de la faire disparaître. Entraînez vos amis à la Bourse, les autres vous suivront.
Nous travaillons ferme, à l'affaire de la Sardaigne, avec Bolmida ; j'espère que nous viendrons à bout de faire quelque chose d'utile pour les actionnaires et pour la Sardaigne.
Le Londres est devenu bien cher. En avez-vous ? A quel prix pourriez-vous en céder aux finances ?
Adieu.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
0) Les banquiers de Gênes se réunissaient, depuis fort longtemps, -dans une salle du palais delle Compere (ancienne Banque de S. Georges) -et avaient peine à y renoncer pour aller à la nouvelle Bourse, ouverte -dans la loge de piazza Banchi.
CCCCXIX.
30 janvier 1856.
Mon cher ami, Votre Londres est trop cher; j'en ai trouvé hier à 25,25, à un mois, ce qu'il m'en fallait pour me mettre en règle avec Hambro.
D. est un blagueur. A force de me tourmenter, j'ai fait examiner son projet de Mandraccio, par des hommes techniques. Ceux-ci ayant déclaré qu'il pouvait s'exécuter sans graves inconvénients, j'ai répondu à D. que, tout en maintenant mon opinion sur le projet Randell, si personne ne se présentait pour l'exécuter et que lui eût une Compagnie sérieuse prête à entreprendre les travaux du Mandraccio, je prendrais sa demande en considération. Je suis tellement persuadé de la nécessité d'un Dock à Gênes, que le premier venu aura de grandes chances de m'attendrir.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
ccccxx.
10 février 1856.
Mon cher ami, Bolmida est très disposé à entrer dans l'affaire du Dock Randell, soit personnellement, soit dans l'intérêt du Crédit mobilier. Je ne vois pas d'inconvénients à ce que Bombrini y prenne part, comme il participe à toutes les affaires qui se font à Gênes.
Je pars jeudi pour Paris (1), bien à contre-cœur. Je ne sais trop comment j'y serai reçu. La France est en coquetterie avec l'Autriche. Walewsky est sous l'influence de Hiibner, qui nous fait une guerre à mort. L'Angleterre nous donne de belles paroles; mais voudra-t-elle prendre fait et cause pour nous ? Je le croirais si Palmerston était son représentant, mais Clarendon ne nous est guère favorable.
Quoiqu'il en soit, j'espère que nous nous en tirerons, sinon avec avantage, du moins avec honneur. Je suis bien décidé à me retirer si on me marchande notre participation.
Je vous indiquerai mon adresse ; si vous aviez à m'écrire de suite, envoyez votre lettre.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXXI.
11 mars 1856.
Mon cher ami, Je ne saurais vous faire une réponse précise à ce que Vous me demandez par votre lettre du 9 courant, car je n'en saisis pas bien la portée. S'il s'agit seulement de la création, pour le moment, d'une portion de Dock, je crois que vous pouvez l'obtenir, pourvu que l'époque où le projet
(1) En qualité de représentant du Piémont au Congrès de Paris. Massimo d'Azeglio avait d'abord été chargé de cette mission, mais il y renonça, à la suite de quelques petits froissements et ne jugeant pas que sa position y serait assez nette. Cavour en fut alors chargé bien décidé à ne pas intervenir au Congrès, si nous ne sommes pas admis à discuter tout ce qui peut nous intéresser, soit politiquement, soit Matériellement (Lettre du comte de Cavour au marquis E. d'Azeglio, 9 février 1856); et l'on sait avec quelle fermeté et quelle habileté il remplit cette mission délicate.
complet devrait être achevé, fût déterminée d'une manière absolue. Mettez-vous en mesure d'agir promptement, car, une fois la paix signée, et elle le sera certainement, les Compagnies surgiront de tous les côtés.
La paix est venue trop tôt pour nous; elle nous fait perdre de belles chances. Patience!
Je suis très fatigué des affaires et du monde, et un peu dégoûté de la politique. Je ne sais si j'aurai le courage et les forces nécessaires pour continuer à supporter le fardeau des affaires. Tant travailler pour obtenir de si maigres résultats, c'est peu encourageant.
Comptez sur la paix, pour Pâques ou le dimanche in AJbis.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXXII.
(Paris?) 23 mars 1856.
Mon cher ami, A l'état actuel des choses, je n'hésiterais pas à me prononcer pour le projet Randell ; mais vous concevez que je ne puis m'engager d'une manière définitive, ne sachant pas ce qu'on pourra nous proposer d'ici à quelques mois.
Toutefois, comme vous êtes et serez la seule Compagnie nationale sérieuse, comme vous serez les seuls qui ayent un plan définitif, comme vous aurez pour vous l'appui du premier ingénieur de l'Europe, je pense qu'il y a dix contre
un à parier que vous obtiendrez la préférance. Hâtez-vous : donc; c'est le meilleur moyen de réussir.
La paix ne tardera pas à être signée. Mais, comme tout , le monde ici y compte depuis longtemps, elle ne produira probablement pas un très grand effet.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXXIII.
Turin, 3 juin 1856.
Mon cher ami, Je suis satisfait de la vente de mes actions du gaz.
J'ai adhéré aux demandes d'Oneto (1), qui tendent à doter Gênes d'une grande institution de crédit, qui pourra faire beaucoup de bien, si elle étend ses opérations dans toutes les villes où la banque a des succursales.
Je serai charmé de voir votre beau-frère, à son passage ; je le prierai, probablement, de porter des lettres à Paris et à Londres.
Vous avez bien fait de ne pas commanditer B., non que l'affaire en elle-même soit mauvaise, mais, parce que les entreprises agricoles ne sont pas de nature à convenir à des Sociétés anonymes.
Croyez à mes sentiments affectueux.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) François Oneto de Gênes (député de Recco en 1848). Il s'agissait de l'établissement de la Caisse d'escompte de Gênes. — « Il signor Oneto di Genova mi ha scritto che il grande banchiere Parodi, scuotendo al fine la sua inerzia, stava per costituire una Cassa di sconto, per mezza di una Società anonima. È un buon indizio, giacchè è il banchiere il Più ricco, il più timido e sinora il più ostile al Governo che vi esista flello Stato. Ho risposto ad Oneto eccitandolo a presentare la sua doIllanda il più presto possibile » (Lettre du comte de Cavour au commi G. Lanza, ministre intérinaire des finances, en date de Paris 30 mars 1856. CHrALA, II, p. 422).
CCCCXXIV.
17 août 1856.
Mon cher ami, Ayant besoin de Londres pour couvrir Hambro, SainteRose a chargé Bombrini de lui en acheter. Celui-ci, jusqu'à présent, n'a rien fait, sous le prétexte qu'il n'en trouve pas.
Je viens, en conséquence, m'adresser à vous, en vous priant de me dire si vous pourriez vous charger de fournir au trésor, d'ici à la fin du mois, de 15 à 25 mille livres sterlings, et à quelles conditions.
Tenez, je vous prie, cette communication secrète.
J'espère que votre nouvelle caisse d'escompte va bientôt fonctionner. Je vous recommande de ne pas être trop sévère dans l'acceptation du papier. Une caisse d'escompte ne doit pas être aussi rigoureuse qu'une Banque de circulation.
On m'écrit que les écus ont un agio à Marseille. Aussi la Banque est revenue au change en or.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXXY.
10 octobre 1856.
Mon cher ami, J'ai été fort affligé du triste événement que vous m'avez communiqué (1). N'auriez-vous pas pu l'éviter, en laissant tout votre argent à la Banque, ou au comptoir?
(1) Le caissier de Mr De la Rüe s'était enfui, emportant une forte pomme de sa caisse, environ 300,000 francs.
Je vous remercie de la proposition que vous me faites de faire passer votre beau-frère par Turin, en revenant de Londres et Paris. Je n'en profiterai pas, car je ne reçois déjà que trop de courriers. La politique se complique chaque jour, au point que je ne sais plus comment m'en tirer. Je suis sur les dents. D'autant plus que je suis privé de Salniour (1), qui est allé à Gênes se loger sous le même toit que5 vous.
Je viens vous demander si vous voulez me céder de 15 à 25 mille livres sterlings, d'ici à la fin du mois, et à quelles conditions.
L'argent, rare à Turin, est très abondant dans les provinces. Depuis que j'ai relevé le taux des bons du trésor on m'en demande de tous les côtés.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXXYI.
Turin, 25 novembre 1856.
Mon cher ami, Je m'empresse de répondre à votre lettre du 24 courant, qui en renfermait une de Hambro du 20.
Je n'ai jamais songé à négocier un emprunt, en cachette, avec Rothschild et le crédit mobilier. Ce serait un mode d'agir qui serait sévèrement, et avec raison, blâmé par le Pays. Je n'ai pas besoin d'argent, pour le moment, les recettes ordinaires et les bons du trésor suffisent pour maintenir les caisses de l'État dans l'abondance. Toutefois, comme il est prudent de prévoir les éventualités écono-
(1) Le comte Roger Gabaleone de Salmour, ami de jeunesse du comte -de Cavour, secrétaire général au ministère des finances , puis au ministère des affaires étrangères et ensuite ministre plénipotentiaire à ^aples, où il resta jusqu'en 1859.
33 — B;RT. Lettres de C. Cavour.
miques et politiques de l'avenir, je ne renonce pas à mou projet d'emprunt, surtout si je puis le relier au percement du Mont-Cenis.
Je travaille au budget de 1858. J'ai l'espoir qu'il se soldera sans déficit. C'est-à-dire que l'on soldera avec les ressources de l'année, toutes les dépenses ordinaires et extraordinaires, sauf l'amortissement. Un tel résultat devrait faire remonter la rente.
Lorsque vous m'écrirez, ajoutez sur l'adresse, particulière et réservée, afin que vos lettres ne soient pas ouvertes dans les bureaux.
Mille amitiés. CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXXVII.
, 14 décembre 1856.
Mon cher Emile, Je regrette qu'une indisposition m'ait privé du plaisir de vous voir cette semaine. Bien que je ne compte pas traiter l'emprunt, pour le moment, je serai charmé de causer avec vous. Je vous montrerai le projet de budget de 1858, les résultats vous satisferont. Si les circonstances sont favorables, nous serons en parfait équilibre, non seulement pour ce qui a trait au budget ordinaire, mais encore au budget extraordinaire, les chemins de fer exceptés.
On va commencer les expériences Grattoni Sommeiller (1) ; si, comme je n'en doute pas, elles réussissent, vous aurez ma visite bientôt.
Croyez, mon cher ami, à mon sincère dévouement. CAMILLE DE CAVOUR.
Mon neveu, Aynard, ira vous voir à son passage à Gênes pour Florence. Veuillez le munir de lettres de recommandation et de crédit.
(1) A San Pier d'Arena, près de Gênes.
CCCCXXVIII.
6 janvier 1857.
Mon cher ami, J'ai reçu une lettre du fils de Rendell, je vous en envoie copie, vous me direz ce que vous pensez de lui.
Je pense toujours au Dock. Les diatribes des journaux rouges et noirs ne m'émeuvent nullement, et, si l'avis de la commission qui délibère dans ce moment, est favorable il la cession de la Darse, nous proposerons le transport de la Marine, à la Spezia, coûte que coûte.
Vous aurez été peiné de la triste fin de Bolmida. Je le regrette sincèrement, bien que, dans les derniers temps, il eftt agi envers moi, comme quelqu'un à qui la reconnaissance pèse.
Demain, le Roi prononcera le discours d'ouverture (1).
Il annoncera le rétablissement de l'équilibre. Je vous garantis l'exactitude de mes prévisions.
Adieu, mon cher ami, conservez-moi pendant cette année et celles qui suivront, votre précieux attachement.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) IIIe session de la Ve législature.
CCCCXXIX.
janvier 1857.
Mon cher ami, Je ne m'arrêterai à Gênes, qu'à mon retour de Nice (1), dans l'espoir de pouvoir assister à quelques expériences décisives du système Grattoni-Sommeiller. Nous parlerons de l'affaire des Docks.
Je vous enverrai une copie du budget 185S. Pour le moment, nous n'avons aucun besoin d'argent, les bons du trésor deviennent tous les jours plus nombreux.
À la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
ccccxxx.
4 février 1857.
Mon cher ami, Je ne me suis pas arrêté à Gênes, parceque Sommeiller m'a engagé à attendre une quinzaine de jours, avant d'aller
(1) Le comte de Cavour se rendit à Nice, le 20 janvier, pour y accompagner le Roi, qui allait y faire visite à S. M. l'Impératrice de Russie, veuve de l'Empereur Nicolas, qui y passait l'hiver. Comme on le sait Victor Emmanuel aimait fort peu l'étiquette et les fêtes officielles, et le comte de Cavour, pour lui tenir compte du sacrifice qu'il faisait en se prêtant à cette visite qui ne lui souriait guères, accorda au Roi d'envoyer le vapeur Malfatano prendre en Egypte 10 chevaux que le viceroi lui avait donnés. « Je lui ai accordé ce caprice (écrit le comte de « Cavour au ministre Lamarmora) pour ne pas le contrarier, car il était « de fort mauvaise humeur et il en pouvait résulter de graves incon-.
« vénients pendant son séjour à Nice, et je crois que j'ai bien fait, car « jamais le Roi ne s'est mieux comporté, soit avec la cour de Russie, « soit avec les gens du pays n. (CHIALA, II, p. 468-469).
visiter le lieu des expériences. Si j'avais passé 24 heures dans votre ville, sans aller à San Pier d' Arena, cela aurait produit un mauvais effet. J'espère y retourner la semaine prochaine. Sommeiller (1), Grattoni (2) et Ranco (3) sont, oltre modo sanguine. Dieu veuille que le fait réponde à leurs espérances et aux miennes. Quant au Dock, je ne peux rien vous dire, tant que je ne connais pas le résultat du travail de la commission, c'est Rua qui le rédige. Il ne pouvait être confié à un homme plus consciencieux, ni plus capable.
Veuillez me dire si je puis compter sur vous, pour le fiuano que je vais acheter ; il s'agit de 20 à 30 mille francs.
Adieu, mon cher, croyez à mon dévouement bien sincère.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXXXI.
, 28 mars 1857.
Mon cher Emile, Je vous prie d'écrire, sur le champ, à Mr Goldsmith de Frankfort, pour avoir des informations sur Mrs Neumann
(1) Lettre CCCIV.
(2) Severino Grattoni, né à Voghera en 1816, mort à Turin en 1876.
Ingénieur distingué, plusieurs fois député au Parlement, ami de Cavour, quoiqu'il ne fût pas toujours d'accord avec lui; écrivait dans la Concordia ; connu surtout par la part active qu'il prit aux travaux du Alont-Cenis, fut compromis dans la triste affaire des chemins de fer méridionaux, mais déclaré pur de toute tâche, par la commission d'enquête Nommée car le Parlement.
(3) Louis Ranco, né à Asti en 1815, ingénieur de grand mérite, surtout en matière de chemins de fer. On lui doit la ligne de Turin à Gênes, avec le grand tunnel qui traverse l'Apennin aux Giovi, et il eut une large part dans les études et les travaux du Mont-Genis ; il collabora en 1847, avec Buffa et Mamiani, à la Lega Italiana et siégea pendant plusieurs années, au Parlement, où son opinion faisait autorité dans les questions de chemins de fer.
fils, n. 88 Kopfer, de Mannheim, qui font dans les tabacs, et quelle somme on peut leur avancer sur des tabacs achetés pour le compte de la Régie.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXXXII.
15 mars 1857.
Mon cher ami, Je suis désolé de ne pas être en état de vous donner une réponse satisfaisante sur la question des Docks ; mais il m'a été impossible d'avoir à ma disposition, jusqu'ici, le rapport de la Commission et le projet de Ricci. Paleocapa, comme de raison, veut les examiner avant de me les remettre. Or il n'a pas encore pu le faire, soit à cause des nombreuses et importantes affaires dont il a eu à s'occuper ces jours-ci, soit parceque le chef des travaux maritimes,.
Mr l'ingénieur Biancheri (1), est malade.
Dès que Paleocapa m'aura remis les documents ci-dessusr je vous prierai de faire une course à Turin, pour examiner ensemble ce qu'il y a de mieux à faire (2).
(1) L'ingénieur Joseph Bianchieri, député du Collège d'Oneglia, promu le 30 iuiu 1870 inspecteur de lre classe dans le Génie civil.
(2) Déjà en 1849, le gouvernement de Turin avait décidé de transporter de Gênes à la Spezia l'arsenal maritime, mais avait dû renoncer à ce projet, faute d'argent. (RANDACCIO, La marinerie italianne, p. 165). — À la fin d'avril 1857, Cavour, d'accord avec Lamarmora, alors ministre de la guerre et de la marine, soumit au Parlement un projet de loi pour transporter à la Spezia la marine militaire et y construire un arsenal, projet qui devait entraîner une dépense de 10 millions. — Les députés de Gênes s'y opposèrent vivement, mais Cavour, dans un brillant discours, prouva que la construction de docks dans cette ville, compenserait largement la perte qu'elle ferait de l'arsenal maritime, et la loi fut votée à une forte majorité.
Bombrini m'a annoncé que la Caisse générale avait l'intention d'établir, ou, du moins, de favoriser l'établissement (le succursales en province. Je vous engage à favoriser ce projet, qui donnera d'excellents résultats. J'en suis tellement convaincu que, pour le comptoir de Verceil, je serais très disposé à souscrire pour mon compte 500 actions. Mon nom ne peut paraître, bien que je ne cacherai pas ma participation, dans une affaire qui sera d'une utilité immense pour la province à laquelle je porte un intérêt tout spécial.
Mon cousin, Auguste De la Rive, doit arriver à Gênes lundi prochain, je vous prie de lui faire remettre la lettre ci-jointe.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
Je vous préviens que j'ai fourni sur Hambro, une petite traite de L. st. 15 et quelques shillings, que je vous prie de porter sur votre compte.
CCCCXXXIII.
19 mai 1857.
Mon cher ami, Soyez sans inquiétude sur l'extension à donner au projet du Dock. Cette entreprise doit demeurer entièrement distincte des établissements maritimes, auxquels une grande partie de la Darse sera consacrée.
Vous avez des concurrents, à ce qu'il paraît. Mr Prost (1) prétend être en mesure d'exécuter ce projet, mais j'espère que vous ferez mieux que lui.
(1) Ingénieur anglais, qui avait présenté un projet pour les Docks (le Gênes.
Quant aux comptoirs provinciaux, je pense qu'il faut que les gens soient intéressés à leur bonne administration, qui exige une surveillance beaucoup plus active que pour le comptoir de la Banque. Un comptoir d'escompte devant être moins prudent qu'une Banque de circulation, le succès de ses opérations dépend de l'intelligence et de la perspicacité de ceux qui le dirigent. Toutefois, si on peut compter sur d'habiles directeurs, des succursales peuvent prospérer autant que des établissements indépendants.
Ce que je désire ardemment, c'est que ces institutions se propagent. Elles sont appelées à faire un bien immense au commerce et même à l'agriculture. Je désire surtout, qu'on commence par Verceil, où le terrain est mieux préparé qu'ailleurs, et où il en éxisterait un, depuis longtemps, si ces maudits juifs ne se fussent coalisés pour l'empêcher.
Ils exploitent maintenant, la banque et exercent un commerce de réescompte des plus lucratifs.
Je n'ai aucune envie de m'en mêler, je ne l'aurais fait qu'autant que c'eût été nécessaire pour faire réussir un projet, qui n'est que le complément des institutions dont j'ai contribué à doter une province qui m'est chère.
Bombrini s'en retourne avec les honneurs de la Présidence du Mobilier. Gênes doit reconnaître que les Turinois ne sont ni municipaux, ni exclusifs.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
PS. Hier au soir, en ouvrant le Galignanis, j'ai lu avec horreur « Rambro général merchant, failli". Heureusement que le nom de baptême m'a rassuré. Dites-moi si le failli ( est parent de notre ami.
CCCCXXXIV.
3 juin 1857.
Mon cher Émile, Je viens vous recommander Mr Accossato, directeur des Moulins de Collegno, qui aurait besoin de faire escompter quelques traites du moulin. Les temps étant difficiles, j'ai recours à votre complaisance. Vous pouvez agir sans aucune crainte. Du reste, de vous à moi, je n'ai aucune difficulté à vous garantir la signature de G. Accossato e figli, jusqu'à concurrence de 200,000 francs. Le moulin va bien, mais, Vu le prix excessif des blés et la nécessité d'acheter comptant et de vendre à terme, il n'a pas assez de capitaux.
Je pense qu'un mot de vous, à la caisse générale, ferait son affaire.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXXXY.
6 juin 1857.
Mon cher ami, Je vous remercie de ce que vous avez fait pour mon recommandé. Je vous prie de tenir à ce que la signature du boulin soit unie à celle de la maison Accossato. Le moulin est bon, mais, s'il venait à brûler, il serait utile d'avoir l'avallo d'Accossato, que je considère comme de premier ordre après les bénéfices réalisés sur les fournitures de la Crimée, tout en rendant de grands services au gouvernement.
Quant au Dock, si vous désirez seulement avoir vision du projet Ricci, je pourrai vous le procurer quand vous voudrez,
si, au contraire, vous désirez que nous nous en occupions ensemble, il faut remettre votre course à la fin du mois, car cette fin de session est par trop chargée d'affaires, et je commence à me sentir très fatigué.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXXXVI.
4 juillet 1857.
Mon cher ami, Je vous prie d'escompter la traite des moulins. Accossato étant à Paris, les moulins pourraient se trouver dans l'embarras ; si les blés diminuent, comme je l'espère, le moulin marchera tout seul.
Comme vous le dites, Mazzini mériterait d'être pendu, haut et court, toutefois, son équipée (1) a eu cela de bon
(1) Le 25 juin, Pisacane, d'accord avec Mazzini et le parti révolutionnaire, s'était embarqué à Gênes sur le Cagliari (Voir lettre CCCCXLVII) et il avait été convenu entre les conjurés, que, dans la nuit du 25 au 26, ils se soulèverait et s'empareraient de la ville, où regnait un grand mécontentement à cause des nouveaux impôts (gabelle) et du prochain transport à la Spezia de la Marine militaire. Le gouvernement, informé ji temps, de ce projet, prit ses mesures en conséquence, et les conjurés, qui avaient renvoyé à la nuit du 29 au 30 juin leur tentative, durent y renoncer, sur le conseil de Mazzini, lui même, qui reconnut qu'elle n'aurait servi à rien. Une bande de conjurés, cependant, n'ayant pas reçu à temps de contre-ordre, s'empara par surprise, du fort du Diamant, (corps de garde avancé, sur la colline qui domine Gênes) grace à la connivence de son gardien, désarma le piquet de garde et en tua le sergent, Pastrone, qui avait voulu leur résister. — « Il paraît maintenant hors de doute, écrivait à ce sujet le comte de Cavour au marquis d'Azeglio (N. BUNCIH, Politique du comte de Cavour, p. 252) que le grand parti révolutionnaire européen, dont le quartier général est à Londres, avait décidé de concentrer tous ses moyens pour s'emparer de Gênes et faire de cette ville la citadelle du Comité anarchique ».
qu'elle à mis fin à l'agitation qui avait pour prétexte l'impôt de la gabelle.
Paleocapa fait examiner le projet Prost, qui, je vous l'avoue, me séduit beaucoup. Si, vraiment, on parvenait à le réaliser, sans que le régime du port eût à en souffrir, ce serait magnifique. Ne voudriez-vous pas vous associer à lui?
Les rivaux même de Prost avouent qu'il a de l'argent et beaucoup.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXXXVII.
22 juillet 1857.
Mon cher ami, Je n'ai pas pu voir Bombrini; je causerai aujourd'hui avec lui. Je regretterais infiniment, que vous renonciez à l'idée de faire venir Pascal (1). Son opinion aurait un poids énorme à mes yeux. Peut-être redonnerat-il du courage aux Génois.
Pour que je puisse satisfaire le bon Hambro, veuillez me dire de quoi et de qui il s'agit, la lettre que vous m'avez communiquée, et que je vous renvoie, ne m'éclaire pas assez pour pouvoir agir.
Nous étouffons, la chaleur me fait tomber la plume des mains.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Ingénieur maritime français.
CCCCXXXVIII.
26 juillet 1857.
Mon cher ami, Je vous félicite de l'énergie que vous avez déployée dans l'affaire du Dock. J'espère qu'elle sera couronnée d'un plein succès.
Si vous désirez connaître les devis de Ricci, faites-en la demande à Paleocapa, qui ne vous refusera pas la communication des plans, auxquels il attache un si vif intérêt.
Quant aux crosses de Mr Scott (1), engagez-le à adresser une requête à l'administration des chemins de fer, que j'appuierai, s'il me la communique.
Je vais demain à Vaudier, sous prétexte de fuir la chaleur, mais, réellement, pour ne pas paraître au service de Charles-Albert (2), déguisé en espagnol, avec un chapeau à trois cornes, surmonté d'immenses plumes; ce qui ferait rire d'un rire homérique, tous les badauds de Turin.
Votre affectionné ami C. DE CAVOUR.
CCCCXXXIX.
Leri, 18 septembre 1857.
Mon cher ami, Je m'empresse de répondre à votre billet d'hier au soir.
Allant à Turin, je parlerai à Paleocapa, des sondages, et je tâcherai d'activer cette opération. Je vous assure que,
(1) Mr Scott, industriel anglais, établi à Turin, où il fabriquait des crosses de fusil pour le gouvernement anglais.
(2) Service funèbre en commémoration de Charles-Albert, mort à Oporto le 28 juillet 1849.
dans ce moment, aucune question ne me préoccupe autant que celle du Dock, que je considère comme le complément indispensable des grands travaux exécutés et en cours d'exécution.
A Modane, on est occupé aux travaux préparatoires, ce ne sera guère que le printemps prochain que le percement, Commencera avec activité. En attendant, je m'efforce à améliorer le service entre Suse et Modane, qui laisse encore beaucoup à désirer.
On dit que Galliera (1) veut se joindre à vous. Est-ce vrai ?
Je n'ai aucune difficulté à continuer la garantie des traites du Moulin de Collegno, pourvu qu'elles soient munies de l'avallo de G. Accossato e Figli.
Croyez à ma sincère amitié.
C. DE CAVOUR.
CCCCXL.
Turin, 24 octobre 1857., Mon cher ami, J'ai fort regretté de ne m'être pas trouvé à Turin, lorsque vous m'avez apporté le cahier des charges du Dock, que vous avez fait rédiger. Je l'ai examiné avec attention, je ne puis encore porter sur son mérite un jugement définitif, n'ayant pas encore reçu celui que la commission nommée par le ministère, prépare. Toutefois, je le trouve très bien fait, et je le considère comme pouvant servir de base à une négociation entre la compagnie et le ministère.
J'ignore si Prost nous ferait de meilleures conditions ; pour mon compte, je préfère traiter avec vous qu'avec lui, mais
(1) Le duc De Ferrari de Galliera.
je ne pourrais pas l'évincer s'il ne demandait pas de ga- rantie d'intérêt, ou s'il se contente d'une concession moins longue que celle que vous réclamez. Je serais charmé de causer avec vous de cette affaire, qui est maintenant celle qui me tient le plus au cœur.
Les inondations ont fait bien du mal. Cependant elles ont été moins désastreuses que celles de 1839. Les cléricaux ne diront pas moins, que c'est un avertissement du Ciel, à l'époque des élections (1).
A propos d'élections, les libéraux modérés de Gênes avaient pensé à Lodovico Pallavicini; mais on prétend qu'il refusera toute candidature. En agissant de la sorte, Gênes continuera à être représentée par des rouges et des noirs, ne valant guère mieux les uns que les autres. Je le regrette infiniment, car, sans être génois, je déplore, autant que puisse le faire le municipal le plus encrouté, que cette ville perde toute autorité morale, dans le pays et à l'étranger.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) La Chambre des députés, élue en 1853, était arrivée au terme de son mandat. Le décret qui la dissolvait, parut le 25 octobre et les élections furent fixées au 15 novembre. — La lutte fut des plus vives, les candidats du ministère eurent beaucoup de peine à réussir jet la droite triompha. Deux ministres furent en ballottage (Rattazzi et Lanza). Lamarmora échoua dans son ancien collège de Pancalieri, et n'aurait pu entrer au Parlement, s'il n'avait été élu à Biella. Cavour, lui-même, n'obtint qu'une faible majorité dans le premier collège de Turin.
CCCCXLI.
16 décembre 1857.
Mon cher ami, La commissiqn a achevé son travail, elle vient de me le remettre. Si vous venez à Turin, je vous le communiquerai, et nous le discuterons ensemble. Quelques clauses au cahier des charges, sont trop dures, je suis tout disposé à l'adoucir.
Ayant connu ici Giacomin Parodi (1), j'en ai été assez content. Il me paraît moins encroûté que je ne le pensais.
Je crois que si vous vous l'associez, cela ferait bon effet.
Quoique mon adversaire politique, si vous lui dites que je désire vivement que son nom figure parmi les promoteurs du Dock, il est probable que cela le flatte.
J'espère que vous aurez été content du discours de la Couronne. Vous l'aurez été certainement, de la manière dont le Roi l'a prononcé. Il a su faire comprendre que jamais il ne cèderait à la réaction (2). Les codini ont la queue entre les jambes ; ils se sont mis à me faire la cour, d'une étrange façon. Je ne désespère pas de les apprivoiser.
Croyez, mon cher Emile, à ma sincère amitié.
C. DE CAVOUR.
(1) Cf. Lettre CCCCXXIII.
(2) Discours de la Couronne, prononcé le 14 décembre 1857, à l'ouverture de la VI Législature: « Non dubito, dit le Roi, rinvenire in voi, il medesimo forte e leale concorso nello applicare e svolgere quei Principii liberali, sui quali riposa, ormai in modo irremovibile, la uo"- stra politica nazionale ».
CCCCXLII.
17 décembre 1857.
Mon cher Émile, Je vous prie instamment, de renouveler les traites du moulin, pour la somme de 60,000 livres, aux conditions de garantie de celles-ci. Vous me rendrez un véritable service.
C. DE CAVOUR.
CCCCXLIII.
11 janvier 1858.
Mon cher ami, Je vous félicite d'avoir si fort avancé l'affaire du Dock.
La marche que vous vous proposez de suivre, est certes, la meilleure, et celle qui doit amener la plus prompte solution de cette grande affaire. Je n'ai pas d'objections préjudicielles à faire aux demandes que vous entendez adresser au gouvernement, sauf pour ce qui a rapport à la construction des deux môles. Vous savez que celle du môle neuf a été adjugée à un entrepreneur, qui y travaille, depuis deux ans, assez activement. Nous n'avons pas le droit de l'évincer, sans un motif plausible. Ne pourriez-vous pas vous entendre avec lui ? Je crois que le ministre des travaux publics aimerait beaucoup mieux avoir à faire avec vous qu'avec lui.
La crise paraît heureusement passée. Nos banquiers de Turin ne sont pas, toutefois, sans inquiétudes, ils redoutent l'époque où il faudra payer les nombreuses traites qu'on
a fait escompter d'ici, à Genève, Livourne et autres places.
C'est ce qui les a décidés à insister pour que l'escompte fût maintenu à 7 p.
J'ai été souffrant deux jours. J'ai gardé le lit, et me suis reposé. Aujourd'hui je me sens bien, et je retourne aux affaires, qui jamais ne m'ont donné autant de soucis qu'à présent (1).
Croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXLIV.
23 janvier 1858.
Mon cher ami, La nouvelle de la dissolution de la société du Dock m'a causé beaucoup de peine. Je ne comprends pas, comment, après tant de sacrifices, d'efforts, de peines, vous renoncez à tout, au moment d'atteindre le but.
Il me paraît que, si vous le vouliez, il vous serait possible de réorganiser l'affaire. Je regrette Pallavicini; mais enfin, ce n'était pas un élément indispensable. Si vous restez
(1) La Chambre, où la droite comptait une 60 de représentants, faisait une guerre acharmée au ministère et surtout à Rattazzi, qu'on Accusait de ne p is avoir su, ou voulu, empêcher les événements de Gênes (Lettre CCCXLVII). Celui-ci, en présence d'une opposition aussi violente, dut donner sa démission le la janvier, et, le 15, le Roi chargea Cavour de diriger, à sa place, le ministère de l'intérieur, pendant que Lanza se chargerait provisoirement de celui des finances. — A ces difficultés intérieures, s'ajoutèrent encore celles qu'entraîna après lui, l'attentat d'Orsini (14 janvier) contre Napoléon III, les réclamations du gouvernement français contre la presse et les réfugiés italiens et le projet de loi (17 février) présenté par Cavour, sur l'assassinat politique et les crîmes contre les Souverains étrangers.
34 - BERT. Lettres de C. Cavour.
avec Bombrini, Oneto et Balduino, votre société présentera encore les plus amples garanties de succès.
J'ai longuement causé avec Mr Pascal. J'ai été très satisfait de son plan, sauf la partie financière, car il me paraît bien coûteux.
Allons, mon cher, du courage, remettez-vous à l'œuvre, et attachez votre nom à une entreprise qui vaudra à ceux qui la dirigeront, de beaux bénéfices et beaucoup de reconnaissance de la part de leurs concitoyens.
Croyez, mon cher, à mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCXLV.
11 février 1858.
Mon cher ami, Je prends une part bien sincère à la perte que vous venez d'éprouver (1). Bien que vous dussiez vous y attendre, elle n'en est pas moins bien cruelle. Vous avez été plus heureux que moi, puisque vous avez conservé plus longtemps vos parents. Leur perte est le plus grand malheur de la vie, car rien ne remplace l'affection d'un père ou d'une mère, c'est une vérité que je sens tous les jours d'avantage, à mesure que mes cheveux grisonnent et que mon front se couvre de rides.
Je suis accablé d'affaires. La position est singulièrement difficile (2). Si nous nous en tirons, nous n'aurons pas fait peu.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
C. DE CAVOUR.
(1) La mort de la mère de monsieur de la Rüe.
(2) Aux difficultés politiques, venaient encore s'ajouter les difficultés financières, qui forcèrent le ministère à présenter à la Chambre un projet de loi pour un nouvel emprunt de 40 millions (22 février).
CCCCXLVI.
7 avril 1858.
Mon cher ami, Un de mes amis intimes, S., ayant un besoin urgent de 25,000 francs, a recouru à moi. N'ayant pas, dans "ce moment, cette somme disponible, je m'adresse à vous. Si vous pouvez les lui prêter, veuillez me les envoyer au moyen d'un bon sur la Banque. Je vous ferai un billet payable fin décembre, en ajoutant l'intérêt que vous voudrez fixer.
Pour peu que cela vous dérange, je m'arrangerai d'une autre façon pour obliger mon ami.
Je vous remercie d'avance, et vous prie de croire à mon amitié bien sincère.
C. CAVOUR.
CCCCXLVII.
11 avril 1858.
Mon cher ami, J'ai reçu votre lettre du 8 avril, et j'en ai retiré un bon sur la Banque, de 25,000 livres. Je vous remercie infiniment, de m'avoir mis à même de rendre à mon ami un service signalé.
Je vous envoie un billet payable le 8 janvier 1859.
J'ai été bien péniblement affecté par la triste nouvelle de- la mort de votre belle-sœur (1). Je me rappelle avec reconnaissance, ses bontés pour moi, lors de mon premier séjour à Gênes, et l'affection qu'elle a bien voulu me con-
(1) Madame Hyppolite De la Riie.
server. C'était une personne d'un bien grand mérite. Je plains, du fond de mon âme, votre frère. J'espère que le Ciel lui donnera la force de supporter cette perte cruelle.
Quoiqu'il y ait bien longtemps que je ne sois plus en rapports avec lui, je compte lui écrire lorsque les premiers moments d'abattement et de stupeur seront passés.
Hier Bona est venu me dire qu'il désirait parler aux représentants du Dock. Vous pourriez expédier Oneto à Turin. Si l'on doit faire quelque chose, cette année, il n'y a plus de temps à perdre.
La discussion de la loi commence mardi. Je crois qu'elle sera intéressante (1).
Je vous expédierai un exemplaire des documents sur la question napolitaine (2). Vous verrez quelle triste figure
(1) Au sujet de l'emprunt de 40 millions (voté le 31 mai), qui, au fond, avait un but politique trop évident pour se déguiser sous les apparences de besoins financiers, et qui se compliqua encore, avec la question de l'incameramento des biens ecclésiastiques.
(2) Le 25 juin 1857, le Gagliari, vapeur de la Société Rubattino, faisant le service de Gênes à Cagliari et Tunis, était parti de Gênes, ayant à son bord une 30e de passagers (parmi lesquels le colonel Pisacane, émigré napolitain, ancien chef d'état major du général Rossetti, pendant le siège de Rome en 1849, et Nicotera). Ceux-ci s'emparèrent, en pleine mer, du navire, et forcèrent le capitaine de les conduire à Ponza, où ils libérèrent les prisonniers militaires napolitains, qui y étaient détenus (environ une 100e), les prirent à bord, et allèrent débarquer avec eux, à Sapri, dans le golfe de Salerne, pour y tenter un soulèvement contre le gouvernement Bourbon. Repoussés par les gardes urbaines, Pisacane y fut tué, tandis que Nicotera et les autres furent faits prisonniers et conduits dans les prisons de Salerne, où 8 d'entre eux furent condamnés à mort et les autres aux galères (parmi lesquels Nicotera, qui fut libéré en 1860). Le Cagliari et son équipage furent capturés par les frégates napolitaines, Ettore Fieramosca et Tancredi, et le gouvernement napolitain le déclara de bonne prise, puisque c'était dans les eaux napolitaines de Policastro, que cette capture aurait eu lieu. — Le gouvernement sarde, au contraire, prétendit que cette capture était illégale, ayant été faite en pleine mer, et, par conséquent, el"
fait le gouvernement anglais. J'espère que le parlement le sentira, et forcera Malmesbury à se conduire, sinon en grand ministre, du moins en honnête homme. S'il en arrivait autrement, il faudrait dire qu'il n'y a plus de sens moral en Angleterre.
Croyez à ma sincère amitié.
C. CAVOUR.
CCCCXLVIII.
9 juin 1858.
Mon cher ami, Je regrette infiniment, que vous n'ayez pas pu venir à Turin, avec Oneto, surtout en apprenant la triste cause (1),
tièrement contraire aux principes du droit maritime (N. BIANCHI, Politique du comte Cavour, pag. 267). Comme à bord du Cagliari se trouvaient 2 mécaniciens anglais, qui furent emprisonnés à Salerne et chargés de fers avec tout l'équipage, le gouvernement sarde invoqua l'appui et l'intervention anglaise, pour se faire rendre le Cagliari et libérer son équipage. — Après bien des notes diplomatiques et des tergiversations du gouvernement anglais, qui, d'abord, promit son concours, puis le retira, ne voulant accorder que son moral support, puis proposa, aux termes du protocole n° 23 du Congrès de Paris, l'intervention, ou arbitrage, d'une puissance étrangère (politique que le comte de Cavour appelle « ignobile e vergognosa i, Lettre du 12 avril 1858 au chev. C. Boncompagni, ministre de Sardaigne à Florence), à la suite d'une consultation légale du célèbre jurisconsulte anglais Robert Phillmore, publiée dans le Times et appuyée par la presse libérale anglaise, le gouvernement Torie (Malmesbury, Derby, D'Israeli, etc.) eut, en quelque sorte, la main forcée, et envoya Lyons à Naples, appuyer la cause soutenue par le gouvernement sarde. Le Cagliari fut rendu à ses légitimes propriétaires, son équipage libéré et une indemnité de L. 3000 accordée aux deux mécaniciens anglais, dont l'un était devenu fou pendant son emprisonnement à Salerne, par suite des mauvais traitements auxquels il y avait été soumis.
(1) Une grave maladie de madame de la Rue, dont la santé inspirait de vives inquiétudes.
qui vous a retenu à Gênes. Vous connaissez ma sincère amitié, et vous pouvez compter sur ma profonde et sincère sympathie pour tout ce qui peut vous affliger.
J'aurais désiré vous parler confidentiellement, j'avais des choses à vous dire, que je ne saurais écrire (1). Si vous pouvez disposer d'une journée, venez me trouver. Il n'y a rien d'urgent.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
C. CAVOUR.
CCCCXLIX.
23 juin 1858.
Mon cher ami, Je viens, comme l'année dernière, vous prier de vouloir bien ouvrir, sous ma responsabilité et garantie personnelle, un crédit à la Société de Collegno, ou, ce qui revient au même, à son directeur, Mr G. Accossato, chef de la maison G. Accossato e figli. La Banque ayant excessivement réduit ses escomptes, place les moulins dans la nécessité d'aller chercher des ressources ailleurs, an moment où la récolte rend les achats de blé plus importants. Toutefois, les blés étant meilleur marché cette année, au lieu d'un crédit de 200,000 francs, les moulins n'ont besoin que d'un crédit de 100,000 francs.
Je vous prie, en conséquence, de vouloir bien escompter, ou accepter, des traites de Mrs G. Accossato et fils, jusqu'à la concurrence de la dite somme de 100,000 francs.
(1) S'agit-il du colloque de Plombières, auquel Cavour avait déjà été invité vers la fin de mai, par le docteur Conneau, venu exprès à Turin, et dans la confidence duquel, Lamarmora seul avait encore été admis?
L'emprunt a été voté hier par le Sénat. Aujourd'hui, ou demain, je pense que le ministre des finances décidera le mode d'émission. Je vous en préviendrai. Rothschild a envoyé ici son représentant, Mr Landauer. Mais je doute que ses propositions soient acceptées, car il me paraît tenir la dragée très haute.
Les génois, à l'arrivée du Cagliari (1), n'ont pas fait de sottises. Je vous en fais mon compliment. Cette sagesse m'a dédommagé un peu de l'irritation que la représentation donnée au théâtre Carlo Felice (2), au bénéfice des condamnés pour les faits du 29 juin, m'avait fait éprouver.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
Votre affectionné C. CAVOUR.
CCCCL.
24 juin 1858.
Mon cher ami, Je vous remercie du bon accueil que vous avez fait à ma recommandation.
J'ai oublié de faire écrire à l'Intendant de Gênes, pour
(1) Le vapeur rendu par le gouvernement napolitain.
(2) Une représentation extraordinaire avait eu lieu à Gènes, au grand théâtre Carlo Felice, en faveur des familles des condamnés pour l'échauffourée du 29 juin 1857. Le commandant militaire de Gênes, avait refusé le concours des musiques militaires pour cette représentation, qu'il considérait comme une insulte à l'armée, le sergent Pastrone ayant été tué dans cette émeute. — Le gouvernement sarde avait vu de très mauvais œil cette représentation, qu'il considérait, lui aussi, comme une démonstration du parti de l'Opposition (Lettre du comte de Cavour au chev. Angelo Conte, intendant général de Gênes, 19 juin 1858).
le passeport du général Elio (1). Je vais réparer mon oubli. En général, les commissions verbales sont chanceuses, lorsqu'on a tant de choses par la tête.
Rien n'est encore décidé pour l'emprunt. Le ministre des finances ayant reçu l'avis que des anglais devaient arriver aujourd'hui, pour faire des offres. J'ai peu de foi dans les insulaires. Je crains que ce ne soient des amis d'Avigdor.
Croyez à mes sentiments affectueux.
C. CAVOUR.
CCCCLI.
4 octobre 1858.
Mon cher ami, Je n'ai pas de commissions précises pour l'Angleterre, mais je causerais volontiers avec vous, afin de vous indiquer quelques points que je désirerais vous voir traiter avec vos amis de la cité.
(1) Le général carliste, Elio, grand ami de la famille de la Rüe, servit d'abord dans la garde royale espagnole, jusqu'à la mort du roi Ferdinand VII et le commencement de la première guerre civile entre Don Carlos et Isabelle II, à laquelle il prit part. Après la convention de Verzara et la dissolution de l'armée carliste, Elio dut quitter l'Espagne, et se réfugia en Italie, où il séjourna assez longtemps à Chiavari, parceque ses ressources financières, qui étaient fort limitées, l'obligeaient à vivre le plus économiquement possible, d'autant plus qu'il devait pourvoir à l'éducation de ses enfants. — Elio rentra en Espagne, lors de l'expédition de Don Carlos de la Rapita, avec le comte de Montemolin et son frère, l'infant don Fernando, expédition, qui, appuyée par le général Ortega, eut une fin désastreuse, à la suite de laquelle Ortega fut fusillé et Montemolin, son frère et Elio graciés et exilés par la reine Isabelle. Dans la deuxième guerre carliste, le général Elio servit le don Carlos actuel, en qualité de chef d'état major général, et il mourut en 1874.
J'irai à Gênes vers le lo, pour y passer 5 à 6 jours, mais vous ne pourrez probablement pas différer jusque-là votre voyage.
Mille amitiés.
C. C.
CCCCLII.
6 octobre 1858.
Mon cher ami, Je compte aller à Gênes la semaine prochaine. Je ne puis, toutefois, prendre, à cet égard, un engagement absolu, car vous savez que ma présence à Turin peut devenir indispensable, par une foule de circonstances imprévues. Je ne voudrais pas, par conséquent, vous engager à retarder votre départ jusqu'au 20 courant, si cela vous dérange, par une promesse, dont l'accomplissement ne dépend pas de ma volonté.
Votre affectionné C. CAVOUR.
CCCCLIII.
17 octobre 1858.
Mon cher ami, J'approuve entièrement le projet de Palmer (1). Il serait d'une grande utilité au pays, au gouvernement et, je n'hésite pas à dire, à Bombrini lui même, qu'il tirerait d'une
(1) Industriel anglais, qui, avec une société de capitalistes génois proposait au gouvernement de se charger de l'usine métallurgique dé S. Pier d'Arena et de son exploitation.
position fausse et difficile. Seulement, il faut que la société donne des garanties pour qu'elle continue à tenir en activité les ateliers actuels, et qu'elle ne laisse planer aucun soupçon qui pût faire croire à l'intention d'étouffer une concurrence. Quant à moi, je suis tranquille à cet égard.
On ne dépense pas 2,000,000 pour écraser un aussi maigre rival qu'est A., mais il faut rassurer les imbéciles, qui constituent la majorité des administrateurs aussi bien que des administrés.
Sainte Rose va mieux, mais il est impossible de prévoir l'époque oit il viendra au ministère.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCLIV.
21 octobre 1858.
Messieurs De la Bue et C.
Je m'empresse de vous faire savoir, en réponse à la lettre que vous m'avez adressée hier 20 courant, que je consens à renouveler pour trois mois, la garantie des traites de 100,000 francs souscrites en faveur de votre maison par Mrs G. Accossato et fils.
Recevez mes compliments empressés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCLY.
Gènes, 18 novembre 1858.
fon cher am/Í, Votre femme m'avait déjà fait connaître le désir de Messieurs de Podenas, de faire enterrer leur mère (1) à San Martin d'Albaro, auprès de son mari, dont vous m'entretenez dans votre lettre du 14. Je lui ai répondu que si le tombeau de Mr de Podenas était dans le cimetière communal, la chose ne présentait aucune difficulté ; mais que si le tombeau était dans l'église, il n'était plus au pouvoir du gouvernement d'accorder l'autorisation demandée, à moins qu'avec le Paradiso, la famille Podenas n'eût acquis un
(1) La marquise de Podenas, Dame d'honneur de la Duchesse de Berri.
Après la révolution de juillet en 1830, elle partagea l'exil de cette princesse et la suivit en Italie. Son fils cadet, le comte Louis de Podenas, comme plusieurs autres jeunes gens de la noblesse française restés fidèles à la branche ainée des Bourbons, avait pris du service dans l'armée sarde. La magnifique campagne « le Paradiso » sur la colline de S. Francesco d'Albaro, près de Gênes, fut achetée en 1837, de la famille Saluzzo, par le marquis de Podenas, ex-officier supérieur aux gardes du Corps du roi Caries X. — Il quitta le service en 1830, mourut à San Francesco d'Albaro, en 1848, et fut enseveli dans l'église de cette paroisse. La marquise de Podenas mourut en ] 858, et ses fils auraient désiré qu'elle reposât auprès de son mari, mais l'autorisation n'ayant pas été accordée, elle fut ensevelie dans sa terre de ;< La Ferrière » en Touraine. La marquise de Podenas était née de Madaillac et s'était liée, pendant son séjour à Gênes, avec la famille de la Rüe. La famille de Podenas appartient à la noblesse de Gascogne. Le comte Louis de Podenas, devenu propriétaire du Paradiso, à la mort de sa mère, fut tué à la bataille de Champigny le 30 novembre 1870.
Je dois ces détails à l'obligeance de mon ami, le docteur Ferdinand Délia Cella, médecin de la famille de Podenas, à Gênes.
droit de patronage sur l'église. Je ne puis rien ajouter à cette réponse ; mais je me réserve, à mon arrivée a Turin, de vérifier la concession faite, dans le temps, à Mr de Podenas.
Je suis à Gênes, depuis six jours, occupé à visiter lesétablissements publics. Il me paraît que l'esprit public est, dans ce moment, assez calme. Il n'y a pas, toutefois, à se fier à ce calme apparent, car il est à peu près certain que Mazzini trouve, depuis quelque temps, de grandes ressources en Angleterre. En haine de la France, bon nombre de John Bull lui fournissent des fonds. Ce n'est pas beau, mais c'est utile.
Adieu, mon cher ami, croyez à mes sentiments dévoués.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCLYI.
15 décembre 1858.
Messieurs De la Rüe et C. à Gênes, Messieurs G. Accossato et C. avaient compté sur le payement de francs 100,000, qui leur étaient dûs par Messieurs G., pour solder la traite d'égale somme souscrite en votre faveur. Mr GL. n'a pu effectuer ce payement, par suite d'un retard éprouvé par trois bâtiments chargés de cuirs, qui lui ont été expédiés par sa maison de BuenosAyres. Ce contre-temps me force à venir, encore une fois,.
vous prier de renouveler le crédit que vous avez fait à Mr Accossato, sous ma responsabilité, pour autres trois mois.
Seulement, comme la dette de Mrs G. vis-à-vis de Messieurs Accossato est échue, ce seraient Mrs G. qui vous passeraient une traite, à laquelle Mrs G. Accossato mettraient leur aval. De plus, Mrs G. vous remettraient pour garantie du dit effet, les connaissements des cuirs qu'ils.
attendent, jusqu'à la concurrence de francs 150,000 à peu près, avec les contrats d'assurance relatifs aux dites marchandises. Il est bien entendu que si les marchandises arrivent et sont vendues avant l'échéance de la traite, le produit de la vente sera versé tout de même dans vos caisses.
En tous cas, vous serez autorisés à liquider la partie de cuirs qui vous sera consignée, jusqu'à la concurrence de votre créance, avant l'échéance de la dite traite.
J'espère que vous voudrez bien rendre ce service à des personnes auxquelles je m'interesse beaucoup. Recevez, en conséquence, mes remerciements et croyez à mes sentiments dévoués.
C. DE CAVOUR.
PS. Il est bien entendu que je reste responsable du payement de cette nouvelle traite.
CCCCLYII.
20 décembre 1858.
Mon cher ami, Les bruits qui ont été répandus sur Bombrini et Balduino (1), l'ont été par G. qui les considère maintenant comme ses ennemis mortels. Le fait est que ces deux messieurs sont fort engagés dans une foule d'affaires et que, si on les forçait à liquider brusquement, ils ne seraient pas mal embarrassés, tout en ayant, je pense, les moyens de faire, en définitive, honneur à leurs affaires.
GL. prétend que Bombrini est surchargé d'actions de la caisse, à des prix élevés, qu'il a endossé des masses énormes
(1) Le Ier, directeur de la Banque Nationale, le 2'1, directeur du Crédit Mobilier italien, tous les deux banquiers à Gênes.
de mauvais papiers, parmi lesquels il classe ceux d'An-saldo (1) et de Rubattino (2). Il y a de l'exagération, sur un fond de vérité. On rendrait un grand service à Bombrini, si on pouvait l'aider à liquider l'affaire d'Ansaldo, qui est la cause principale de ses embarras.
Je persiste à croire que l'usine de San Pier d'Arena, bien menée, devrait donner de bons résultats, même par rapport aux capitaux qui y ont été employés. Si l'affaire était dirigée par Robertson (3), je crois qu'on réaliserait de beaux bénéfices.
Je vous prie de tenir ce que je vous dis, pour vous seul, car il importe immensément au pays, que, pour le moment du moins, la position de Bombrini ne soit pas ébranlée.
Quant à X., l'interrogation que je vous ai adressée, a été motivée par un fait de peu d'importance. Vous savez qu'il habite la maison de Mr C. Or le portier a dit à Mr C., qui me l'a répété, avec des commentaires peu bienveillants, que Mr X. se faisait tirer l'oreille pour payer ses fournisseurs, et que les marchands étaient obligés de revenir à plusieurs reprises, pour se faire solder leurs notes.
Ce fait n'a rien d'extraordinaire, s'agissant d'un propriétaire foncier, dont les revenus rentrent souvent avec difficultés, et souffrent de notables retards.
Le marquis de N. a laissé, en mourant, beaucoup de dettes ; le marquis de GL. en a fait autant ; mais je crois
(1) Industriel métallurgique, propriétaire d'une grande usine à San Pier d'Arena, dirigée en 1858, par les frères Paul et Louis Orlando, qui, en 1860, fondèrent leur grande usine et chantier de constructions maritimes à Livourne. Les frères Orlando avaient été menacés d'être expulsés de Gênes, pour avoir prêté la main à des mouvements révolutionnaires Mazziniens. (Lettre de Cavour à Angelo Conte, Intendant de Gênes, 21 janvier 1859).
(2) Société de transports maritimes à Gênes.
(3) Industriel anglais, établi à S. Pier d'Arena.
que le marquis actuel les a en grande partie payées avec le produit de la vente de plusieurs immeubles.
Madame de Podenas n'a pas le droit de se faire enterrer dans l'église d'Albaro. Il faut qu'elle renonce à ce dernier voyage d'outre-tombe. Je pense que ses fils se résigneront à la garder dans leurs propriétés. Je trouve les actions de la caisse bien bon-marché. Mais, si on ne parvient pas à constituer une administration, qui inspire au public une entière confiance, elles baisseront encore.
Veuillez me dire si la maison L. R. et C. d'Odessa mériterait une entière confiance, dans le cas où il s'agirait de la charger d'une grande opération pour le compte du gouvernement.
Croyez à mes sentiments affectueux.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCLVIII.
3 janvier 1859.
Mon cher ami, Le conseil de la caisse générale a très bien fait d'adresser au ministre des finances la lettre dont vous m'avez envoyé copie.
Je crois, toutefois, qu'il y a eu de grandes exagérations dans les bruits qu'on a fait courir sur le crédit mobilier" Lanza m'a assuré qu'il n'avait pas vendu une seule action d'Acqui. Il y a, à Turin, un parti qui pousse à la liquidation de l'établissement. Les Bolmida sont à sa tête. Il est bon d'être en garde contre lui. Je déplore que la Caisse Générale ait 8000 actions du crédit mobilier. Je pense que vous avez passé dans le compte de cette année, une forte somme aux profits et pertes. Je vous serais obligé de m'envoyer le compte-rendu du semestre.
L'empereur doit avoir fortement rudoyé Hübner (1), le premier de l'an. Dans quinze jours, au plus tard, nous saurons à quoi nous en tenir sur les intentions de notre mystérieux voisin.
Adieu.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCLIX.
18 janvier 1859.
Mon cher Einile, Mon ami, que vous avez obligé l'année dernière, m'a remis 13,000 francs, en me chargeant de le libérer de la traite qui écheoit le 20 février. Veuillez calculer ce qui peut vous être dû, pour solde, et le passer à mon compte courant.
Nous sommes absorbés par la visite du prince Napoléon (2). Elle est destinée à avoir des suites immenses, ou à nous faire faire un fiasco complet. Il est probable que
(1) A la solennelle réception du corps diplomatique, aux Tuileries, le 1er janvier, l'empereur adressa au baron Hübner, avec un accent très froid, ces paroles (que Cavour appelle l'algarade de l'empereur à Hübner, CHIALA, Lett. DXCI): « Je regrette que nos relations avec votre gouvernement ne soient plus aussi bonnes que par le passé, mais je vous prie de dire à l'empereur que mes sentiments personnels pour lui ne sont pas changés II.
(2) Le prince Napoléon partit de Paris le 14 janvier. Le 18, comme ministre délégué de l'empereur, il signait un traité d'alliance offensive et défensive entre la France et le Piémont. — « Son mariage avec la princesse sarde , n'a pas d'autre but que d'ériger l'empereur en protecteur définitif de la cause italienne » (Lettre de Szarvady à Kossuth, 13 janvier 1859). — La demande de la main de la princesse Clotilde pour le prince Napoléon, fut officiellement faite, le 23 janvier, par le maréchal Niel, aide de camp de l'empereur.
nous allons demander l'autorisation de contracter un emprunt (1), basée sur les événements et la concentration de l'armée autrichienne.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCLX.
21 janvier 1859.
ilion cher ami, Si on ne vous demande aucun sacrifice pécuniaire, vous pouvez accepter (2), car, bien que l'affaire n'ait aucune chance de réussir maintenant, elle pourrait se nouer plus tard, et il est toujours bon d'avoir le pied dans l'étrier.
Si la guerre va bien, la question changerait, à mes yeux, et je serais beaucoup plus disposé à traiter la cession de nos chemins.
A la hâte, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCLXI.
Turin, 5 février 1859.
Mon cher ami, J'avais préparé une dépêche télégraphique, en réponse à votre lettre d'avant hier, mais, ayant été rappelé brusquement à la Chambre, je l'ai oubliée sur ma table; je vous en fais mes excuses.
(1) La Chambre commença la discussion de la loi pour un emprunt de 50 millions, le 7 février, et, peu de jours après, elle y fut votée par 116 voix contre 35. — Le 17 février, elle fut aussi approuvée par le Sénat, par 59 votes favorables contre 7 contraires.
(2) La lettre de Mr De la Rüe manque, et il est impossible de dire de quoi il s'agit.
35 — BERT. Lettres de C. Cavour.
Quant à l'emprunt, je ne pense pas qu'il soit utile que vous alliez à Paris, avant qu'il soit voté par les Chambres.
Nous avons le temps d'en causer, si vous venez faire une course à Turin dans le courant de la semaine prochaine.
Nous avons reçu des offres de deux maisons de Paris.
Si, comme je le pense, le discours de l'empereur est pacifique, il se négociera sans difficultés (1).
Vous m'obligerez beaucoup, en envoyant à Tosco une traite à son ordre, sur Paris, à un mois de date.
Croyez à ma sincère amitié.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCLXIT.
18 février 1859.
Mon cher ami, Je n'ai pas de nouvelles de l'emprunt. Si on parvient à placer 25,000,000 à Paris, nous ne sommes pas embarrassés du reste, car nous avons des propositions pour les autres 25 millions.
Je crois que les souscripteurs feront une bonne affaire, s'ils savent réaliser à temps ; car, il y aura un temps d'arrêt, pendant lequel on jouera probablement une farce diplomatique.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) L'empereur prononça, en effet, le 7 février, à l'occasion de l'ouverture des Chambres, un discours, où, tout en déclarant que sa politique ne serait jamais ni provocatrice, ni pusillanime, il terminait en disant: « Loin de nous, donc, ces fausses alarmes, ces défiances injustes, ces défaillances intéressées! La paix, je l'espère, ne sera pas troublée.
Reprenez donc, avec calme, le cours habituel de vos travaux n.
CCCCLXIII.
17 mars 1859.
Mon cher ami, Je suis persuadé que Monale (1) accueillera, avec plaisir, toute proposition venant de votre maison. Je ne crois pas que nous ayons besoin, pour le moment, de casques et de cuirasses ; mais nous manquons d'une foule de choses que les Français peuvent nous fournir.
Vous avez bien fait de ne pas prendre une forte dose du nouvel emprunt. C'eût été un dévouement inutile, car on nous a apporté plus d'argent que nous n'en demandions.
Le pays et l'Italie entière, sont admirablement disposés; pour peu que les évènements nous aident, je crois que, cette fois, nous ferons de grandes choses.
J'ai vu, avec beaucoup de plaisir, votre nom figurer dans le comité qui s'est formé à Gênes, pour secourir les familles des contingents.
Adieu.
Votre dévoué CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Alexandre Buglione di 31onale, directeur général des postes, en 1856, directeur général du matériel et de l'administration militaire, en 1859.
CCCCLXIV.
Turin, (?) 1859.
Mon cher ami, J'ai trouvé, à mon arrivée ici, votre lettre du 30 passé et l'incluse de Hambro. Je vous la renvoie, en me réservant d'y répondre, dès que je connaîtrai les intentions du ministre des finances.
D'après ce qui m'a été dit, je considère la question de la restauration des Ducs, comme abandonnée. Reste celle de la constitution définitive de l'Italie centrale.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCLXV.
Genève (1), 1er août 1859.
Mon cher ami, Votre lettre du 26 juillet ne m'est parvenue que hier.
La demande que vous me faites, m'embarrasse beaucoup.
Si la guerre eût continué, un emprunt de 2 millions sterlings eût été insuffisant; avec la paix, il serait trop con-
(1) A la suite de la « demi-paix n de Villafranca, 11 juillet, le comte de Cavour, justement irrité de voir ainsi brisées ses plus chères espérances, et indigné de la conduite de l'empereur, après une scène violente avec Victor Emmanuel, donna sa démission; et, après une retraite de quelques jours dans sa terre de Leri, il fit un voyage en Suisse et en Savoie « pour y oublier, au milieu des merveilles de la nature, les misères des affaires menées par les hommes » (Lettre à Madame De Circourt, 22 juillet 1859).
sidérable. Si l'on désarme réellement, on pourra marcher avec peu de chose. Mais, désarmera-t-on? Pour mon compte, je le crois fermement.
La paix sortira des conférences de Zurich et du congrès, si congrès a lieu. Dans cette conviction, je ne conseillerais pas a Oytana (1) de se presser pour négocier un nouvel emprunt. Il se pourrait, toutefois, que la paix se fît attendre, ou bien qu'elle fût plus coûteuse que je ne le pense et que, par conséquent, le gouvernement fût obligé de demander 2 millions sterlings au crédit. Dans ce cas, je crois qu'on pourrait, peut-être, avoir recours à John Bull, si la cité partageait ce retour de sympathie pour l'Italie, dont on aperçoit des symptômes dans les journaux anglais.
Au reste, je vous écrirai d'une façon plus précise, à mon retour à Turin. Je pars pour Chamounix. Ici je n'ai vu et ne veux voir personne.
Adieu, mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Le commandeur G. B. Oytana, ministre des finances (1er ministère Lamarmora, 19 août 1859 à 16 janvier 1860), commença sa carrière dans la magistrature, puis devint, grâce à son activité et à ses remarquables talents, premier officier au ministère des finances, charge qu'il remplit, avec une rare distinction, pendant plusieurs années. — En 1854, il fut nommé secrétaire général des finances et directeur général du trésor, puis administrateur de la caisse ecclésiastique et directeur général de la dette publique. En 1858, après la démission de Rattazzi, Cavour aurait voulu qu'il acceptât le ministère des finances, qui, dans ce moment surtout, exigeait des talents hors-ligne de la part de son titulaire ; mais Oytana s'y refusa et n'accepta que la charge de secrétaire général. Après la retraite de Cavour, Oytana accepta enfin le ministère des finances (1er ministère Lamarmora), et s'en occupa avec une incroyable activité. Ce fut sous son ministère qu'un emprunt de cent millions fut émis, pour faire face aux besoins du trésor. Oytana fut ensuite nommé conseiller d'Etat.
CCCCLXVI.
Aix. 27 août 1859.
Mon cher ami, Vous me demandez si on peut se charger, avec sûreté, d'un emprunt Parmesan-Modenais. Je vous réponds: oui, sans hésiter. Après ce qui s'est passé dans ces pays, il est impossible qu'une restauration ait lieu (1). C'est chose trop monstrueuse, pour en croire capable, même la diplomatie.
Ce qui est incertain, c'est si les Duchés seront réunis au Piémont; mais cela ne fait rien à l'emprunt, car, si Modène demeure indépendant, un fond modenais doit valoir un fond piémontais, à moins que le crédit des États soit en raison directe de la masse de leurs dettes. Modène ne doit pas un sou. Indépendant, il peut payer 3 millions en 2 ans. Je vous donne un avis sincère, non un conseil; car, malgré toutes les chances favorables, les choses pourraient tourner mal. Seulement, je vous le répète, je considère un emprunt Farini, aussi bon qu'un emprunt Oytana. Je pars demain, et je serai mercredi à Turin.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) Grâces à l'énergie déployée par Farini dans l'Emilie, par Ricasoli en Toscane, par Cipriani dans les Roraagnes; grâces au patriotisme des popùlations et grâces aussi au principe de non-intervention proclamé par l'empereur et appuyé par l'Angleterre, une restauration était en effet impossible.
CCCCLXVII.
11 octobre 1859.
Mon cher ami, J'ai attendu d'être venu à Turin (1), et d'avoir conféré avec Oytana, pour répondre à l'aimable lettre que vous m'avez écrite, à votre retour à Gênes. Cela fait que je puis, en même temps, vous accuser réception de votre lettre du 9, qui est allée me chercher vainement à Leri.
Oytana paraît décidé à faire l'emprunt dans le pays, au moyen d'une souscription publique. L'époque de l'émission n'est pas fixée; mais, je pense que ce sera pour les premiers jours de novembre. Oytana est porté à n'accorder de faveur à personne, et à admettre tout le monde à souscrire, à des conditions uniformes. Croyez-vous qu'en adoptant un taux d'émission modéré, deux pour cent par exemple, au dessus du cours du jour, il obtienne les 100 millions dont il a besoin?
Je lui ai conseillé de ne demander que le 10 p. en souscrivant, pour encourager la spéculation.
Je vous écris à la hâte, interrompu vingt fois par des importuns.
Nous nous occuperons du riz plus tard. J'ai vendu celui que vous avez refusé, 5,30.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
(1) De retour de son voyage en Suisse et en Savoie, Cavour, quoique n'étant plus ministre, fut appelé par ses successeurs à donner son avis sur les graves questions du moment (annexions des Duchés et des Romagnes, régence du prince de Carignan dans l'Italie centrale, etc.), mais il se sentait peu d'accord avec eux, et en était regardé avec défiance ; c'est pourquoi il venait peu à Turin et demeurait, de préférence, dans ses terres de Leri.
CCCCLXVIII.
Leri, 21 octobre 1859.
Mon cher ajîîi, Je suis revenu à Leri (1), où je me trouve beaucoup mieux qu'à Turin. D'après ce que Oytana m'a dit, je crois : Que l'emprunt se fera par souscription publique; La souscription s'ouvrira dans les premiers jours de novembre ; On payera 10 p. de suite, le reste en 9 termes; L'on accordera une commission de 112 p. 0/0 aux souscripteurs de 100,000 francs de rente; La Banque devra reprendre ses payements en espèces.
Tenez ces renseignements pour vous et pour vos correspondants de l'étranger.
Merci de YEconomist. Il fait mes délices.
Votre affectionné CAMILLE DE CA V OUR.
(1) On pensait qu'un congrès allait se réunir à Paris, pour y traiter la paix de l'Europe, et en particulier, de l'Italie, et le ministère, quoique à contre-cœur, reconnaissant que Cavour était l'homme qu'il fallait y envoyer, lui fit des ouvertures dans ce but. L'opuscule : u Le Pape et le Congrès n, et la violente opposition du Pape et de l'Autriche, décidèrent l'empereur à renoncer à ce projet.
CCCCLXIX.
24 octobre 1859.
Mon cher ami, Je reçois vos trois lettres à la fois. C. est un brouillon; qu'Oytana estime aussi peu que moi. Ne vous mêlez pas avec lui. Allez plutôt à Turin, parler au ministre. Il n'a jamais eu l'idée d'accorder 2 p. aux génois. Ce serait absurde.
Ne vous gênez pas pour moi. Grâce à Dieu, la calomnie ne m'atteint plus (1). Je ne sais si c'est parce que je suis au dessous ou au dessus d'elle, mais je n'en fais plus le moindre cas.
Je prends la liberté de vous recommander Mr Parent, avocat de Chambéry, qui est à Gênes pour faire entrer son fils au collège de marine. On lui demande un répondant à Gênes; veuillez lui rendre ce service, sous ma responsabilité.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCLXX.
30 octobre 1S59.
Mon cher ami, Pendant mon absence, on a modifié mon projet, au ministère des finances; il en résulte un léger imbroglio. Ne vous en inquiétez pas ; venez parler à Oytana, ou écrivez-
(1) Ses adversaires accusaient Cavour d'intriguer contre le ministère et, en particulier, contre son ancien collègue Rattazzi, pour les faire tomber et leur succéder au pouvoir.
lui. Contentez-vous de 1112 de commission; comme le taux sera bas et les conditions de payement avantageuses, il y a de la marge.
Je retourne a Leri, peu édifié de l'habileté de mes successeurs; en politique, ils ne sont pas très forts, je vous assure (1).
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCLXXI.
11 février 1860 (2).
Mon cher ami, Tomati (3) ferait un bon député. Si Raggi (4) parvient à déloger les cléricaux de Varazze, il méritera une statue.
On avait pensé pour ce collège, au major Pescetto (5), de Savone, neveu de Colla.
(1) Cavour et ses amis leur reprochaient, en particulier, leurs hésitations et leurs lenteurs, dans la question de l'annexion des Duchés et des Romagnes, et leur servilisme vis-à-vis de l'empereur.
(2) Le 19 janvier, à la suite de la démission du ministère Lamarmora, Cavour avait été appelé par le Roi, à former un nouveau cabinet, qui se constitua comme suit: Cavour, présidence, affaires étrangères et illtérinalement, intérieur — Cassinis, grâce et justice — Fanti, guerre — Vegezzi, finances — Mamiani, instruction publique — Jacini, travaux publics. — Les élections des députés pour la VII législature, furent fixées au 25 et 29 mars 1860.
(3) Cristoforo Tomati, professeur d'anatomie à l'université de Gênes, puis à celle de Turin, représenta le III collège de Gênes, en 1860, et en 1876, le II.
(4) Raggi Edilio, habile commerçant de Gênes, fut nommé député de Novi-Ligure à la XII et XIII législature.
(5) Frédéric Pescetto, de Savone, officier du génie, se distingua pendant les guerres pour l'indépendance italienne, fut élu député de Varazze, à la VII législature, puis de Savone, à la IX et X.
L'avocat général Vigliani (1) doit s'être occupé de Varazze. Votre gouverneur est un homme très distingué.
C'est, peut-être, le meilleur choix que R. ait fait.
Mille amitiés.
CAMILLE DE CAVOUR.
CCCCLXXII.
5 mars 1860.
Mon cher ami, Je vous prie d'envoyer la lettre ci-jointe, à un de vos correspondants de Constantinople. Sous l'enveloppe d'une maison de commerce, elle a plus de chances d'échapper aux argus de la poste française. Naturellement, vous ne la ferez pas passer par Trieste.
J'ai vu Madame Lilla, je tâcherai de retenir son fils au ministère.
J'ai fort regretté de n'avoir pu soumettre à la signature du Roi la nomination de Mr Littardi (2) comme sénateur. Mais, ayant vérifié qu'il ne payait pas 3000 francs de contributions directes, je n'aurais su par quelle porte le faire entrer dans la vénérable assemblée.
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments dévoués.
C. CAVOUR.
'(1) Le chevalier Paolo Onorato Vigliani, alors avocat général fiscal près la cour d'appel de Gênes, un des jurisconsultes et des hommes politiques les plus éminents d'Italie, fut chargé par le gouvernement de plusieurs importantes missions, en particulier de celle de gouverneur de la Lombardie en 1859; nommé sénateur en 1860, ministre de grâce et justice en 1869 (3e cabinet Menabrea) et en 1873 (cabinet Minghetti) — enfin premier président de la cour de cassation à Florence.
(2) Mr Antoine Littardi de Port-Maurice, ancien receveur général du département des Bouches du Rhône, gendre du célèbre Corvetto.
CCCCLXXIII.
28 juillet 1860.
Mon cher ami, Nous envoyons force renseignements à Mr Deona (1); mais il y en a un certain nombre qui se font attendre, nécessairement. Aujourd'hui on doit essayer à Gênes les plaques. Demain je déciderai la question des canons. J'écris, je télégraphie, mais je ne puis faire marcher tout le monde à grande vitesse.
Le moment de l'emprunt approche. L'entente, qui parait devoir s'établir sur les affaires de Syrie, aura un bon effet à la Bourse.
C. C.
CCCCLXXIV.
10 août 1860.
Mon cher ami, J'ai autorisé Mrs Villamarina (2) et Persano (3) à tirer sur votre maison, à l'ordre de Mr de Guspace, banquier patriote de Naples. Veuillez accepter leurs traites, dont les fonds vous seront faits par le gouvernement. Vous aurez ainsi, contribué à la délivrance du bas de la botte.
C. CAVOUR.
(1) L'ingénieur Deona, alors directeur de la Société des Forges et Chantiers de la Seyne.
(2) Le marquis Salvatore Pes di Villamarina, alors ministre sarde à Naples.
(3) Commandant l'Escadre sarde à Naples.
CCCCLXXV.
, 16 août 1800.
Mon cher Emile, Je vous envoie une lettre de Mr Degas de Naples, banquier avec lequel Persano s'est mis d'accord. Soyez sans inquiétude, les fonds vous seront faits régulièrement.
Mille amitiés.
C. CAVOUR.
Il va sans dire que le trésor vous abonnera V* de commission.
CCCCLXXVI.
20 août 1860.
Mon cher ami, Persano a tiré sur vous, à 10 jours de vue, 100,000 fr.
Il serait bon que vous vinssiez vous entendre avec Vegezzi (1).
A la hâte.
Votre dévoué.
C. CAVOUR.
(1) L'avocat commandeur Zaverio Vegezzi, alors ministre des finances.
— Député du collège de Borgomanero, grand partisan du comte de Cavour, prit une part active aux travaux du parlement, fut ministre des finances, de janvier 1860 à juin 1861 (3e ministère Cavour). En 1865, Vegezzi fut envoyé à Rome pour essayer d'arriver avec le gouvernement de Pie IX, à un arrangement sur les questions politico-religieuses qui s'agitaient alors, mais échoua dans sa mission. — Il fut nommé sénateur eu 1867.
CCCCLXXVII.
28 août 1860.
Mon cher ami, La question de l'établissement, à Naples, d'une Banque de circulation, présente de graves difficultés, que je ne saurais résoudre, comme on dit, sur deux pieds.
Si la Banque nationale demande à créer à Naples un établissement qui se confonde avec celui qui existe dans le Nord, je crois qu'il faut lui donner la préférence; car il est hors de doute que l'unité du billet présente des avantages incalculables.
Quant à la Banque de dépôt existant à Naples, on doit considérer ses engagements comme sacrés. Seulement, je ne saurais dire s'il convient d'en opérer la liquidation ; et, dans le cas affirmatif, de quelle façon cette opération doit avoir lieu.
Mille amitiés.
C. CAVOUR.
CCCCLXXVIII.
29 août 1860.
Ion cher ami, Veuillez prévenir Mr Deona que, dans quelques jours, le marquis Dinegro (1) et un autre officier, iront à Toulon
(1) Le contr'amiral, marquis Orazio di Negro, — chef du Département maritime de Naples, en novembre .1860, lors de la fusion de la marine napolitaine avec la sarde, directeur de l'arsenal maritime de Gênes.
visiter les travaux que la Société exécute pour le compte' du gouvernement; il est probable qu'à la suite de cette' inspection, nous commettions une seconde batterie.
J'ai vu Balduino.
Votre dévoué C. CAVOUR.
CCCCLXXIX.
12 janvier 1861.
Mon cher aîni, Il me serait aussi facile de faire une course à la lune, que de songer à quitter Turin, entre les élections et la réunion du parlement. Veuillez donc exprimer à Deona mes regrets de ne pouvoir assister à la mise à l'eau de la Terrible (1).
Il serait à désirer que Deona pût me donner une idée de votre projet de Dock. La question devient pressante, car on ne sait plus où se tourner à Gênes. Le Municipio pense à ouvrir une grande communication avec le Mandraccio ; mais ce n'est qu'un simple palliatif. Un Dock, seul, peut mettre le commerce de Gênes dans un état normal.
J'espère peu de Gênes, en fait d'élections. Malheureusement, la majorité honnête et modérée est trop timide.
Toutefois, il me paraît qu'on devrait éviter X , qui est un jésuite rouge de la pire espèce. Pourquoi ne nommerait-on pas Balduino, qui est à peu près parvenu à ressusciter le crédit mobilier. Sa présence à la Chambre serait
(1) La pyro-batterie cuirassée, la Terribile. (30 canons et 300 chevaux), construite per la Société des Forges et Chantiers de la Seyne, — y fut lancée, dans les premiers jours de février 1861 (RADACCIO; Storia delle Marine militari italiane, H, p. 16).
avantageuse à l'établissement qu'il dirige. Cela devrait décider le vote des actionnaires, qui sont très nombreux à Gênes. Parlez-en à Oneto, qui, étant devenu semi-garibaldien, ne doit pas trouver Balduino trop rouge.
Croyez à ma sincère amitié.
C. CAVOUR.
CCCCLXXX.
22 janvier 1861.
Mon cher ami, Merci de votre concours électoral. Je regrette que les génois n'acceptent pas Balduino; c'est le plus intelligent d'entr'eux. Sans lui, le mobilier serait mort.
Je suis favorable à Giovanni Ricci (1). Je crois qu'il est avec moi ; d'ailleurs, comme marin, il en sait plus que tous les autres. Je le préfère à Tomati.
Celui que je voudrais exclure, c'est V. Ricci (2). Comme président du comité Bertani (3), il a jeté le masque.
Je vous prie de me faire connaître, d'une manière éxacte, le prix au portofranco:
(1) Le marquis Jean Ricci, contr'amiral en retraite, plus tard sénateur et ministre de la marine, (8 décembre 1862 à 22 janvier 1863, cabinet Farini).
(2) Le marquis Vincenzo Ricci, ministre de l'intérieur en 1848 (cabinet Balbo), ami intime de Lorenzo Pareto.
(3) Le député, docteur Agostino Bertani, né à Milan en 1815, mort à Rome, en 1836. Ami intime et collaborateur de Garibaldi, commença sa carrière en soignant les blessés de Milan, lors des célèbres cinque giornate de 1848, puis ceux de Rome, pendant la république de 1849; prit part, comme médecin, à la plupart des campagnes de Garibaldi et dirigea, en 1860, le comité siégeant à Gênes, pour envoyer hommes, argent et munitions au héros populaire, en Sicile.
1° Du sucre raffiné; 2° Du white elayed (s'il y en a); 3° Du mascovado.
J'ai besoin de ces données, pour bien apprécier la demande des frères Dufoiir (1), pour l'établissement d'une raffinerie à Gênes.
Votre dévoué C. CAVOUR.
CCCCLXXXI.
28 mai 1861, Mon cher ami, Je vous remercie des lettres que vous m'avez communiquées. L'emprunt n'est pas fait. Bastogi (2) veut absolument faire voter, au préalable, la loi sur l'unification. Il en est ravi et non sans raison, car elle est fort bien rédigée.
Le projet de la Spezia est prêt. J'attends Deona, il n'y a pas une minute à perdre, si nous voulons que la Chambre l'approuve avant de se séparer.
(1) Industriels génois, fabriquants de produits chimiques et, en particulier, de sulfate de chinine.
(2) Le comte Pierre Bastogi, alors ministre des finances, banquier à Livourne, y avait gagné une immense fortune dans l'exploitation des mines de l'île d'Elbe. Député au Parlement après l'annexion de la Toscane, il y représenta le collège de Cascina. C'est pendant son ministère que la dette nationale fut unifiée, et le Roi l'en récompensait en le créant comte. Impliqué dans la déplorable affaire des chemins de fer méridionaux, Bastogi, après l'enquête ordonnée par la Chambre, dut donner sa démission de député, au milieu de l'impopularité la plus générale. Il fut cependant, réélu député par le premier collège de Livourne, à la XII législature.
36 — BERT. Lettres de C. Cavour.
Cette queue de session est très fatigante. Je commence à en avoir assez (1).
Croyez, mon cher ami, à mes sentiments affectueux.
C. CAVOUR.
(1) « Le mercredi 29 mai, après une longue et orageuse discussion au Parlement, sur les volontaires italiens, le comte de Cavour rentra chez lui, triste, fatigué, préoccupé. Dans la nuit, il prit mal et, peu de jours après, le 6 juin, à 6 heures et 3/t du matin, malgré les soins les plus assidus, sans souffrance, sans agonie, il rendit son âme à Dieu ».
(DE LA RIVK, 1. c., p. 332).
INDEX ALPHABÉTIQUE
A A., 412, 538.
A 372, 422.
Abbene Ange, professeur de chimie à Turin, 83.
Abercromby sir Ralph, ministre d'Angleterre à Turin, 136, 212, 229, 295.
Aceoaaato, boulanger à Turin et fournisseur de l'armée, 23, 57, 521, 522, 525, 534, 538, 540.
ACQUI. 543.
AdrlÍaul, 139, 367, 368.
Agovie, 78.
ALBARO (église d'), 543.
ALEXANDRIE, affaires de chemin de fer, 5K-58, 67, 111, 218, 287, 297, 304, 448, 456, 471.
Alfieri di Sostesn" César, marquis, 11, 12 — Amis intime du comte de Cavour, 59-60, 62, 63, 91 — A quitté le ministère, 234.
ALGÉRIE, 477.
ALLEMAGNE, 133, 200 — Les nouvelles d'Allemagne me paraissent tout à fait favorables à notre cause, 238, 239, 304, 408.
ALLEMANDS, 297.
ALPES, Projet de percer les Alpes, 66 — 222.
Amari Emerique, né en 1810 à Palermo, mort en 1870. 339.
AMERIQUE, 64, 307, 388, 411, 485, 489.
AMSTERDAM, 372, 382.
Auderaon, 426.
André, banquier à Paris, 75.
Audrei., banquier, 131.
Anglais, 184.
ANGLETERRE, VI — Achat de six vaches et deux taureaux pour le Roi, 21 — Produt de la race courtes-cornes, 23 — La récolte des blés a été énorme,
64 - 91, 99, 106, 112, 129, 144, 148, 151, 168,179, 181, 186, 188, 195-201, 209, 212, 215, 219, 222, 223, 233, 238, 263, 266, 315, 363, 379, 388 — Traités de commerce et de navigation, -110 - 422, 431, 438, 440, 441, 444, 447 - Le traité d'alliance du Piémont avec la France et l'Angleterre fût signé le 10 janvier 1855, 4S5-486, 491, 494, 495, 503, 509, 533, 536, 540.
ANGLO-SA.RDR (emprunt), VI — 449, 451.
ANNECY, 503.
ANONB, 331.
Auaaido, industriel métallurgique, 542.
AOSTIS (Très médiocres récoltes dans la vallée), 82.
ARONA, affaire de chemin de fer, 56 — 111, 394, 489, 490.
ASTI, 48, 51, 89, 91, 92, 96, 98, 110,111, 329, 331.
.A..teanna, 339.
Atzel (monsieur et madame), 371.
AUTRICHE, 104,159,173,180, 21C, 212,219, 222, 223 — L'empire me paraît perdu sans ressource, 239 — 287, 295, 299, 320, 324, 325, 328, 340, 344, 397, 408, 414, 422, 451, 456, 466, 509.
ACTRICHB (Ambassadeur), 163.
Autrichiens, 314.
Auvare (U'), 408 — 415.
Avet, ministre de grâce et justice, 22.
Avlgdor Henry, comte, député du collège de Gavi, 370.
ATfsdor Jules, député de Nice, 373, 374, 379, 536.
Avogadro dl Cnaanova. V. Casanova.
Ajrnnrd, 467, 514.
Aceello (D') Maxime (1798-1866), soldat, peintre, écrivain, orateur et homme politique, 183, 251, 299, 300, 301, 317, 338, 339, 352, 394, 400, 435, 441 — Ambassadeur du rovaume de Sardaigne à Londres, 495 — 496.
B B. (Marquise), 230.
B., 186, 193, 195, 197, 193 — La nouvelle de la suspension de B. nous a jétés dans l'inquietude, 195 — Banqueroute, 199-200 — 203, 208, 235.
B., 83, 115.
B. et N., banquiers, 37.
B. et M. 4 67.
B 280, 81.
Badino, riche negociant vercellais, 99, 103, 160-162, 394.
Balablo, 303.
Balbe César, comte, né à Turin en 1789, mort en 1858 — Alcune parole, 172— 175, 183, 184 — Président sans portefeuille au ministère, 194.
Balbi, 178.
Baldniiio, 90, 101. 106, 142, 147, 156, 161, 180, 182, 189, 190, 193, 218, 232, 233, 237, 282, 328, 329, 332, 333, 338, 350, 359, 367, 465, 530, 541, 559, 560.
BÀLE, 66 - On craignait un mouvement radical, 82.
BALTIQUE, 19.
Baratta, directeur des douanes à Gênes, 22, 302.
Barbaronx, comte, banquier à Turin, 54, 56, 60, 116, 118, 139, 149, 168, 170, 178, 179, 346, 350, 409, 412.
BARCELONE (Bombardement de), 221,295.
Baroi (di Falletti) Charles Tancredi, marquis, 19.
Barranti, 399.
Bai'tliolony (Compagnie), VI, 492.
Bastide Jules, ministre des affaires étrangères à Paris, 222.
Bava Eusèbe, général. 352, 354.
Bandon, 160, 162, 172, 176, 185, 188, 198, 199.
BELGIQUE, 284, 410, 415, 436, 463.
Bellinzoïie, 173.
Belione Sébastien. Voir Maisons.
BeUrslno, 101.
Beltrani, 99.
Bcivedcre, colonel du 18 régiment de ligne, 289.
Bersaglieri, 315, 354.
Bertani (Comité), 560.
Berli Dominique, X.
Bertini, banquier à Paris, 54, 76, 97, 136.
Bessaiia, 303.
Bianclieri Joseph, ing., député du collège d'Oneglia, 418.
Bianchi Nicomède, X.
Bibliothèque universelle de Génève, 123.
BIELLAIS, 392, 393.
Birkenliead, 426.
Bixio Nino, Est un homme froid, qui juge sainement, 303.
Blanc et Mathieu etComp., 341, 441, 450.
Bionay (de Vevey), ingénieur, 390.
HOlnrlo, honnête secrétaire, 202, 203.
Bois-ie-Comte, ministre de France à Turin, 221, 222, 237, 295.
Bolent, négociant suisse à Turin, 102.
Bolluidlt. banquier à Turin, 76, 117, 121, 148, 149, 163, 228, 240, 268, 270, 272, 307, 308, 314, 320, 344, 372, 397, 405, 437, 493, 494, 496, 499, 503, 505, 507, 508, 515, 543.
BOLOGNA, 185.
Bombrini Charles, directeur de la banque de Gènes, mort en 1882, 120, 121, 123, 224, 245-247, 259, 317, 330, 336-338, 342, 345, 351, 358, 405, 455, 458, 468, 471, 499, 501, 502. 512, 530, 537, 541, 542.
Boun Barthélémy, chevalier, 148, 151, 152, 158, 164, 208, 2'5, 295, 97, 312, 325, 334, 368, 369, 391, 446, 417, 532.
Buncoiiipagiii di Monibello Charles, comte, au ministère de l'instruction publique, 194 — Plénipotentiaire du Piémont, 294-295.
BONNEVILLE, 74.
Borani, 295.
BORBO (Vallée de), 48.
Boreill Hyacinte, comte, 179.
BORGO TICINO, 103. Borsino, 176.
BOURGET, 93.
Branibilla. Voir Maisons.
Brignole-Sale Antoine, marquis, 330.
Brongham Henry, Bâtiment, 19.
Brofferio Ange, 244, 263, 264 - (18021816), avocat distingué du barreau de Turin 322, 368, 374, 416.
Brot, 295.
Brllek, 295, 320, 324.
Brunei, 47.
BruMta, 506.
BRUXELLES, 156.
BUENOS-AYKES, 540.
Buffa Dominique, né à Ovada en 1818, mort en 1858, 251-257 — 258 — 264, 275, 355, 45').
Bugeaud, 217.
Hllrknrd, 164, 176.
Bury, commandant militaire de la Place de Turin, 167.
BUSALLA, 449.
c C., 542 - 553.
C., 90-92, 98, 103, 148, 153, 155, 157, 161, 176.
C. et S., 378.
C. et .f., 113.
c., 113, 119, 131.
Cli.„, D. et C., 75.
Cabellll, Maison d'expédition, Voir lIIaisons.
Cabelia César, avocat, député du collège de Voltri, 276 — 280, 329, 350.
Cadorna Charles, député de Pallanza, 461.
CAGLIARI, 28 — Affaires des banques, 39-43, 500.
Gagliari, vapeur rendu par le gouvernement napolitain, 535.
CALIrORNI", 385, 388, 407, 411.
CAMPION (Permanence de cinq jours du
comte Cavour en compagnie de Rorà à.), 62, 166.
CAMBIANO, 250.
Cambiato, 228.
Canfari Louis, 506.
Capello, 57.
Carigiianl, 123, 159.
Carignan (Palais), 2(i8.
Carisuan. Voir Prince.
Carlo Felice (Théâtre), 535.
CARMAGNOLE, 437.
CARPI, 481, -82.
CASAL, Le comte Cavour a parcouru les provinces qui bordent le Pô, depuis Casai jusqu'à Pavie, 63 - 318, 471.
CalilnlelfllO, 302.
Casann, banquier, 37, 50,119,121, 168, 178, 228.
Casanova (Avogadro di) Alexandre, lieutenant-général et sénateur du royaume, 219, 329, 334.
Casai H is Jean Baptiste, avocat, 279,289, 305, 307, 310, 461, 462. 1 1 Castagne, 59.
Castagnetto (de Trabucco) César, comte, sénateur du royaume, 134.
Castelli Michelange, X.
Castelbotirg (Bongiovanni di) Camille, comte, secrétaire chef de division au ministère des finances, 441.
CASTEL ALÎVRO, 329.
CASTEGGIO, 288.
Caste 11 an i, 148, 150.
Castelain, maison, 151, 215.
Cnvaignac Louis. 217, 222, 236.
Vavaeiiara, génois, agent d'affaires, 56, 5S.
Cavagila, marquis, directeur générale des postes à Turin, 132, 138.
Cavour Camille, comte, V, VI, VII, VIII, lx, X.
Cavour Michel, marquis, IV.
elelila, 253.
Ceppi Laurent, comte, 121, 280.
Cerrutl, 184.
Cevawco, 366.
Charles Albert. Voir Roi.
CHARLES (Le curé de Saint-), 391.
CHAMBÉRY, VI — Affaire de banque, 35 — 106 — La bande dites des Voraces de Lyon, avait envahi Chambéry et proclamé la république, 200 — 242.
CHAMOUNIX, 549.
Chaumoutell, conseiller, 77.
CHÊNES (Assemblée populaire à), 79.
CHIARr, ville près de Milnn, où expira le marquis de Barolo, 19.
CHINCHA (ile), 432.
CHINE, 307.
CHIODO, 251.
CHIVAS. est traversé chaque jour par 26 diligences, 67 — On trouve difficilement de la marchandise en parfait bon état, 81 — 84.
Chrzanowskf, général polonais, 282.
Champion, navire, 200.
Cigala (Martini di) Henry, 1/4.
Cisterne. Vedi Prince.
CISTERNE (Palais du Prince de la), 168.
CIVICA (Garde nationale). Le comte Ca-
vour fùt capitaine de la l.e Comp., section Monviso, jusqu'au 1] octobre 1850, 192.
Clara César, procureur, 305.
Clareudon George (lord), 509.
Ciermont Tonnerre (De), duchesse, IV.
Cobden, grand économiste anglais, 134, 136, 137, 139.
Codini, 409 — 472.
Colla Frédéric, avocat, contrôleur général, senateur du royaume, et premier Président de la Cour des comptes, 213.
Collegno (Provana di) Hyacinte, général (1793, 1856), 59— Honnête homme, mais ésprit faible et étroit, 207, 208.
COLLEGNO (Moulin de), 389.
COLLEGNO (Société de), 534.
Col il (de Felizzano) Victor, marquis, major général, 266, 276.
Coiobian, comte, ancien officier de gendarmerie, 135.
CÔMB (Chemin de fer), 92.
CONI, 318 — (Lignes de), 493.
Concordia (La), journal politique fondé à Turin, 173, 183, 231, 364, 366.
Coq, navire sur lequel le comte Cavour avait expédié une cargaison de riz et de blés au Havre, 133, 138, 141, 145, 152, 155.
CORSE, 110-112, 123.
Corriere Mercantile, journal commercial et politique, publié à Gênes sous la direction de Jean Antoine Papa, 231, 319.
COSTANTINOPLE, 486, 5,,6, 55o.
Cotta Joseph, chevalier, banquier, 37, 52-54, 56, 58, 276, 298, 409.
Craveri Antoine, né à Moneglia en 1811, c mort le 22 février 1870, 244.
CRIMÉE, VI, 489, 490 - Fournitures, 521.
CULOZ, 492, 503.
Cuinming, capitaine, 65.
Custo (Compagnie), 133, 374.
Custo Alexandre, négociant en grain, 466.
Clisanl, 468.
D n., 8S — 95, 508.
n., 96, 39!).
Dabormlda Joseph, général, 294, 314, 486.
Danoise (Obbligation*, 419.
j>apple», 198, 199.
DARSE, La Darse de Gênes, pour y débarquer les rails, 145, 406,425, 426, 515.
Daveuport Madame, 304, 306.
nlnldy, 14. 17, 44, 101, 105, 147, 151, 152, 154, 155, 157, 176, 178, 189, 196, 251, 318, 319, 375, 381, 413.
iVAzeglio (Tapparelli). Voir Azeglio.
Deferrarl, avocat, homme d'un grand talent, 276.
Degas, de Naples, banquier, 557.
nCKrottl, employé du comte Cavour..
188.
De la Rive Eugène, VIII, fr8, 147.
De la Rttc Davidin, 11,34?, 352, 387,390.
De 1» Rile Émile, IV, V, VII.
De la Riie Gédéon, IV.
De la Rite Hyppolite, IV, 18, 359, 485.
De la Rile Jean, IV.
Delleplane, courtier en blés à Gênes, 490.
Deinarelii, 363.
Demargherita, baron Louis, ministre de grâce et justice, 283, 361, 361.
Denlna, banquier, 117.
Deona, ingénieur, 556, 558, 559.
Derby (lord), 489, 440.
Desambrois (de Nevache) Louis, chevalier, 61, 62 — Au ministère des travaux publics, 142, 194, 251.
DEUX SORELLE (Guano de), 133.
Dinegre Horace, contr'amiral, niarquis, 558.
D'israeii (Beaconsfield) vicomte Benjamin, 440, 444.
DOCKS, 427, 429 — (Projets du), 459-460, 462, 465, 466 — Du Mandraccio, 467470, 474, 503, 508, 509, 515-518.
Doire (Vallée), 66.
Doria Georges, marquis, de Gênes, 181.
Bruey Henry, avocat et homme d'État du Canton de Vaud, 78.
DUCHÉS (les), VII, 212, 550.
Dupré, banquier, 37, 50, 56, 87, 89, 96, 131.
Duport, bnron, 9, 50, 54.
Dnrnndo Jacques, né à Mondovi en 1807, 220, 225, 234, 261.
Durand, de Londres, 203.
Dutolt, negociant suisse à Turin, 102.
E Economiste journal, 552.
Elt"htal' Adolphe, banquier à Paris, 52, 123, 385-387, 390 405.
Elio, général carliste, 356 filicna Dominique, syndic de Gênes, député de GÔnes, 467.
Empereur Napoléon III, prouve chaque jour plus sa complète incapacité, 236 — Est forcé de se jeter dans les bras des slaves, et de se séparer de l'Allemagne, 239 — 287, 319.
ESPAGNE, 477.
Kipartero, 221, 295.
ÉTATS-UNIS (Consul des), 184.
EUROPE (Marchés d'), 16, — 64, 255, 256, 278, 300, 305, 388, 411, 466, 510, 546.
Examiner, journal, 132, 138.
EXPOSITION des Produits de l'Industrie Sarde, 45.
F F., 122, 1?3, 150.
F. d'A., de Naples, 450.
Faieo, agent du comte de Cavour, 83.
Falklrk (Coussinets de), 211.
Funtlni. 336.
Farina Paul, avocat génois, député au Parlement, 231, 373, 376, 421.
Far 1 ni Louis Charles, médecin, né à Russi de Ravenne en 1812, 454, 455, 550.
Favre Léon, frère du célèbre Jules, nommé consul général de France à Gênes en 1848, 221.
Faiy James, 77-79, 82.
Fèder, premier hôtel de Gênes, à cette époque, 171.
Feder, premier hôtel à Turin, 77, 429.
Fédéral, journal, 77.
FÈNESRR13LLI5, 98.
Fernex (ne) Charles, banquier genévois à Turin, 49, 56, 97, 118, 130, 131, 143, 230, 274.
Fernex (ne) J., 382.
Ferrara François, professeur, né à Palerme en 1810, réfugié à Turin, pour avoir pris part au mouvement sicilien de 1847, 245 Ferrare, 159.
Ferrari Raphaël, marquis, duc de Galliera, prince de Lucedio, 45, 525.
Ferrari Dominique, qui devint premier président de la Cour de cassation, 213.
Flgoli Charles, 402.
FLANDRE, IV.
FLORENCE, 185, 265, 514.
FONTAINEBLEAU (Le château), 247.
Fontaine d'Or, auberge d'Asti, 329.
FOSSINO, 233.
Fosco, 436.
Fonld, 405, 449-451, 453.
Fratizlni, au ministère de la Guerre, 194.
FRANKFORT, 408, 517.
FRANCE, 19 — Le blé augmente chaque jour, 85 — 98, 100, lOI, 124, 126, 146, 153, 180, 191, 205, 212, 219, 221, 223, 229, 230 — Ne veut pas intervenir et se f. de nous, 233 - 246, 255-258, 266, 284, 299, 303, 304, 307, 308, 327, 345, 353, 363, 369, 374, 386, 387, 397, 410, 414 — Le traité de commerce et de navigation, 421 — 436, 440, 442, 485, 505, 509, 540.
Français (Les), 488, 547.
Frère-orbara, ex-ministre belge, 462.
Frel Frédéric, né en 1800 à Aaran, mort en 1873, 78.
FRIBOURG (Suisse), 79.
G G., 147, 149, 150, 153, 197, 325, 327, 351, 384, 405, 507.
G. et M., 370.
G. R. de la T. et C. Voir Maisons.
G., 123, 133, 143, 196, 200, 206, 214, 215, 231, 540.
G. (Les), 369.
G., marquis, 542.
Gai il na (di Guarene) Etienne, comte, 10-12, 20 — Affaires de banque, 33-34, 40, 41, 49, 59, 60, 62, 293 Galignani, journal, 520.
Oaivagao Jean Philippe, avocat, 325, 358, 368, 401.
Gainba, 361.
Garibaitii Joseph ( Les journaux retentissent des louanges de), 307 L'arrestation de Garibaldi a mis en emoi nos rouges, 335, 337.
Gazette PiémontaISe, 489.
Geneys (Des), frégate de la flotte sarde, 482, 483.
GÊNES, 111, V — Choiera du 1836, 6 — Fondation d'une banque, 10, 29, 32 — Question d'emprunt féodal, 38 — Affaires des banques, 40 — 42-44, 46 — On peut améliorer les statuts de la banque de Gènes, on y travaille activement, 52 — 56, 58, 59, 1)3-65, 85, 87, 88 - 90 - 91, 93, 96, 100-104, 110, lit. 113, 116, 120, 121, 126128, 137, 138, 140, 143, 146, 147, 149, 151, 153, 157, 159, 160, 166, 168, 170, 174, 175, 178, 179, 181, 186, 188, 1-9, 191, 193, 198, 201, 206, 209, 211-215, 221, 225-227, 231 — Les désordres de Gênes m'affligent, 235 — 240-242, 245, 246 — Les tristes événements de Gènes, 251 — 253, 256, 258, 259, 263, 264, 268, 269, 274, 284, 285, 288, 290, 292, 295, 298, 302, 310, 312, 313, 318, 321, 329, 334-338, 342, 344, 345-347, 350, 351, 362, 361, 365, 367, 370-372, 38 383, 387, 388, 392, 394, 396, 400, 402, 403, 407, 410, 411, 415, 416, 426, 427, 429, 431-433, 441, 442, 444. 445, 449, 450, 455, 456, 459, 4GO, 464, 465-467, 470, 472. 477-479, 4S2, 484, 487, 497, 499, 502; 504-508, 511, 513, 514. 516, 519, 520, 526, 531, 534, 535, 53/, 54), 547, 551, 553, 556, 559, 560.
GENÈVI, IV, 52 - 57, 58 — 70, 71, 74, 75, 80, 82— Révolution du 7 octobre, 73 — 98, 100, 118, 123, 145, 146, 148, 175, 230, 305, 306, 529.
Génois, Ils ont fait un mal immense à la cause italienne, 210 — Plusieurs émigrés italiens s'étaient réfugiés à Gènes, 219, 225, 227 — Si les Génois sont aussi timides et poltrons en affaires que sur le champ dd bataille, je ne sais qu'y faire, 228 — 238, 247, 268, 330, 38S, 465, 466, 485, 487, 523.
Gibbs (A.) et Comp. Voir Maisons.
GIBRALTAR, 138.
Gioberti Vincent, abbé, IX, 215 Ce malheureux Gioberti, furieux de ne plus faire part de ministère s'est mis à exciter les passions populaires, 216 — 217, 231, 233, 235 — Tombe tous les jours. Ce ne sera plus bientôt qu'une idole brisée, 240 - 249, 250-252, 256, 257, 263, 264 — La chute de Gioberti a été un drame honteux, 265 — 267, 283, 284.
Olola Pierre G., avocat, collaborateur du Risorgimento, 249, 250, 363.
GIOGHI (tunnel), 90, 302, 310, 394.
GludHtnnc, 489.
eaidamith de Francfort, 342, 394, 408, 517.
ttolzio, directeur des travaux et grand entrepreneur des travaux publics, 76, 109-112, 120, 123, 126, 131, 132, 134,
137, 141, 142,144,145, 147-149, 150-153, 156-159, 162-165, 168, 170-172, 176, 179, 183-185, 188, 195, 203-205, 209, 212, 297, 298, 301, 302, 309, 324-326.
Golzlo, Caialegno et Gobbl, 302.
Gordou Henry (Sir), capitaine anglais, 490.
GOrgey Arthur, général des Hongrois, 326.
GOTHARD, St-, 68.
Grat'fia;ne, 101.
<»raliam, sir James, 439.
Grand Baron, 499.
Oranet (Madame Augusta), veuve d'Émile de la Rüe, III, 195, 346, 394.
GraU.u" Severin, né à Voghera en 1816, mort à Turin 1876, 517.
Orattoni-Sommeiller, expériences, 514 — Système, 516.
GRINZANK, 2, 3, 13, 18, 21, 163, 164, 306, 307, 389.
Guest, fournisseur des rails pour la ligne de Savigliano, 296, 293, 384, 391, 392, 394..
Guspare, banquier, 556.
H H.. 188, 389, 419, 420, 251, 351, 421, 432, 420, 423, 424.
H., 98.
H. F. et C. Voir Maisons.
H. C. et flis de Liverpool. Voir Maisons.
II. m. , chef de la maison A. M. de Mnconn 8R R7
H. et M., 196.
Hall Joli», 90.
Ilambro Charles, VI, 5, 418, 424, 425, 427, 42 S 430, 431, 433, 435, 436, 439, 441, 443, 444, 447, 449, 450, 451, 453 455, 457, 469, 471-473, 475, 479, 482 4S3, 487-489, 493, 495-499, 503, 508, 512 513, 519, 520, 523, 548.
HANOVRE, 461.
Haalewood Edouard, banquier à Londres, 428, 431-433.
HAVRE, 116, 124, 145.
Haynau, 326.
Heatb, 129, 130, 438.
Heath Fur Ht et C. Voir Maisons.
Heine (d'), 471 — Commerçant à la Nouvelle Orléans. 482, 483.
Herald for Europe de New-York, 184.
lloarti (Madame), 306.
HOLLANDE, 19.
Hollandais, 234.
HONGRIE, 328 - Insurrection hongroise, 314.
Ilottingre, 341.
Hübuer, Joseph, baron, 509, 544.
Hudaoïi James (sir), 494.
1 INDE, 64.
INDES (Compagnies des) , 361.
Iseiin A. et C., à New-York. Voir Maisons.
ITALIE, VIII, 113, 123, 238, 246, 255, 266, 364, 547-549.
J J. Voir Maisons.
J. B. F. de Pavie. Voir Maisons.
Jaiiiet, colonel dans la brigade de Savoie, 144 — Ami intime de M. É.
de la Rue, 258 — 279, 315, 321, 356, 504.
John lluli, 426, 540, 549.
Josti Jean, député du collège de Mortara, 253, 367.
Jullien, 125.
K Kiston, 182-184.
Kopfer, 518.
L L. Voir Maisons.
L. o., 80.
L. B., 255.
L. B. et C., d'Odessa. Voir Maisons.
!.. N., 255.
h., de la maison L. et V., 85 — Me paraît un homme sérieux, 185.
LAC MAJEUR, 112, 215, 392, 394.
Lafttte, 4 51, 492, 503.
lamarmora Alphonse, général, 256, 264, 288, 289, 291, 292, 295, 296, 315, 325, 352, 393, 401, 402.
Lamarmora Alexandre, 264.
Lamarmora Edouard, 476.
Lamennais, 217.
Landaur, 347, 360.
Laudaner, 535.
Lansdowne, 440.
Lama (Fabrique à Turin), 268, 367,643.
Larghl, 310.
Laanay, général, commandait la division militaire de Gênes, 242.
Lazottf, un des principaux chefs du mouvement révolutionnaire de Gênes, 288.
Ledru-Bollin, 256.
Leonitio, banquier à Gênes, 344.
LÉRI, 3-5, 53, 87, 101, 108, 121, 158, 159, 161, 162, 228, 229, 261, 280, 294, 332, 854, 356, 380, 384, 396, 400, 433, 435 Les environs de Léri sont infectés par le choiera, 476—490, 551, 552, 554.
Lesanica, IV. ,
Lester, consul des Etats-Unis.
LEVANT, 178.
Levat, 480.
Levi, banquier à Turin, 54, 339.
Levol Gustave, 58.
LIGURIB, 477.
Lilla (Madame), 555.
Litta e C., 56.
Littardl Antoine, de Port-Maurice, 555.
LivouRNE, 126, 245, 427, 431, 529.
LIVKRPOOL, 65, 71, 87, 90, 101, 129, 153, 154, 156, 157, 104, 168, 232, 426.
Lombard, de la maison Lombard-Odier de Genève, 420, 421.
Lombards (Les), 235, 242, 299.
LOMBARDIE, VII — Culture des prairies et des mûriers, 63 — 104, 212, 265.
LOMELLINIÎ, 42, 63.
LONDRES, 91, 98, 101, 130, 131. 138, 152, 156, 195, 200, 203, 209, 263, 279, 288, 289, 293, 315, 317, 326, 348, 356, 363, 389, 419, 422, 423, 425, 426, 429, 430, 436, 438, 440, 441, 449, 455, 457, 41i3, 464, 467, 470-473, 475, -!81, 487, 494, 495, 505-508, 511-513.
Long et fils. Voir Maisons.
LOIIg, 101, 103, 108, 118, 128, 130, 131, 198, 230, 30-, 314, 318.
Louili Philippe (Gouvernement de), 203, 231. t Lucquois (Les), 168.
LYON, Des maisons de Lyon sont disposées à s'y intéresser pour de fortes sommes pour la banque de Turin, 41-50, 100, 133, 136, 199, 363, 484, 504, 507.
M M., 91, 92, 95, 112, 115, 126, 129, 130, 132, 140-142, 145, 149, 151, 153, 156, 157, 160, 164, 176, 180, 184, 185 - n est menteur comme un Russe, 188-189, 193, 197, 203, 206, 212, 214, 243.
M., C'est un honnête et gentil garçon, 493.
M., 405.
II. »., 69, 70, 71.
MM. n. et C. Voir Maisons.
MM. T. et P., 71.
M. Nf., 73.
M. et G. Sont d'excellentes gens, 209.
19. fi. B., correspondant de Mr Serra à Gênes, 8.
M. L. o., 71.
M. H., chimiste fort habile, 262.
M. B., 262.
M. et M., 195.
Madgyars, 314.
MADRID, 278.
Maya (La), journal politique, 4G0-462, 465, 466, 481.
Mngnone, banquier génois, 27, 28 — Emprunt, 29 — 38, 39 — Rentes Magnone 43 — 69.
Maisons de commerce, Bellone Sebastien, 149 - Blanc Mathieu et C., 341, 441, 450 — Branibilla — Cabella, 96, 133, 146, 148, 156, 240 — Ch. D. et, 75 — D., 62, 9G, 390 — Gibbs, A. et C., 431-433 - G. R. de la T. et C., maison de Marseille, 60, 61 — H. C. et fils de Liverpool, 86 — Haeth Furst et C.
150-152. 155, 439 — H. F. et C.. 89, 90 — Iselin A. et C., à New-York, 485, 489 — J., 412 — J. B. F. de Pavie, 126, 150 — L., 112 - Litta et C., 56 - Long et fils, 54 - L. R. et C. deOdessa, 543 — Melwych et De la Rüe,
Liverpool, ( 5, C9, 71, 101 - M. M. D..„ et C., 73 - Millo, à Gènes, 36 - Modéna, 23 - Morris, Prevost et C., 22 - Nigra, 35, 36, 49, 55, 56, 58, 68. 109, 118,126, 144, 246, 2/2, 287, 352 — P.
F. et C., tO — R. C. et C., 162 — R. et S., 193, 260. 376 - Rayalle et Bellone, 143, 147 - Sella et C., 408 - Turrettini, Pictet et C., 75.
Ollnelil, 157.
Xahnesbury, 533.
Mamiani Terence, della Rovere, né à Pesaro en 1FOO, 359.
Mameii Christophe, chevalier, avocat, 362.
Maueardt, banquier a Turin, 54, 76.
MA.NDRACCIO, 508, 559.
Manno Joseph, baron, Vice-président du Conseil suprême de Sardaigne, 27, 28, 29.
marie Christine, fille cadette de Victor Emanuel I, 11, 288.
MARINE, 515.
Jlarsan (Si.), capitaine d'artillerie, fils du comte de St-Marsan, 68, 166.
MARSEILLE, 20, 61 — 85 — 99, 100, 101, 113, 116, 124, 126, 133, 113, 1-17, 166, 191, 198, 428, 512.
Massarl Joseph, X.
Haicardi, 117.
Matbleu, 341, 450.
Xaua Henry, célèbre ingénieur belge, 69, 71.
Mammlni Joseph, 360, 522, 540.
Mazztielielli, 161.
MÉDITERRANÉE, 19.
Melly de Liverpool, 18.
MELBOURNE, 22.
Melehioni, 209.
Melhwisli, GI'ay, de Londres, 165.
Melwiscli et ibe la Rile. negociants à Liverpool. Voir Maisons.
Slenabrea Louis Frédéric, général, de Chambéry, 420.
MKR-NOIRK, 64.
Merlo Félix, né à Fossano en 1793.
Professeur à la faculté de droit à Turin, 216.
Mercier, 130, 133.
Merello, 352.
lIfessaggiere, journal, 316.
MESSINE, 427.
mestrezat Marie, IV.
Mestrezat, banquier suisse à Turin, 56, 58, 86, 109, 117, 118, 121, 130,131, 143, 240, 268, 270, 314, 346, 372, 381, 889, 453.
Metternieb, prince, 13R.
MILAN, 87, 92, 137, 145, 295, 296, 302, 314, 394 — Le 6 février 1853 avait eu lieu la fameuse tentative mazinienne, 449.
Milanais, 223.
MODANE, 503, 525.
Modéna. Voir Maisons.
MODÈNE, 550.
-Vonale (Buglione di) Alexandre, 547.
MONCALIERI, 65, 114, 122 — La sémaine prochaine, on ouvrira le chemin de fer jusqu'à M. pour amuser les badauds, 16 septembre 1848, 228, 250.
MONDOVÎ, 85.
MONTEVIDEO, 407.
MONT-CÉNIS, 114, 514.
MONT-GENÈVRE, 65.
MONT-ROSE, 461.
Morellio, père de l'avocat Morchio David, compromis dans les affaires de Gênes, 253, 410.
Morris, Prevost et Comp. Voir Maisons.
MORTARE, 456 — (Théâtre de), 174.
Moscou, 189.
Moulins de Collegno, 521, 525.
Moutura, hôtel de premier ordre à Turin, 77.
TOull-Sercy, 9.
N fi., marquis, 107, 115, 542.
N., 412.
NAPLES, VII, 178, 181, 182,188, 427, 458.
556, 558.
Napoléon ï, 77.
Napoléon III. Voir Empereur.
Nnpoléoll, prince. Voir I'rince Napoléon.
Naviiie (de Châteauvieux), G. Edouard, conseiller d'État à Genève, 57.
Nautilis, navire, 200.
NelllDnllll, 517.
NEW-YORK, 184, 411, 483.
NICE, 35, 137 - Les affaires de Nice sont plus ridicules que graves, 420516.
NIgrn. Voir Maisons.
NIgrra Jean, commandeur, ministre des finances, 292, 293, 295, 299, 300, 308, 311, 312, 314, 315, 317, 319, 320, 321, 324-326, 328, 338, 310. 341, 343-348, 356, 361, 364, 366-368, 370, 372, 374-376, 378, 381, 383, 384, ?87, 395--98, 401, 408, 409, 410, 412, 414, 416, 417.
Noellis, avocat, 361.
NORD, 66, 558.
NOUVELLE-ORLÉANS. 481, 482.
NOVARE, 321, 457. 471, 481.
NOVARAIS, 42, 103, 104.
NOVI, 48, 106, 108, 111, 310, 355.
0 0., 82, 131.
«. et B. et B., 92.
OehNenbein Ulrich, de Nidau, rédacteur du jornal radical La Jeune Suisse, 78.
ODESSA, Blé d'Odessa et de Marianopole, 15, 25.
Odier Gabriel, banquier à Paris, beaufrère de M. de la Rüe, 56, 58, 426.
Odier Lombard, banquier à Genève, 68, 75, 88, 89, 90, 91; 179, 300, 304, 341 !
Odier (Madame), 427.
Oneto François, de Gênes, député de Recco en 1848, 511, 530, 532, 533, 560.
Opinions, journal, 364, 366.
ORIENT, 457, 458, 463, 467.
Orslni Tite, avocat, 461, 462.
Otler, navire, 188, 200.
Oudart et Bruché, français établis à Gênes, 164.
Oytana J. B., commandeur, 549, 550555.
OXFORD, 438.
P f. Marquis, 70.
P., 96, 4;)2.
P., 234.
P. (Mr et madame), 77.
P. F. et C. Voir Maisons.
P , 472.
fateoeapM Pierre, ingénieur, né à Bergame en 1789, 252, 446, 470, 492, 518, 523, 524.
PALAIS DB CRISTAL, (Les entrepreneurs du), 426.
PALERMB, 178.
Paiiavlelnt François, marquis, de Gênes, 181, 182, 336, 504.
Pallaviclni Gigi, marquis, 505.
Pallavicini Ludovic, 626, 529.
PALLANZA, 499.
Pailuel Ferdinand, député du collège d'Albertville en Savoie, 366.
Palmer, industriel anglais, 446-537.
Palmenton (Lord), 22, 5 9.
l'amparalo (De), marquis, intendant de la liste civile du Roi, 69, 75, 95, 122,129, 134, 142.
Papa, 377.
Pape Pie IX, 167 — Hier, on nous a annoncé qu'il s'est sauvé de Rome, 29 novembre 1848, 245 — Restauration, � 304.
Paraeea, 96.
Parent, avocat, de Chambéry, 553.
Pareto Laurent, marquis, né à Gênes en 1800, mort en 1865, 205 — député de Gênes au Parlement Subalpin, 207 — Nomination au ministère, 193, 251 — Au ministère des Affaires étrangères, 194, 327, 330, 337.
PARIS, VI, 115, 116, 127, 136, 137, 139, 154, 176, 178, 185, 186, 188 — La révolution du 24 février 1848, 190 -198 - Le 25, il parait qu'on se battait encore, 28 juin 1848, 205 — Les nouvelles de Paris sont belliqueuses, 222 — £ 29, 23?, 256, 293, 299, 330, 344-316, 348, 350, 351, 353, 355, 356, 390, 394, 405, 416, 422, 427, 430, 436, 441, 442, 450, 451, 455-456, 467, 473, 484, 487, 494, 496, 499, 502, 503, 505, 509, 511, 513, 522, 546.
PARC (manufacture de tabac du), 476.
PARME, 66.
PARMESAN-MODENAIS, 550.
Parodl, 33, 344.
Parodl Jacques, 527.
Pascal, ingénieur maritime, français, 523, 5"0.
Pasqua, préfet du palais, 467.
PAVIE, 56, 63 — Les environs de Pavie ont été abimés, 83.
ont
Pauli, ancien consul de Hanovre, à Gênes, 462.
PAUL (St.), 319.
PEBLITHS (La défaite des), 439.
Pelletts (di Cortanzone) Emile, chevalier, 401, 402, 404, 406, 482.
Peiiegrïni Didace, avocat, un des principaux chefs du mouvement de Gènes, 253, 254, 288.
Pensiero Italiallo, journal d'opposition publié à Gênes, 231.
PÉROU, 101, 120, 131, 140, 147, 441.
PÉR{)US: (Moulin de la), 76, 145.
Perejfu Pierre, agitateur lombard, 316.
Perret, 504, 505.
Perl'elre, 503.
Perrone de San Martiao Hector, baron. Voir San Martino.
Pt'rNano (Pellion de) Charles, amirail, 401, 414, 416 — Commandant l'escadre sarde à Naples, 556, 557.
Peseatore, 303.
Peseatore Mathieu, professeur de procédure civile, 327.
Peseetto, major, de Savone, neveu de Colla, 554.
PESCHIERR, 339 — (Institut des), 445.
PÂTERSBOURG (St-), 278.
Petitti, 134, 135.
Petittl (Baglioni) Augustin, de Roreto, chef d'État major de Lamarmora, 291.
Piccino et Baldulno, 158-161.
Pleliiura, négociant, 81,83,105,127,385.
Plekeninsr, entrepreneur anglais, 453.
PIÉMONT, IV, VI, VIII, 42, 64, 100, 107, 109, 125, 146, 225, 251, 269, 299, 318, 344, 411, 42(i, 461, 177, 550.
Piémontais, 204, 210.
Piémont-Royal, régiment de grosse cavalerie piémontaise, 174.
PIGNEROL, le comte Cavour il a assisté au congrès agricole, 62 — Est un culde-sac, très riche, très peuplé, 65 — 67, 69, 97, 98.
Plllet WiU. 311.
Plnelli Pierre Denis, né à Turin en 1804, mort en 1852, 216 — M'a communiqué, hier au soir, les graves événements, qui ont affligé votre ville, 241 — A du cœur, de l'énergie, une activité admirable, 249, 252, 254, 257, 263, 300, 341, 342, 358 — Ministre de l'intérieur en 1848, 366 — 403.
PLAISANC.J, 249.
Piannrgia (Pagliaccio de la), général, 180.
PLoMBrÈREs, VI.
Pô, 111, 393, 503.
Podenai (Marquise de), dame d'honneur de la Duchesse de Berri, 540, 543.
POIRINO, 60, 106, 108.
Poiione (Nomis di), Antoine, mort en 1866, 135.
POLOGNE, 388, 389.
Pouzlo Vaglia, 333.
PORTUGAL, 20.
Praiorme (Beraudo de), François, comte, 12 — Ministre de l'intérieur, 26, 330.
Prandi, 69, 388.
Pradin (M.11,3 de), 69.
PRESSINGS, 79.
Prince de la Cisterne. 1GS.
Prince de Navoia Carigtuano Eugène, 325, 401.
Prince Jertflille Napoléon (Bonaparte), 544.
Prinoe de Lllcedlo. Voir Ferrari.
Prmt, ingénieur anglais, 515, 519, 523, 525.
PRUSSB, 19, 466.
Pllccl, 176.
Pucclo, 147.
R K., 341, 507, 555.
K comte, 70.
R., 370.
R. et S. Voir Biaisons.
la. c. et C. Voir Maisons.
B. (Les), 149.
R., 197, 201.
RACONIS, 59, 76, 437.
Radetzhy et le Roi, le 9 août 1848, avait été conclu l'armistice entre les deux armées 210-212, 223, 284, 287.
Radice E., officier dans l'armée sarde, 232. habile commerçant de Raggi Édile, habile commerçant de Gênes, 554.
Ramtage (Plaques tournantes de), 211, 214.
Ralnorino, général, fut condamné a mort non pour crime de trahison, mais pour avoir désobéi au général Chrzanowski, 301.
Kanen Louis, né à Asti en 1815, ingénieur de grand mérite, 517.
KandeIl, célèbre ingénieur anglais, 447, 448, 459, 460, 462, 467, 470, 474, 508, 510, 515.
Baipail, 256.
Rattazzi Urbain, né à Alexandrie en 1810, avocat des plus distingués du barreau de Turin, 251, 263, 322, 368.
Rftvinn Amédée, auteur des Cantici italici, 339.
Rayai le et Bellom. Voir Maisons.
Rebizzo Blanche (madame), né le 21 octobre 1800 à Milan, morte le 27 octobre 1869 à Gênes, 474, 545.
RÉGIE (Tabac de), 518.
RÉGENCE DU GÊNUS (Conseil de la), 410.
Régis Jean (de Savigliano), comte, député de Dogliani, 113, 315.
RUINE, 405.
REINE d'Angleterre, 409.
REINE (Brigade de la), 235.
Relzet, secrétaire de legation de France à Turin, 212.
Renaidi, secrétaire du comte Cavour, 15, 147, 151, 158, 357.
Reviiilod, oousin du comte de Cavour, 74.
Reta Constantin, ancien directeur du journal Il Mondo IUustrato, 322.
Revel (Thaon de), Octave, né à Turin le 2'i juin 1803. mort le 10 février 1868, 61, 95, 103, 106, 119, 121, 138, 142, 144, 194, 211, 232, 244, 246, 333, 387, 415, 416, 422, 423, 427, 434, 435, 489.
RHIN, 436.
RHÔNE, 146.
Ricci, banquier à Turin, 33-37, 40, 41, 44, 49, 50, 52-57, 68, 94, lis, 138, 139 177, 194, 232, 251-253, 258, 259, 267-272 277, 280, 281, 33G, 474 — 518-521, 524.
Rlecl, capitaine do frégate, 491.
Ricci Jean, marquis, contr'amirail en retraite, 560.
Ricci Vincent, marquis, de Gênes, ami intime de Pareto, 207, 246.
Ridway, libraire, 203, 279, 316.
Rignon, comte, 180.
Bicnon Félix, banquier et filateur de soie à Turin, 76,111, 11G, 131, 134,139, 142, 295, 297, 298, 506, 507.
Risonjimento, journal, 171, 180, 181, 183, 184, 189, 213, 223, 299, 318, 321, 340, 364, 366, 369, 374, 394.
Rive (ue la), cousin du comte Cavour.
Voir De la Rive.
RIVIÈRES de Gênes, 362.
Robertson. industriel anglais, 542, Robilant, 279.
Roellette, officier de marine, 485.
Roi Charles Albert. VI — Mort à Oporto le 28 juillet 1819, 325 — 524, 28, 59, 63, 64, 69, 138, 158, 162, 166, 167, 168, 170, 179, 180, 187, 189, 210, 214, 217, 219, 231, 233-235, 249, 256, 265, 275, 279, 283, 284, 295, 302, 303, 305, 321, 326, 337, 383, 401, 403, 405.
Roi Victor EIDanllel, n'était plus revenu à Gènes depuis la révolution d'avril 1849, 425 — 438, 456, 460,485, 492, 497, 503, 504, 515, 527, 555.
ROMAGNE, 185, 45"-'.
ROME, 185, 217, 246, £ 65, 304, 307, 311, 315, 317.
Romapitn, gendre du comte Guasco, capitaine de cavalerie, ami intime de Mr De la Rue, 144.
Romilly, La famille Romilly d'origine française, avait émigré à Genève, puis en Angleterre, 350.
Rorft (Lucerna de), marquis, 7, 8, 13, 66, 67, 97 165, 166, 479.
Rosnzza, 309.
ROMSI et Schiupurelli, 112, 113, 125, 134, 142, 154, 181, 247, 251, 259, 312, 375, 427.
Rothschild, banquier à Paris, 299, 308, 326, 340, 341-348, 360, 363, 367, 395, 397-399, 400, 408, 425, 128, 430, 431, 434, 449, 450-452, 455, 464, 467, 471473, 487, 489, 493, 495, 503, 505, 513, 535.
Rougemont, 165.
ROYAL-BANK, de Liverpool, 16S.
Rua, 517.
Rubattino Raphaël (1809-1881), 377, 378, 542.
Rile. Voir De la Riie.
R a miel John, lord, 22, 439.
RUSSIE, 113, 200.
s s., 314 - 531.
s., 86, 112, 127, 140.
s., 149, 159, 165, 240.
298.
SAINT-GÉNIS, 492.
SAINT-MARTiN D'ALBARO, 539.
Salmonr, 116-118, 139, 140, 182, 281, 373, 513.
SALUCES, 48, 88, 103, 104.
SAN GIACOMO en Lombardie, 176.
San Martino (Perrone di) Hector, barone, 231, 242, 263.
San itlai-tiiio (Ponza de) Gustave, comte, né à Cuneo le 4 janvier 1810.
Le roi Victor Emmanuel avait en lui une confiance absolue et le tenait en haute estime, 211.
SAN PIER D'ARBNA, 142, 329, 446, 447, 517, 542.
Santa Rosa (Derossi) Pierre, comte, né à Turin en 1805, mort en 1850, ami intime de Cavour, 125, 134, 171, 212, 216, 351, 353, 390, 391, 512, 538.
Santa Rosa (Derossi) Théodore, comte, directeur général du trésor, 502.
SANTENA, 59, 60, 105, 158, 163, 211, 223, £ 32, 385, 429.
SANTURY (étang de), desséché, 504.
SARDAIGNE, 16. 27, 36. 38, 39, 41, 43,111, 378, 402, 409, 452, 455, 473, 480, 500, 502, 503-505, 507.
SARDE (Emprunt), de 1825, 29, 30.
Sartf, 474.
SAVIGLIANO, 223, 397.
SAVIGLIANO (Banque de), 104.
SAVTGLIANO (Chemin de fer de), 67, 68, 72, 74, 80, 94, 103, 109, 122, 124, 128, 129, 132, 134. 140, 143, 144, 233, 372, 375, 380, 385, 386, 388, 389, 393, 397, 398, 400, 405, 414, 431, 437, 453, 456, 457.
SAVOYARPS, 315, 492.
SAVOIE, VI, 79, 100, 105, 113. 158, 199, 200, 258, 277, 279, 320 — Le Roi avait fait un voyage en Savoie où la population l'avait accueillit avec enthousiasme, 383 - 451, 453, 485, 489, 503.
Scaravagrllo, 287 — 289, 303, 309, 325.
Scatti. 279.
Schaboë, Guano de Schaboë venu de Liverpool, 90, 130.
Sehiaparelll, apothicaire , homme d'une grande intelligence, 112, 113, 267, 310.
Sefaloja Antoine, avocat, 136.
Sclopls (de Salerano) Paul Frédéric, comte, né à Turin en 1798, mort en 1878, 135 — Au ministère de Justice, 194.
Sconto, 361.
Scott, industriel anglais, établi à Turin, 524.
SÉBASTOPOL, nous tient le bec dans l'eau, 479.
Sella, 54.
Sella Jean Baptiste, grand industriel à Biella, 408, 409, 416.
Seilon (De), comtesse, tante du comte de Cavour, IV, 263.
Serra Cassano François, marquis, capitaine de vaisseau, premier officier de la marine, 8, 402, 404.
Serra Orso, 8, 467.
SESTRIÈRE (Le Col de), 66.
SESTO, 603.
Slceartll Joseph, comte, 364, 409.
Simon, courier, 106.
Sina, 408.
sineo, Richard, juris-consulte distingué, 251, 266, 4, Sisinoudii, chevalier, savant géologue, membre de l'Académie des sciences à Turin, 209.
Soldait, 50, 366.
Sommeiller Germain, célèbre ingénieur, 391, 517.
Sonnai (uc), Hector Gerbaix, général, ministre de la guerre, 251, 258.
Sonnai Anne (madame), née de Vais, amie intime de madame De la Rüe, 331, 332.
SPEZIA, 425, 474, 515.
Spinola, 416.
Stallo, 274.
STATUT, 474.
STRASBOURG, 66.
SUISSE, 6(i, 100, 105, 131, 158.
SUSE, 98, 114, 453, 457, 481, 525.
SYRIE, 556.
T T, 197, 200, 208.
T., 91,150,157, 184, 197, 199, 202, 205, T 90Q 392.
T. and V. , 126, 130, 211, 215.
T. et C., 215.
T. P., 122.
TANARO (Vallée du), 48.
Taylor, 365, 406, 446, 447.
Tecclilo Sebastien, avocat, de Vicence, illustre jurisconsulte et ardentpatriote, 461, 462.
Terrible, pyro-batterie cuirassée, 559.
Thiers, 407 — Exilé de la France après le coup d'Etat du 2 décembre, était venu passer quelques jours à Turin, 436.
Thompson, 296, 297, 324, 334, 361, 369, 426.
Thompson et Foreman, 152, 155.
Thierneluter, 185.
TICINOIS, 104, 173.
Todros, 54, 56.
Tomati Christophe, professeur d'anatomie, 551, 560.
Tonnerre (madame de). Voir Clermont.
TORRO:-E, propriété de comte Cavour, 7.
TOSCANS, 266.
Tosco Martin, 147, 350, 354, 398, 403, 448, 476, 507, 546.
TOULON, 558.
TRIESTE, 126, 555.
Trinitft (Costa Carrù de la), 7.
Trombetta, propriétaire du grand Hôtel de l'Europe à Turin, 135.
TRONZANO, 123, 158, 38'.
Trotti. procureur, 310.
TRUFFARELLO, 130, 385, 437.
TURIN, IV, VI, X, 14 —D'ordinaire, on ne permet pas aux boulangers d'employer le blé de l'année, que du 10 au 15 août, 21 — Toutes les années il se vend sur la place de Turin pour 40 millions de soies, 30, 33-36, 37 — Affaires de banque, 38-12, 48 — Projet de fonder une banque, sur les mêmes bases que celles de la banque de Gènes, 49 - 55, 56, 64, 66 — 73, 79, 82, 89, 91-94, 96, 98-100, 102, 106,110, 112, 114, 118-125, 127, 128, 133, 134, 137-139, 144, 116, 147-119, 151, 155, 165, 166, 167, 170, 174,175, 180, 191, 193, 195, 198-204 — Le comte Cavour a été élu député à Turin, Cigliano et Monforte, 28 juin 1818, 201 - 211. 215, 218, 225, 227, 236, 246, 250, 256, 257,259,262, 264, 266. 270, 271, 274, 2S0,292, 294, 298, 301, 305, 308, 309, 316, 317, 321, 325, 330, 343-316, 350, 356, 360, 364-367. 370. 375, 379, 381, 383, 385, 387, 388, 391. 395, 396, 398, 399, 404, 406, 409, 110, 411, 416, 420, 422, 435, 437, 441, 442, 444, 449, 450, 451, 455, 456, 4i 2, 463, 469, 471, 475, 476, 481, 493, 497. 498, 501, 513, 518. 524, 525, 527, 528, 532, 5'3, 537, 540, 513, 546, 549, 550-553, 559.
Turrcttiiii, l'ictet et C. Voir Maisons.
u Ulrich et Brot, 295.
Uri, 173.
V V., 128, 143, 311.
V., 43, 52, 130. 131, 133, 137.
V. (Les frères), 3S9.
VALAIS, 79.
VALDICHIKSA, 331.
VALENCE, 158.
Valerio Laurent, frère des députés César Valerio. ingénieur, et Joachim Valerio. medécin, 97, 178, 186, 204 — 250 — 266, 355.
Vallabio, 295.
Varazze. 554, 555.
VAUDIER (Eaux de), 16, 254.
VAUD (Canton de), 79.
V. E. (Societé), 505.
Vegezzi Xavier, avocat, commandeur, 557.
VENISE, 110, 219, 222, 238.
VERCEIL, 25, 52, 85, 101, 102, 123, 112,
160 — Le comte Cavour se porta, ou fut porté, comme candidat aux collèges de Turin, Cigliano, Monforte et Verceil, et y échoua, 201, 235, 274, 310 318, 338, 395, 398, 399, 471, 472, 519 520.
VURCELLAIS, 42, 218, 282, 338.
Vertu, banquier et filateur de soie à Turin, 130.
Viai, comte, 179.
Viaul, de Gènes, 252.
Vicino, banquier à Turin, 37, 41, 49, 54, 56, 58, 117, 126.
Victor Emmanuel , roi. Voir Roi Victor Emmanuel.
VIENNK, 137, 222, 236, 238, 287, 319, 320, 330, 408.
VlGlîVANO, 174.
Vigliaui Paul Honoré, chevalier, 555.
Villamariua (Pés de), Salvator, marquis, 10, 39, 41, 43, 45, 59, 556.
Vïllaïusirina (Pès de), del Campo, Bernardin, comte, 174.
VILLANOVA, 48, 250.
Vincent, 5.
Visconti, Duc, 48.
Vitta Emile, 54.
Vm, 394.
w
W., 116, 125, 130.
W., polonais, 416.
W. w., 98.
W. W. and co, South Wales, maîtres de forges, 92.
Walewsky, 509.
WUSTMINSTER, 438.
William, 331, 315, 347.
X X., 268, 330, 3^2, 397.
X., 386, 392, 394, 407, 4.12, 453, 542.
X., de Londres, 128.
X , 409, 410, 559.
X. et Y,,,, 395.
Y Y., 386.
Y. Voir Maisons.
z 35., 382.
7t., 382 ZURICH, 519.
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